Décohérence et information quantique
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Décohérence et information quantique
STAGE DE MASTER 2 Décohérence et Intrication quantique Sylvain Vogelsberger sous la direction de Dominique Spehner de l’Institut Fourier, Grenoble Master 2 de Physique ENS Lyon Avril/Juillet 2008 Résumé Table des matières 1 Motivations 1 2 Un peu d’information quantique pour se motiver ! 2 3 L’intrication 5 3.1 Définitions et premiers Critères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 3.2 Mesure d’Intrication de Wootters . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 3.3 Intrication pour les systèmes à variables continues . . . . . . . . 9 3.4 Comment fabriquer des états intriqués ? . . . . . . . . . . . . . . 13 3.4.1 3.4.2 Atome à deux niveaux dans une cavité. Modèle de JaynesCummings . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Les pistes expérimentales pour fabriquer un ordinateur quantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 4 Décohérence 16 4.1 Formalisme des Systèmes Ouverts : . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 4.2 Formalisme de projection et approximation de l’onde tournante : 20 4.3 Retour sur l’atome à deux niveaux et formule de Wigner-Weisskopf 22 4.4 Résultats rigolos sur la décohérence . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Désintrication due à la décohérence 25 27 5.1 Application du critère d’intrication pour les variables continues . 27 5.2 Désintrication de deux qubits due au couplage à leurs environnements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 6 Conclusion 33 1 Motivations On entend, de nos jours, de plus en plus parler des ordinateurs quantiques. Vous savez, ces machines qui fonctionneraient non plus sur la base du bit, valant 0 ou 1 mais sur le qubit qui prend ses valeurs sur la sphère de Bloch. L’informatique quantique est très prometteuse. Les informaticiens ont déjà conçu des algorithmes fonctionnant sur ce système. Ils ont, par exemple, découvert une façon de factoriser les grands nombres entiers en facteurs premiers en un temps polynomial (algorithme de Shor 1994). Bref, ils ont théoriquement cassés le fameux code RSA, à la base de la sécurité bancaire depuis plus de vingt ans ! Plus généralement, ils ont transformé de nombreux problèmes NP en problème P. Il manque cependant un ingrédient essentiel à leur recette : l’ordinateur quantique. En vérité, depuis quelques années, les gens ont réussi à construire de telles machines mais ne fonctionnant qu’avec un nombre très limité de qubits : environ une dizaine. Ceci permet uniquement de faire des calculs très modestes, comme factoriser 15 ! Il parait donc très intéréssant de comprendre les mécanismes physiques qui contraignent la manipulation de plus de qubits simultanément. C’est tout l’objet de la thèse qui va venir. Quant au stage, il nous a permis, de nous familiariser avec ces notions : 1 2 Un peu d’information quantique pour se motiver ! Dans un ordinateur quantique, le support physique traitant l’information obéit aux lois de la Mécanique Quantique ! Les bits sont remplacés par des qubits. Mais qu’est-ce que cela veut finalement dire ? Et puis c’est quoi un qubit ? Définition 2.1. Un qubit est l’état d’un système quantique à 2 niveaux. On peut par exemple réaliser un qubit en considérant les 2 états de polarisation d’un photon ou les 2 états de spin d’un électron : haut et bas. On reviendra aux réalisations expérimentales plus tard. Concentrons nous pour l’instant sur le principe du calcul quantique. Un qubit peut donc se trouver dans une superposition cohérente de deux états de référence notés | 0 > et | 1 >. Un registre, constitué d’un ensemble de qubits, peut également se trouver dans une superposition cohérente de différents états, donc prendre diverses valeurs à la fois ! Le calcul quantique consiste à manipuler de tels registres. On peut y explorer simultanément des situations correspondant aux différentes valeurs du registre. En particulier, on verra par la suite que les états de qubits intriqués contiennent le maximum d’informations. Un exemple pour comprendre quelque chose : Si on dispose de N qubits, on peut très bien, comme avec les bits, représenter tout nombre entier inférieur à 2N . Il suffit d’écrire ce nombre en base 2. L’avantage d’un état qubit par rapport à un état bit classique est qu’il peut représenter tout une floppée de nombres à la fois. Par exemple l’état EPR 1 : | 01 > + | 10 > qu’on peut fabriquer grâce à 2 qubits permet de représenter 1 et 2£en même temps ! Encore mieux avec 10 qubits, l’état : √1 | 0000000001 > + | 0000000010 > + | 0000000100 > + | 0000001000 > + 10 | 0000010000 > + | 0000100000 > + ¤ | 0001000000 > + | 0010000000 > + | 0100000000 > + | 1000000000 > est support des nombres 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256 et 512 ! Pour factoriser un nombre entier inférieur à 1024, mettons 538, on peut donc imaginer multiplier des états intriqués contenant un grand nombre d’entiers. On diminue ainsi d’autant le temps de factorisation que l’on considère de gros états non séparables. L’inconvénient est qu’on récupère un résultat probabiliste (c’est une mesure sur le système quantique). Cependant le problème principal ne se situe pas à ce niveau. En effet dans beaucoup de domaines on se satisfait très bien de réponses probabilistes : – Le test de Miller-Rabin pour les nombres premiers – Le calcul Monte-Carlo. On a vu que la puisssance du calcul quantique était basé sur la manipulation d’états intriqués. Ceci impose de préserver la cohérence durant toute la durée du calcul. Or les qubits sont des objets physiques et non des êtres abstraits. En particulier, ils vivent dans un environnement donné. Ils sont donc couplés avec ce dernier. Ce phénomène induit de la décohérence, ainsi qu’une perte d’intrication 1 Pour Einstein Podolsky Rosen qui sont finalement à la base de toute cette théorie. 2 en général, rendant le calcul quantique faux. Tout le jeu consiste à comprendre comment ces phénomènes apparaissent et à quelle vitesse ? Notons également que le même problème intervient pour la téléportation quantique. Comment cela marche t-il ? Fig. 1 – Principe de la téléportation quantique Les fameux Alice et Bob veulent téléporter un état quantique (a). On suppose qu’ils disposent d’une paire intriquée comme dans l’exemple ci-dessus. Alice mesure la polarisation des deux particules (a) et (b). Mais (b) et (c) étant intriqués, cette mesure a un effet immédiat sur l’état de la particule (c) de Bob. On voit donc que l’état final de (c) (celui mesuré par Bob) dépend de l’état initial de (a) et du résultat des mesures d’Alice. Elle transmet alors classiquement ces données à Bob, qui peut reconstituer l’état initial de (a) par une transformation unitaire (qui dépend du résultat transmis par Alice) sur l’état de (c). Ce n’est pas encore Star-Trek car il n’y a pas de téléportation de matière ! Comme a répondu Asher Peres, un des pères de la téléportation quantique, récemment disparu, à un journaliste qui lui demandait si l’on peut téléporter l’esprit en même temps que le corps : "Non, on ne peut téléporter que l’esprit !" Ajoutons que la téléportation quantique ne viole en rien la relativité restreinte et le principe de causalité. En effet, dans cette affaire, il faut bien voir, qu’à un moment donné on transmet de l’information classiquement : c’est quand Alice envoie à Bob le résultat de sa mesure. Mais alors, à quoi ça sert la téléportation quantique ? Une des applications principale est la cryptographie quantique. Imaginons qu’Alice veut transmettre à Bob un message. Pour ce faire, on transforme ce message en un état porté par la particule (a). Bob reconstitue ce message grâce au résultat de la mesure d’Alice et à la mesure qu’il fait sur (c) 3 comme ci-dessus. Un espion est nécessairement repéré par cette procédure. En effet, si celui-ci mesure l’état d’une particule, alors par le principe de réduction du paquet d’onde, cet état va se voir modifier. Ainsi, Alice et Bob sauront que quelqu’un a tenté d’intercepter leur message. La téléportation sert également dans les codes correcteurs d’erreurs, sans lesquels on ne peut faire de calculs quantiques en pratiques. Ceci n’est pas du tout de la science-fiction. Des appareils, fonctionnant sur ce principe, sont déjà en vente dans le commerce. On peut ainsi fixer l’heure de l’apéro à son voisin de façon totalement sécurisée ! Plus sérieusement, en juin 2004, une équipe de l’Université de Genève a réussi à téléporter l’état d’un photon sous le lac Léman (environ 10 kms). Très récemment, une équipe autrichienne est parvenu à transmettre l’état d’un atome sur plusieurs centaines de mètres. 