Conduites de prises de risque et d`essai en matière de sexualité :

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Conduites de prises de risque et d`essai en matière de sexualité :
Certificat de formation continue
Guidance et éducation en matière de sexualité, vie affective et procréation (GESVAP)
Conduites de prises de risque et d’essai
en matière de sexualité :
le sens du risque d’une grossesse non planifiée chez
quelques adolescentes et professionnels de la santé.
Présenté par Nadia Pasquier
[email protected]
[version pdf sans annexes]
(Tiré de Countdown 2015)
Version 2, 30 avril 2005
Table des matières
1. Introduction : le sens du « risque sexuel » ........................................................................................... 3
1.1. Le cœur a une logique que la raison ignore… .............................................................................. 3
1.2. Sur la notion du risque ................................................................................................................... 3
1.3. De l’exploration au « goût du risque » des adolescents................................................................ 4
1.4. Les « adolescents » : quelques points de repères ........................................................................ 5
1.5. Sexualité et procréation : indissociables ? ................................................................................... 6
1.6. Sens du risque de grossesse et sens de la grossesse ................................................................. 7
2. Problématique et questions de départ.................................................................................................. 7
3. Méthodologie : une approche constructiviste....................................................................................... 8
3.1. Approche par le terrain : une exploration de 2 types de sources.................................................. 8
4. Sexualité chez les adolescents : entre besoin, pulsion et expérimentation ........................................ 9
5. Sens du risque d’une grossesse non planifiée : qu’en disent les adolescentes ? ............................ 10
5.1. Prise de risque ou conduite d’essai et d’exploration ? ................................................................ 10
5.2. Entre apprentissage et responsabilité…...................................................................................... 12
5.3. Rôle des partenaires .................................................................................................................... 16
5.4. Les copines : des soutiens aux relais ?....................................................................................... 17
5.5. « Sens du risque de grossesse » ................................................................................................ 17
5.6. Le risque du sida plus présent que le risque d’une grossesse non prévue ?............................. 18
5.7. Quelle gestion du risque sexuel ?................................................................................................ 19
6. Le sens des « prises de risque sexuel » chez quelques professionnels de la santé : quelques
repères .................................................................................................................................................... 19
6.1. « Prise de risque » … plutôt « conduite d’essai » ....................................................................... 19
6.2. Sens du risque de grossesse....................................................................................................... 20
6.3. Diagnostic du risque et analyse de la situation ........................................................................... 20
6.4. Pronostic sur la situation, prise en charge future et apprentissage ............................................ 21
7. Esquisse d’un projet d’intervention..................................................................................................... 22
7.1. Parler sexualité : favoriser les comportements préventifs........................................................... 22
7.2. Alors… que faire ? ....................................................................................................................... 22
7.3. Comment favoriser un comportement responsable ? ................................................................. 24
8. Bibliographie ....................................................................................................................................... 24
ANNEXES ............................................................................................................................................... 27
-2-
1. Introduction : le sens du « risque sexuel »
Qu’est-ce qui « motive » une personne à prendre le risque d’une relation sexuelle non protégée,
sans moyens contraceptifs, alors qu’elle ne souhaite pas - consciemment en tout cas - avoir un
enfant ? Cette interrogation, de prime abord banale, est le point de départ de la construction de
notre problématique, à savoir la question du sens des actions pour leurs auteurs (ici les
adolescents), étant entendu qu’une relation sexuelle peut être comprise comme une situation
d’interaction sociale : la rencontre de deux individus à un moment donné, dans un contexte donné,
avec pour objectif celui de s’accoupler.
Chacun a « sa propre notion du risque, [et] les individus élaborent une construction de sens autour
du risque, qui a sa propre pertinence, et dont il faut tenir compte » (BURTON-JEANGROS,
2001 :1). Ainsi, l’analyse des raisons de la « prise de risque sexuel » et la gestion des
conséquences liées à ces conduites d’essai ou d’exploration par les adolescents1, est à rechercher
dans l’analyse du sens qu’ils donnent à leurs comportements exploratoires et, partant, aux risques
auxquels ils s’exposent.
Par ailleurs, les « conduites de prises de risque et d’essai des jeunes » (TOMKIEWICZ, 1987)
sErreur ! Aucune entrée d'index n'a été trouvée.ont constitutives en elles-mêmes et donnent
sens à leur vie. Elles structurent la personnalité des adolescents et concourent à l’apprentissage
de la vie sexuelle et de la relation avec l’autre sexe.
Il s’agit parfois aussi, dans les situations de conduites à risque délibérées, « (…) d’interroger
symboliquement la mort pour savoir si vivre en vaut la peine » (LE BRETON, 2001 :11). Dans des
situations extrêmes (tentatives de suicides, pratique de sport de l’extrême, usage de drogues,
etc.), la prise de risque peut prendre la forme d’un remède au désarroi moral pour des individus en
mal de repères, comme un moyen de donner sens à leur existence.
1.1. Le cœur a une logique que la raison ignore…
Tout se passe comme si nous étions en face de deux mouvements qui, à première vue, sont
opposés. D’un coté, la logique rationnelle qui voudrait que tout individu soit conscient du risque
qu’il prend dans la mesure précisément où il est sensé savoir le mesurer et décider ou non de le
courir, à l’aune des informations « objectives » transmises par différents moyens et acteurs
(famille, école, professionnels de la santé, médias, « pairs », etc.). Dans le cas qui nous occupe,
on peut aisément faire l’hypothèse que deux adolescents savent que s’ils ne se protègent pas, ils
courent un risque « médical », tels qu’une grossesse non désirée et/ou une infection sexuellement
transmissible (IST). L’autre mouvement renvoie à la « pulsion », au désir sexuel et à la recherche
d’expérimentation qui, dans la période de l’adolescence, occupent une place centrale.
Le concept de conduite à risque à la fois raisonnable (essai) et déraisonnable (risque) est né des
échecs des campagnes de masse qui cherchent à prévenir les risques, en se basant sur des
argument rationnels (TOMSKIEWICZ, 1987 :60). C’est aussi pour cette raison que nous avons
choisi la notion de « conduites de prises de risque et d’essai ».
Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici est d’analyser de manière critique l’articulation entre
logique « rationnelle » et action « pulsionnelle » dans la construction du sens donné à une
situation de rencontre sexuelle.
1.2. Sur la notion du risque
Le risque : un danger qui prolifère…
La littérature sur la notion de risque est vaste et complexe. Nous entretenons un rapport
ambivalent au risque :
«D’une part, nous réclamons plus de sécurité, et nous sommes prompts à nous alarmer pour des
risques que les experts jugent pourtant faibles. D’autre part nos sociétés valoriseraient en même
temps la prise de risque individuelle, vouant un culte aux entrepreneurs qui défient le danger, cette
« passion du risque » (Le Breton, 1991) se traduisant par un engouement pour la pratique des sports
1
Par convention, nous utiliserons le masculin pluriel pour parler des tous/tes les adolescent-e-s et le féminin pour les
jeunes filles spécifiquement.
-3-
extrêmes, qui sont même devenus une technique de formation pour les entreprises. » (PERETTIWATEL, 2003, 125-126)
La prolifération du risque est d’abord « verbale ». D’une part, parce que l’on craindrait davantage
les risques médiatisés, amplifiés et l’on sous-estimerait les risques plus proches de nous ; d’autre
part, la capacité des sociétés actuelles à mettre en évidence des corrélations statistiques - et donc
à faire des probabilités - à largement augmenté depuis les années 1940’. Cette « culture du
risque » est aussi, et surtout, construite par les experts, les gouvernements et largement amplifiée
par les médias. Le risque met en scène les valeurs d’une société, d’un groupe donné - le groupe
des pairs par exemple - ou d’un individu, lorsque l’on a affaire à une conduite « extrême » tel que
le suicide ou la dépendance à l’alcool et aux drogues.
Une définition du risque ?
Le risque est une donnée individuelle et statistique. C’est un calcul indiquant l’occurrence d’un
dommage. Il y a donc une dimension d’avenir, l’idée de « prévoir les occurrences futures ». Nous
retiendrons cette définition : la notion de risque est « un réducteur d’incertitude caractéristique de
l’activité prospective d’un individu qui cherche à maîtriser son avenir ou celui des autres. (…) Le
risque est un danger dont on considère qu’il est aléatoire, sans cause » (PERRETTI-WATEL,
1991,18). Le danger ayant toujours existé, c’est plutôt notre rapport au danger qui a changé et par
là-même notre rapport au monde, aux autres et à soi-même.
« Nous ne sommes pas tous égaux face au risque ! »
Le risque peut également mettre en évidence des inégalités sociales. En témoignent les résultats
tirés du Baromètre Santé 2000 qui illustrent la diversité des perceptions des individus profanes
face à différents types de risques (PERRETTI-WATEL, 2001, 34-36). Tout d’abord, quelque soit le
risque, les craintes déclarées par les personnes interrogées, entre 26 et 75 ans, sont plus rares
chez les personnes au niveau de revenu élevé. Ceci serait dû davantage à la « vulnérabilité
ressentie des enquêtés » qu’à la « réalité » du risque encouru2. Ensuite, des différences de
perception existent entre les risques diffus, incontrôlables par l’individu seul (risque nucléaire,
pollution de l’air, nouvelles épidémies, etc.) et les risques moins souvent craints, sur lesquels
chacun peut estimer avoir prise en adoptant un comportement approprié (accident du travail, sida,
maladies dues au tabac, etc.). Ces derniers risques se trouvent d’ailleurs davantage chez les
personnes dans des situations matérielles, économiques et sociales plus vulnérables. Ainsi, ces
résultats soulignent l’intérêt de raisonner en terme de représentations plutôt que de perceptions:
« Nous ne nous contentons pas de percevoir les risques, qui d’ailleurs échappent bien souvent à nos
sens, nous les construisons, nous en élaborons des représentations, en nous situant par rapport à
eux, en y investissant une part de nous-même, de ce que nous voulons devenir, de sorte qu’il y a
autant de représentations d’un risque que de positions et de trajectoires sociales. » (PERRETTIWATEL, 2001, 36)
1.3. De l’exploration au « goût du risque » des adolescents
La prise de risque n’est jamais gratuite, mais au contraire porteuse de sens pour celui qui s’y
engage (MOUNIR, 2001, 112). Pour tenter de la comprendre, il faut donc analyser les fondements
et les motivations sous-jacentes qui font sens pour les adolescents. En suivant MOUNIR
(2001 :115), on peut dire en effet que les comportements à risque des jeunes n’ont pas tous les
mêmes fondements ni surtout tous le même degré de lien avec des motivations problématiques en particulier des souffrances psychiques. Il peuvent être, selon lui, de trois ordres :
1. Des conduites d’essai liées au simple fait de grandir et d’expérimenter le monde.
2. Des conduites temporaires ou « calculées » et maîtrisées, qui traduisent chez certains jeunes un
temps de rébellion et de particularisme souvent en identification à un groupe de pairs.
2
L’exemple de la perception du risque du sida dans l’échantillon des personnes déclarant « craindre beaucoup pour
eux-mêmes » est emblématique : 18% qui craigne le sida sont dans la catégories des bas revenus (-6'000 à10’000 EUR
par mois), ce chiffre tombe en dessous des 10% dans la catégories des personnes à hauts revenus (+ de 15'000
EUR/mois).
-4-
3. Des conduites d’alerte ou de détresse.
Cette typologie peut servir notre problématique dans la mesure où les situations de conduite à
risque liées à une grossesse imprévue, rencontrées notamment dans les centres de planning
familial, peuvent s’y ranger. D’une manière générale, selon l’interprétation de ces comportements
par les adolescentes concernées, ils n’ont pas la gravité que leur confèrent les adultes, voire les
professionnels de la santé.
1.4. Les « adolescents » : quelques points de repères
L’adolescence est-elle à risque ?
La période de l’adolescence est par essence une période où l’adolescent cherche à tester ses
limites, à faire des expériences qui sont constitutives de la construction de son identité :
« (…) Il a été démontré que les conduites de prise de risque à l’adolescence constituent des conduites
d’essai, exploratoires, de recherche des limites externes et de tests de ses propres limites
(connaissance de soi), c’est-à-dire un facteur de développement de la personnalité. (…) On voit mal
alors comment on pourrait conquérir son autonomie et affirmer son caractère face aux risques
complexes de l’existence sans une certaine prise expérimentale de risque ! » (MOUNIR, 2001, 112)
Pour les adolescents, certains comportements à risque ont une « fonction transitoire », de « quasiritualité », de passage, dans la structuration de leur personnalité et relèvent en définitive de la
normalité, avec toute la gradation jusqu’aux extrêmes dont est faite une moyenne (MOUNIR, 2001,
116). En fin de compte, et comme le dit Stanislas TOMKIEWICZ, avec humour :
«(…) L’espèce humaine serait restée arboricole et quadrupèdes si nos lointains ancêtres n’avaient
pas eu le goût du risque pour aborder la savane et ses dangers, la bipédie…et ses rhumatismes.»
