Transcription - Musée des beaux

Transcription

Transcription - Musée des beaux
Rosalie Favell
J’ai commencé à créer les œuvres qui sont ici il y a environ dix ans, quand Jeff Thomas m’a demandé de participer à une exposition au Musée canadien des civilisations. Avant, je réalisais essentiellement des portraits documentaires et des photos plus traditionnelles en noir et blanc ou en couleur. Je lui ai parlé de cette idée d’inventer un personnage de fiction et de lui faire vivre des aventures; ce personnage s’inspirait vaguement de Xéna, la princesse guerrière, mon héroïne. J’ai commencé à utiliser un ordinateur. Et j’ai peine à croire qu’il y a dix ans seulement j’avais peur de m’en servir. Pendant mes études, quelqu’un m’a dit que je devrais utiliser un ordinateur pour mon travail et j’ai dit « non », avec peur et angoisse. J’avais un autre ami, Larry Glawson, à Winnipeg. Nous travaillions ensemble et il m’a appris à me servir d’un ordinateur et la technique du couper‐coller et donc mes premières images ont été un montage de ma tête sur le corps de Xéna. J’ai fait un bon nombre de ces images. J’ai apporté mon catalogue [rires] si quelqu’un veut y jeter un coup d’œil. C’est donc à ce moment‐là en quelque sorte que mes œuvres sont nées; où j’ai commencé à Rosalie Favell – Transcription
faire ces collages d’images et à élaborer… simplement raconter une histoire, d’une certaine manière. J’en ai fait quatre ou cinq et puis j’ai fait une pause. J’ai essayé de faire un parallèle avec les saisons de Xéna, vous voyez. En 2003, on m’a demandé de participer à une exposition à la Winnipeg Art Gallery. C’est à elle que correspond ce catalogue. Je suis passée à une production à grande échelle et je me suis vraiment mise à raconter des histoires. Je vivais au nord de Sault Ste Marie. J’étais jeune, livrée à moi‐même dans cet espace sauvage, contemplant ces magnifiques paysages. J’ai créé la plupart de ces images, enfin… des deux que j’ai… mon image à la Andy Warhol, la petite fille en costume de cowboy, c’est mon ode à Elvis et à son portrait réalisé par Andy Warhol; cette image a été prise sur le tournage d’un western dans lequel Elvis jouait un métisse indien. Heureusement, mes parents nous ont beaucoup photographiés; il existe de nombreuses photos en noir et blanc prises lorsque j’étais très jeune. Puis, dans les années 1960, nous sommes passés aux diapositives et donc j’utilise beaucoup d’images provenant des archives de mes parents. Ma mère me dit parfois que je devrai lui verser des droits d’auteur quand je commencerai à en toucher… La plupart 2
de mes œuvres tournent autour de mon identité autochtone, de ma « métissité »; de nombreux problèmes liés à la découverte, par exemple, c’est vers mes vingt ans que je me suis présentée comme métisse, ou à l’époque on disait en fait femme autochtone… ou était‐ce indigène ? Cette série tournait autour de mon développement et de l’apprentissage de mon identité, comment j’étais et comment j’existais dans le temps; vous savez, nous ne parlions pas de notre indigénat dans nos familles. En regardant autour de moi plus tard, je me suis rendu compte que beaucoup de gens avaient la peau brune mais nous n’avions pas de mot pour cela, parce que nous n’étions pas issus d’une réserve mais du lignage de la Compagnie de la Baie dʹHudson. Je peux remonter à mes arrière‐grands‐parents. Thomas Favell vivait dans la Baie d’Hudson et là‐bas, ils gardaient les archives de tous les mariages et de toutes les naissances. Donc, j’ai des liens de parenté avec chaque Favell, avec un ou deux « l » au Canada, et nous descendons tous de Thomas et de Titameg, une Crie. Une grande partie de mon travail artistique et de ma maturité traite de ma « métissité » et j’imagine qu’à un certain moment j’ai compris que je laissais beaucoup ma mère hors du cadre [rires]. J’ai eu des problèmes par rapport à ma mère peut‐être, alors [rires] alors je l’ai juste mise ici dans En cherchant pour ma mère,. Au cours de l’une de mes saisons, je me suis intéressée à la spiritualité et à ma vie de petite fille anglicane fréquentant l’école du dimanche. J’ai participé à un échange d’artistes au Mexique et j’ai été bouleversée par l’importance accordée à la femme par le catholicisme de Notre‐Dame de Guadalupe. J’ai fait une image à ce sujet. [À mon retour au Canada et je me suis demandé]… quelle est la place de la Vierge Marie dans tout cela ? Je n’essayais pas de dire que j’étais Jésus Christ [rires] ou autre chose, ou encore que ma mère était la Vierge Marie ! J’ai aussi trouvé cette image perlée dans un magasin d’antiquités ici, à Ottawa. J’avais l’habitude de quitter Sault Ste Marie pour venir à Ottawa pendant les fins de semaine et parcourir la ville. Huit heures de trajet. Je faisais le tour en deux jours et je rentrais. Tekakwitha était une sainte Mohawk. J’ai trouvé cette image perlée et, une fois encore, j’ai essayé de me situer dans la spiritualité et le fait d’être issue d’un mélange et de gérer tout cela. Vous savez… penser à la colonisation et à l’effet de l’église sur les Autochtones et le résultat est que je suis bouddhiste [rires] – c’est ce que je suis – mais je crois que c’est 3