4 3 L’intrication Cette première partie nous a permis de mettre en exergue le point crucial de toutes ces fantastiques applications : c’est l’intrication qui fait tout marcher. En 1935, Erwin Schrödinger disait déjà qu’ " elle est la marque de la Mécanique Quantique "2 . Il nous paraît donc indispensable d’arriver à cerner cette notion : 3.1 Définitions et premiers Critères On considère deux systèmes A et B. L’espace Physique total de Hilbert à considérer est : H = HA ⊗ HB (1) Pour visualiser les choses, on pourra parfois se dire que A et B sont deux qubits. Dans ce cas : HA ' C2 ' HB et une base du système total est alors donnée par : {| 11 >, | 10 >, | 01 >, | 00 >} Définition 3.1. Un état pur | Ψ > est séparable (ou factorisable) ssi | Ψ >=| ψ >A ⊗ | φ >B . Il est dit intriqué dans le cas contraire. Attention : L’état | 00 > + | 01 > est séparable. En effet on peut le réécrire sous la forme : | 0 >A ⊗(| 0 > + | 1 >)B . Mais on ne peut factoriser l’état EPR : | 01 > + | 10 >. Pour les états purs, le théorème de décomposition de Schmidt nous permet de distinguer les états intriqués : Théorème 3.1 (décomposition de Schmidt). Pour tout état pur | Ψ >∈ HA ⊗ HB , il existe deux bases orthonormales de HA : {| χA j >} et de HB : {| χB >} et des réels d > 0 tels que : j j X B | Ψ >= dj | χA (2) j > ⊗ | χj > j Les bases en question sont les bases de Schmidt et les coefficients réels positifs dj sont les coefficients de Schmidt. P B Démonstration. Dans la base canonique, on a | Ψ >= i,j mij | φA i > ⊗ | φj > . On considère alors M † M (de taille dim(HA ⊗ HB ) × dim(HA ⊗ HB )). C’est une matrice hermitienne semi-définie positive. D’après le théorème spectral, il existe V unitaire telle que : µ ¶ D 0 † † (3) V M MV = 0 0 où D (de taille d × d) est diagonale définie positive ie tous ses coefficients sont réels strictement positifs. En réécrivant, on a : µ †¶ µ † † ¶ µ ¶ ¡ ¢ V1 V 1 M M V 1 V 1† M † M V 2 D 0 † (4) M M V1 V2 = = 0 0 V 2† V 2† M † M V 1 V 2† M † M V 2 2 E.Schrödinger, Proc. Cambridge Philos. Soc. 31, 555 (1935) 5 Où V 1 est de taille dim(HA ⊗HB )×d et V 2 de taille dim(HA ⊗HB )×(dim(HA ⊗ HB ) − d). On a V 1† M † M V 1 = D et M V 2 = 0. On pose alors U 1 = D−1/2 V 1† M † de taille d × dim(HA ⊗ HB ) . U 1 ne risque pas d’être unitaire car elle n’est aµ priori ¶ pas une matrice carrée. On la complète en formant la matrice U = U1 . On choisit évidemment U 2 de taille (dim(HA ⊗ HB ) − d) × dim(HA ⊗ U2 HB ). Puis on lui demande de vérifier U 2U 1† = 0. Ou plus géométriquement on demande que U soit une matrice unitaire. C’est possible car on a déjà : U 1U 1† = D−1/2 V 1† M † M V 1D−1/2 = D−1/2 DD−1/2 = Id×d . Alors : µ ¶ ¡ U1 M V1 U2 ¢ V2 = µ 1/2 D 0 0 0 ¶ (5) La seule égalité non triviale est : U 2M V 1 = 0. Mais M V 1 = U 1† D1/2 , donc U 2M V 1 = U 2U 1† D1/2 . C’est bien une matrice nulle car on a demandé U 2U 1† = 0. P B Il suffit alors de considérer les bases : {| χA uij | φA j >= i >} et {| χj >= P B vjk | φk >} pour avoir le résultat voulu. Ceci permet d’énoncer un critère de séparabilité pour les états purs : Proposition 3.2 (Critère d’intrication de Schmidt). Avec les mêmes notations que ci-dessus, on définit le nombre de Schmidt comme le nombre de dj non nuls dans la décomposition de Schmidt. Alors | Ψ > est intriqué ssi son nombre de Schmidt est strictement supérieur à 1. De plus cet état est dit maximalement intriqué ssi ses coefficients de Schmidt non nuls sont tous égaux. C’est le cas d’une paire EPR par exemple. En pratique , on considère plutôt des états mixtes que l’on représente par des matrices densités hermitiennes et de trace un. Pour le système à deux qubits, la matrice densité sera d’ordre 4. Définition 3.2. Un état mixte ρ est séparable ssi il existe : | Ψ1 >, ..., | Ψn > tels que | Ψk >=| ψk >A ⊗ | φk >B et p1 , ..., pn des réels positifs Pntels que p1 + ... + pn = 1 ; tel que : ρ = k=1 pk | Ψk >< Ψk |. Il est dit intriqué dans le cas contraire. Attention : Le théorème spectral nous assure dans tous les cas de la décomposition : ρ = Pn p | Ψ k >< Ψk |. Mais les | Ψk > ne sont pas forcément factorisable ie k=1 k | Ψk >=| ψk >A ⊗ | φk >B . 6 3.2 Mesure d’Intrication de Wootters En fait, on peut caractériser plus finement la notion d’intrication. On se restreint ici au cas où A et B sont deux qubits3 . On commence par considérer toutes les décompositions possibles en états purs de la matrice densité : ρ= n X (6) pk | Ψk >< Ψk | k=1 Puis pour chaque état pur, on définit : Définition 3.3. L’intrication de formation E est l’entropie de chacun des deux sous-systèmes A et B : X E(Ψ) = −T r(ρA logρA ) = −T r(ρB logρB ) = − d2i log(d2i ) (7) i où ρA est la trace partielle de | Ψ >< Ψ | sur le sous-système B (idem pour ρB ) et les di sont les coefficients de Schmidt. De plus le logarithme considéré est le logarithme en base deux.4 Démonstration : Cette définition a bien un sens. En effet d’après le théorème de décomposition de Schmidt : X B A B | Ψ >< Ψ |= di dj | χA (8) j >| χj >< χi |< χi | i,j De là E(Ψ) = − P i d2i log(d2i ) qui ne dépend pas de la définition choisie ¤ Essayons d’interpréter et de donner du sens physique à cette définition. Déjà elle est cohérente avec ce qui précède. Pour un état séparable, on souhaiterait obtenir une intrication nulle ! C’est le cas ! En effet, si on décompose un tel état par le théorème de Schmidt, on a un seul coefficient de Schmidt non nul qui vaut nécessairement 1 par normalisation. La formule donnée dans la définition nous assure alors que E = −1 × log(1) = 0. Quant à un état maximalement intriqué, on voudrait que son intrication vaille un ! C’est encore le cas ! En effet un tel état à tous ses coefficients de Schmidt égaux. Mais par l’équation de normalisation, on a : d21 + d22 = 1, donc d2i = 1/2. P Calculons alors l’intrication : E = − i d2i log(d2i ) = −2 × 1/2 × log(1/2) = log(2) = 1 car le logarithme est en base 2 ! De plus, dans la définition ci-dessus, on reconnait la formule de l’entropie d’information de Shannon. Ceci confirme le fait suivant : plus les états sont intriqués, plus ils transportent d’informations. Ce sont donc ces états qui seront utiles pour la cryptographie quantique et l’informatique quantique comme nous l’avions annoncé au début de ce rapport. Pour un état mixte, on définit : 3 La généralisation est relativement technique. écrit log pour alléger l’écriture. 