(1987, 60)
La prise de risque n’a rien d’incompréhensible, ni d’absurde. Elle est inhérente à la vie, elle donne
« goût » à la vie !
L’adolescence est ainsi une « période à risque »3 parce qu’elle est associée à des risques
spécifiques, dont la liste a été tentée par divers auteurs, à l’exemple de CHOQUET, LEDOUX,
MARCELLI (1993) sur la base d’une définition « objective » et non subjective des « conduites à
risques »4. En lisant cette liste impressionnante de conduites à risque, on prend peur et quel
adolescent (ou quel adulte) peut prétendre ne pas prendre l’un ou l’autre de ces risques ?
Cet exemple est intéressant pour insister sur le fait que les adultes, eux aussi, sont concernés par
les conduites à risques. Comme le suggère Patrick Peretti-Watel (2001, 82) amusez-vous à cocher
les conduites à risques que vous avez à votre actif dans les 12 derniers mois !
Dimensions psychologiques et développement cognitif chez les adolescents
Le paradoxe des transformations du corps dans la période de l’adolescence réside dans le fait que
l’adolescent découvre dans sa propre chair (intérieurement) que le corps est une partie de soi
3
Que cela soit dans les médias, dans la vie de tous les jours, il est commun d’entendre des généralités sur les
adolescents ou les « jeunes ». On leur attribue tous les maux, la violence, les prises de risques (inconscients), la
dépravation des lieux publics, etc. Pourtant, ce phénomène n’est pas nouveau, ce mythe d’une « jeunesse en perdition »
qu’il faut sauver d’elle-même est récurrent dans l’histoire (TÊTARD, 1993).
4
Ce sont les conduites « comportant des risques objectifs pour le bien-être physique ou mental de l’individu ». La liste,
tentée par CHOQUET, LEDOUX, MARCELLI (1993) est impressionnante :
- Les « conduites à problèmes » (qui sont plus masculines): les « conduites de consommation » (fumer plus de 10
cigarettes par jour, boire de l’alcool plus de 2 fois par semaine ; s’enivrer plus de 2 fois par an, etc.), les « conduites
délictueuses » (racket, vol, usages drogues illicites), les « conduites violentes mineures » (se bagarrer, se livrer à des
violences physiques ou verbales, mais aussi crier lorsqu’on est en colère,…) et les « conduites de déscolarisation »
(arriver en retard, « sécher » les cours,…).
- Les « troubles corporalisés » (plus féminins) ; ces conduites correspondent « aux troubles fonctionnels et de l’humeur »
(réveils nocturnes, cauchemars, nervosité, envie de pleurer,…), à la consommation de médicaments psychotropes et
aux « troubles des conduites alimentaires » (se trouver trop gros, avoir honte après avoir mangé…).
-5-
mais en même temps un élément étranger. L’adolescence c’est : « devenir quelqu’un d’autre tout
en restant soi-même ! » (PAWLAK, 1998,12). Ce paradoxe est au centre du processus de
l’adolescence. Tout un travail d’appropriation de ce « corps étranger », de ce « corps sexué
d’adulte » devra se faire, en l’intégrant dans une réalité psychique. Aimer ce corps, c’est « en
prendre soin », mais c’est aussi « en reconnaître la dimension sexuelle, qui jusque-là relevait du
monde des adultes ; pouvoir en particulier reprendre à son compte la fonction soignante
(traditionnellement) maternelle » (PAWLAK, 1998,13). C’est à cette période que les adolescents
se retrouvent confrontés à la nécessité d’intégrer la sexualité génitale dans la construction de leur
identité. Ils découvrent aussi que les transformations de leur corps sont irréversibles par la
confrontation avec le concept de mort (PAWLAK, 1998, 14).
Sur le plan individuel, c’est donc la découverte du caractère fini de l’existence, et en même temps
l’ouverture vers l’ensemble des possibles : avec un corps adulte tout, ou presque, deviendrait
possible. Sur le plan psychologique, c’est une période de remaniement des structures psychiques
en lien avec les transformations pubertaires. Enfin, sur le plan cognitif, l’adolescence correspond à
la période de mise en œuvre du raisonnement hypothético-déductif, caractéristique du stade des
opérations formelles développé par Jean PIAGET:
« Vers onze à douze ans, en effet, s’effectue une transformation fondamentale dans la pensée de
l’enfant, qui en marque l’achèvement par rapport aux opérations construites durant la seconde
enfance : le passage de la pensée concrète à la pensée « formelle » ou, comme on dit en un terme
barbare mais clair, « hypothético-déductive ». (…) C’est-à-dire qu’elle est capable de déduire des
conclusions à tirer de pures hypothèses et non seulement d’une observation réelle. (…) La pensée
concrète est la représentation d’une action possible et la pensée formelle la représentation d’une
représentation d’actions possibles. (…) C’est là l’une des nouveautés essentielles qui opposent
l’adolescence à l’enfance : la libre activité de la réflexion spontanée. » (PIAGET, 1964, 90-92)
Ce recours à la pensée formelle peut différer selon les domaines, comme le démontre bien Claus
PAWLAK (1998). Il peut être mis en danger par l’impact émotionnel d’une crise :
« L’émergence pulsionnelle adolescente et la sexualisation de la pensée sont précisément les
éléments perturbateurs mettant parfois en cause des acquisitions cognitives préalables. Ainsi, les
connaissances rationnelles sur le fonctionnement du corps peuvent-elles être balayées par la tempête
affective amoureuse… et conduire à des évaluations de risque d’allure magique : “ça ne peut pas
m’arriver… S’il n’y a qu’une chance sur mille, alors on ne risque rien… “, etc. » (PAWLAK,1998 :15)
Nous le verrons dans l’analyse, les adolescentes sont conscientes de la présence de deux
logiques qui, à première vue, paraissent s’opposer : logique rationnelle et logique pulsionnelle.
1.5. Sexualité et procréation : indissociables ?
L’invention de la pilule contraceptive a eu pour effet majeur sur la femme et le couple de permettre
le découplage de la sexualité et de la procréation, laissant alors une place plus ample et surtout
mieux maîtrisée à l’érotisme. Pourtant, force est de constater que ce découplage n’est pas total et,
surtout, qu’il reste inégal en fonction de l’âge et de l’ancrage socioculturel des acteurs concernés.
Dans la vie des femmes et des hommes, sexualité et procréation restent ainsi intimement liées, en
particulier dans la construction du sens du rapport sexuel, de son issue et de la situation
relationnelle et contextuelle dans laquelle il a lieu. Nous rejoignons ici l’analyse de DUPREZ
(1989) sur le « sens » de la demande d’avortement. Il montre en effet que « toute grossesse,
quelle qu’en soit l’issue, est sensée, c’est-à-dire porteuse de sens pour la femme et/ou son couple,
quel que soit l’apparent illogisme de la situation où elle survient » (1989 :29). Selon lui, la
demande d’interruption de grossesse peut alors être envisagée comme « une parole » signifiante :
«Ceci semble exacte tant en ce qui concerne la survenue de la grossesse apparemment non désirée,
l’impossibilité de surmonter le décalage qui existe entre la survenue de la grossesse non désirée et le
projet de mise au monde de l’enfant, qu’en ce qui concerne le sens probable de son interruption. »
(DUPREZ, 1989 :29)
Le caractère toujours fragile du découplage jamais abouti entre sexualité et procréation resurgit
avec force dans le cas d’une prise de risque au niveau sexuel. Pour en saisir les raisons, il s’agit
d’être particulièrement attentif aux dimensions bio-psycho-sociales de la situation et aux
motivations « multifactorielles » qui la fonde.
Dans ce cadre d’analyse, le cas emblématique de « l’oubli » de la pilule ou de la rupture du
préservatif, souvent interprété comme un « échec de contraception » est en soi significatif :
-6-
«(…) nous avons défendu l’idée qu’il n’y a pas d’échec de contraception, mais des lapsus
contraceptifs. Ce mot lapsus vient de ce que ce soi-disant raté contraceptif n’est en fait pas vide de
sens. Le lapsus, c’est en effet un peu ce qu’on dit sans le vouloir, presque contre sa volonté
consciente. » (DUPREZ, 1989, 30)
D’une manière générale, on peut ainsi avancer l’idée selon laquelle le sens du risque dans les
relations sexuelles se construit à l’articulation du biologique et du psychosocial. On ne peut ainsi
disjoindre dans l’analyse les formes de vie biologiques des formes de vie sociales qui participent
toutes deux à la constitution des sujets (RABINOW, 1999). Nous rejoignons en cela la
démonstration brillante du sociologue Luc Boltanski dans un ouvrage récent sur une « sociologie
de l’engendrement et de l’avortement ». Il montre en effet que l’on ne peut séparer l’engendrement
biologique, « engendrement par la chair »5, de l’engendrement social , qu’il nomme
« engendrement par la parole » (BOLTANSKI, 2004).
1.6. Sens du risque de grossesse et sens de la grossesse
La littérature sur les comportements sexuels à risque chez les adolescents est largement dominée
par la question du risque lié au sida, au détriment des autres infections sexuellement
transmissibles (IST) et des grossesses non désirées. Une analyse de la prévention des
comportements à risque sexuel effectuée par l’INSERM en 2004 déplore cet accent mis sur le
risque de transmission de l’infection à VIH, et citent quelques auteurs - rares cependant - qui
« s’interrogent sur l’importance réelle en population générale jeune et se demandent si le risque
sexuel le plus prégnant ne serait pas plutôt la survenue d’une grossesse non désirée » (INSERM,
135). Selon ces auteurs, une éducation à leur prévention serait une meilleure motivation pour les
jeunes pour aborder la question du risque sexuel (WHALEY, 1999).
Par ailleurs, chacun est d’accord pour admettre que dans environ 35 ans de vie sexuelle d’une
femme, les accidents de parcours sont inévitables. Comme l’ont démontré diverses études
(BAJOS et al., 1998), l’âge a finalement peu d’importance, mais ce sont les moments du cycle de
vie de la personne qui peuvent être compris comme des périodes plus ou moins « à risque ». De
ce point de vue, il semble assez évident que la période de l’adolescence est particulièrement
propice à l’exploration et donc à la prise de risque, et c’est pour cela qu’elle est intéressante à
analyser.
Bien que la question du sens de la grossesse sera présente en filigrane dans l’analyse, nous nous
concentrerons essentiellement sur « le sens du risque de grossesse » et nous renvoyons le lecteur
aux nombreux articles qui ont été rédigés sur le sens et la fonction des grossesses à
l’adolescence (PASINI, BEGUIN, BYDLOWSKY & PAPIERNICK, 1994 ; LE VAN, 1998 ;
AVON,1998 ; BAJOS, FERRAND et l’équipe GINE, 2002).
2. Problématique et questions de départ
En partant de l’hypothèse selon laquelle les individus élaborent une construction du sens du risque
sexuel, que l’explication de leurs comportements a une logique propre et qu’il n’y a pas de
contradiction entre cette « logique propre à l’individu » et la logique rationnelle liée à une décision,
nous envisageons donc de nous interroger sur la prise de risque sexuel (délibérée ou non) et le
sens qu’elle a pour l’adolescent : quel(s) significations revêt le risque pour eux ? Est-il plus présent
que celui de la maladie (par ex : les IST) ? Quels modes d’adaptation (ou de non adaptation)
développent-ils ? Existe-t-il des différences de genre sur cette question ? Quels rôles jouent le
statut de la relation ? Quelles sont les attentes des partenaires ? Quelles sont les résistances en
présence (résistance à la contraception, résistance à assumer une situation, etc.) ? Quel rôle joue
l’expérience de leur première relation sexuelle ?
En parallèle, nous nous interrogerons sur la question du diagnostic du risque de grossesse ou de
l’analyse de la situation du point de vue de quelques professionnels de la santé - en particulier les
conseillères en planning familial et quelques médecins. Quel(s) sens les professionnels donnentils aux prises de risque des adolescents ? Quel diagnostic du risque est établi sur la base du
dossier et des entretiens ? Quel pronostic établir relativement aux risques futurs ?
5
Par engendrement, il faut comprendre « la création d’êtres humains nouveaux venant prendre place dans un monde
peuplé par des vivants déjà là et habité par le souvenir des morts » (BOLTANSKI, 2004 :42).
-7-
Nous nous demanderons aussi dans quelle mesure la pratique clinique des professionnels est
susceptible et apte à cerner le « sens du risque » pris par les adolescents, relativement à la prise
en charge proposée, qu’elle soit thérapeutique ou psychosociale ?
