Le patron tout-puissant a-t-il fait son temps?

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Le patron tout-puissant a-t-il fait son temps?
Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du
Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les
autres communes de la Zone économique 11 (Triangle GenèveGland-Saint Cergue). 164 982 exemplaires certifiés REMP/FRP.
Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi
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18 avril 2016 – No 718
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Le patron tout-puissant
a-t-il fait son temps?
Travail «coopératif»… entreprises «collaboratives»… savoir «collectif»… le «co» fait plus que jamais rêver, chez les
candidats à l’embauche et même chez les patrons qui n’ont plus que ces termes à la bouche, aux Salons de gestion.
Mais si les «coopératives» - qui n’ont jamais eu la loi ni les rois contre elles – ne sont pas devenues dominantes
après deux siècles d’économie moderne, il doit y avoir des raisons (malgré jeux-cooperatifs.ch).
L
es oreilles sont sous le
charme de la magie «co» à
la mode, mais un coup d’oeil
dans le rétro en voit vite les limites.
«Archives des mineurs», tel est le
titre d’un livre trouvé à une brocante d’une région minière (en fait,
c’est un des titres de la «collection
archives» par Jacques Borgé et
Nicolas Viasnoff). Surprise… on
y apprend qu’une «Mine aux Mineurs» a tenté sa chance en France
à la Belle Epoque; en cherchant plus
loin, on en découvre une bien plus
ancienne: près de cinq siècles, dans
la Ruhr. A vrai dire, une fois chassé
d’Eden par un patron de droit divin,
les premiers humains ont souvent
«coopéré»: c’est même l’origine de
l’Etat et de ses grands travaux, diton. Pourtant, la Mine aux Mineurs a
tourné court, et si d’autres coopératives ont prospéré à ce jour, c’est
– comme tous les amours, voire les
succès – par la grâce des malentendus.
de directeurs: les clients ont peu
de pouvoir, les caissières, encore
moins, et nul actionnaire n’embête
la direction. C’est vrai aussi de la
plupart des banques coopératives,
malgré certains rituels «nostalgie»
pour faire «peuple». A noter que les
«banquiers privés», qui sont «partenaires» dans leur maison, peuvent
aussi se réclamer de la «coopération». Tout comme les bureaux
d’architectes, d’avocats, de publicitaires, de consultants… ou certains
cabinets médicaux. Ce qui nous met
un peu sur la piste: la coopération
marche bien dans les métiers de
luxe à clientèle captive. Un pas plus
loin, et on tombe sur un constat encore plus gênant: «Des coopératives
anarchistes de… tueurs», telle fut la
formule – doublement paradoxale
– d’un historien des «flibustiers».
On sait que les pirates étaient plus
républicains que royalistes (et même
un peu socialistes). Ces ironies de
l’histoire en disent long...
Chasser en groupe
Le client se fait une
raison
La «Coop» était au départ une
coopérative de consommateurs…
elle est devenue une coopérative
Bref, il doit y avoir une «raison»
- et peut-être une bonne rai-
son – à la survivance du grand
méchant patron et de ses abominables actionnaires… dans une
économie ouverte et une politique
élective… sans quoi on se serait
déjà défait de ces «parasites».
Certes, les «guides du peuple»
se plaisent à répéter que notre
démocratie est illusoire, que les
prolétaires sont bernés, que le
capital fait de l’intox… mais les
faits montrent que de nombreux
illettrés ont réussi dans les affaires. Alors, la «raison» doit être
«de fond»: sans doute tient-elle à
ce malentendu sur le «public» et
son «intérêt». Pour les syndiqués,
l’intérêt public est celui du salarié… pour les foyers, c’est celui
du client, ou plus largement, de
l’usager. L’intérêt du planqué et
celui du client sont – toute rhétorique «citoyenne» mise à part
– en conflit frontal. Le rêve du
producteur est de se remplir les
poches au moindre effort… celui
du consommateur est d’avoir son
pesant d’or pour une bouchée
de pain. Le marché les met face
à face… et la libre concurrence
– quand elle est là – permet de
trouver le «juste» compromis. Et
TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 718 • 18 AVRIL 2016
c’est là qu’on va voir l’utilité du
grand méchant patron.
Le capital est-il athée?
Pour garder une marge sans perdre
le marché, une coopérative cherchera bien sûr à compresser les
coûts, mais aura du mal à le faire
avec les salaires (qui font souvent
deux tiers des coûts). Seul un grand
méchant patron et ses abominables
actionnaires oseront commettre le
geste impie… le péché capital… bref,
traiter la masse salariale «comme
une autre marchandise». Dans le
respect des lois, certes… et avec
des employés bien lotis… mais sans
l’interdit de biffer des jobs superflus,
ni de prendre des candidats moins
chers… bref, il peut – mieux que
«l’économie sociale» – se plier en
quatre pour le client roi. Dans la philosophie syndicale, on est là en plein
blasphème: que serait une religion
– le Panthéon, ou la Trinité – si on
jetait les «surnuméraires» et si on
«délocalisait» les tâches? On vous le
disait: le patron ne peut se réclamer
du droit divin. n
Boris Engelson