4 qu’on 7 Définition 3.4. L’intrication de formation E pour un état mixte ρ est définie comme le minimum sur toutes les décompositions (6) de ρ, des moyennes des intrications des états purs des décompositions de ρ : X E(ρ) = M in pi E(Ψi ) (9) i Cette définition parait assez naturelle pour généraliser la précédente sur les états purs. Cependant elle semble peu pratique à manipuler car il n’est jamais évident de minimiser une quantité. Heureusement William Wootters a découvert une formule admirablement simple permettant de calculer cette intrication de formation que l’on abrégera par intrication pour la suite (cf référence [5]). Pour cela il commence par considérer la transformation suivante sur les états purs : Définition 3.5. Transformation de spin-flip : | Ψ >7→| Ψ̃ >= σy | Ψ∗ > (10) Cette opération se généralise facilement pour nos deux qubits : ρ̃ = (σy ⊗ σy )ρ∗ (σy ⊗ σy ) (11) C’est un renversement du temps suivi d’un changement de direction. Muni de cette définition, on peut énoncer : Théorème 3.3. de Wootters pour les états purs : L’intrication est donnée par : E(Ψ) = E(C(Ψ)) (12) où la concurrence C est définie par : C(Ψ) =|< Ψ | Ψ̃ >| (13) et la fonction E par : E(C) = h( 1+ √ 1 − C2 ) 2 (14) avec : h(x) = −x log(x) − (1 − x) log(1 − x) (15) On peut trouver la démonstration de ceci dans le papier cité plus haut. La fonction E : [0, 1] 7→ [0, 1] étant convexe et croissante, on peut voir la concurrence comme une mesure d’intrication. En particulier, si C = 0, l’état est séparable et si C = 1, l’état est au contraire maximalement intriqué. Pour le cas mixte, le résultat est encore plus surprenant : 8 Théorème 3.4. de Wootters pour les états mixtes : L’intrication est donnée comme avant par : E(ρ) = E(C(ρ)) (16) C(ρ) = M ax{0, λ1 − λ2 − λ3 − λ4 } (17) et la concurrence C par : où les λi sont les valeurs propres dans l’ordre décroissant de la matrice hermitienne suivante : q √ √ R := ρρ̃ ρ (18) Certes ce résultat n’est pas très intuitif. Cependant on voit immédiatement toute sa puissance : on n’a plus à minimiser sur toutes les décompositions pour calculer l’intrication. Un calcul des valeurs propres de la matrice R suffit. La démonstration fait l’objet du papier précédemment cité. Cependant Wootters ne parvient pas totalement à interpréter physiquement sa formule de l’intrication de formation donnée par la définition 3.4. Mais très récemment, l’article [18] est venu compléter ce manque. Nous y reviendrons par la suite. 3.3 Intrication pour les systèmes à variables continues Cette mesure d’intrication s’applique pour deux systèmes à deux niveaux, ie deux qubits. Elle s’applique donc à de très nombreuses situations. Cependant, de nombreuses expérience sont basées sur des systèmes à variable continues. C’est d’ailleurs le cas de la fameuse "Gedankenexperiment" d’Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen [1]. Ils considéraient en effet l’intrication au niveau des variables position et impulsion 5 . A présent, de nombreux protocoles pour le calcul quantique sont basés sur des variables continues. En 1998, par exemple, A. Furusawa et son équipe [7] ont fait de la téléportation quantique non conventionnelle, c’est à dire avec des variables continues. En l’occurence, c’était l’amplitude d’un mode du champ électromagnétique. Ainsi il parait important de posséder un critère d’intrication pour ces domaines à variables continues. C’est ce que propose une équipe d’Innsbruck dans [6]. Voyons plus précisément de quoi il retourne. On commence par considérer les opérateurs de type EPR suivant : 1 U = aXA + XB a (19) 1 V = aPA − PB a (20) où a > 0 et où X est l’opérateur position. 5 Par abus on parle maintenant d’état EPR pour des qubits. 9 Théorème 3.5. Critère suffisant de non-séparabilité : Pour chaque état séparable ρ, la somme des variances de ces deux opérateurs vérifient : V ar(U )ρ + V ar(V )ρ ≥ a2 + 1 a2 (21) Démonstration. On peut directement calculer V ar := V ar(U )ρ + V ar(V )ρ en utilisant une décomposition de ρ en états séparables : X ρ= pi ρi,A ⊗ ρi,B (22) i Il vient alors (on oublie l’indice ρ) : X V ar = pi [< U 2 >i + < V 2 >i ]− < U >2 − < V >2 i = X 2 pi [a2 < XA >i + i +2 X (23) 1 1 2 < XB >i +a2 < PA2 >i + 2 < PB2 >i ] (24) 2 a a pi [< XA >i < XB >i − < PA >i < PB >i ] (25) i − < U >2 − < V > 2 (26) La ligne 25 est justifié par la séparabilité des ρi qui entraine l’indépendance des variables aléatoires XA,i et XB,i (idem pour les impulsions). Enfin on peut faire apparaitre les variances associées à ces variables aléatoires : X 1 1 pi [a2 V ar(XA,i ) + 2 V ar(XB,i ) + a2 V ar(PA,i ) + 2 V ar(PB,i )] V ar = a a i + X i + X (27) ¡X ¢2 pi < U >2i − pi < U >i i pi < V >2i − ¡X i pi < V >i (28) ¢2 (29) i On minore alors : D’après l’inégalité de Heisenberg, on a : V ar(XA,i ) + V ar(PA,i ) ≥ 1 = [XA , PA ] (30) donc on peut minorer : (ligne27) ≥ a2 + 1 a2 (31) Enfin, pour les deux dernières lignes, on utilise l’inégalité de Cauchy-Schwartz : ¡X ¢2 ¡ X ¢¡ X ¢ ¡X ¢ pi < U >i ≤ pi (32) pi < U >2i = pi < U >2i i i i i On a donc : (ligne28) ≥ 0 (ligne29) ≥ 0 En regroupant on obtient l’inégalité voulue. 10 (33) Que se passe-il pour les états intriqués ? Commme [U, V ] = a2 − a12 , on aura toujours la minoration : V ar(U )ρ + V ar(V )ρ ≥| a2 − 1 | a2 (34) Si on choisit a = 1, le membre de droite est nulle. On atteint effectivement cette borne en considérant l’état propre associé à la paire d’opérateurs XA + XB et PA −PB . Cet état maximalement intriqué n’est cependant pas très physique. On sait en effet que les états physiques associés à ce type de problème sont plutôt les états gaussiens et plus généralement les états comprimés. Grâce à ces états, on arrive à tendre vers cette borne inférieure nulle. Peut-on espérer mieux de notre critère ? Le théorème précédent affirme que si l’inégalité est violée pour un certain a > 0, alors l’état est nécessairement intriqué. Mais a-t-on une réciproque ? Oui ! Enfin partiellement comme le montre le théorème suivant. On commence par écrire notre état gaussien grâce à sa fonction caractéristique de Wigner : √ ª © R I (35) χwigner (λA , λB ) = T r ρ exp [i 2(λIA XA + λR A PA + λB XB + λB PB )] I où λl = λR l + iλl . Or la fonction caractéristique de Wigner d’un état gaussien peut toujours s’écrire quitte à supprimer les termes linéaires dans l’exponentielle : h 1 i I R I R I R T χwigner (λA , λB ) = exp − (λIA , λR , λ , λ )M (λ , λ , λ , λ ) A B B A A B B 2 où la matrice de corrélation M est donnée par : µ ¶ GA C M= C T GB (36) (37) Le Lemme suivant nous permet d’écrire cette matrice de corrélation sous une forme plus sympathique : Lemme 3.6. ρG peut être transformé par des transformations de Bogoliubov en un état gaussien dont la matrice de corrélation est : n1 0 c1 0 0 n2 0 c2 M = (38) c1 0 m1 0 0 c2 0 m2 où les coefficients vérifient : n2 − 1 n1 − 1 = m1 − 1 m2 − 1 p p | c1 | − | c2 |= (n1 − 1)(m1 − 1) − (n2 − 1)(m2 − 1) (39) (40) En fait, ce Lemme permet de classer les états gaussiens par classe d’équivalence d’états (pouvant se déduire les uns des autres par transformations de Bogoliubov) ayant la même matrice M. Comme le caractère séparable d’un état 11 n’est pas changé par transformation de Bogoliubov, tous les états gaussiens appartenant à une même classe d’équivalence auront la même propriété de séparabilité ou de non séparabilité6 . On peut donc se restreindre aux états gaussiens ayant une matrice de corrélation de la forme (38). On est à présent suffisament armé pour présenter : Théorème 3.7. Critère nécessaire et suffisant de non-séparabilité pour les états gaussiens : Un état gaussien ρG est séparable ssi l’inégalité du théorème précédent est satisfaite pour les opérateurs suivant : c1 1 XB | c1 | a r m1 − 1 a2 = n1 − 1 et U = aXA − avec V = aPA − c2 1 PB | c2 | a (41) (42) Démonstration. Le seulement si provient du théorème précédent évidemment ! Pour la réciproque, on a par hypothèse l’inégalité : V ar = V ar(U ) + V ar(V ) ≥ a2 + 1 a2 (43) Puis comme on a enlevé les termes linéaires : 1 c1 2 < XB > −2 < XA XB > a2 | c1 | 1 c2 V ar(V ) =< V 2 >= a2 < PA2 > + 2 < PB2 > −2 < PA PB > a | c2 | 2 V ar(U ) =< U 2 >= a2 < XA >+ (44) (45) La valeur des différents termes se lit sur M donnée par le lemme : n1 2 m1 2 < XB >= 2 2 < XA >= < XA XB >= n2 2 m2 2 < PB >= 2 < PA2 >= c1 2 (46) (47) < PA PB >= c2 2 (48) En regroupant, on obtient finalement l’inégalité : V ar = a2 n1 + n2 m1 + m2 1 + − | c1 | − | c2 |≥ a2 + 2 2 2 2a a En y injectant (40), on tombe sur : p | c1 |≤ (n1 − 1)(m1 − 1) | c2 |≤ p (n2 − 1)(m2 − 1) (49) (50) Ces inégalités (50) assurent que la matrice symétrique M − Id est semi-définie positive. Or la fonction caractéristique normale de notre état s’exprime grâce à sa fonction caractéristique de Wigner par : ¤ £1 χnormale (λA , λB ) = χwigner exp (| λ1 |2 + | λ2 |2 2 i h 1 I R I R I R T = exp − (λA , λA , λB , λB )(M − I)(λIA , λR , λ , λ ) A B B 2 (51) (52) 6 Ici on veut uniquement savoir si un état est intriqué ou non. Le degré d’intrication quant à lui est modifié par transformation de Bogoluibov, en particulier par les compressions 12 On sait qu’on peut toujours représenter la matrice densité par sa fonction ”P ” : Z ρ = dαdβP (α, β) | α, β >< α, β | (53) Cette fonction ”P ” est reliée à la fonction caractéristique normale χnormale par transformée de Fourier. Or on vient de montrer que χnormale est une gaussienne et la transformée de Fourier d’une gaussienne est encore une gaussienne. Ainsi ”P ” est une gaussienne et en particulier c’est une fonction positive. La matrice densité ρ s’écrit donc comme une une combinaison linéaire à coefficients positifs de projecteurs séparables comme en (6) sauf qu’ici la somme est devenue une intégrale. L’état ρ est donc séparable. On appliquera ce critère sur un exemple par la suite. Ajoutons que dans la même veine, il existe le critère de Peres-Horodecki. 