En résumé, l’ambition de ce travail est de mieux comprendre le hiatus éventuel entre, d’une part,
la prise de risque sexuel (délibérée ou non) des adolescents et le sens qu’elle prend pour eux
lorsqu’il s’agit d’un risque de grossesse et, d’autre part, la pratique psycho-sociale et médicale
d’établissement d’un diagnostic du risque qui fait sens et qui propose un pronostic ou une prise en
charge adéquate. Enfin, la réflexion devrait nous apporter quelques pistes pour répondre à la
question sous-jacente : comment favoriser un comportement responsable chez les adolescents
face au risque sexuel des grossesses non désirées ?
3. Méthodologie : une approche constructiviste
Analyser le sens que les adolescents donnent à la prise de risque, c’est étudier la démarche des
acteurs sociaux qui les accomplissent, en y incluant l’univers des significations auxquelles ils se
réfèrent :
« Ces significations sont construites au cours des interactions entre les acteurs et ne sont pas
immanentes aux “objets” qui composent la société - institutions, groupes sociaux, lois activités, etc. Au
contraire, ces objets sont soumis à un processus continu d’interprétation, qui détermine la manière
dont les acteurs sociaux agissent envers eux (…).» (BECKER, 1963 : 16)
Selon le mouvement américain de « l’interactionnisme symbolique », dont Howard S. Becker et
G.H. Mead sont deux représentants célèbres, le comportement humain n’est pas une simple
réaction à l’environnement mais un processus interactif de construction de cet environnement.
C’est en cela que l’on peut affirmer qu’une situation vécue, une action est « construite » au cours
de l’interaction. Les relations sexuelles à risque font aussi partie de ce processus continu
d’interprétation et de significations, dont le sens est donné par les acteurs eux-mêmes. Ainsi, seule
l’observation du sens, des significations et des interprétations de cette prise de risque, exprimés
par les acteurs, permet de donner sens à leurs actions.
3.1. Approche par le terrain : une exploration de 2 types de sources
Nous nous proposons pour tenter de répondre aux questions de départ, d’explorer deux sources
différentes : des entretiens qualitatifs auprès d’adolescentes de moins de 18 ans et quelques
entretiens avec des professionnels de la santé.
Les adolescentes rencontrées
Entre les mois de février et mars 2005, nous avons rencontré 8 adolescentes entre 14 et 18 ans6
et une jeune femme de 23 ans, avec qui nous avons testé la grille de questions, support principal
de l’entretien7. Pour des raisons diverses, nous avons limité notre étude aux filles. En effet, les
garçons n’ont pas répondu spontanément à notre offre (feuillet déposé dans différents lieux8) et
nous n’avons pas souhaité engager davantage d’énergie à les motiver (par manque de temps,
c’est certain !). Pourtant, nous le verrons, ils ne sont pas exclus de notre analyse et nous les
retrouvons tout au long des entretiens des jeunes filles et au travers des différents thèmes
évoqués avec elles.
Rencontres de quelques professionnels de la santé
Nous avons rencontré 5 professionnels de la santé (4 conseiller(ère)s en planning familial et un
médecin9) sur la base d’un questionnaire qualitatif, reprenant quelques questions posées aux
adolescentes sur le risque et d’autres questions relatives à l’établissement d’un diagnostic du
6
Pour le détail du contexte de l’entretien, voir Annexe 1.
Nous l’avons ensuite exclue de l’analyse.
8
EPSIC, UMSA, Centre de planning familial, etc. Nous avons joint un feuillet (voir en Annexe 2.1) aux professionnels
décrivant brièvement l’objet d’étude et leur demandant de le distribuer et/ou de le déposer à la salle d’attente ou lieu
d’accueil.
9
Nous avions également rencontré une infirmière du post-scolaire, mais un problème technique lors de l’enregistrement
nous a malheureusement contrainte à renoncer à l’intégrer à notre travail.
7
-8-
risque, à l’analyse de la situation en partant du dossier établit lors des entretiens avec des
adolescent(e)s.
4. Sexualité chez les adolescents : entre besoin, pulsion et
expérimentation
L’apparition du sida a transformé le sens que les jeunes attribuent aux relations sexuelles et donc
à la gestion du risque sexuel, largement dominée par la « peur d’attraper une maladie », en
omettant le risque « réel » d’une relation sexuelle, dont l’essence biologique première est la
reproduction. Pourtant, les accidents de parcours, les oublis ou les expériences sexuelles « à
risque » existent et leur signification n’est pas forcément dominée par la peur, mais mue par le
désir de satisfaire un besoin, par la découverte du plaisir et d’une expérience constitutive. La
question du sens du risque de grossesse devrait donc pouvoir trouver une place de choix dans
leurs imaginaires, plus prégnante que celle occupée par la maladie.
Les relations sexuelles : fonction transitoire ou rituel de passage ?
Aujourd’hui, les jeunes font l’amour ou « passent à l’acte », « pour expérimenter », « pour voir
comment c’est… ». La contraception a radicalement changé ce rapport à la première expérience
sexuelle. Comme libérés du poids des conséquences de cet acte (la reproduction), ils
expérimentent et s’essayent parfois sans s’y investir totalement, parfois sans satisfaire leurs
besoins d’affection, de communication, de contact, de plaisir, etc. A cet égard, il est important de
rappeler les changements qui se sont opérés ces 40 dernières années :
« Il y a 35 ans environs, les jeunes venaient au planning familial pour s’informer avant d’avoir des
relations sexuelles. Aujourd’hui, ils viennent alors qu’ils ont déjà eu des relations sexuelles. » (PCF2)
En effet, les jeunes filles adolescentes interrogées ici, nous le verrons, se sont rendues dans un
centre de planning familial alors qu’elles avaient déjà vécu différentes expériences sexuelles.
« C’était juste comme cela »
Les fonctions non sexuelles de la sexualité jouent alors un rôle de taille dans l’apprentissage et la
découverte des relations sexuelles comme de la relation à l’autre. La fonction de socialisation10 de
la sexualité (W. Pasini 1993, 36) en est un bon exemple. Les premières expériences sexuelles
peuvent en effet révéler une sexualité en quelque sorte « subie », pour « faire comme les autres »
et qui n’est pas forcément accompagnée de sentiments :
« Avec lui (son premier partenaire) en fait, c’était plus par expérience… C’était mon meilleur ami, on
était proche, j’étais pas amoureuse. C’était juste comme cela (…). Il y a eu des situations dans
lesquelles je ne me plaisais pas du tout. C’était juste comme cela pour être avec quelqu’un.
Maintenant je suis avec quelqu’un avec qui je pense à l’avenir et tout…. projets etc. (…) En fait avant
quand j’avais des expériences avec les garçons c’était plus pour découvrir un peu… euh comme ça…
se faire désirer, comme ça. Être désirée et puis voilà. Puis maintenant que j’ai déjà tout vu, j’aimerais
être joyeuse et tout, voilà quoi. Quand on a 15 ans, on a plus envie de s’amuser… » (A8, 17 ans)
Ce témoignage est emblématique de l’évolution que connaissent les adolescentes entre 15 ans et
18 ans. D’un non-investissement dans la relation, elles passent lentement vers un enrichissement
de la relation intégrant une exigence nouvelle : le souhait d’un apprentissage mutuel, basé sur une
confiance réciproque.
La fonction de communication ou de contact de la sexualité prend aussi une importance marquée
dans la gestion de la relation à l’autre et, partant, également dans la prise de risque. On peut en
effet avoir des relations sexuelles en fonction d’un besoin de communication, comme le signale
Willy Pasini :
10
Dans son ouvrage, Willy Pasini (1933 :36-37) fait référence à dix fonctions non sexuelles du sexe. Quatre d’entre elles
au moins se réfèrent à des fonctions « psychiques » de la sexualité (fonctions thérapeutique, anti-dépressive,
anxiolytique, demande d’aide par exemple).
-9-
« Il y a 20 ans (1973), les jeunes venaient nous dire : on s’aime beaucoup et on n’arrive pas à faire
l’amour ; aujourd’hui ils nous disent : on fait bien l’amour, mais on n’arrive plus à s’aimer. » (PASINI,
1993 :35)
5. Sens du risque d’une grossesse non planifiée : qu’en disent les
adolescentes ?
Notre idée de départ est née du souhait d’explorer les fondements/motivations des conduites de
« prise de risque et d’essai » en matière de sexualité et leur gestion par les adolescentes.
L’analyse du sens que les adolescentes rencontrées donnent à leurs comportements sexuels
exploratoires, et partant aux risques qu’elles encourent, est au centre de notre analyse des
entretiens. Mais de quoi parle-t-on ? De « prises de risques » ou de « conduites d’essai » ?
5.1. Prise de risque ou conduite d’essai et d’exploration ?
Pratiquement, nous avons été confrontée à une limite, inhérente à notre grille de questions de
départ : elle mettait davantage l’accent sur les notions de « risque » ou de « prise de risque » au
détriment de celles de « conduites d’essai ou d’exploration ». Ceci a eu pour conséquence
fâcheuse une présentation des adolescentes comme des personnes plus exposées aux risques
que les autres. C’est pourquoi, en poursuivant notre démarche exploratoire, afin de corriger ce
biais, nous avons intégré au fil des rencontres davantage de questions sur l’expérience et
l’exploration de la sexualité. Comme en témoigne cet extrait d’entretien (A7), les adolescentes
(surtout celles de 17 à 18 ans) sont bien conscientes de ces différences de perception de la
situation :
« On apprend quelque chose d’une situation comme cela (2 pilules d’urgence et un RR) ? à la
deuxième pilule d’urgence, par exemple ? (Eclats de rires !) Ben, à part le fait que c’est peut-être une
attitude un peu irresponsable…et que c’est pas bien ! et que si on peut éviter ce genre de choses,
c’est bien ! Mais… non pour moi, c’est justement quelque chose d’irresponsable ! Surtout
qu’aujourd’hui on a tout ce qu’il faut pour éviter justement ce genre de choses. Mais voilà, nous
sommes des jeunes qui sont souvent irresponsables, qui pensons souvent après coup… euh ! (…)
Non, pour moi, je prends cela comme une expérience (hausse le ton, joyeuse). Et voilà : c’est une
expérience, il faut apprendre. C’est des bêtises, et voilà. » (A7, 18 ans)
Ainsi, à cette question qui cherchait à comprendre le processus d’apprentissage d’une
situation jugée « à risque », la réponse est claire : on expérimente d’abord et « on y pense
après coup ». Cette adolescente reprend d’une part le discours des adultes (« c’est une attitude un
peu irresponsable », « c’est pas bien ») en même temps que ce que pensent les jeunes filles de
son âge : elle valorise sa conduite en précisant que cette expérience fait partie des apprentissages
nécessaires et structurants de l’adolescence (« il faut apprendre ») ; enfin, elle se réfère aux
« bêtises » , « normales » à cet âge-là, qui ont pour fonction d’expérimenter et de tester les limites.
En d’autres termes, du point de vue d’un professionnel :
« (…) (Les conduites d’essai) Ce sont toutes les conduites dans lesquelles les adolescents
découvrent un champ nouveau (…). Dans le domaine de la sexualité, c’est découvrir des sensations
nouvelles, à commencer par la découverte du plaisir sexuel (auto-érotique) mais aussi la découverte
de l’érotisme partagé et de la relation à l’autre. (…) Cet apprentissage fait partie de la découverte de
la sexualité : la sexualité, ça s’apprend ! (…) Le risque zéro n’existe pas !» (PM5)
Les entretiens avec les jeunes filles mettent donc particulièrement en évidence le fait que les
situations jugées à risque par les adultes ne sont en fait pas ressenties de la même manière par
les adolescentes, en tout cas « sur le moment », comme nous allons le voir.
« On ne s’en rend pas compte sur le coup, mais après… »
Pour les adolescentes que nous avons rencontrées, la prise de conscience des conséquences de
l’acte se fait après la relation sexuelle, ce qui paraît tout à fait naturel pour elles. Nous leur avons
donc posé la question de savoir à quoi elles avaient pensé et quels sentiments elles avaient eu,
pendant et après la situation vécue (rupture de préservatif, rapport non protégé ou retard de
règles) :
- 10 -
Pendant :
« Aviez-vous conscience que vous étiez en train de prendre un risque… ou pas du tout ? Sur le
coup…, non. (…) Sur le moment, quel sentiment vous aviez ? Non…, mais c’est après. Avant, non.
