Le sorcier sage
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Le sorcier sage
22 LA CULTURE Estivales du 23.7 au 29.7.2015 Le sorcier sage Les belles rencontres de l'année (1): Yaya Coulibaly C'était en juin. Son spectacle intitulé Il n'y a pas de petites querelles était au programme du Fundamental Monodrama Festival, résolument africanophile depuis sa deuxième édition en 2011. Et c'est chargé que Yaya Coulibaly a foulé le sol luxembourgeois. L'accompagnaient plusieurs caisses, remplies de marionnettes. Son héritage. Moral, culturel, artisanal et artistique. Une tradition propre à la famille Coulibaly qui se perpétue de père en fils depuis le XIe siècle. Ce qui explique que le maître marionnettiste soit à ce jour entouré de quelque 25.000 marionnettes en bois. Autant d'âmes pour un seul homme, c'est beaucoup. Des âmes, oui, qui «quand elles sont abîmées, si on ne peut pas les restaurer, ont droit à des funérailles». Heureusement que l'homme a des talents de sorcier pour maintenir le dialogue avec elles. Par un sacrifice animal, il a su les convaincre de quitter temporairement le Mali avec lui. Grâce à des conversations quotidiennes rassurantes, il leur a évité le mal du pays. Mais cela a failli ne pas être suffisant, car le jour J, il a oublié de sacrifier au rituel avant-spectacle; elles se sont enfermées dans le mutisme et l'immobilité, elles «ont fait grève». Peut-être est-ce le son de l'amulette en bois que Yaya Coulibaly conserve autour du cou qui les a désensorcelées. Quoi qu'il en soit, elles et leur maître n'ont fait qu'un ce soir-là à la Banannefabrik. Le devoir de transmettre Le «marionnettisme»? Un savoir-faire, sculpter le bois, peindre, concevoir des costumes, etc., et un art, de la manipulation, du conte, de la danse, du théâtre? Certes, mais pour Yaya Coulibaly, c'est bien plus encore. Photo: © Bohumil Kostohryz Un Ouest-Africain, non cap-verdien, était il y a peu invité au Luxembourg. Un passage qui a semé des graines. Pour le conteur Yaya Coulibaly, le «marionnettisme», «c'est le combat d'un passeur contre l'appauvrissement culturel, c'est la rébellion de l'animisme contre l'islam, qui l'interdit» C'est le combat d'un passeur contre l'appauvrissement culturel, c'est la rébellion de l'animisme contre l'islam, qui l'interdit. L'on ne s'étonnera pas qu'il ait fait de l'indigné Stéphane Hessel, l'un de ses guides spirituels. C'était à l'Abbaye de Neumünster, lors de son unique passage au Luxembourg, qu'en 2011 Stéphane Hessel avait harangué la foule, c'est dans une cellule de cette même Abbaye qu'était logé Yaya Coulibaly. Est-ce son esprit ou celui d'un infortuné emprisonné là jadis qui, jusqu'à ce que réconciliation s'opère, l'a empêché de dormir? Est-ce un hasard si, lors de sa première venue au Luxembourg, c'était en 2000 à la Kulturfabrik, il a rencontré Rick van de Kerkhove, lequel s'était, à une époque où la culture était encore moins considérée qu'aujourd'hui, battu contre les pouvoirs publics pour que la Banannefabrik ne soit pas laissée aux mains des promoteurs immobiliers, et dont il devint immédiatement un admirateur? En juin dernier, Rick van de Kerkhove décédait et Yaya Coulibaly jouait à la Banannefabrik… Moyennant quoi, l'adjectif «vain» ne devrait pas exister. Tout a sa raison, comme le jour de naissance de Yaya Coulibaly qui l'a propulsé de facto élève du conseil des anciens. A la spiritualité s'est depuis ses quarante-deux ans – il en a aujourd'hui cinquante-neuf – ajoutée la sagesse. Même sans appartenir à la culture bambara, juste de l'avoir côtoyé, la nôtre est en expansion. F LORENCE B ECANNE * A voir: Lajoumard, Christian (réal.). «Mali, Yaya Coulibaly marionnettiste et magicien», Acrobates Films, 2014, DVD, 52 min. «Une acupuncture d'étoiles sur ma peau» Série «C'est pas bête» (1) Etés infinis, où la peau des enfants devient «épaisse et foncée». Etés de rencontres et de guitares au bord de la mer. Etés au goût du sel et des glaces. Etés des premières amours, source de nostalgies futures. Aucun livre ne m'a ramenée aux étés de mon enfance comme Les poissons ne ferment pas les yeux. Il m'a accompagnée dans des moments cruciaux de ma vie et m'a renvoyée à Mario, mon amour napolitain, qui, comme la sœur de ce spécialiste des «phrases écrites qui ne sont pas plus longues que le souffle nécessaire à les prononcer», a choisi de rester pour toujours à Naples. Il m'évoque mon ami Pepe Gámez, qui, comme l'ami pêcheur de l'enfant Erri, «voyait du bon en moi, enfant de la ville qui venait sur l'île l'été». Mon île n'en étant pas une, mais un village de la côte de Grenade appelé La Herradura, où deux mois par an tout était possible, où j'ai vécu mes premiers baisers, mes premières cuites, où pour la première fois j'ai milité pour des causes collectives. C'est ainsi que démarrent ces suggestions de lectures estivales. Par l'amour des découvertes enfantines qui nous permettent de grandir avec la douceur au cœur et par gratitude à Erri De Luca, qui avec tant de talent a su leur rendre hommage. Tu aimes l'amour? Enfant d'une époque sans jeux vidéo, Erri De Luca a bien profité de la bibliothèque de son père. «J'avais appris les adultes par les livres, je savais comment m'y prendre. Avec ceux de mon âge, en revanche, je ne savais pas (…) Pas même l'été sur l'île, eux l'après-midi dans les bars où l'on payait la musique en glissant une pièce dans le juke-box, moi nageant ou sur la plage pour voir les pêcheurs tirer les filets au sec». Exlibris: Kakes Jusqu'au 3 septembre, «Le Jeudi» vous propose des inspirations animalesques pour vos lectures estivales. Livre de cette semaine: «Les poissons ne ferment pas les yeux»*. Ah, ces adultes, qui faisaient un usage démesuré du verbe «aimer», en vertu duquel ils «se mariaient ou bien se tuaient». Cet amour, il le comprenait moins que la haine, qui «n'était pas celle d'aujourd'hui, dirigée contre les pèlerins du Sud, méridionaux, tziganes, africains. C'était une haine d'humiliation, de piétinés chez eux et pestiférés à l'étranger». Fermons les yeux et nos premières amours reviendront: «Quelle merveille! Dis-je quand elle se détacha, tout doucement». Que reste-t-il de l'enfant que nous fûmes? «Dans ce corps sommaire, il y avait l'émotion et la colère des années révolutionnaires, dans le latin, il y avait l'entraînement aux langues suivantes, dans le cratère du volcan il y avait les montagnes que j'escaladerais à quatre pattes. Dans les décombres récents de la guerre, il y avait celle de Bosnie, que je traverserais, et les bombes italiennes sur Belgrade de la dernière année du XXe siècle, que j'accueillerais accoudé à la fenêtre d'un hôtel avec vue sur le Danube et la Save». P ACA R IMBAU H ERNANDEZ * «Les poissons ne ferment pas les yeux», Erri De Luca. Traduction de l'italien de Danièle Valin.