3.4 Comment fabriquer des états intriqués ? En fait les états intriqués apparaisent naturellement lorsque deux systèmes sont en interaction. Montrons le sur un exemple simple inspiré de [8] : 3.4.1 Atome à deux niveaux dans une cavité. Modèle de JaynesCummings On considère un atome à deux niveaux, notés | g > pour le fondamental et | e > pour l’état excité. La différence d’énergie entre ces deux niveaux est ~ωeg . Tandis que l’énergie moyenne est 21 ~Ω. Le Hamiltonien de cet atome est donc e émission d’un photon g Fig. 2 – Atome à deux niveaux simplement donné par : Hat =| g > Eg < g | + | e > Ee < e | 1 1 = ~ΩI + ~ωeg σz 2 2 13 (54) (55) On suppose qu’il régne un champ dans la cavité de fréquence ω. Son hamiltonien est donné par celui de l’oscillateur harmonique : 1 Hchp = ~ω(a† a + ) 2 (56) On a aussi un couplage atome/champ donné par : W = ~g(σ+ a + σ− a† ) (57) On comprend bien ce que cela signifie : l’atome peut monter dans l’état excité si il se trouve au fondamental aidé par le champ qui cède un photon et inversement. Il vient finalement dans la base {| e, n >, | g, n + 1 >}n∈N : µ µ ¶ ¶ √ X 1 δ 2g n + 1 1 0 √ Htotal = ∆n + ~ (58) 0 1 2g n + 1 −δ 2 n∈N avec ∆n = 1 ~Ω + ~ω(n + 1) et δ = ωeg − ω 2 (59) En diagonalisant, on trouve les valeurs propres : 1 E±,n = ∆n ± ~λn 2 avec λn = p δ 2 + 4g 2 (n + 1) (60) et les vecteurs propres associés : | +, n >= cos θn | e, n > + sin θn | g, n + 1 > | −, n >= − sin θn | e, n > + cos θn | g, n + 1 > λn − δ tan θn = √ 2g n + 1 (61) (62) (63) Il faut faire attention à la notation trompeuse : | +, n > ne signifie pas qu’il y a n photons. Ces états sont les états habillés de l’atome. Ils sont non factorisables. Une mesure de l’état atomique renseigne sur le champ dans la cavité. 3.4.2 Les pistes expérimentales pour fabriquer un ordinateur quantique Dans un premier temps, il s’agit de réaliser une porte logique élémentaire, c’est-à-dire deux qubits intriqués tel que l’état de l’un puisse être modifié par l’état de l’autre avant que la décohérence n’entre en jeu. L’étape suivante consiste à augmenter le nombre de qubits en interaction pour construire un vrai ordinateur...Il faut faire preuve d’ingénuiosité pour trouver les systèmes physiques où les effets de la décohérence sont les plus faibles. Plusieurs pistes de recherche sont considérées parallèlement : – Les ions piégés : Un qubit est supporté par un système à deux niveaux formé par l’état fondamental et un niveau électronique excité d’un ion. Les ions sont refroidis dans un piége linéaire. Le couplage entre ces derniers est assuré par des modes de vibration collectifs. En éclairant avec un laser, on parvient à exciter différents modes de vibration et à exciter un ion particulier. On réussit donc à fabriquer des états de qubits intriqués. On reviendra sur ce type d’expérience développée originellement par le groupe 14 – – – – – américain de Monroe puis par plusieurs autres groupes de part le monde. Notamment celui de Blatt en Autriche, qui a pour la première fois réalisé une porte C-NOT. Atomes froids : les qubits sont ici constitués par les états de spin d’ atomes froids bloqués au sein de pièges périodiques. Les interactions entre atomes nécessaires pour produire de l’intrication seraient dues à un couplage dipôle/dipôle. Le laboratoire Kastler Brosler de l’ENS est à la pointe dans ce domaine. Electrodynamique Quantique en cavité micro-ondes : On couple ici un atome de Rydberg (ie qui possède un électron extrêmement éloigné du noyau) avec le champ de la cavité. Les états atomiques et du champ jouent le rôle de qubits intriqués. Ces expériences ont été réalisées par les groupes de Haroche à l’ENS et de Walter à Munich. Electrodynamique quantique en cavité optique : Un qubit est codé sur deux niveaux stables d’un atome. Plusieurs atomes sont placés dans une cavité optique et sont couplés entre eux via le champ électromagnétique qui régne dans la cavité. Une autre approche consiste à prendre deux cavités optiques et deux modes du champ des cavités joueront le rôle de qubit. On reviendra sur cet exemple à la fin. Résonnance-Magnétique-Nucléaire : Les qubits sont les états de spin nucléaire d’atomes dans une molécule. Chaque spin a sa propre fréquence de résonnance et peut donc être manipulé individuellement par une impulsion radio-fréquence bien choisie. Ils sont très bien isolés du monde extérieur et ont donc un temps de cohérence long, ce qui en fait le meilleur système à l’heure actuelle. Nanojonctions Josephson et Boîtes Quantiques : Une nanoélectrode supraconductrice connectée à un réservoir par une jonction Josephson constitue un système à deux niveaux.Plus précisément, on considère les deux niveaux les plus bas du puits de potentiel effectif. En couplant plusieurs tels systèmes, on peut donc fabriquer des états intriqués. Ajoutons également l’utilisation de boîtes quantiques pour la fabrication de qubits. Certaines de ces expériences dans le domaine de la Nanophysique sont montées à Grenoble. Nous comptons bien profiter, durant la thèse, de notre situation pour comprendre ces manips. On projette également de travailler avec Frank Hekking du LPMMC sur la fabrication de qubit grâce aux jonctions Josephson d’un point de vue théorique. 15 4 Décohérence Cette théorie répond à des questions fondamentales de la Mécanique Quantique. Elle est pourtant très récente. C’est W. Zurek et H.D. Zeh qui en sont les précurseurs à la fin des années 70. Avant cette théorie, on faisait une distinction nette entre les mondes quantique et classique : Ceci paraissait fort de Fig. 3 – Frontière entre les mondes classique et quantique tabac. En effet quels critères nous permettent-ils de dire si un objet va suivre la mécanique classique ou quantique ? La taille de l’objet évidemment ! Cependant il n’y a pas de limite franche. En appliquant la théorie de la décohérence, on fait naturellement apparaitre, comme limite, la mécanique classique à partir de la mécanique quantique pour des objets macroscopiques. Prenons l’exemple du pauvre chat de Schrödinger (cf fig 4) qu’on met toujours dans une superposition linéaire d’états mort/vivant ! La décohérence explique qu’un tel état macroscopique a un temps de vie très très court. En pratique, la nature fait un choix. C’est ce qu’on appelle les règles de supersélection, qui expliquent l’impossibilité d’avoir un tel monstre de chat ! Ouf ! Plus généralement, la décohérence explique l’évolution d’un système généralement petit : S couplé à un environnement E ou B (cf fig 5). S peut par exemple représenter deux qubits intriqués et E, l’environnement qui entoure ces qubits. On le modélise souvent par une collection d’oscillateurs harmoniques, car les calculs sont rendus plus faciles. 