Mais après, oui. » (A1, 16 ans, rapport non protégé)
«Sur le moment de l’acte… c’est quelque chose de merveilleux… enfin on l’espère. Mais en fait, il
s’est retiré avant mais comme pendant le rapport il y a des petites gouttes et tout… euh… c’est pour
ça. Et après, c’est quand j’ai vu le retard de mes règles. Je me suis dit : « mince !(…) » (A7, 18 ans)
« Moi… oui…. mais… j’en avais un peu… je suis pas trop… à m’inquiéter. Lui, oui… beaucoup, il s’est
beaucoup inquiété. » (A5, 14 ans)
Après :
« Je me suis dit que j’étais trop conne. (…) Cela veut dire que… j’aurais dû… voilà… prendre des
précautions. (…) Je ne sais pas, mais cela me fait réfléchir… Des fois sans s’en rendre compte, on
peut jouer avec le danger…. et on ne s’en rend pas compte sur le coup mais après… il risque d’y
avoir des conséquences… plus importantes que… » (A1, 16 ans)
«En fait… on se sent un peu bête, quoi. L’histoire, c’est que en fait… on en avait pas… mais on savait
très bien et… on a pas pu résister… c’est dure aussi… alors voilà. » (A4, 16 ans)
« Mmh… J’ai pensé après. Quand je suis rentrée chez moi. » (A8, 17 ans)
Dans ces exemples, le fait de ne pas se protéger devient un acte presque involontaire (« on n’a
pas pu résister »), voire inconscient (« on ne se rend pas compte ») ou encore sujet à un certain
laisser-aller (non inquiétude de A511). La situation vécue trouve son explication en mobilisant des
causalités extérieures (« on n’avait pas de préservatif », « il s’est retiré » , etc.). Ainsi, tout se
passe comme si la logique propre de l’individu ne se trouve pas altérée par les conséquences
d’actes sexuels caractérisées par un problème « technique ».
Comme on l’a relevé PAWLAK (1998), « les connaissances rationnelles » et les « acquisitions
cognitives » antérieures peuvent ainsi être remises en question par l’émergence pulsionnelle et la
sexualisation de la pensée. En effet, malgré l’information sur les risques encourus, le moment
présent, fort en émotion, prend toute la place dans leur esprit : « on est dans l’euphorie et tout…
on y pense plus ! » (A7, 18 ans). Le verbe « penser » est significatif. Il fait justement référence à la
pensée formelle, hypothético-déductive, qui a bien des difficultés à être mobilisée dans une
situation forte en émotion, comme le confirme une conseillère en planning familial :
« J’ai pas le sentiment que sur le moment elle sentent qu’elles ont pris un risque…c’est déjà bien
qu’après coup elles viennent ici ! Pour moi, c’est l’excès d’émotion… J’ai déjà à réfléchir sur moimême [telle que j’étais] à l’époque ! On ne sait pas que faire avec cet excès d’émotion qui va dans
tous les sens… Il y a déjà plein de trop plein à cet âge là quand le corps se réveille, le regard se
réveille. Quand on ne sait pas de quoi sera fait l’avenir… qu’on vit d’un amour fou, etc.» (PCF2)
C’est donc après l’acte que les adolescents retrouvent leurs esprits. Ils « pensent » et agissent en
conséquence, et c’est tant mieux !
« Ben… moi j’ai pensé tout de suite aller au planning familial, c’est ça qui m’a… » (A7)
Nos entretiens mettent en évidence le rôle particulier que jouent les centres de planning familial,
tant dans une prise en charge en urgence que dans les démarches pour une demande de
contraception. Ils jouent également un rôle symbolique, lorsqu’il est question du partenaire
impliqué dans la situation, nous y reviendrons.
« …et les plannings… on vient après coup ! »
Il est intéressant de s’arrêter un instant sur la gestion de ces situations par les institutions de la
santé. La gestion du temps est actuellement dictée par des impératifs législatifs (entretien pour
une demande d’IG ; respect du délai cadre de 12 semaines) ou encore par des délais médicaux
(72 heures pour la CPC). La gestion de ces urgences est donc devenue centrale dans la prise en
charge des jeunes filles (ou des femmes) par les professionnels de la santé (les médecins en
11
Cette adolescente A5 (14 ans) fait exception car elle se réfère à l’inquiétude de son ami. Nous verrons que cette jeune
fille souhaite avoir un enfant, d’où son inquiétude mitigée par rapport au rapport non protégé qu’elle a vécu.
- 11 -
priorité)12, mais aussi par les autres professionnels (psychologue, thérapeute, assistant social,
conseiller en planning familial). Dans les situations qui nous occupent, cet « après coup » est donc
bien inscrit dans un temps limité qui va dicter la procédure et, par là même, la prise en charge
(entretien dans un centre spécialisé pour adolescent pour les moins de 16 ans demandant une IG
par exemple).
Alors que l’on vit une « médicalisation du comportement à risque », notamment par un accès plus
aisé à la contraception (la pilule d’urgence actuellement disponible sans ordonnance en pharmacie
pour les plus de 16 ans) et à l’interruption de grossesse, on peut se demander si la réponse
médicale ne favorise pas une forme de « déresponsabilisation » des jeunes face à leur sexualité.
C’est en tout cas ce dont témoignent ces extraits d’entretiens :
« Qui a décidé à ce moment-là… car vous n’aviez pas de préservatif sur vous ? … Parce qu’il savait
que je pouvais prendre la pilule d’urgence le lendemain… c’était le jour avant d’aller au planning ! »
(A5, rapport non protégé)
« Ben… disons que… enfin… déjà je savais qu’il y avait la pilule d’urgence et qu’on pouvait la prendre
trois jours après… donc ça, ça m’a rassuré… Disons, s’il m’avait dit cela, je sais pas…, une semaine
après…, là j’aurais commencé à paniquer vraiment. Mais c’est juste le principe qu’il m’aie… enfin…
bon j’en ai parlé à ma meilleure amie. Mais vu qu’après on est directement allés… au planning.
Enfin… j’étais un petit peu inquiète… mais vu que c’était assez court… j’ai pas eu le temps (de
m’inquiéter). » (A6, 18 ans, rupture de préservatif)
Nous identifions ici le haut niveau d’information (« savoir ») de ces deux adolescentes et de leurs
compagnons sur la pilule d’urgence. Pourtant, ils mettent en évidence un certain relâchement des
comportements préventifs (cf. A5). Mais comme le souligne un professionnel interrogé :
« L’important n’est-il pas que ces adolescentes viennent chercher la pilule d’urgence dans un planning
familial plutôt que de se soucier qu’elles n’aient pas mis de préservatifs ? » (PM5)
« (…) c’est déjà bien qu’après coup elles viennent ici ! » (PCF4)
5.2. Entre apprentissage et responsabilité…
La notion d’apprentissage - liée à une situation « à risque » telle que nous l’abordons dans ce
travail - se base sur la question suivante : qu’apprend-t-on d’une situation à risque (sur soi, sur
l’autre, sur le couple) ?
Cette notion d’apprentissage, est parfois incomprise ou pas intégrée par les jeunes adolescentes
de 14-16 ans (A1-A5) interrogées. Elles peuvent par exemple, soit esquiver la question (A1 ;A2)
ou démontrer une certaine forme d’apprentissage par l’utilisation de nouvelles méthodes
contraceptives (A3, A4) :
« (…) Mais la première fois… ouais on apprend quand même… il faut prendre ses responsabilités,
quoi je pense. Mais apprendre vraiment quelque chose…pas spécialement. (…) La première fois, je
me suis dit (comme c’était pas protégé) : « ben… bon maintenant, je me protège ! » (A3)
« (…) Voilà… la deuxième fois… on se dit il faudrait peut-être prendre quelque chose de plus pour
euh…pour éviter à revenir ici (au planning familial) quand il y a un couac ou quoique ce soit… Après
c’est dure avec les parents…tout ça » (A4) // « (…) Ouais… c’est dur… prendre la pilule… ouais »
(A3) // « …et puis avec les autres méthodes, c’est pas de notre âge, quoi. » (A4)
L’apprentissage se fait donc ici davantage par la maîtrise d’une nouvelle contraception (ex :
utilisation d’un préservatif alors que l’on n’utilisait rien) que par la gestion de la relation à l’autre ou
de sa capacité à parler de ses besoins, de sexualité ou de protection face aux risques sexuels.
L’idée avancée par ces jeunes filles, selon laquelle certaines méthodes ne sont pas de leur âges,
est significative de l’évolution vers une sorte de « maturité contraceptive » en fonction de l’âge
et/ou du statut de la relation : prendre la pilule cela signifie aussi avoir des « relations stables et
continues ». On parle alors de l’existence d’une « norme contraceptive » (BAJOS, 2002) qui
12
Pour un développement de cette problématique et de l’émergence des médecins comme « gardiens du temps », voir
NEMMI D. (2005, 46-47).
- 12 -
s’impose aux femmes : le préservatif d’abord (premières expériences, relations occasionnelles),
puis la pilule dès que les relations sont plus stables et enfin le stérilet (dès que l’on a des enfants).
Les auteurs de l’étude SMASH émettent l’hypothèse que pour les plus jeunes il est plus difficile de
« formuler leurs besoins et leurs souhaits en matière de contraception et de protection des
maladies sexuellement transmissibles » (SMASH-résumé, 2002, 10 ). Cela pourrait expliquer aussi
le pourcentage élevé (20%) des moins de 16 ans qui n’utilisent pas de contraception au premier
rapport sexuel ou utilisent le coït interrompu.
Le discours des plus âgées (A6 ; A8) confirme la poursuite de cette quête vers une « maturité
contraceptive et sexuelle » :
« Avant (je n’utilisais) que le préservatif. J’ai pas pensé à la pilule parce qu’avant j’avais des relations
sexuelles qui duraient pas longtemps… et je me disais : j’ai pas besoin… Et puis là, je suis avec
quelqu’un de sérieux… On m’a conseillé de prendre la pilule… Aujourd’hui : testé le patch et voir pour
l’injection. » (A8, 18 ans)
« ( Le rapport non protégé, c’est inquiétant ?) Euh… j’ai deux aspects de la choses. Pour moi, oui,
c’est quelque chose qui est à risque. C’est quelque chose qu’il ne faut pas faire… parce que voilà.
Mais, pour moi, si on a une relation durable, qu’on a fait le test du sida, qu’on prend la pilule, même si
cela ne couvre pas tous les pourcents (%). Pff… Je peux m’octroyer quand même de ne pas mettre
tout le temps le préservatif ! » (A7)
Lorsque la relation amoureuse se stabilise, il y a donc effectivement un report du préservatif vers
la pilule contraceptive. Pourtant, en cas de séparation du jeune couple, les jeunes filles peuvent se
retrouver dans des « situations à risque »13. Elles ont une contraception fiable, mais oublieraient
ensuite le préservatif ou utiliseraient des méthodes « douteuses », comme le retrait par exemple :
« Comment dire… Non, c’est toujours la même chose… on fait plus attention. En tout cas, y’a quelque
chose qui change, je sais pas comment dire. Peut-être la responsabilité, je ne sais pas. Et puis vous
continuez à mettre le préservatif ? De temps en temps, des fois. Il sait au moment où il doit s’arrêter,
quoi (…) » (A6, 18 ans)
Apprendre c’est donc en résumé « faire plus attention la prochaine fois » et utiliser un contraceptif
plus efficace (généralement féminin !). Pourtant, comme le montre cet extrait, cela ne signifie pas
forcément l’utilisation d’un moyen de protection totalement fiable. C’est donc bien étape par étape
que ces adolescentes « apprennent » quelque chose des situations vécues (« accidents de
préservatif », rapports non protégés). Comme le dit l’adolescente A6, il y a comme une conscience
qui s’éveille et qui les mène lentement vers une forme de « responsabilité » liée au passage à une
contraception plus fiable, telle que la pilule.
En fin de compte, pour les adolescentes, « la contraception a pris valeur de rite, signe de
reconnaissance de l’entrée dans le clan des femmes » (AVON, 2004, 125), supplantant par là « la
survenue des règles » devenue moins signifiante. Prendre la pilule renvoie alors aux étapes ou
démarches pour en informer les parents. Si tout se passe bien, la « dimension sexuelle » des
relations pourra alors être « acceptée » par eux et, en retour, les adolescentes intègreront petit à
petit le monde des adultes et des responsabilités !
« L’accident n’est pas un risque ! »
Dans le cadre de l’enquête française sur l’analyse des comportements sexuels des jeunes (ACSJ)
en France, Josiane Warzawski (1997) (in PERRETTI-WATTEL, 2001, 83) définit un rapport sexuel
à risque à partir des questions permettant de cerner son contexte : l’adolescent a pris un risque s’il
n’a pas utilisé de préservatif au cours du dernier rapport pénétratif, tout en ne connaissant pas le
statut sérologique de son partenaire, et en sachant que celui-ci a eu d’autres partenaires au cours
des 12 derniers mois (ou en ne sachant pas s’il n’en a pas eu).
13
Le message de la « double protection » (préservatif + pilule) prend tout son sens ici. Pourtant, dans la réalité il n’est
pas toujours facile pour les professionnels de la santé de promouvoir la double protection. On y reviendra à propos des
infections asymptomatiques comme les chlamydiae.
- 13 -
Le « risque » en matière de sexualité signifie, pour toutes les adolescentes rencontrées, « rapport
non protégé » (« c’est faire sans préservatif… je sais pas » (A8) ; « A risque ? Sans préservatif »
(A5)). Les relations sexuelles sans préservatifs sont donc perçues comme les situations les plus
risquées par toutes les adolescentes de notre échantillon, quel que soit leur âge.
