MERCREDI 9 SEPTEMBRE 2015 NUMÉRO

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MERCREDI 9 SEPTEMBRE 2015 NUMÉRO
POLITIQUE CULTURELLE
DES MUSÉES
OUVERTS 7/7
POUR LES SCOLAIRES
P.2
M ERC REDI 9 SE PTE MBRE 2015
L’ASIE S’ARRIME
AU PARCOURS
DES MONDES
FOIRE
 page 08
RÉALITÉS
ET MONDES VIRTUELS
À L A BIENNALE DE LYON
ART CONTEMPORAIN
 page 10
NU M ÉRO 89 5
LES ARTISTES ANNE
ET PATRICK POIRIER
RÉAGISSENT
AUX DESTRUCTIONS
AU MOYEN-ORIENT
ENTRETIEN
 page 12
LE FORUM D’AVIGNON
S’IMPLANTE À
BORDEAUX  page 02
WWW.LEQUOTIDIENDELART.COM
2 euros
ENTRETIEN
Par Damien Sausset
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LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 9 SEPT. 2015 NUMÉRO 895
ANNE ET PATRICK POIRIER, MESOPOTAMIA
Galerie Mitterrand, Paris — Jusqu’au 31 octobre
« Aujourd’hui, c’est la culture
de l’Occident
qui part en miette »
En archéologues de nos cultures, les artistes Anne et Patrick
Poirier ne pouvaient que réagir aux destructions massives et
au pillage généralisé actuellement à l’œuvre au Moyen-Orient.
Le résultat ? « Mesopotamia », vaste exposition à la Galerie
Mitterrand, à Paris, mêlant productions récentes et œuvres plus
anciennes qui toutes traitent du délitement de notre civilisation.
Anne et Patrick
Poirier, juillet 2015.
Photo : Pierre-Antoine
Champenois.
Damien Sausset_« Mesopotamia »
est-elle une exposition
ouvertement politique ?
Patrick Poirier_Pas explicitement.
Lorsque Jean-Gabriel Mitterrand
nous a proposé d’investir sa galerie
il y a trois ans, nous débutions
des œuvres liées au contexte du
Moyen-Orient.
Anne Poirier_Nous étions
alors très préoccupés par la
situation en Irak, en Syrie, bref
toute l’ancienne Mésopotamie.
D’où cet ensemble d’œuvres
nouvelles abordant le thème de
la destruction. La Syrie est un
pays que nous connaissons très
bien depuis les années 1960 pour avoir visité nombre de sites archéologiques.
Lorsque vous êtes sur place, s’impose l’idée que ce territoire constitue
indéniablement le berceau de ce que nous nommons la culture occidentale.
C’est vraiment le site le plus essentiel pour notre mémoire collective. Ici, fut
inventée l’écriture phonétique !
Dans votre pratique, des pièces renvoient à des destructions
issues de guerres, mais aussi des œuvres évoquent l’érosion du temps.
Or, les destructions organisées par l’État islamique — du site de Nimrud
par exemple — visent avec une violence symbolique extrême à effacer
systématiquement le passé, à éradiquer toutes traces de nos origines
communes.
PP_Aujourd’hui, c’est la culture de l’Occident qui part en miette.
Nous nous sommes dit qu’il fallait que nous fassions quelque chose. Nous
regardons très régulièrement Google Earth notamment pour voir l’évolution
de ces sites antiques — tels Palmyre, Suse, Ninive, Mari, Babylone — que nous
avions visités. Dès 2009, les images devenaient illisibles tant les cratères de
fouilles illégales envahissaient les lieux. Ces images nous ont conduits à créer
les grandes peintures blanches qui ouvrent l’exposition. Ce sont des sortes de
reliefs présentant des plans de sites antiques que nous recouvrons de peinture
jusqu’à l’effacement du tracé des rues, des amphithéâtres, des villas…
AP_Ce qui nous terrifie, c’est cette volonté de table rase. On peut se
dire que ces destructions ne sont rien comparées à ces vies humaines brisées
LORSQUE VOUS
ÊTES EN SYRIE,
S’IMPOSE
L’IDÉE QUE
CE TERRITOIRE
CONSTITUE
INDÉNIABLEMENT
LE BERCEAU DE
CE QUE NOUS
NOMMONS
L A CULTURE
OCCIDENTALE
/…
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ENTRETIEN
LE QUOTIDIEN DE L’ART | MERCREDI 9 SEPT. 2015 NUMÉRO 895
chaque jour. Pourtant, bien que ce ne soit pas sur le
même plan, la destruction de la mémoire des peuples est aussi un acte d’une
violence inouïe. Chacun doit se positionner.
PP_Nous avons toujours été convaincus de l’extrême fragilité de
la mémoire de nos cultures, et que là se jouait quelque chose. Dès les
années 1960, nous travaillions déjà sur ces thèmes.
AP_Ici, les œuvres traitent surtout du recouvrement de la culture par
autre chose. Nous assistons clairement à une tentative de couper par la haine
les communications entre les peuples de la Méditerranée.
SUITE DE LA PAGE 12
A NNE E T
PAT RIC K P O I R I E R ,
M E SO POTA M I A
BIEN QUE CE NE
SOIT PAS SUR LE
MÊME PL AN , L A
DESTRUCTION
DE L A MÉMOIRE
DES PEUPLES
EST AUSSI UN
ACTE D’UNE
VIOLENCE
INOUÏE
Vue de l’exposition
« Mesopotamia » d’Anne
et Patrick Poirier à la
Galerie Mitterrand en
2015. Copyright Anne et
Patrick Poirier. Courtesy
Galerie Mitterrand.
Photo : Rebecca Fanuele.
Ces événements vous
conduisent-ils à infléchir votre
pratique ?
PP_Oui. Nous avons toujours
été proches de l’actualité. Mais, cela
passait souvent par des métaphores.
Là, nous avions envie d’être plus
directs.
AP_Il y a chez nous, depuis
nos débuts, c’est-à-dire depuis
les années 1960, les thèmes de la
destruction, de l’oubli, de l’effacement
de la culture, de la violence que
les hommes exercent sur leur
environnement. C’est assez présent ici. Même les pièces anciennes prennent
soudain une autre dimension pour être vraiment dans l’actualité de notre
temps. Précisons que d’autres thèmes, moins présents ici, tels la fragilité de la
nature nous habitent depuis longtemps. Décidément, les menaces se précisent
autour de nous.
ANNE ET PATRICK POIRIER, MESOPOTAMIA, jusqu’au 31 octobre, Galerie Mitterrand,
79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 43 26 12 05, www.galeriemitterrand.com
Vue de l’exposition
« Mesopotamia »
d’Anne et Patrick
Poirier à la Galerie
Mitterrand en 2015.
© Anne et Patrick
Poirier. Courtesy
Galerie Mitterrand.
Photo : Rebecca
Fanuele.