4.1 Formalisme des Systèmes Ouverts : Commençons par décrire le formalisme de cette théorie. Nous allons considérer des états mixtes décrit par une matrice densité ρ. On ne peut comme en mécanique quantique "classique" se restreindre à l’étude des fonctions d’ondes car la dynamique des systèmes ouverts transforme des états purs en mélange statistique. L’équation analogue à celle de Schrödinger est pour un système 16 Fig. 4 – Chat de Scrödinger fermé : d ρ(t) = −i[H(t), ρ(t)] Equation de Von-Neumann dt (64) On considère alors comme sur la figure 5 un système S couplé à son environnement B. S est un système ouvert car il peut y avoir des pertes dans l’environ- Fig. 5 – Système ouvert nement. Sa dynamique n’est plus donnée par une équation de Von-Neumann. Il va falloir trouver un pendant. Soient HS , HB et H = HS ⊗ HB les espaces de Hilbert du système, de l’environnement et du système total. Ce dernier est supposé être un système fermé 17 dont la dynamique est donnée par le Hamiltonien : H = HS ⊗ I B + I S ⊗ HB + HI (65) où – HS est le Hamiltonien libre du petit système – HB est le Hamiltonien libre du bain – IS et IB sont les opérateurs identités de S et de B – HI est le Hamiltonien d’interaction entre les deux sous-systèmes. Réécrivons l’équation de Von-Neumann en chemin d’interaction 7 : d ρ(t) = −i[HI (t), ρ(t)] Equation de Von-Neumann dt (66) On l’intègre : Z t ρ(t) = ρ(0) − i [HI (s), ρ(s)]ds (67) 0 On insère ce résultat dans l’équation précédente : Z t £ ¤ d ρ(t) = −i[HI (t), ρ(0)] − HI (t), [HI (s), ρ(s)] ds dt 0 (68) Ensuite la seule information que l’on peut avoir sur le petit système est obtenue en prenant la trace partielle sur l’environnement de la matrice densité totale : ρS = T r B ρ (69) Pour connaître l’évolution de ρS , on prend la trace partielle sur l’environnement de l’équation (68) : d ρS (t) = − dt Z t £ ¤ dsT rB HI (t), [HI (s), ρ(s)] (70) 0 car on fait : Hypothèse 1 : T rB [HI (t), ρ(0)] = 0 Cette hypothèse n’est pas très restrictive car à l’instant initial, on peut imaginer le système découplé de son environnement, ρ(0) = ρS (0) ⊗ ρB (0). Puis, l’hamiltonien d’interaction fait souvent intervenir des termes linéaires propres à l’environnement qui donnent donc une contribution nulle quand on prend la moyenne sur l’environnement. Par exemple, on peut avoir la moyenne d’un opérateur annihilation < aB >ρB (0) . Revenons à notre équation (70). Le problème, c’est qu’il reste ρ et non ρS dans la membre de droite. Pour y palier on va supposer : 7 on a ôté l’indice I sur la matrice densité pour alléger la notation 18 Hypothèse de couplage faible ou approximation de Born : HI est faible aussi le système n’aura que peu d’influence sur le réservoir. Ainsi, on peut approcher la matrice densité par ρ(t) ' ρS (t) ⊗ ρB (0) = ρS (t) ⊗ ρB . C On obtient alors une équation différentielle en l’inconnue ρS : Z t £ ¤ d ρS (t) = − dsT rB HI (t), [HI (s), ρS (s) ⊗ ρB ] dt 0 (71) Le problème est qu’elle fait intervenir toutes les valeurs de ρS au cours du temps. On fait : Approximation de Markov : On remplace ρS (s) par ρS (t). C’est-à-dire qu’on annule les effets de mémoire. L’approximation de Born-Markov est valable tant que les fonctions de corrélations du bain décroissent sur un temps typique τB petit par rapport à τR , le temps sur lequel l’état du petit système varie de façon non négligeable. D’autre part, on sait que les développements perturbatifs sont corrects uniquement sur des temps pas trop longs, typiquement t << |H~I | 8 . On ne peut donc pas parler de dévellopements à temps longs. On dit plutôt qu’on fait une approximation à gros grains car on regarde notre système sur des échelles de temps pas trop petites sans pour autant que le temps d’évolution soit grand. On obtient alors : Equation de Redfield9 : Z t £ ¤ d ρS (t) = − dsT rB HI (t), [HI (s), ρS (t) ⊗ ρB ] dt 0 si τB ¿ τR On fait dans (72), le changement de variable u = t − s et il vient : Z 0 £ ¤ d ρS (t) = duT rB HI (t), [HI (t − u), ρS (t) ⊗ ρB ] dt t Z t £ ¤ =− duT rB HI (t), [HI (t − u), ρS (t) ⊗ ρB ] (72) (73) (74) 0 Si l’intégrant décroit suffisament vite, on peut remplacer l’intégration de 0 à t par une intégration de 0 à ∞ ; ce qui donne : Equation Maîtresse Markovienne : Z ∞ £ ¤ d ρS (t) = − dsT rB HI (t), [HI (t − s), ρS (t) ⊗ ρB ] dt 0 si τB ¿ τR (75) On peut rendre cette dérivation heuristique rigoureuse en s’inspirant des travaux de Davies [14]. 8 On a remis la constante pour l’homogénéité. évidemment une équation approchée valable sous les trois hypothèses précédentes. 9 C’est 19 4.2 Formalisme de projection et approximation de l’onde tournante : On peut encore simplifier notre équation en négligeant les termes dont la phase oscille rapidement. Pour expliquer cette procédure, on écrit le Hamiltonien d’interaction en représentation de Schrödinger sous la forme : X Aα ⊗ Bα (76) HI = α où les opérateurs Aα et Bα agissant respectivement sur le système et sur le bain sont hermitiens. On ne fait ici aucune approximation. On considère la forme la plus générale pour l’interaction. A présent, supposons que le spectre de HS soit discret ce qui est le cas par exemple pour les qubits. On note ² ses valeurs propres et Π(²) les projections sur les espaces propres associés. On définit alors les opérateurs de projection : X Aα (ω) := Π(²)Aα Π(²0 ) (77) ω=²0 −² Ces opérateurs vérifient : [HS , Aα (ω)] = −ωAα (ω) (78) On a donc décomposé le hamiltonien d’interaction sur les opérateurs propres du système : X HI = Aα (ω) ⊗ Bα (79) α,ω On a introduit ce formalisme d’opérateurs de projection dans le but d’obtenir une forme particuliérement simple du hamiltonien d’interaction en représentation d’interaction : X HI (t) = e−iωt Aα (ω) ⊗ Bα (t) (80) α,ω Bα (t) = eiHB t Bα e−iHB t avec (81) On insère à présent (80) dans l’équation maîtresse de Born-Markov : Z ∞ © ª d ρS (t) = dsT rB HI (t − s)ρS (t)ρB HI (t) − HI (t)HI (t − s)ρS (t)ρB + hc dt 0 = XX (82) µ ¶ i(ω−ω 0 )t † 0 † 0 e Γα,β (ω) Aβ (ω)ρS (t)Aα (ω ) − Aα (ω )Aβ (ω)ρS (t) + hc ω,ω 0 α,β (83) où hc désigne la partie hermitienne conjuguée et où on a introduit la transformée de Fourier partielle de la fonction de corrélation du bain : Z ∞ Γα,β (ω) := dseiωs < Bα (t)† Bβ (t − s) > (84) 0 20 On suppose que ρB est un état stationnaire du réservoir ie [HB , ρB ] = 0. Ceci est facilement réalisé par exemple avec des réservoirs thermiques. Dans ce cas, Γα,β (ω) ne dépend effectivement pas du temps. L’évolution du système S se fait sur un temps typique τS de l’ordre de 1 l’inverse de la distance entre deux niveaux soit |ω−ω 0 | . Si τS ¿ τR , alors on peut considérer comme avant qu’on regarde notre problème sur une échelle de temps à gros grains δt telle que : – τB << δt << τR (c’est ce qu’on demandait pour l’approximation de BornMarkov) – τS << δt << τR (c’est ce qu’on demande en plus pour l’approximation de l’onde tournante) Les termes dans (82) tq ω 6= ω 0 oscillent très rapidement et on peut donc les négliger dans le calcul. Alors on a : Equation Maîtresse Markovienne sous l’approximation de l’onde tournante : µ ¶ XX d † † ρS (t) = Γα,β (ω) Aβ (ω)ρS (t)Aα (ω) − Aα (ω)Aβ (ω)ρS (t) + hc (85) dt ω α,β si τB , τS ¿ τR (86) Ce qui peut se réécrire sous la forme de Lindblad : Equation Maîtresse Markovienne sous l’approximation de l’onde tournante sous la forme de Lindblad : Si τB , τS ¿ τR alors : d ρS (t) = − i[HLS , ρS (t)] + D(ρS (t)) dt (87) avec : HLS = XX ω Sα,β (ω)A†α (ω)Aβ (ω) (88) α,β avec Sα,β = ¢ 1¡ Γα,β − Γ∗β,α 2i (89) et : ´ ³ 1 (90) γα,β (ω) Aβ (ω)ρS A†α (ω) − {A†α (ω)Aβ (ω), ρS } 2 ω α,β Z ∞ avec γα,β (ω) = Γα,β (ω) + Γ∗β,α (ω) = dseiωs < Bα† (s)Bβ (0) > (91) D(ρS ) = XX −∞ Le premier terme de l’équation de Lindblad (87) 10 est appelé décalage de Lamb. Il induit une renormalisation des états d’énergie mais n’est finalement pas très important pour l’étude de la décohérence. 10 A proprement parler, c’est une équation de Lindblad quand γα,β = γα δα,β 21 Le second est quant à lui fondamental. On le nomme terme dissipatif. Comme nous le verrons sur les exemples, il est responsable de la décohérence. Ajoutons tout de suite que les γ, transformées de Fourier des fonctions de corrélations du bain sont reliés au taux de décohérence. Mais un exemple parle plus que de longs discours ! 