Lorsque les adolescentes mentionnent « l’accident de préservatif », c’est toujours par comparaison
au « rapport non protégé » :
« Vous aviez le sentiment d’avoir pris un risque ? A la base non parce que je me suis protégée donc…
cela me fait moins culpabiliser que la fois où je ne me suis pas protégée. Alors que là je me dis que
c’est vraiment… voilà quoi. Je ne connais pas la raison pourquoi il a craqué mais… » (A3, 15 ans)
Elles passent alors d’une logique de la « faute » (culpabilité) à une logique du « risque» (danger
inhérent à l’utilisation du préservatif), dans lequel elles rangent « l’accident » du préservatif.
Si l’on suit la définition de l’accident donnée par PERETTI-WATEL (2001 :8), qui le conçoit comme
« un dégât sans causes », sans faute et sans coupable, mais qui exige une réparation et des
dommages, on peut se demander si ce n’est pas pour cette raison que les jeunes filles évoquent
plus facilement dans les entretiens avec les conseillères en planning familial ou les gynécologues
« l’accident de préservatif ». Il est, en effet, plus aisé de parler d’un dégât sans cause plutôt que
« d’avouer » une relation sexuelle non protégée, qui intègre la notion de « faute » et de
« culpabilité ».
La responsabilité appartient au monde des adultes
La responsabilité est une question centrale de notre problématique. Cette notion renvoie à la
question de l’autorité. Le sujet est responsable envers une autorité, reconnue comme légitime par
le sujet. Mais être responsable, c’est aussi avoir un « comportement calculable ».
Etymologiquement, responsable (respondere) est un terme de féodalité qui signifie « se porter
garant »14. Sous l’influence de l’anglais responsible, l’adjectif a pris également valeur
psychologique de « sérieux, réfléchi » (vers 1965), s’appliquant à un acte (1968, L’Observateur).
Ainsi, être responsable (= sérieux, réfléchi), c’est se porter garant envers quelqu’un (et envers soimême) de ses actes et de pouvoir assumer ses actes devant une autorité légitime (les parents, la
loi, etc.)15.
Le terme de « responsabilité » est apparu tout au long de nos entretiens et sur des questions très
diverses, chez les plus jeunes comme chez les plus âgées :
« Quel est pour vous le meilleur moment pour avoir un enfant ? (conditions/situations les plus
favorables). Quand t’es posée, t’as ton travail… (A3) // Ouais exactement… Il faut avoir sa vie
construite, quoi. (A4) // Que l’enfant vive dans des bonnes conditions, confortable avec de l’amour…
(A3) // …et puis être responsable (A4)…// Voilà. Tout ça (A3). Vous n’êtes pas responsable
aujourd’hui pour assumer ça ? Oh, non vraiment pas ! J’ai déjà de la peine à m’occuper de moi,
alors… m’occuper d’un enfant… (A3) // …oublie ! (A4) »
«(…) A part le fait que c’est peut-être une attitude un peu irresponsable… et que c’est pas bien ! et
que si on peut éviter ce genre de choses, c’est bien ! Mais… non pour moi, c’est justement quelque
chose d’irresponsable ! Surtout, qu’aujourd’hui on a tout ce qu’il faut pour éviter justement ce genre de
choses. (…). Mais, vous avez vraiment l’impression… on dit souvent que ce sont les adultes qui ont
ce discours-là ?. Non, non, non, non, non, non… c’est quand même pas bien ça, c’est inconscient, le
rapport non protégé ! » (A7)
« Mais la première fois… ouais on apprend quand même… il faut prendre ses responsabilités, quoi je
pense. Mais apprendre vraiment quelque chose… pas spécialement. (…) La première fois, je me suis
dit (comme c’était pas protégé) : « ben… bon maintenant, je me protège !» (A3)
Ces trois extraits mettent en évidence, les associations liées au rapport non protégé :
l’irresponsabilité, l’inconscience, voire irréversibilité (« avoir un enfant »). Assumer « d’avoir un
14
« Au 14 ème siècle, cet adjectif qualifie la personne qui doit rendre compte de ses actes et de ceux des personnes
dont elle a la garde, d’abord dans un cadre juridique, puis aussi en vertu de la morale admise. » (Dictionnaire historique
de la langue française, 1992 : 1785)
15
La responsabilité appartient au passé et au présent : « Alors que l’engagement porte sur l’avenir, la responsabilité
concerne le passé (et le présent dans la mesure où le présent passe et où l’acte en cours prend consistance de fait
accompli). S’engager c’est décider à l’avance de se faire responsable de ce que l’on aura fait . L’engagement est une
responsabilité au futur antérieur. La responsabilité actuelle porte sur ce qui a été fait. » (HENRIOT, 1983 : 1023)
- 14 -
enfant » est associé au monde des adultes (responsable, réfléchi) ; comme le dit l’adolescente A3,
il est déjà difficile à cet âge de s’assumer soi-même et donc d’être « responsable » alors assumer
un enfant… c’est impensable !
La responsabilité, le fait d’assumer ses actes se construit donc au fur et à mesure dans cette
étape de l’adolescence. Il fait en quelque sorte partie de l’apprentissage de la vie et de l’accès au
monde des adultes :
« La responsabilité, c’est que vous vous sentiez plus adulte ? Oui, oui. » (A6, 18 ans)
« Prendre ses responsabilités »
Prendre ses responsabilités, c’est alors assumer les conséquences de ses actes et c’est dans ce
cadre qu’apparaît en filigrane le partenaire :
« et puis vous avez appris quelque chose sur votre partenaire ? Le premier qui n’a pas voulu mettre
un préservatif, lui-même il a appris quelque chose ? Ouais… disons que je crois qu’il n’a même pas
été au courant que je suis venue là… je crois que ça c’était vraiment… Ouais bon, je l’ai revu mais
dans le sens c’était pas un copain connu avec qui j’étais depuis un an avec… » (A3, 15 ans)
« Le mien… cela m’a montré qu’il savait prendre ses responsabilités car les deux fois il m’a
accompagnée ici. Ouais… enfin… ça m’a… ça m’a trop touchée.» (A4, 16 ans)
« Vous connaissez les garçons quand ils ont un enfant, ils fuient, ils ne veulent pas prendre les
responsabilités. Y’en a pas beaucoup… mais… » (A8, 18 ans)
L’expérience de l’adolescente A3 illustre l’importance du statut de la relation dans la prise de
risque. Dans des situations de relations occasionnelles, les jeunes filles vont assumer seule les
« conséquences » d’un « accident », et venir au planning familial sans leur partenaire ou, comme
c’est souvent le cas pour les plus jeunes (14-16 ans), accompagnées d’une copine. Leurs
partenaires ne sont parfois même pas au courant de leurs inquiétudes ou démarches :
« Non… il sait que je suis venue… mais il peut pas comprendre… de toute façon… Il était tranquille…
je ne sais pas comment il était, je sais pas… (Les 2 jeunes filles paraphrasent le discours du copain)
(A2) // “Mais non… c’est bon… t’inquiète, il n’y aura rien…” ». (A1) // “Pourquoi t’es inquiète…pourquoi
t’es comme ça… ? ” // (A2) … “t’es bizarre quand même…” (le message (sms) qu’il t’as
envoyé… “ t’es bizarre… ”). » (A1, A2 ; 16 ans)
« Aller au planning »
Se rendre dans un centre de planning familial, est très généralement un acte valorisé. Il fait partie
des étapes de l’apprentissage et du passage vers une « maturité sexuelle » :
« Ben…moi j’ai pensé tout de suite aller au planning familial, c’est ça qui m’a… - Vous ne me dites
pas cela parce que j’y travaille ? - Non, non… j’y ai pensé tout de suite… en plus j’allais là-bas… et ils
me connaissent… il vont me dire “ah re-bienvenue ”… ah… de retour ? Non… non j’ai pensé aussi
aux grossesses et tout… et j’ai pensé à lui, parce que lui il a quelques problèmes financiers et j’ai
pensé à lui. Pas lui faire un enfant derrière le dos quand même. Comme on dit. » (A8, 18 ans)
Aller au planning est une étape qui est constitutive pour ces adolescentes. C’est aussi peut-être
pour cela que les très jeunes adolescentes viennent parfois accompagnées de leurs copines (A1A4), afin de se sentir soutenues dans leur démarche. En effet, il faut du courage pour « ouvrir la
porte d’un planning », comme en témoigne cette professionnelle :
« Moi je suis sûre qu’il y a un apprentissage pour la plupart d’entre elles. C’est pas pour rien. Déjà le
fait de venir jusqu’ici. D’oser monter, de sonner, de demander. Elles viennent pas en fanfaronnes (au
planning), là. Je trouve. Je les trouve intimidées quand on leur dit : “Vous venez pour quelle raison ?
…pour que je sache avec qui vous mettre un rdv… ”. Elles disent : “…Ben… euh… ce serait pour la
pilule… ”, “ La pilule d’urgence ?” “ Ouais… ”. Déjà, cet apprentissage-là, je trouve énorme ! (…) Je
pense que tout le monde ne fait pas les mêmes pas. Si c’est de revenir pour en parler. Je pense que
la fois ultérieure était déjà un apprentissage, mais pas suffisant. » (PCF2)
- 15 -
5.3. Rôle des partenaires
Les partenaires sont présents lorsque les adolescentes parlent « d’assumer les conséquences de
l’acte ». Des différences existent - là aussi - en fonction de leur âge :
« Et votre partenaire, vous allez garder cela pour vous… vous n’allez pas partager avec lui ? Non, je
lui dirai que je ne suis pas enceinte… et puis voilà (A1). Vous ne lui direz pas que vous avez été
inquiète … ? C’est pas que je veux pas l’embêter… mais cela ne va rien changer (A1). // Il s’en fout. Il
s’en fout (A2). // Je ne pense pas que cela changera grand chose, quoi (A1). Il va se dire… : “je te
l’avais dit !” (A2). Dans votre relation avec lui, vous n’avez pas l’impression que cela va changer
quelque chose avec lui ? Mmh…Non. (A1) » (A1, A2)
« Comment cela s’est passé ?- Accident de préservatif (il était troué)… Enfin il l’a mis et il a vu que
c’était troué… mais bon, il a vu mais il ne me l’a pas dit tout de suite non plus. Ensuite… Ben, en fait il
me l’a dit le lendemain et il est venu avec moi au planning. Ah, il est venu avec vous ? Oui, il est venu
avec moi… Il avait intérêt car autrement je l’aurais… engueulé. Déjà que j’étais vexée parce qu’il ne
me l’avait pas dit tout de suite déjà… Ce genre de choses cela se dit tout de suite… donc, euh…»
(A6, 18 ans)
C’est donc lorsqu’il « accompagne» sa copine au centre de planning familial, à la pharmacie ou
chez le médecin, que le partenaire est largement valorisé. Son mouvement indique qu’il
« assume » avec elle la situation. D’autres exemples nous font dire qu’il est aujourd’hui
indispensable d’intégrer dans l’entretien ces garçons qui accompagnent leurs copines et restent
parfois à lire des journaux dans la salle d’attente. L’exemple suivant inciterait à les inviter à
poursuivre leur mouvement vers une participation systématique à l’entretien ou, du moins, à un
moment de l’entretien :
« Le mien… cela m’a montré qu’il savait prendre ses responsabilités car les deux fois il m’a
accompagnée ici. Ouais… enfin… ça m’a… ça m’a trop touchée (A4). // C’est choux… (A3) (rires). »
(A3, A4)
C’est également un signe de confiance, voire le signe que la relation est maintenant stabilisée16.
En tous les cas, la question du partenaire est centrale dans la gestion de la prise de risque, au
même titre que les situations dans lesquelles les relations sexuelles se sont déroulées.
« On joue à l’adulte, mais on ne l’est pas encore ! »
A la question posée à une jeune adolescente « et vous, vous attendez quoi des garçons, en
général ? », la réponse est « je ne sais pas » (A1, 16 ans). Il est en effet difficile d’imaginer à cet
âge ce que signifie une relation amoureuse. Comme il est impossible de se projeter dans l’avenir.
Ainsi, la relation avec un garçon ne devient réalité que lorsqu’elle dure dans le temps. Lorsqu’elle
est visible par le groupe de pairs et qu’elle intègre des sentiments, que l’on ne sait pas toujours
bien définir :
(…) « Ouais c’est mon copain, quoi (relation depuis 1 mois). C’est mon copain. Certaines copines
savent que c’est mon copain. C’est censé être comme cela, quoi. (…) En fait, c’est caché mais j’en ai
parlé hier, parce que j’en avais marre…et donc on en a parlé hier…et j’espère que cela va changer.
(…) Je l’aime bien. Je ne suis pas amoureuse, car cela fait un mois seulement. Ouais j’ai de
sentiments pour lui. » (A3)
De même la « première relation sexuelle » influence la gestion de la vie sexuelle future. Comme
« trace » ou « marque » dans le vécu et dans le corps de l’adolescent, l’âge et les circonstances
de cette « première fois » ont certainement un rôle sur les comportements préventifs futurs.