un résultat. J’ai cherché ma mère pendant un bon moment là‐bas. Cette œuvre, je suis sûre que vous vous rappelez qu’il y a à peine quelques années le Musée a organisé cette exposition sur Emily Carr. J’ai tout simplement été ébahie par ses œuvres. J’entendais toujours parler d’Emily Carr ici, Emily Carr là. Pendant mes études au Nouveau‐Mexique, on parlait toujours de Georgia O’Keefe ici, Georgia O’Keefe là et j’adorais son travail – mais je n’ai jamais vu une de ses œuvres de près. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai étudié l’histoire de l’art et que je comprenais ce que représentait Emily Carr dans l’histoire, dans les canons ou ailleurs mais je savais qu’il y avait cette femme qui avait fait ces incroyables tableaux et j’ai été surprise de voir toute cette imagerie autochtone dans ses œuvres. Il y a tous ces symboles d’indigénat mais…Où se trouvent les indigènes ? Où ? Ce sont apparemment ces petites choses brunes indistinctes au premier plan ou là, quelque part, ou les mâts totémiques et tout ça. Et j’essayais juste de comprendre tout cela pour moi‐
même. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai emprunté certaines de ces œuvres [rires] grâce à Internet et usé de la liberté artistique. J’ai regardé ses œuvres et j’ai pensé qu’elle ressemblait à ma grand‐
mère. J’ai regardé les archives des albums photos de ma grand‐mère et j’en ai fait des copies parce qu’ils n’étaient pas en ma possession. C’est un de mes cousins qui les avait. Alors je les ai empruntés, j’ai scanné chaque image et j’ai littéralement vécu avec ces albums. J’ai vraiment été frappée parce que ce sont eux qu’elle a choisi d’emmener dans sa maison de retraite. Je plaisante souvent sur ce que j’emmènerai avec moi à la maison de retraite; probablement mes photos et mon compagnon [rires]. Elle a fait de nombreux voyages, elle a parcouru la Colombie‐
Britannique par la route et il y a cet arbre gigantesque, un séquoia de Californie qu’on peut traverser en voiture. Donc, c’est elle, avec sa nouvelle voiture. C’est un instantané coloré à la main et j’ai pensé : d’accord, je vais… je vais dire que ma grand‐mère Annie, ma mamy comme nous l’appelons, je vais dire qu’Ann‐E visite Emily. Il y a cette idée de garder la trace de l’événement. Il s’agissait d’elle en vacances, en congés et faisant du tourisme, prenant des photos d’elle‐même dans tous ces endroits, marquant en quelque sorte son territoire, son espace ou se souvenant. Vous voyez… Je suis ici . Je me suis mise dedans aussi, une jolie photo de dos [rires], comme étant la photographe de cette scène et, vous savez, c’est le mât 4
totémique qui se trouve réellement sur l’instantané de ma grand‐mère, enfin en réalité sur un autre instantané d’elle. L’autre jour, je disais à quelqu’un que je ne suis pas sûre que les gens en Colombie‐Britannique, que les Autochtones là‐bas, vous pouvez peut‐
être parler de cela Arthur, approuvent que j’utilise leur imagerie mais [rires] c’était juste une histoire sur ma grand‐
mère et moi allant voir Emily sur la côte Ouest pour discuter avec elle. Au final, sur l’image, ma grand‐mère et moi n’étions probablement pas beaucoup plus grandes que les Autochtones représentés par Emily Carr. Je suppose que j’essaie juste de me mettre dans ces images et d’imaginer où nous nous trouvons, où je suis, où nous, Autochtones, nous nous situons dans la réalisation d’images de nous‐mêmes. Ces œuvres sont vraiment différentes, l’image Sherry I, là et En cherchant pour ma mère et celle‐ci. Je suis dessus mais je tourne le dos à l’objectif. L’œuvre qui est la plus représentative de mon travail [rires] c’est moi, de face et au centre, vous savez, avec l’attrape‐rêves, fixant le spectateur. Je fais beaucoup d’autoportraits, en partie parce que je sais que je peux uniquement parler de mon propre point de vue. J’ai commencé à faire des portraits de femmes autochtones pour essayer de situer ma place dans la communauté et je suis devenue un membre de cette communauté mais à la fin j’ai ressenti le besoin d’être celle qui parle depuis la place qu’elle occupe. Je ne peux pas parler à la place d’autres personnes. C’est de moi qu’il est question ainsi que de ma « métissité » et de [ma position] entre deux mondes… de là d’où je viens en ce moment. Donc cette image se résume essentiellement à moi, à mon expérience. Je suis venue étudier, je suis venue d’Ottawa, j’ai vécu ici