4.3 Retour sur l’atome à deux niveaux et formule de WignerWeisskopf On reprend l’exemple de l’atome à deux niveaux avec les mêmes notations sauf qu’on va supposer qu’il n’y a plus un mode dans la cavité mais toute une collection. Le hamiltonien total est alors donné par (on oublie le terme constant) : Définition 4.1. Hamiltonien de Wigner-Weisskopf : H= X X 1 ~ωσz + ~ ωα a†α aα + ~ (gα a†α σ− + gα∗ aα σ+ ) 2 α α (92) On ne redécrit pas le rôle des différents termes car cela a été fait. Ajoutons cependant que cet hamiltonien ne modélise pas uniquement un système à deux niveaux couplés au champ électromagnétique dans une cavité. Il peut en fait représenter n’importe quel système à deux niveaux couplés à un environnement macroscopique. En effet, en s’appuyant sur le théorème central limite, on peut penser que n’importe quel environnement macroscopique se comporte comme une collection d’oscillateurs harmoniques car le nombre de ses constituants est très grand. On souhaite calculer l’équation de Lindblad pour ce problème. Le hamiltonien est déjà écrit sous forme développée par les opérateurs de projection. En 11 effet, P ici, les opérateurs de projection sont les opérateurs d’échelle σ− et σ+ . ω se réduit donc à une somme de deux termes : celui d’énergie propre positive et l’autre d’énergie négative. Le hamiltonien d’interaction s’écrit en chemin d’interaction 12 : HI (t) = e−iω+ t σ+ a(t) + e−iω− t σ− a† (t) où ω− = −ω+ = ω = Ee − Eg (93) (94) On ne calculera pas le décalage de Lamb car on a dit qu’il n’était que peu important pour l’étude de la décohérence. Il reste à estimer les transformées de Fourier γα,β du terme dissipatif. 11 les A(ω) dans le formalisme théorique oublie les constantes pour alléger le calcul, on les rajoutera à la fin par analyse dimensionnelle. 12 On 22 On commence par les termes relatifs à ω+ = −ω : Z ∞ Z ∞ γα,β (ω+ ) = dseiω+ s < a†α (s)aβ (0) > = dsei(ω+ +ωα )s < a†α aβ > (95) −∞ −∞ Z ∞ β = δα dsei(ω+ +ωα )s < N (ωα ) > −∞ (96) où < N (ωα ) > correspond au nombre moyen de photons à la fréquence ωα . Les moyennes sont prises sur l’état du bain à l’instant initial. L’intégrale typique se calcule par exemple avec l’astuce de Feynmann comme en théorie des champs et cela donne : Z ∞ Z ∞ i(ω+ +ωα )s dse = 2Re{ dsei(ω+ +ωα )s } (97) −∞ 0 = 2πδ(ωα + ω+ ) (98) Réinjectons ce résultat dans l’équation précédente : γα,β (ω+ ) = 2πδαβ δ(ωα + ω+ ) < N (ω) > (99) De même pour les termes relatifs à ω− = ω : γα,β (ω− ) = 2πδαβ δ(ωα − ω− ) < N (ω) > (100) L’équation de Lindblad s’écrit donc pour le modèle de Wigner-Weisskopf13 : Formule de Wigner-Weisskopf : µ ¶ 1 dρS (t) =γ0 N σ+ ρS (t)σ− − {σ− σ+ , ρS (t)} dt 2 µ ¶ 1 + γ0 (1 + N ) σ− ρS (t)σ+ − {σ+ σ− , ρS (t)} 2 2π | g |2 avec N =< N (ω) > et γ0 = ~ (101) (102) (103) Pour résoudre cette équation différentielle, il est judicieux de développer ρS sur les matrices de Pauli : µ1 ¶ 1 (1+ < σ3 (t) >) < σ+ (t) > ~ 2 ρS (t) = (I+ < σ(t) > ~σ ) = (104) 1 < σ− (t) > 2 2 (1− < σ3 (t) >) où le vecteur de Bloch est donné par : ~ >= T r{~σ ρS (t)} < σ(t) (105) 13 Au début de ce stage, nous avions dérivé cette formule à la main. C’était lourd de pages de calculs ! 23 Un long calcul utilisant l’algèbre des matrices de Pauli donne : γ0 (2N + 1) d < σ1 (t) >= − < σ1 (t) > dt 2 d γ0 (2N + 1) < σ2 (t) >= − < σ2 (t) > dt 2 d < σ3 (t) >= −γ0 (2N + 1) < σ3 (t) > −γ0 dt (106) (107) (108) Tentons d’interpréter ce résultat. Les éléments diagonaux de la matrice densité correspondent aux populations de l’état excité et du fondamental. La dernière équation indique donc que la taille de ces populations tend exponentielle2 +1) ment avec un taux de γ0 (2N + 1) = 2π|g| (2N vers les solutions stationnaires. ~ N N +1 C’est-à-dire une population de 2N +1 pour l’état excité et de 2N +1 pour le fondamental. Le fait que le fondamental soit légèrement plus peuplé que l’état excité à l’équilibre n’est pas surprenant car c’est énergétiquement favorable. Eclairons ce résultat en supposant, par exemple, que le réservoir de photons est initialement à l’équilibre thermique à la température T . Alors N = ~ω1 d’où N +1 2N +1 = ~ω e kT ~ω e kT +1 e kT −1 et N 2N +1 = 1 ~ω e kT +1 . On peut réécrire ce résultat sous la forme : < g | ρS (∞) | g >= e −Eg kT Z et < e | ρS (∞) | e >= où Z est la fonction de partition : Z = e −Eg kT +e −Ee kT e −Ee kT Z (109) (110) Ceci signifie que si on attend suffisamment longtemps14 l’atome est à l’équilibre thermique comme on s’y attendait. Revenons au cas général. On voit que les oscillations Rabi sont tuées assez vite. Plus le couplage est fort, plus le phénomène est rapide. De même, plus il y a de photons à l’énergie ~ω, c’est à dire accordés avec notre atome à deux niveaux, plus le retour à l’équilibre est rapide. Ces résultats étaient également prévisibles ! Enfin, la valeur des éléments hors diagonaux renseignent sur la cohérence du système. On voit facilement que pour la solution stationnaire, c’est nul. Et les équations (106) et (107) indiquent que si il y a cohérence à l’instant initial, celle-ci décroît exponentiellement au cours du temps. Le taux de décroissance 2 +1) +1) = π|g| (2N . est γ0 (2N 2 ~ Ceci est caractéristique de la décohérence. La matrice densité devient diagonale dans la base définie par la forme de l’interaction. Le couplage avec l’environnement tue les effets d’interférence. 14 Physiquement ce résultat est juste même à très grands temps. Mais rigoureusement, il faut se souvenir qu’on utilise une équation maîtresse obtenue perturbativement et donc valable pour des temps pas trop grands. 24 4.4 Résultats rigolos sur la décohérence On a toujours pas répondu à la question fondamentale : Existe-il un chat de Scrödinger mort/vivant ? En effet on n’a toujours pas étudié un sytème S macroscopique. Ici le but n’est pas de redériver les équations comme dans les parties précédentes mais plutôt de "sentir la décohérence" : Le premier exemple que l’on souhaite considérer est un pendule amorti de masse 100g et de période 1s. On prépare notre pendule dans une superposition de deux états séparés de x = 1cm : | α0 > et | β0 > . Déjà comme l’oscillateur est amorti, la population dans chacun des états décroit exponentiellement avec un taux correspondant au facteur d’amortissement du pendule γ. Soit | αt |2 = e−γt et | βt |2 = e−γt . Ensuite, ce problème peut être mis, comme celui de Wigner-Weisskopf, sous forme de Lindblad. Ceci permet de calculer au complet la matrice densité. On voit alors apparaitre le même phénomène de décohérence pour les états cohérents. Ils décroissent avec un taux donné par : γdecoh = γ | α0 − β0 |2 Àγ 2 Mais on peut écrire les états cohérents : r mω ¡ p ¢ α= x+i 2~ mω (111) (112) On obtient numériquement : γdecoh 0.1 ∗ 2π ∗ 0.012 ' ' 2 ∗ 1029 γ 2 ∗ 2 ∗ 6 ∗ 10−34 /(2π) (113) Qu’est-ce que tout cela signifie ? Un pendule est amorti naturellement car il frotte sur les molécules d’air. C’est donc bien l’interaction avec l’environnement qui entraîne la décohérence. Plusieurs choses sont à remarquer : – plus l’objet est massif, plus le phénomène de décohérence est important. – plus on cherche à fabriquer une superposition d’états éloignés (ici distinguable macroscopiquement), plus la décohérence arrive vite. Ces deux points soulèvent le voile quant à l’impossibilité d’observer des phénomènes quantiques sur des objets macroscopiques. Mettons un chiffre là dessus ; supposons que le coefficient d’amortissement soit de 1 par an ie e−γ∗1an = 1e . C’est à dire que l’amortissement commence à être significatif sur une période de l’ordre de l’année. Ce qui est extrêment faible comparé au pendule de Foucault accroché au Panthéon par exemple. Toujours est il que la cohérence est alors perdue sur une durée inférieure à 10−22 s, soit le temps que met la lumière pour traverser un noyau ! La morale de ce calcul est qu’on ne parviendra jamais à s’assoupir dans son fauteuil préféré avec un chat de Schrödinger sur les genoux15 ! 15 Je vous l’accorde, la conclusion est un peu rapide ! Il n’y a qu’à dire qu’on modélise le chat dans son environnement par un oscilateur amorti ! C’est aussi ça la Physique ! 