Comme nous le rappelait un professionnel (PM5), toutes les études sur les comportements
sexuels des adolescents le démontrent (BAJOS, 2004 ; SMASH-résumé) : les relations sexuelles
précoces17 peuvent avoir une influence sur la prise de risque « sexuel »18. De la même manière,
16
Comme nous l’ont confirmé les conseillers en planning, ce sont surtout les jeunes filles d’âge mûr (18-20 ans) qui
viennent accompagnées de leur copain ou partenaire.
17
Dans notre échantillon, la majorité jeunes filles (6 sur les 8) ont commencé leur vie sexuelle à 14 ans, ce qui, selon les
études sur les comportements sexuels des adolescents (SMASH), est relativement tôt, puisqu’en Suisse la moyenne
d’âge du premier rapport sexuel est de 17 ans.
18
Les auteurs de l’étude SMASH s’inquiètent, à juste titre, des pourcentages élevés d’utilisation de moyens
contraceptifs « douteux » chez les jeunes adolescents comme le retrait ou le calcul de la période féconde (plus de 10%
chez les 14-16 ans !) ou encore l’absence de moyen lors du dernier rapport (près de 2%) (SMASH-résumé, 2002 : 10).
- 16 -
les violences subies (abus sexuel, maltraitance) peuvent altérer « l’estime de soi » et engendrer un
comportement d’auto-dépréciation se réalisant dans des conduites sexuelles à risque. Celles-ci
s’assimileraient davantage à des « conduites de détresse et d’appel » qu’à des « conduites d’essai
liées au simple fait de grandir et d’expérimenter le monde » (MOUNIR, 2001 : 115). En outre,
celles qui ont une puberté très avancée « ont tendance à s’engager plus tôt dans la vie sexuelle »
(PM5) et donc à se trouver plus facilement dans des situations plus « risquées ».
L’âge, on l’aura compris, est déterminant dans la gestion de ces situations ayant des
conséquences directes sur l’avenir de la personne (grossesse, IST) : gérer un risque sexuel et en
assumer les conséquences futures, cela implique l’acquisition d’un mode de pensée, voire d’une
capacité d’analyse :
« J’ai pas le sentiment de relations harmonieuses ou que c’est un « plus » dans leur vie. Ce sont des
essais comme des pétarades, un feu de paille dans un moment de leur vie. Comme une cocotte
minute qui déborde et le feu en dessous est de nouveau un peu plus bas. Et après cela se construit.
(…) Beaucoup le font, mais elles ne savent pas… découvrir l’orgasme… quand je tâte le terrain quand
elles évoquent que ça va trop vite… et que je leur demande si elles ont exploré leur corps. Je suis
étonnée, mais elles ne parlent pas de masturbation… Une grande pudeur étonnamment… » (PCF2)
C’est ici une belle démonstration des autres fonctions de la sexualité, qui sont très présentes à cet
âge-là. La fonction de socialisation, déjà citée, par exemple. « Il faut le faire » par imitation et pour
une forme de reconnaissance du groupe des « pairs ».
5.4. Les copines : des soutiens aux relais ?
L’acquisition d’une reconnaissance par « les pairs » est bien souvent recherchée - même
inconsciemment - dans l’expérience des premières relations sexuelles. A un moment où les autres
repères (famille, école) fonctionnent moins comme pôle de référence à leurs yeux, les copines
pour les filles et les copains pour les garçons prennent le relais.
C’est bien aux copines que les filles racontent les bonheurs et malheurs de leur vie amoureuse,
intime ou sexuelle :
« A qui d’autres parlez-vous de ces thèmes-là (sexualité, plaisir, etc.) ? A des copines. Des copines
proches. Deux en particuliers. Mais pas à ma mère, quoi (soupir). Ce qui est un peu normal…
Ouais… je veux dire c’est dommage parce que je devrais lui parler de cela, qu’elle me donne des
conseils… mais bon, j’arrive pas à lui demander… » (A8, 18 ans)
« A qui avez-vous parlé de votre inquiétude (d’être enceinte) ? A ma copine. Et à part elle ?
Personne. » (A1, 16 ans)
L’adolescente qui a « un problème » devient un alors un véritable « pôle d’attraction » pour les
copines. Elles les accompagnent alors au planning familial pour la soutenir, mais aussi pour
« apprendre quelque chose » par la même occasion : sur la situation vécue (attente du résultat du
test de grossesse, prise de la pilule d’urgence et parfois aussi demande d’IG), ou concernant des
informations pratiques. Une de ces « copines » (qui n’avait pas encore eu d’expériences
sexuelles) m’a simplement dit : « moi j’apprends plein de trucs… par exemple, je ne savais pas
que l’on pouvait aller chez la gynécologue sans avoir de relations sexuelles… juste pour un
contrôle » (A2)19.
5.5. « Sens du risque de grossesse »
On l’a vu, la capacité d’anticipation nécessaire à l’évaluation d’une situation - en l’occurrence
l’évitement d’une grossesse - « demande qu’il y ait une représentation d’une situation non vécue,
ce qui nécessite l’accession au raisonnement hypothético-déductif, qui permet en principe de
générer des hypothèses et alternatives, la mise en perspective, l’évaluation du risque » PAWLAK
(1998, 16). Ceci s’est largement confirmé dans nos entretiens, et plus particulièrement chez les
plus jeunes ou dans des situations scolaires ou familiales plus vulnérables :
«Pour vous cela signifie quoi le « risque de tomber enceinte ? (Silence…Rires) Vous arrivez à vous
projeter ? Non…J’arrive pas trop…j’arrive pas à me rendre compte en fait. » (A1)
La représentation du risque de grossesse (qui signifie ici la grossesse elle-même !) est impossible.
L’hypothèse selon laquelle « faire l’amour sans préservatif » peut avoir pour conséquence « une
19
Nous reprendrons la question des adolescentes relais lorsque l’on abordera l’esquisse d’un projet d’intervention
(chapitre 7).
- 17 -
grossesse » est peu, ou pas, intégrée comme une éventualité possible. La fertilité n’est pas non
plus prise en compte20.
Chez les plus âgées, et plus particulièrement issue de filières gymnasiales, on observe l’inverse
lorsqu’on les plonge dans l’éventualité d’une grossesse :
«Horrible. Non, pas maintenant. Non, parce qu’il faut que je finisse mes études. Quand on veut avoir
un enfant, il faut avoir une situation… il faut pouvoir subvenir à ses besoins, il faut pouvoir s’en
occuper… c’est quand même une énorme responsabilité… surtout que j’ai des frères et sœurs en bas
âge, je sais ce que c’est que d’élever des enfants. Donc… il faut pouvoir, hein. C’est pas : “je veux un
bébé…c’est choux, nanana ”. Il faut pouvoir assumer derrière ! Donc… euh. Moi, le jour où j’aurai des
enfants, c’est le jour où je pourrai les assumer ! Je pourrai me dire oui, je veux un enfant et je peux
assumer derrière, sinon cela ne sert à rien ! » (A7, 18 ans)
« Ben… à mon âge (rires) ? C’est fort embêtant (rires)… Non ouais… déjà par rapport aux parents…
et puis aussi je suis jeune, j’ai pas envie de… j’ai encore plein d’années devant moi rires)… j’ai pas
envie de gâcher ma jeunesse. (…) Parce que je pense que pour s’occuper d’un enfant, il faut être
prête et vraiment bien dans sa tête… et pas se dire : “oh, tiens je vais faire un bébé comme cela, ça
ira mieux…” » (A6, 18 ans)
Ces adolescentes plus âgées semblent donc plus capables d’argumenter sur les inconvénients et
conséquences d’une grossesse non prévue21, lorsqu’on les met face à la réalité. Mais
l’adolescente (A5, 14 ans) qui, notons le, souhaite avoir un enfant rapidement, va dans la même
direction lorsqu’on la questionne sur les conditions idéales pour accueillir un enfant :
« Par rapport à cette expérience-là (rapport non protégé), qu’avez-vous appris (sur vous-même) ?
Euh… cela m’a fait posé des questions quand même. Ce que je ferais si j’aurais été enceinte. (…)
Moi, déjà je voudrais le garder. Mais après… je suis jeune. Je gâcherais quand même ma vie d’un
côté. Les conditions dont vous me parliez tout à l’heure ? Je ne les ai pas (rires). Vous pourriez les
avoir ces conditions ? Plus tard. (…) Mmh… Et quand même pour avoir un enfant, il y a quand même
plein de choses qu’il faut…» (A5, 14 ans)
5.6. Le risque du sida plus présent que le risque d’une grossesse non prévue ?
L’apparition du sida a en quelque sorte remplacé la peur d’une grossesse non planifiée par la peur
d’une maladie - le sida - pouvant donner la mort :
«Avant on disait : “ne fais pas l’amour, tu risques de tomber enceinte”. Aujourd’hui on dit : “ne fait pas
l’amour ; tu risques d’attraper une maladie comme le sida”. Le modèle est le même, c’est l’épouvantail
qui a changé ! » (PASINI, 1993 : 38)
Notre hypothèse de départ qui tendait à valoriser le risque grossesse par rapport au risque des
IST (dont le VIH-Sida), n’est pas confirmée par nos entretiens. En effet, six adolescentes sur huit
estiment que « le risque de maladie » est plus important que le « risque de grossesse ». Cette
affirmation est pourtant nuancée dans leurs propos par le caractère « irréversible » (idée de mort)
du sida par exemple (A6) et par le fait qu’une grossesse est réversible si on s’y prend à temps (IG,
CPC) ou alors, pour les plus « ambivalentes » face à une éventuelle grossesse, par le fait
que l’enfant est vu comme « un cadeau du ciel »22 (A7). Elles peuvent simplement affirmer que
« la grossesse, ce n’est pas un risque !» (A4).
Ainsi, il convient d’admettre que les programmes de prévention en matière de santé sexuelle et
reproductive doivent intégrer les deux notions : IST et grossesses non désirées. Pourtant, notre
analyse tend à démontrer que le risque lui-même (IST ou grossesse) n’est pas pris en compte sur
le moment présent, en tout cas chez les adolescents de moins de 18 ans. Le travail actuel fait par
les centres de planning familial, les services d’éducation à la santé sexuelle, les médecins
20
Un « sentiment d’infertilité » ( FERRAND 2002 : 259) s’est également retrouvé dans nos analyses. Puisqu’en dépit
d’une connaissance « théorique » du risque de grossesse, les adolescentes n’ont pas forcément conscience de leur
fertilité ; elles sont amenées à ne pas se protéger en considérant que la survenue d’une grossesse non prévues cela ne
peut leur arriver ou que cela n’arrive qu’aux autres (effet d’un hasard) (PAWLAK, 1998).
21
Notons que lors des entretiens, ce sont aussi les mêmes adolescentes qui martelaient haut et fort que les relations
non protégées, c’est de l’inconscience… tout en ayant elles-mêmes pris des risques (A7). Ce type de raisonnement
« contradictoire » nous rappelle que la période de l’adolescence est mue par des actions/comportements à chaque fois
redéfinis et qu’ils font partie d’un processus continu d’interprétation.
22
Il est intéressant de noter que cette jeune fille est de culture africaine. L’enfant est, en effet, pour la culture africaine
perçu comme un véritable « don de dieu » et porteur de filiations passées ou présentes très fortes.
- 18 -
gynécologues, les services médicaux pour adolescents, etc. doit donc se poursuivre, mais sans
oublier qu’une action mue par l’émotion (action « pulsionnelle » et sexuelle) est plus forte qu’une
analyse « rationnelle » de la situation, même pour un adulte doté de « raison ».
5.7. Quelle gestion du risque sexuel ?
En synthèse, les adolescentes rencontrées donnent sens à leurs conduites sexuelles par
apprentissages successifs, par étapes et par appropriation des différentes situations vécues. Pour
elles, il n’y a donc pas de contradiction entre leur logique propre, souvent inconsciente, face au
risque sexuel vécu (« on ne s’en rend pas compte») et une logique plus rationnelle («on avait pas
de préservatif »). La logique propre prend toujours le dessus puisque les adolescentes ont toutes
dit : « on y pense après coup ! ». Ainsi, « les connaissances rationnelles » et les « acquisitions
cognitives » antérieures sont bel et bien remises en question par l’émergence pulsionnelle et la
sexualisation de la pensée, propre à cette période de l’adolescence.
On associe volontiers dans le langage courant l’idée d’une grossesse non prévue à un accident.
Les femmes expriment par là « une fatalité à laquelle on semble ne pas pouvoir se détacher alors
que, par ailleurs, au nom de la liberté individuelle, on prétend avoir, ou on réclame, la maîtrise sur
tout, y compris la venue des enfants » (AVON, 2004 : 68). Pourtant, cet « accident », comme
l’oubli de la pilule (le fameux « lapsus contraceptif »), a toujours une signification. C’est son sens
qu’interrogent les professionnels de la santé au contact des situations d’ambivalence face à une
grossesse.
