Mocha Celis : une école pour adultes trans/LGBT

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Mocha Celis : une école pour adultes trans/LGBT
Mocha Celis : une école pour adultes trans/LGBT
Entrevue avec RAYAN HINDI, réalisateur et journaliste
Par Claude Périard
C : Pour commencer, peut-être te présenter, dire combien ça fait de temps que t'habites ici, qu'est-ce tu fais ici, genre,
c'est ça...
R : Et bien, donc, je suis Rayan Hindi, je suis journaliste et réalisateur de documentaires, et j'habite en Argentine, à
Buenos Aires depuis deux ans. Donc, voilà, principalement je travaille sur la réalisation d'un documentaire, sur l'école
Mocha Celis, qui est le premier lycée au monde avec une perspective sur les genres, et, qui est donc pensé et orienté
pour les personnes trans, travesties, queer... voilà un vrai programme assez orienté sur les questions du genre. Je suis
aussi professeur dans cette école-là parce qu'en fait le documentaire, l'idée du documentaire, c'était vraiment d'inclure
au maximum les étudiants et donc, voilà, je suis professeur de réalisation audio-visuelle dans cette école-là, et de
permettre aux étudiants de pouvoir prendre la caméra et pouvoir s'approprier ce projet autant que moi, autant que
toutes les personnes qui font partie de l'équipe audio-visuelle. Donc ouais, cette école a été créée y'a trois ans, elle a
été reconnue comme école publique il y a déjà maintenant deux ans, là c'est la première génération... c'est la première
génération qui ont reçu leurs diplômes de l'équivalent d'un baccalauréat en décembre dernier, donc voilà, c'est tout
nouveau, c'est un nouveau projet qui s'inscrit évidemment dans le cadre de toute, de tout une nouvelle série de lois très
progressistes sur les questions LGBT en Argentine et notamment pour les personnes trans, voilà, donc c'est comme l'a
dit le ministre de l'éducation au moment où il a remis les diplômes aux étudiants, il leur a dit que voilà, cette école
c'est une sorte de réparation historique pour toutes les personnes trans qui ont pu souffrir de marginalisation et de
discrimination dans les décennies, les siècles passés.
C : Tu disais justement que ça entrait dans un contexte où y'avait plusieurs mesures puis des lois prises par le
gouvernement par rapport à ces questions-là, est-ce que tu pourrais en nommer quelques-unes ?
R : Oui, absolument, donc, euh, l'Argentine ça a été le premier pays d'Amérique latine qui a accepté le mariage pour
tous, et par la suite (interruption)
C : En quelle année ?
R : En... euh je sais plus exactement, (chuchotements, une tiers personne parle) en 2010. Donc ouais y'a eu une série
de lois, c'est le premier pays d'Amérique latine a avoir instauré le mariage pour tous, le mariage pour les couples trans,
gais, pour l'adoption aussi, et en 2011, il y a surtout ce qui s'appelle la ''Ley de género'', la loi sur l'identité des genres,
qui est une loi unique au monde, où y'a une vraie reconnaissance pour les personnes trans, y'a donc évidemment le
droit de changer son nom, son sexe, sur les papiers d'identité, mais y'a aussi le remboursement par la sécurité sociale
des opérations chirurgicales, par exemple pour les femmes qui veulent devenir hommes ça peut être la masectomie,
pour les hommes qui veulent devenir femmes c'est toutes les opérations, euh, voilà, des opérations assez lourdes. Et
donc voilà, donc euh, en plus de ça, autre chose encore une fois dans cette loi qui est assez unique c'est le fait que pour
changer son identité de féminin à masculin ou de masculin à féminin, on a pas besoin d'aller voir un médecin, on va
juste au registre civil et on change selon son propre sentiment.
C : Dans ce lycée-là, est-ce que c'est, est-ce que les enfants sont comme tous, euh, est-ce que c'est (interruption)
R : C'est pas des enfants
C : C'est des adolescents?
R : C'est des adultes
C : Ah okay c'est des adultes !
R : En fait l'école a été créée au départ, euh, le directeur a créé l'école, alors qu'il faisait un documentaire sur les
populations trans et il a découvert quelque chose comme 80% des personnes trans n'avaient pas terminé le lycée, ou le
collège, et que 90% de ces gens-là voulaient retourner à l'école. Et voilà c'est là un peu qu'est née l'idée... En plus,
évidemment, du fait de découvrir, y'a eu tout un tas de choses, par exemple l'espérance de vie des populations trans
c'est 37 ans en Argentine, ce qui est vraiment dérisoire comparé au reste alors euh, y'a évidemment la maladie mais les
suicides, y'a beaucoup de, voilà. C'est très dur, c'est des vies de marginalisation, c'est très souvent la prostitution...
Donc voilà, au final cette école a été créée pour permettre aux adultes de pouvoir réintégrer le système scolaire, et
pourquoi pas poursuivre, comme là c'est le cas, des 20 étudiants qui ont reçu leur bac, y'en a 19 qui continuent sur des
études secondaires.
C : Pis est-ce que tout le monde qui fréquente cette école-là sont transgenres ou transexuel.les ?
R : Non c'est 50%, 50%. Y'a environ 50% de personnes trans, travesties, euh, enfin voilà, et le 50 autre pourcent c'est
un vrai euh, une école très inclusive, y'a des hétéros, des gais, des lesbiennes, des queers, des gens qui ne s'identifient
à aucun genre, des trans FtoM, MtoF, voilà. Dans le personnel enseignant c'est aussi très varié et l'idée c'est vraiment
d'arriver à briser tous les tabous sur la discrimination, donc voilà, autant économique que le tabou des genres, parce
que celui qui m'aide à faire mon devoir de math c'est aussi celui que, c'est la trans ou c'est la lesbienne et voilà.
C : Pis est-ce que ça attire aussi beaucoup de personnes de d'autres pays cette école-là ?
R : Des pays frontaliers, y'en a quelques-uns, ouais, y'a des étudiants du Pérou, de la Bolivie, du Paraguay, et vraiment
de tous les âges, vraiment, je pense que le plus jeune a 17 ans et que l'étudiante la plus âgée a presque 70 ans. C'est ce
qui est beau avec ce projet, avec cette école, c'est justement d'avoir tout un éventail, c'est-à-dire que dans la mentalité
de la construction de cette école, c'était de dire comment on peut vouloir défendre l'inclusion des personnes trans et
lutter contre, c'est nous-même, en fait on se limite à dire non, c'est une école que pour les personnes trans, non voilà
c'est une école pour tous et pour briser les tabous et pour qu'on s'asseoit tous les uns à côtés des autres pour construire
un projet commun, avec une éducation peut-être un peu alternative, enfin, en tout cas, repensée avec la perspective
des genres.
C : Et cette école-là est à Buenos Aires ?
R : Absolument, cette école est à Buenos Aires, comme je te disais c'est la seule école au monde dans ce genre, la
seule école publique, du moins reconnue publiquement. En ce moment, y'a d'autres projets qui sont en train de
s'élaborer, notamment à Mendoza, avec un projet assez similaire, qui a commencé à voir le jour y'a un an, mais qui
n'est pas encore une école publique, qui est plus comme un espace pour le collectif trans argentin.
(Entrevue faite à Buenos Aires en février 2015)

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