25 Un autre exemple amusant est celui du mouvement quantique brownien amorti. On suppose qu’une particule de masse m se déplace en une dimension suivant un mouvement brownien dans un environnement thermique. On peut imaginer que la particule effectue son mouvement erratique par une succesion de chocs sur de grosses particules excitées thermiquement. En écrivant empiriquement l’équation de Lindblad du problème et en la résolvant, on trouve pour matrice densité : ρS (t, x, x0 ) = exp (−γdecoh t)ρS (0, x, x0 ) 2mkT avec γdecoh = γ (x − x0 )2 = Λth (x − x0 )2 ~2 (114) (115) où γ est encore le coefficient d’amortissement dû à l’interaction du système avec l’environnement et où T est la température de l’environnement. Encore une fois ce sont les superpositions cohérentes qui sont tuées par la décohérence d’autant plus rapidement que la particule est grosse et que le bain est chaud ! Le tableau suivant, qui donne les valeurs de Λth , explicite ce phénomène : environnement/systeme air − 300K − 1atm air − 300K − vide photons − 300K CM B : photons − 3, 7K e− 1031 1018 1 10−10 grain − poussiere 1037 1023 1019 106 balle − bowling 1045 1031 1027 1017 Remarque : On tient à souligner que les deux résultats précédents sont donnés à titre historique et culturel. On ne prétend pas qu’ils sont rigoureux. La récente lecture de l’article [13], de W.T Strunz, F Haake et D Braun de 2003, incite même à se poser des questions quant à leurs validités. En effet, ces derniers pensent que l’approche de Born-Markov ne peut expliquer la décohérence d’objets macroscopiques. Ils privilégient pour une telle étude une approche à petits temps et où le processus d’interaction domine. Ils trouvent alors pour facteur de décohérence : − e t2 τ2 dec avec τdec = |x− x0 | ~ √ < B2 > (116) où B est l’opérateur du bain intervenant dans le Hamiltonien d’interaction Hint = XB, X est l’opérateur position du petit système S. La déohérence est une théorie très récente. Aussi nous avons pu remarquer à de nombreuses reprises que la littérature se contredisait. Nous osons espérer un éclaircissement dans l’avenir... 26 5 Désintrication due à la décohérence Le but de notre travail de recherche futur est de généraliser le modèle de Haake-Reibold (cf [17]) à deux oscillateurs harmoniques couplés à leurs environnements (constitués également comme toujours d’oscillateurs harmoniques !). On souhaite en particulier étudier l’évolution d’un état intriqué de ces deux oscillateurs. Pour l’instant, nous allons présenter certains résultat de ce domaine : 5.1 Application du critère d’intrication pour les variables continues † † On considère un état comprimé e−r(aA aB −aA aB ) | 0 > avec un paramètre de compression r de deux modes d’un champ électromagnétique. Ce type d’état intriqué a été récemment utilisé dans des expériences de téléportation quantique de variable continue. On suppose que ces modes du champ sont sujets à un bruit thermique indépendant pour chaque mode. C’est-à-dire que chaque mode est couplé avec son propre bain. Dans nos propres calculs, nous avions également modélisé les choses de cette façon. On pourrait ne considérer qu’un seul réservoir. Mais alors il se peut que celui-ci redonne de l’intrication non controlée16 . Ces deux bruits thermiques sont caractérisés par le même coefficient d’amortissement η et par la moyenne thermique du nombre de photons : n̄. Lu-Ming Duan et ses collaborateurs ont montré dans [6], qu’après un temps t, la matrice de corrélation de cet état comprimé est donné par 17 : n1 0 c1 0 0 n2 0 c2 M = (117) c1 0 m1 0 0 c2 0 m2 avec n1 = n2 = m1 = m2 = ch(2r)e−2ηt + (2n̄ + 1)(1 − e−2ηt ) −2ηt et c1 = −c2 = sh(2r)e (118) (119) En appliquant le critère d’inséparabilité pour les variables continues de Duan et son équipe vu à la section 3.3, on a le résultat suivant : L’état est intriqué ssi t< 1 − e−2r ¢ 1 ¡ ln 1 + 2η 2n̄ (120) 16 En effet en quelque sorte, "l’information intrication" peut dans un premier temps se cacher dans le bain mixte, donc être perdu pour les deux qubits. Mais comme il n’y a qu’un seul bain, cette "information" n’est pas "cassée". De fait, il se peut qu’elle réapparaisse au niveau des qubits dans un second temps. 17 les notations sont les mêmes que dans le lemme de la section 3.3 27 Démonstration. D’après le second théorème de la section 3.3. L’état est intriqué si et seulement si V ar(u) + V ar(v) < a2 + 1/a2 . Ici, on a a2 = 1 car n1 = m1 et c1 > 0 et c2 < 0. De là l’inégalité s’écrit : V ar(XA − XB ) + V ar(PA + PB ) < 2 (121) 2 2 Il reste à calculer les moyennes < XA >, < XB >, < PA2 >,< PB2 >, < XA XB > et < PA PB >. Comme vu précédemment, celles-ci se lisent sur la matrice de corrélation M : ¤ 1£ 2 2 < XA >=< XB >=< PA2 >=< PB2 >= ch(2r)e−2ηt + (2n̄ + 1)(1 − e−2ηt ) 2 (122) 1 < XA XB >= − < PA PB >= sh(2r)e−2ηt (123) 2 La condition d’intrication s’écrit donc : ¤ 1£ 1 (124) 4 ch(2r)e−2ηt + (2n̄ + 1)(1 − e−2ηt ) − 4 sh(2r)e−2ηt < 2 2 2 Ce qui se réécrit : e−2r e−2ηt + (2n̄ + 1)(1 − e−2ηt ) < 1 (125) d’où : soit : t < tintri (2n̄ + 1 − e−2r )e−2ηt > 2n̄ ¡ −2r ¢ 1 18 = 2η ln 1 + 1−e 2n̄ (126) Ce résultat est d’un certain point de vue très déconcertant. En effet, quand on a étudié la décohérence, on a vu que la cohérence décroissait exponentiellement. On a cohérence nulle seulement à limite où le temps d’évolution devient infini. Ainsi, en pratique il reste toujours une part de cohérence quand on fait des expériences. A vrai dire, on s’attendait au même phénomène concernant la désintrication. Pour cet exemple, il n’en est rien : la désintrication se produit en un temps fini ! Cependant, le temps obtenu dans (120) paraît raisonnable pour plusieurs raisons : – En effet plus le bruit thermique est important ie plus n̄ est grand, plus la désintrication arrive rapidement. A la limite où n̄ >> 1, le temps d’intri−2r cation est tintri ' 1−e 4η n̄ . – De même plus le couplage au bain est important ie plus η est grand, plus le temps d’intrication est court. – On voit aussi sur (120) que plus l’état de départ est comprimé ie plus r est grand plus la désintrication arrive tard. Ainsi un moyen de palier à la désintrication, outre le fait de diminuer au maximum les différentes sources de bruit, est de considérer des états intriqués fortement comprimés. 18 Ici c’est le logarithme népérien qui est considéré et non celui en base 2 qu’on note log. 28 5.2 Désintrication de deux qubits due au couplage à leurs environnements On considère deux qubits couplés comme précédemment à deux réservoirs ayant les mêmes caractéristiques. On suppose qu’à l’instant initial, le système S formé des deux qubits se trouvent dans l’état : | Ψ(0) >= α | 00 > +β | 11 > On suppose de plus que l’on peut appliquer l’équation de Lindblad c’est-à-dire que les temps de relaxation des fonctions de corrélation des réservoirs τB et le temps caractéristique d’évolution du système S, τS sont petits devant le temps de relaxation du système S, τR . Alors l’évolution de la matrice densité est donnée par l’équation de Lindblad : ¶ X µ dρS (t) 1 = γi σ−,i ρS (t)σ+,i − {σ+,i σ−,i , ρS (t)} (127) dt 2 i=A,B Ce résultat est tiré de [18]. Personnellement, nous comprenons ce problème comme une généralisation de celui de Wigner et Weisskopf où on considère deux atomes à deux niveaux qui jouent le rôle de qubits. Mais alors si on se réfère à la formule deµWigner-Weisskopf (cf équation (101)) ¶ il semble manquer la somme : P 1 i=A,B γi σ+,i ρS (t)σ−,i − 2 {σ−,i σ+,i , ρS (t)} . En fait ils considèrent un bain thermique dans la limite de température nulle. Alors limT →0 N (ω) = limT →0 ~ω1 = 0 d’où la formule donnée par (127). e kT −1 On cherche une solution de cette équation différentielle sous la forme 19 : w(t) 0 0 z(t) 0 x(t) 0 0 ρS (t) = (128) 0 0 x(t) 0 z ∗ (t) 0 0 y(t) dans la base | 11 >, | 10 >, | 01 >, | 00 >. Alors nécessairement, la solution unique du problème est donnée par : w(t) = w(0)e−2γt =| β |2 e−2γt x(t) = w(0)(1 − e −γt )e −γt y(t) = y(0) + w(0)(1 − e (129) 2 =| β | (1 − e −γt 2 2 −γt −γt )e 2 ) =| α | + | β | (1 − e ∗ −γt z(t) = αβ e (130) −γt ) (131) (132) Démonstration. On commence par calculer tous les produits matriciels dans la base | 11 >, | 10 >, | 01 >, | 00 >. Par exemple : µ ¶µ ¶ µ ¶ 0 Id 0 0 Id 0 σ+,A σ−,A = = (133) 0 0 Id 0 O 0 19 On va calculer avec cette forme et voir que cela donne une solution en accord avec la condition initiale. Par le théorème de Cauchy-Lipschitz, ce sera la seule. 