L’ « accident de préservatif » est emblématique à ce titre, car il est interprété comme un « danger
aléatoire sans causes apparentes », sans « faute » et donc susceptible de survenir à tout moment.
Interroger cet « accident de parcours » a mis en évidence son caractère « non culpabilisant » et
devenant par là structurant pour l’adolescent dans un processus d’apprentissage. Le rapport non
protégé (risque majeur) est - quant à lui - interprété et réinterprété pour lui donner sens dans une
logique propre et individuelle, sans forcément y voir sur le moment des conséquences plausibles
(l’engendrement).
Le « risque sexuel » ne prend sens pour les adolescentes qu’en fonction d’un processus
d’interprétation continuel qui s’étale dans le temps et passe par différentes étapes - dont l’accès à
la contraception fait partie : on ajoute « quelque chose de plus », la pilule au préservatif par
exemple, et le passage à une certaine forme de « responsabilité » est ainsi acquise pour les
adolescentes. Les expériences sexuelles suivantes leur permettront en outre d’acquérir petit à
petit la faculté de parler de leurs besoins (sexuels ou non sexuels), d’avoir une meilleure estime
d’elles-mêmes et de privilégier la qualité dans la relation affective et sexuelle.
6. Le sens des « prises de risque sexuel » chez quelques
professionnels de la santé : quelques repères
Du côté des professionnels de la santé, notre ambition était de les interroger, d’une part, sur le
« sens du risque de grossesse » des adolescents qu’ils rencontrent dans le cadre de leur
profession et, d’autre part, sur la manière dont ce risque est intégré dans leurs pratiques
professionnelles et, en particulier, dans les entretiens et les dossiers. Nous en retirerons quelques
points de repère essentiels, sans entrer dans le détail, mais toujours en relation étroite avec les
résultats de l’analyse précédente.
6.1. « Prise de risque » … plutôt « conduite d’essai »
Les professionnels rencontrés nous ont tous rendue attentive au fait que la notion de « prise de
risque » appartient au monde des adultes :
« Chez les adolescents, le risque ne prend pas autant d’importance que pour nous adultes. Le risque,
on peut en parler quand on sait de quoi on parle ! » (PCF1)
- 19 -
La notion de risque est largement construite par les adultes. Ce sont donc les gouvernements et pour ce qui nous occupe ici - les politiques de prévention en santé publique23 qui se sont attribués
ce terme afin de mieux « gérer » les risques de santé et ainsi mieux planifier les programmes de
santé publique.
Les professionnels de terrain rencontrés semblent mal à l’aise, à juste titre, face à cette notion de
risque. Ils n’utilisent pas ce terme dans leurs entretiens. Ils préfèrent employer le terme plus
« positif » de « conduites d’essai », en particulier pour la période de l’adolescence. Comme le
précise une conseillère en planning familial (PCF4), « ce sont les professionnels qui définissent le
risque, qui peuvent en voir les conséquences, et non les adolescents ! ».
L’accord entre professionnels et adolescents qui s’établit ici tend à valoriser le travail
particulièrement adapté des conseillers en planning familial. Preuve en est l’analyse très claire
qu’ils en font et l’intégration de typologies théoriques liées à ces conduites, à l’exemple de celle
que nous avons citée : conduites d’essai (expérimenter le monde) ; conduites temporaires ou
« calculées » et maîtrisées (rébellion en identification à un groupe de pairs) ; conduites d’alerte ou
de détresse (MOUNIR, 2001 :10). Ces dernières conduites sont précisément identifiées comme
celles qui sont les « plus à risques ». Elles sont le fait d’adolescentes dans des situations
individuelles, sociales, familiales et/ou scolaires plus fragilisées. Les professionnels y prêtent alors
plus d’attention, sans toutefois les stigmatiser, comme nous allons le voir dans les « prises en
charges » qui leur sont proposées.
6.2. Sens du risque de grossesse
Le sens du risque de grossesse est « variablement assumé » (PCF1) par les adolescentes. Il
dépend de son âge, de son « itinéraire sexuel et contraceptif » et de sa faculté à parler de ses
besoins ou de ses souhaits avec son partenaire. La part « inconsciente », comme celle de
l’émotion vécue sur le moment, est mise en avant comme un élément explicatif de l’apprentissage
de la gestion de leurs expériences sexuelles, et donc des conséquences du risque éventuel de
grossesse :
« On est là pour révéler… mais dans un premier temps, ils sont tellement dans la relation, le moment
fort du moment, qu’ils ne vont pas rationaliser, réfléchir à tout ça, anticiper et se protéger ! Je trouve
cela assez sain : se laisser aller dans ces moments forts. Mais les adultes, on n’aime pas ça. (…) Il y
a une certaine conscience, puisqu’elles viennent ici. Elles veulent réparer. La CPC ou IG par ex., c’est
réversible ! Les personnes qui n’ont pas conscience ne vont pas venir faire cette démarche ! » (PCF4)
Des différences sont par ailleurs relevées entre les jeunes hommes - davantage tournés vers une
sexualité plus exploratoire - et les jeunes filles - qui auraient la « fonction procréative » inscrite
dans leur corps (MP5 ; PCF3).
Il importe de noter ici une conséquence méthodologique importante. Contrairement à l’analyse du
chapitre 5, pour les professionnels rencontrés, le « risque de grossesse » chez les adolescentes
est apparu plus prégnant que le risque d’une infection sexuellement transmissible (IST) . Ceci est
largement renforcé par le fait que quatre des cinq professionnels rencontrent des jeunes filles dans
le cadre d’un centre de planning familial dont le risque d’une grossesse non prévue est un des
motifs les plus fréquents. En ce qui concerne le risque du sida, il n’apparaît pas spontanément
dans les entretiens des professionnels avec les adolescentes. C’est le plus souvent les
conseillères et/ou les médecins qui amènent l’idée du risque lié aux IST et au sida. Ils en profitent
alors pour re-parler de l’utilisation et/ou de la négociation du préservatif.
6.3. Diagnostic du risque et analyse de la situation
La pratique de l’entretien psychosocial, tel que proposé dans un centre de planning familial,
permet d’aborder la situation vécue et donc du « risque pris ». Tous les professionnels sont
d’accord pour dire que ce n’est pas un « diagnostic du risque », mais plutôt une analyse de la
situation. Le « zoom arrière » (PCF3) qui est fait avec l’adolescente lors de l’entretien de conseil
permet de replacer cet événement dans le contexte global de vie : itinéraire sexuel, contraceptif,
relationnel, familial, etc. «Venir au planning familial, c’est déjà avoir établi un diagnostic » (PCF4).
Cela corrobore la dimension d’apprentissage établie par les adolescentes elles-mêmes. Elles
23
Ajoutons que ceux-ci mettent davantage l’accent sur les « responsabilités individuelles » (la promotion de la santé,
l’empowerment) que sur le développement de services de santé appropriés (GIAMI, 2004, 11).
- 20 -
viennent chez le médecin, au centre de planning familial, avec la volonté de gérer ce risque pris,
« après coup » :
« Sur le moment, elles y pensent ? Pas toutes ; elles viennent en disant « ah, on a fait une bêtise !“ »
(PCF4)
L’analyse de la situation s’inscrit concrètement dans le dossier par les différentes questions
abordées sur l’itinéraire de la personne et ses expériences sexuelles passées. C’est parfois quand
il y a effectivement un résultat positif de grossesse qu’apparaît, pour certaines, la notion de risque
pris (CPF1). Le travail du conseiller sera alors de « renforcer les ressources de la jeune fille » et
de la guider pour qu’elle prenne mieux soin d’elle-même. Cet entretien de conseil n’est pas
thérapeutique - au sens psychanalytique du terme - mais il doit avoir « un effet thérapeutique »
(PCF2) sur les personnes, par la mise en évidence du « sens » de la situation vécue ou des
répétitions de situations vécues.
6.4. Pronostic sur la situation, prise en charge future et apprentissage
Le « prétexte » de la prescription d’une contraception est souvent l’occasion pour les médecins
gynécologues et/ou conseillers en planning familial de « revoir la jeune fille » en lui proposant un
rendez-vous afin de « revoir les modalités de la prise de la pilule » et/ou les effets éventuellement
secondaires qu’elle aurait ressentis. C’est l’occasion de rencontrer une nouvelle fois les jeunes
filles « plus vulnérables » ou celles qui se mettent dans des situations à risque. Certains
professionnels n’hésitent d’ailleurs pas à reprendre contact avec elles, afin de leur rappeler ce lien
qui s’était établi : « sans faire de prosélytisme, (…) on leur rappelle que la porte est ouverte »
(PCF2).
L’apprentissage se fait donc bien par le passage vers une contraception plus efficace. Cette
« norme contraceptive » est en grande partie médicalement construite :
« De fait, cette normalité contraceptive ne laisse guère de place à l’expression d’une ambivalence
face au désir d’enfant (et encore moins au désir de grossesse). Au hasard succède la planification.
Dans cette perspective, les femmes qui n’utilisent pas de contraception, alors même qu’elles ne
désirent pas être enceintes, sont considérées comme “déviantes“ par rapport au modèle dominant,
ainsi d’ailleurs dans une moindre mesure, que celles qui ont opté pour une contraception non
médicale, présentée comme archaïque et dépassée. (…) Il y a un bon âge pour être mère - ni trop tôt
ni trop tard - comme il y a un bon âge pour débuter sa vie sexuelle. » (BAJOS, FERRAND, 2001: 35)
Comme le disait clairement, on l’a vu, une adolescente, chaque méthode contraceptive est ainsi
associée, dans un modèle comportemental idéal, à une phase de l’itinéraire sexuel : « l’utilisation
de la pilule paraît adéquate pour les femmes vivant en couple stable tandis que l’utilisation du
préservatif signe la relation naissante ou incertaine, celle où le temps n’est pas à la constitution
d’une famille mais à la protection des partenaires » (BAJOS, FERRAND, 2001: 36).
Plusieurs professionnels rencontrés nous ont rendue attentive à leur malaise face au message de
« la double protection » (pilule + préservatif) qui se complique davantage encore avec les
messages préventifs liés aux infections asymptomatiques, telles que les chlamydiae par exemple :
« On parle de ce choix…puis en même temps on dit : “il faut mettre toujours le préservatif “… on est
un peu en contradiction avec ce message. Quand la jeune fille passe à la pilule et qu’elle peut
abandonner le préservatif… je trouve difficile de lui dire : “c’est bien mais il faut pas passer à la pilule,
il faut ajouter la pilule.” J’ai l’impression qu’on les trompe à quelque part ! » (PCF4)
Ce malaise se comprend. L’apprentissage par étape (vers une « maturité contraceptive ») ne peut
se faire sans une forme d’expérimentation ou d’« essais» qui intègre - dans le meilleur des cas - le
préservatif qui, lui, est associé aux relations instables et non durables !
La clé de ce problème est peut-être à trouver dans le redoublement d’efforts de la part des
professionnels de la santé, pour rendre les adolescentes et adolescents « acteurs et actrices de
leur vie sexuelle » par l’apprentissage de l’affirmation de soi - par exemple dans la négociation de
l’utilisation du préservatif - et par l’accompagnement vers une compréhension du « sens » caché
de certaines pratiques inefficaces (par ex. le retrait) ou inconscientes (par ex. l’oubli de pilule). En
ce sens les centres de planning familial jouent un rôle central, comme « point de repaire » ou point
d’ancrage pour les adolescents.
- 21 -
7. Esquisse d’un projet d’intervention
7.1. Parler sexualité : favoriser les comportements préventifs
Les auteurs de différentes enquêtes en France sur le comportement sexuel ont mis en évidence le
fait que « l’aptitude de parler de sexualité semble être un facteur important pour expliquer les
comportements préventifs » (BAJOS, 1998, 35-61). La communication verbale sur la sexualité
semble en effet avoir été faiblement affectée durant les dix années de prévention sida (en France).
Les échanges verbaux à propos du risque de contamination semblent toujours poser problème à
certains individus. On préférerait les stratégies non-verbales telles que : l’abstinence, le report du
premier rapport sexuel, la sélection des partenaires ou la fidélité réciproque. Ces études ont
démontré par exemple que les jeunes évitent les échanges verbaux liés à la sexualité et au sida
avec les partenaires occasionnels.