il y a quatre ans et demi. Parce que je ne vivais pas sur place, j’ai fait la série d’œuvres sur la côte Nord du lac Supérieur, au nord de Sault Ste Marie, en isolement, j’ai passé un moment fabuleux, organisé une exposition et pensé ensuite que je ne voulais plus être toute seule là‐bas [rires] et que j’allais travailler [dans] la ville. Je me suis inscrite à Carleton et j’ai commencé à étudier l’histoire du Musée, et toutes ces choses sur la renaissance et les collectionneurs. Cela m’a ouvert tout un nouveau monde. J’ai tout simplement adoré. Et à ma première ou à ma deuxième année, je suis à présent au milieu de ma quatrième, non de ma cinquième année, ou quelque chose comme ça... Je crois vraiment que c’est pendant ma première année que j’ai découvert cette image dans l’un de mes cours et vraiment, je vais vous la montrer. 5
C’est un tableau de Charles Wilson Peale, réalisé en 1822 et intitulé The Artist in his Museum.. Dans cette œuvre, je suis sûre que vous pouvez tous le voir de là où vous êtes [rires]. Je la ferai juste circuler si vous voulez y jeter un coup d’œil mais cette image, vraiment, je pensais pouvoir l’utiliser. Je peux m’y retrouver et je m’y suis vue de multiples manières. Ce qui m’a vraiment plu, c’est toute cette idée de collectionner. Je trouve que la photographie est une manière de collectionner. Seulement, on le fait avec l’appareil photo et cela prend moins de place. Enfin, maintenant cela prend un gigabit. Si seulement je me contentais de collectionner à l’aide de mon appareil photo mais je collectionne beaucoup de choses. On collectionne les idées, on collectionne les objets. Charles Wilson Peale l’a lui‐même fait, c’est lui ici et il ouvre les rideaux de son musée, vous invitant à entrer. Dans son musée, il avait des artéfacts de spécimens naturels comme des squelettes d’oiseaux et d’animaux et des animaux empaillés et il avait juste plein de choses diverses et variées. J’ai légèrement modifié ça. J’ai utilisé les photos de l’album de mes parents pour les images en noir et blanc à l’arrière‐plan et j’ai montré cette œuvre à l’exposition I Searched Many Worlds à Winnipeg. C’était mon œuvre identitaire, celle où je savais d’où je venais. J’ai utilisé les images d’archives de mes parents et donc je voulais inviter le spectateur à entrer et à être celui qui fait l’exposition, qui a le pouvoir et le contrôle. Je dois avouer que j’avais un a priori contre les conservateurs quand je suis arrivée ici. Je pensais : bon, je veux être celle qui dirige et prend les décisions parce que, trop souvent, ce qui se passe, c’est que les artistes confient leurs œuvres pour une exposition et c’est très bien mais c’est le conservateur qui dirige et c’est lui qui récolte les lauriers. Donc c’est ce que je pensais [rires] et je suis celle qui a tout organisé … Alors oui, j’ai dû régler quelques problèmes et comprendre ma place dans tout cela. Je me sens beaucoup mieux à présent, merci [rires] maintenant, j’adore les conservateurs. Je comprends que j’ai plus de poids comme artiste que comme universitaire, mais cela fait partie de mon développement. J’étais depuis peu à Ottawa lorsque je suis allée au Musée canadien de la nature, avec cet immense mammouth à l’extérieur. Je me suis promenée autour et j’ai pris des photos. Je crois que sur l’œuvre originale, il y a un oiseau d’Amérique, une dinde ou quelque chose comme ça. Oui, une dinde. Donc je suis allée dans Internet et j’ai trouvé ce joli castor. J’ai juste essayé d’ajouter une touche « canadienne » dans un certain sens 6
[rires]. Par chance, j’ai beaucoup d’images de moi. Je suppose que j’ai pris beaucoup de photos au fil des années. J’adore utiliser les images qui ont dix ans de moins que moi [rires] Donc c’est une partie du travail. Je continue à utiliser cette méthodologie. J’aime toujours le Polaroid et je déplore son déclin mais j’aime tellement le format d’un SX‐70, donc je… J’ai fait mon cadrage aux dimensions exactes d’un cliché de SX‐70. Donc, c’est une sorte d’image carrée et je continue en effet à travailler selon cette méthode. Je suis retournée à mes racines documentaires et j’ai photographié d’autres artistes. J’ai décidé que je voulais à nouveau documenter les choses et faire mes portraits en noir et blanc d’artistes autochtones. J’ai fait un séjour en résidence au Banff Centre et tout était simplement parfait parce qu’il y avait tout un bouquet d’autres artistes autochtones là‐bas. Je les ai pris en photos et nous avons eu des échanges. J’espère continuer à étoffer ce travail et cela a été intéressant parce qu’un grand nombre d’entre eux m’ont demandé en quoi j’allais les déguiser [rires]. Alors, je ne sais pas. Je garde plutôt les déguisements pour moi‐même [rires]. 

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