29 où les matrices sont écrites par blocs d’ordre 2. Donnons un autre calcul : 0 0 0 0 w(t) 0 0 1 0 0 0 0 x(t) 0 σ−,B ρS σ+,B = 0 0 0 0 0 0 x(t) 0 0 1 0 z ∗ (t) 0 0 0 1 = 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 En calulant patiemment tous ẇ 0 0 0 ẋ 0 d ρS = 0 0 ẋ dt z˙∗ 0 0 −2γw 0 = 0 −γRe(z) w 0 0 z∗ z(t) 0 0 0 0 0 y(t) 0 0 0 0 0 0 0 = 0 x 0 0 0 0 0 w 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 x ces produits matriciels, on trouve : ż 0 0 ẏ 0 0 −γRe(z) γ(w − x) 0 0 0 γ(w − x) 0 0 0 2γx 0 0 0 0 0 0 1 0 (134) (135) (136) (137) En identifiant, on tombe sur le système différentiel suivant : ẇ = −2γw ẋ = γ(w − x) ẏ = 2γx z + z∗ ż = −γ 2 z + z∗ ∗ z˙ = −γ 2 (138) (139) (140) (141) (142) La première équation s’intègre facilement : w(t) = w(0)e−2γt (143) On injecte ce résultat dans la seconde équation : ẋ(t) + γx(t) = γw(0)e−2γt (144) Il suffit alors d’utiliser la méthode de variation de la constante et d’utiliser la condition initiale pour trouver : x(t) = w(0)(1 − e−γt )e−γt (145) L’équation (145) dans (140) donne : ẏ(t) = w(0)2γ(1 − e−γt )e−γt = w(0) 30 d −2γt (e − 2e−γt ) dt (146) soit : y(t) = w(0)(1 − e−γt )2 + y(0) = w(0)(1 − e−γt )2 (147) Enfin en sommant (141) et (142), on tombe sur : d (z + z ∗ ) = −γ(z + z ∗ ) dt (148) (z + z ∗ )(t) = (z + z ∗ )(0)e−γt (149) qui s’intègre facilement : soit z(t) = z(0)e−γt On conclut par le théorème de Cauchy-Lipschitz, que la solution trouvée est la solution unique du problème. A présent on souhaite calculer la concurrence. Grâce au théoème de Wootters exposé plus haut, il suffit de calculer les valeurs propres de : q √ √ R := ρS ρ˜S ρS (150) ou ce qui revient au même de calculer les racines carrées des valeurs propres de : T := ρS ρ˜S ρS (151) ρ˜S = (σy ⊗ σy )ρ∗S (σy ⊗ σy ) (152) avec : De longues multiplications matricielles et un calcul simple de déterminant donnent √ √ les valeurs propres suivantes : x2 , x2 , (| z | − yw)2 , (| z | + yw)2 . A priori, x est petit donc la plus grande valeur propre est la dernière. Ainsi la concurrence vaut : © ª √ √ C = M ax 0, (| z | + yw) − (| z | − yw) − x − x = M ax{0, 2 | z | −2x}(153) L’état ρS (t) est donc intriqué ssi t < tintri = − γ1 ln(1 − |α| |β| ). Démonstration. En effet l’état est intriqué ssi C > 0 ie ssi | z |> x ssi | αβ | −γt e−γt >| β |2 (1 − e−γt )e−γt ssi α d’où le résultat β >1−e Pour un choix d’état initial tel que | β |>| α |, cela donne un temps d’intrication tintri fini comme dans l’exemple précédent. On pourrait alors croire que c’est toujours le cas. Mais non, car si on prend | α |≥| β |, la définition de tintri n’a plus de sens ce qui signifie que la désintrication totale n’arrive jamais. On alors une désintrication exponentielle. 31 Ting Yu et J.H Eberly ont effectué le même type de calcul mais en considérant que l’état initial est donnée par la matrice densité (cf [19]) : a 0 0 0 1 0 1 1 0 avec a > 0 (154) ρS (0) = 0 3 0 1 1 0 0 0 1−a Ils trouvent un temps de désintrication totale fini pour a > 1/3 et une désintrication asymptotique pour a ≤ 1/3. Ces deux résultats nous laisse donc penser que la désintrication en un temps fini est un fait général pour certains types d’états initiaux. Ceci paraît catastrophique pour les applications technologiques. Cependant on voit qu’on peut l’éviter si on considère des états faiblement excités. Tentative d’explication : En effet pour le calcul de Yu et Eberly, il y a désintrication en temps fini ssi a > 1/3. Ceci signifie que la probabilité de mesurer les deux qubits dans l’état excité doit être assez grande (supérieure à 1/9). En deça, la désintrication est asymptotique20 . Pourquoi ? Rappelons nous que le système S est ouvert. Il perd de l’énergie à cause du couplage avec le bain. Le peuplement des états excités des qubits aura donc naturellement tendance à diminuer. Si ces niveaux excités ont une place importante dans l’état de départ choisi, alors il y a de grandes chances que le peuplement de ces états exités diminue fortement et donc que l’intrication se perde car elle était en grande partie basée sur la probabilité d’appartenir à ces niveaux. Les équipes de H Häffner (cf [21]), D Leibfried (cf [22]) et C Langer (cf [23]) ont pu vérifier ces prédictions théoriques grâce à des expériences avec des ions piégés. Ils produisent des états intriqués en excitant les ions avec un laser rouge et un laser bleu comme expliqué à la fin de la troisième partie. Ensuite par un procédé expérimental astucieux, ils arrivent à obtenir la concurrence en ne mesurant que la probabilité Pgg que les deux ions soient dans le fondamental. Ils obtiennent cette dernière quantité en regardant la fluorecence produite par chaque ion. Ces résultats ont également été confirmés avec les cavités QED par l’ équipe de A. Rauschenbeutel (cf [24]) et le trio du LKB : J.M Raymond, M Brune et S Haroche (cf [25]). Dans ces expériences, ils utilisent deux cavités qui jouent le rôle de support des qubits. Plus précisément les champs y régnant sont initialement dans l’état du vide. On fait passer dans ces cavités un atome à deux niveaux. L’interaction entre l’atome et les cavités est ajusté pour obtenir la résonnance (pour cela ils ajustent les géométries des cavités). 20 On peut faire exactement le même raisonnement avec le résultat de Santos et de son équipe [18] 32 6 Conclusion Nous espérons retrouver cette désintrication dans le modèle de deux oscillateurs harmoniques couplés à un bain infini d’oscillateurs. On compte mettre à l’instant initial les deux oscillateurs dans des états gaussiens intriqués. On pense prendre de plus un bain thermique à une certaine température T (si les calculs sont trop lourds dans le cas général, on pourra dans un premier temps considérer la limite de température nulle car c’est ce vers quoi les expérimentateurs essayent de tendre). Ensuite il faudra essayer de calculer V ar(U )+V ar(V ) en vue d’appliquer le critère de non séparabilité pour les systèmes à variables continues. Il sera intéréssant de comparer le mode de désintrication (en temps fini ou asymptotique) en fonction des matrices densités initiales considérées. Souhaitons qu’il reste une palette d’états où la désintrication est seulement asymptotique ! ! ! Remerciements Je remercie Dominique Spehner pour sa gentillesse et pour le temps qu’il a bien voulu me consacrer. Les longues discussions mathématiques et physiques que nous avons eues ont été pour moi très fructueuses. 33 Références [1] A Einstein, B Podolsky et N Rosen, Can Quantum-Mechanical description of physical reality be considere complete ? 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Zoller, Inseparability Criterion for Continuous Variable Systems Physical Review Letters, vol 84, 2722-2725 (2000) [7] A Furusawa et collaboarteurs Science, 282, 706 (1998) [8] Berche, Séminaire de Nancy du groupe de Physique Statistique sur la Décohérence [9] D Spehner, Groupe de Travail de Physique Mathématiques de l’institut Fourier [10] C Fabre et son équipe, Séminaire Intrication et corrélations quantiques [11] J-Ph Poizat et R Mosseri, Introduction à l’information quantique Gdr Information et Communication Quantique, Grenoble (2000) [12] W.H Zureck, Decoherence and the transition from Quantum to Classical- Revisited Los Alamos Science, Number 27 (2002) [13] W.T Strunz, F Haake and D Braun, Universality of decoherence for macroscopic quantum superpositions Physical Review A, 67, 022101 (2003) [14] E.B Davies, Markovian Master Equation II Math. 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