Pourtant, tout le travail élaboré par l’éducation sexuelle et/ou les centres de planning familial en
Suisse intègre totalement cette dimension de « communication verbale » ou « parole sur la
sexualité ». La question de l’âge, voire de la maturité de l’adolescent, est par ailleurs importante,
comme on l’a vu, notamment en lien avec l’utilisation du préservatif :
« Vous ne vous sentez pas de jouer avec (le préservatif)… jeu de séduction, connaître l’homme…
elles rigolent… elles sont gênées… et parfois je ne dis même pas cela, car je trouve qu’elles sont trop
jeunes. Et je leur dit : “Vous vous sentez vraiment prêtes ? Franchement ?“ Elles disent : “Ouais…faut
le faire…” » (PCF2)
Le sida, par la généralisation de l’utilisation du préservatif auprès des adolescents, a redonné aux
hommes le levier de commande pour ce qui est des conséquences du comportement sexuel
(GIAMMI, SPENCER, 2004, 382). Pourtant, le préservatif a pour fonction de préserver l’homme et
la femme, il n’est pas une contraception exclusivement masculine. Son utilisation, comme son
efficacité, dépend du consentement des deux partenaires, alors même que « les limites de
l’efficacité préventive du préservatif ont été attribuées aux difficultés de la négociation dont il est
l’objet » (GIAMMI, SPENCER, 2004 : 382). Les femmes et les adolescentes doivent donc
apprendre à « imposer » le préservatif ou du moins à « négocier » son utilisation !
De manière plus générale, les professionnels, comme les adultes en général, auraient avantage à
adapter leur discours préventif, comme le propose cet auteur :
« (Nous adultes) Nous disons “ne prenez pas de risques lorsque vous faites l’amour”, nous ne disons
pas : “prenez le temps avant de décider de faire l’amour, c’est un acte qui n’est pas obligatoire, ni
nécessaire, il émane d’un libre choix, il met en relation deux personnes, il est donc nécessaire qu’il
soit basé sur le respect, la patience et la maturation”. » (AVON, 2004 :132)
7.2. Alors… que faire ?
Au terme de cette brève enquête, deux pistes seraient à explorer comme projet d’intervention,
dans un service de planning familial en partenariat avec l’éducation sexuelle, en lien avec le travail
dans les écoles post-obligatoires (écoles professionnelles, collèges, gymnases, etc.).
L’accompagnement du partenaire à l’entretien de conseil
Comme relevé dans notre analyse, les partenaires/copains concernés par la situation vécue et qui
accompagnent leur copine au centre de planning familial - devraient être systématiquement
présent à un moment de l’entretien avec le conseiller en planning familial. Le « mouvement » qu’ils
ont fait pour franchir la porte, puis qui s’arrête à la salle d’attente, devrait se poursuivre par le
franchissement du bureau du conseiller en planning familial. Plusieurs conseillères (femmes) m’ont
affirmé que c’est ce qu’elles font et que, ce sont les jeunes filles elles-mêmes qui ne souhaitent
pas leur participation à l’entretien :
« Il y en a (des garçons) qui ne se sentent pas concernés et prennent pas leur place dans cette prise
de risque… de manière un peu égocentrique. Dans certain cas, c’est souvent les jeunes filles qui les
écartent. Elles se disent : “mais cela me concerne moi…c’est dans mon corps…tant que c’est pas
important, c’est moi qui gère les conséquences de cette prise de risque…si cela devient plus
important, je lui en parlerai…ou l’intégrerai”. » (PCF3)
- 22 -
Pourtant, lorsqu’ils sont là et que le conseiller en planning familial (homme ici) les invite « de fait »
à participer à l’entretien, il est rare qu’ils refusent :
«Moi je ne demande jamais : est-ce que vous venez ? Je pars du principe que du moment qu’ils sont
venus tous les deux…je les prends tous les deux dans mon bureau pour l’entretien. Je leur dit :
“bonjour…je me présente…c’est moi qui vais vous recevoir…donc veuillez me suivre…”. Mais c’est
elle qui dit : “non… toi tu restes-là”. Alors, c’est moi qui dit : “mais venez… vous êtes là tous les deux”.
Ils sont là, ils sont tous les deux acteurs à la consultation ! Si je dis : “est-ce que vous venez aussi… ”,
c’est ce que disent mes collègues femmes. Mais moi, en tant qu’homme, je pars du principe qu’ils
sont acteurs. Donc ils viennent consulter aussi : ils font partie de la consultation ! Si on veut qu’il y ait
une prévention en SSR qui prennent en compte la responsabilité masculine dans ce domaine, on est
obligé de les considérer comme acteur de la santé sexuelle et non pas seulement comme
accompagnant secondaire de la femme qui, elle, est l’actrice ! » (PCF4)
C’est donc cette piste que j’aimerais explorer au sein d’un centre de planning familial à Lausanne
avec l’équipe des conseillères en planning familial (et les médecins). Il s’agit en quelque sorte de
ne pas exclure le jeune homme / l’homme par « inadvertance », mais de lui permettre de passer
du statut de « tiers symbolique » à un statut de « tiers réel », de devenir « acteur de la situation ».
Dans le contenu de l’entretien, à deux et/ou seul, il conviendrait d’établir quelques « bonnes
questions » à aborder, telle que « l’utilisation du préservatif », les « résistances », les difficultés
pratiques qu’ils rencontrent lors de leurs relations sexuelles ou autres. Car il convient de rappeler,
à propos du préservatif, que son caractère « contraceptif » est aujourd’hui largement occulté par
l’évitement du risque VIH24. Le préservatif est peu utilisé consciemment comme « protection face
au risque de grossesse ». Lorsque le risque d’une infection VIH semble ne pas être couru, c’est
alors la pratique du retrait ou « coït interrompu » qui est encore, malgré son inefficacité reconnue,
en usage comme « moyen de protection » chez les adolescents (FERRAND, 2000 : 259). Ainsi, la
« négociation du préservatif », avec toutes les croyances et résistances qui l’accompagnent, reste
fondamentale pour changer les comportements des jeunes filles et des jeunes hommes, et pour
renforcer la responsabilité partagée dans la gestion du « risque d’une grossesse non planifiée ».
Certains moyens sont déjà en place, comme les entretiens de conseil en planning familial (écoute,
parole, explication sur l’utilisation du préservatif ou autre contraception, etc.) mais il faut imaginer
d’autres outils liés aux méthodes de négociation et à l’entretien motivationnel pour renforcer les
ressources des personnes à l’utilisation d’une méthode contraceptive adéquate.
Les copines : rôle de relais, un projet ?
Nous avons été frappée par le rôle essentiel que jouent les « copines » proches des adolescentes,
celles à qui elles se confient. L’idée d’explorer la piste de sensibiliser certaines adolescentes à la
santé sexuelle, afin qu’elles jouent ce rôle de « relais » d’information, de conseils et
d’accompagnement auprès de leurs « pairs » serait une seconde piste à explorer. D’autant plus
que, comme on l’a remarqué, certaines adolescentes, plus âgées certes, fonctionnent déjà comme
de véritables « leaders d’information » en la matière, à l’exemple de celle-ci25 :
« Surtout que maintenant, c’est pas comme si on était en 1920, on a tout ce qu’il faut : on a de la
prévention, on a des centres où on peut se documenter, euh… et puis voilà on peut venir en parler à
des personnes qui, à la limite, qui nous connaissent pas… pour des questions. Bon, aussi, après il
faut oser venir faire le pas, hein, voilà. Il y a certaines personnes qui n’oseront pas venir faire le pas,
d’autres oui. Alors voilà, si certaines copines peuvent donner des bons conseils. (…) Mais après c’est
le tout. Ben voilà, de s’intéresser aussi de vouloir connaître les risques, voilà. » (A7)
Comme pour la mise en place de médiateurs interculturels au sein de communautés migrantes, il
s’agirait de faire un test avec quelques personnes-clés, selon un profil préétabli, et respectant
quelques critères essentiels de sélection, comme cela s’est fait dans certaines écoles/universités
24
Voir les résultats de l’enquête ACSF où 8,7% des hommes et 3,7% des femmes déclarent utiliser « actuellement » le
préservatif comme « méthode pour éviter d’avoir un enfant » ; alors que 31% des hommes et 22% des femmes disent
l’avoir utilisé comme « moyen de prévention du VIH » (au moins une fois au cours des 12 derniers mois) (GIAMMI,
SPENCER, 2004, 382).
25
Cette adolescente a démontré, tout au long de l’entretien, son influence déterminante sur ses copines (cf. dans
l’entretien les conseils et avis sur « comment cela devrait se passer la première fois » ; les « petites gouttes » qui
peuvent être fatales lors du coït interrompu » etc.).
- 23 -
dans d’autres pays (ex : Espagne, Etats-Unis, Angleterre, etc.)26. Ce travail pourrait se faire en
partenariat avec le service de santé d’un collège et/ou gymnase de Lausanne27.
7.3. Comment favoriser un comportement responsable ?
Au terme de ce travail, nous pouvons affirmer que pour favoriser un comportement responsable, il
faut tenir compte d’une multitude de facteurs, particulièrement présents et prégnants durant la
période de l’adolescence : l’âge du premier rapport sexuel, les circonstances de cette expérience
(alcool, drogue, lieux, etc.), l’âge de la puberté, l’existence d’abus/violences passés/présentes, le
statut de la relation, la faculté à parler de ses besoins et/ou de ses désirs avec le partenaire, etc.
L’expérimentation (sexuelle ou non) est donc fondamentale, nécessaire et inhérente à la « gestion
du risque » à cette période de la vie. Pourtant, celle qui mène à la « maturité sexuelle » devrait
s’acquérir avec le temps, étape par étape, en respectant une « norme contraceptive », dictée par
l’autorité médicale. Certes, « le recours au préservatif est devenu massif lors des premiers
rapports sexuels, mais son utilisation repose sur l’acceptation du partenaire » (Ferrand, 2002 :
258). Il est donc essentiel de redonner les moyens aux femmes et aux hommes d’être acteurs tous les deux - dans leurs relations sexuelles. Ainsi, ils gèreront probablement différemment leurs
« accidents de parcours » comme leurs expériences sexuelles !
8. Bibliographie
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GIAMI A. (2004) « Sexualité et santé publique : le concept de santé sexuelle ». Revue
Européenne Sexologie, Sexologies. Vol.XIII, 47 :6-12.
26
On se référera ici aux démarches appelées « peer counseling » ; dans la mesure où toutes les études démontrent que
l’information par les « pairs » est celle qui obtient le plus de satisfaction auprès des adolescents. Un exemple concret : le
groupe « friends assistance », inspiré des écoles californiennes, développé par l’Ecole hôtelière de Lausanne, dans
laquelle le service de planning familial Profa intervient chaque année (cf. Annexe 4).
27
Les deux pistes d’intervention pourraient être testées concrètement en 2005-2006 dans le cadre du service de
planning familial et grossesse - Profa.
- 24 -
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- 25 -
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- 26 -
ANNEXES
Annexe 1 : Contexte des entretiens avec les adolescentes
- 4 adolescentes ont été interviewées par groupe de 2, suite à ma participation (en tant
qu’observatrice) à des entretiens de conseillères en planning familial à Genève. Les adolescentes
étaient venues pour une pilule d’urgence ou un retard de règle, accompagnées d’une copine. Nous
en avons profité pour soumettre également nos questions simultanément à la copine : A1-A2 (16
ans) ; A3 (15 ans) - A4 (16 ans).
- 3 autres personnes m’ont contactées directement, parce qu’elles avaient vu les feuillets déposés
dans les salles d’attente des centres de planning familial Profa à Lausanne et à Genève : A6 (18
ans) ; A7 (18 ans) ; A8 (17 ans).
Comme on peut le constater, ce sont les jeunes filles les plus âgées qui m’ont
contactées directement par tél. pour prendre rdv.
- Enfin, seule une personne (A5 - 14 ans) a été contactée par une conseillère en planning familial
de Lausanne, tant son histoire était exceptionnelle. Elle a accepté tout de suite de participer à
l’entretien.
Les entretiens, enregistrés puis retranscrits, ont duré en moyenne entre 20 minutes et 40 minutes.
En général, ils ont eu lieu dans un bureau du centre de planning familial (à Genève ou à
Lausanne) et un seul entretien a eu lieu à mon domicile.
A la fin de l’entretien, j’ai également questionné les jeunes filles - qui m’avaient contactées
directement - sur leur motivation à participer à cette étude. Elles m’ont toutes dit avoir un intérêt
particulier pour ce thème (grossesse, contraception), sans préciser lequel. Elles l’ont fait par
curiosité aussi: « quand on peut rendre service…pour faire avancer la science ! » (A8).28
28
Afin de les remercier, elles ont toutes reçu entre 10 frs et 20 frs ; ce qu’elles ont généralement accepté avec
beaucoup de reconnaissance !
- 27 -
Annexe 2 : Entretiens des adolescents
Annexe 2.1 : Feuillet de recherche d’adolescents, déposé dans différents lieux
Annexe 2.2 : Guide d’entretiens
Annexe 2.3 : Retranscription des entretiens (A1-A8)
- 28 -
Annexe 3 : Entretiens des professionnels
Annexe 3.1 : Guide d’entretien avec les professionnels
Annexe 3.2 : Tableau des retranscriptions entretiens quelques professionnels (1-5)
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