De l`accueil à l`hospitalité
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De l`accueil à l`hospitalité
L’éthique des Sanctuaires : De l’accueil à l’hospitalité On pense communément que l’hospitalité, c’est l’accueil bienveillant de l’autre, y compris de l’étranger. En philosophie, l’hospitalité est pour les uns l’exercice d’une souveraineté sur un territoire -j’accueille quelqu’un « chez moi » ou dans « mon pays », si je veux et tant que je veux-, alors que pour d’autres, elle est une subversion de l’espace privé et de la frontière. Cette ambivalence fait peut-être partie de la richesse du mot, mais j’ai le sentiment qu’elle contribue à brouiller les cartes du débat et surtout la clarté du positionnement que chacun est appelé à prendre. Utiliser le même mot pour parler de démarches qui, même si elles ont des liens, ne sont pas du même ordre, risque de masquer la dimension subversive de l’hospitalité par rapport à l’ordre dominant, caractérisé par la frontière et le mur, en la limitant à l’accueil (welcome). Je ne veux pas dévaloriser celui-ci, mais en faire dans son ambiguïté, une porte d’entrée et une invitation à cheminer jusqu’à l’hospitalité. Pour notre approche des réseaux Sanctuaires, cette distinction me semble importante. Une histoire vraie peut servir de parabole pour illustrer cette distinction entre accueil et hospitalité. Il y a une vingtaine d’années, dans une France déjà largement sensibilisée à la dire réalité des SDF et des sans-papiers, une dame d’un certain âge, possédait une sorte de grand manoir dans les faubourgs d’Avignon. Relativement riche, elle y coulait sagement ses vieux jours, mais se posait tout de même quelques problèmes de conscience : une si grande maison pour une personne toute seule quand des dizaines, des centaines de personnes en étaient privées, obligées de se contenter d’un squat ou de la rue ! Est-ce à la veille de l’hiver, je ne sais plus, toujours est-il qu’un jour, elle fit le pas. Elle alla voir un groupe de SDF qui « zonaient » près de chez elle pour leur proposer la lune : « Venez chez moi, je vous laisse le rez-de-chaussée, et moi je garde le 1er étage ». Ils s’installèrent donc dans ce nouveau chez eux tombé du ciel. Tout se passa bien ; ils partageaient leurs ressources pour mieux s’en sortir et avaient même décidé d’accueillir eux-mêmes quelques SDF sans-ressources, sans-papiers ou pas. Elle, de son côté, apprenait à mieux les connaître, les apprécier, tant et si bien qu’elle finit par les considérer de la famille et à se considérer de leur famille… Bref, un autre beau jour, était-ce à la veille du printemps, je ne sais plus, elle leur déclara : Ecoutez, c’est bête que j’habite toute seule dans mon étage, quand vous vous serrez en bas ; dorénavant, vous pouvez occuper aussi le 1er étage, la maison est à vous, la maison est à nous ! ». Voilà : lorsque la vieille dame leur ouvre son rez-de-chaussée, elle les accueille chez elle dans un geste d’un grand courage et d’une extrême générosité. Lorsqu’elle décide que sa maison devient leur maison commune, elle pratique l’hospitalité. De l’accueil à l’hospitalité – Jean-Pierre Cavalié - Octobre 2012[Texte] Page 1 En donnant cet exemple, je n’appelle pas chacun à partager sa maison ; les expériences dans ce sens, sur le long terme sont négatives, et de toute façon, tout le monde n’est pas seul dans un manoir vide. La petite révolution de l’hospitalité est un idéal à réaliser au final dans nos sociétés et notre sociétémonde. Les diverses pratiques de « Sanctuaires » me semble une remarquable porte d’entrée dans cet univers de l’accueil – hospitalité. Je partirai donc de la sémantique et du latin « hostire » qui signifie « égaliser, mettre à égalité, rendre la pareille1 ». Il a donné naissance à deux faux-jumeaux : hostis et hospes qui représentent en fait deux visions du monde et de la vie, un peu comme Caïn et Abel. Le monde de l’hostilité Hostis est le monde de l’hostilité où l’autre est un « ennemi », réel ou potentiel, dont il est nécessaire de se protéger dans un « lieu enclos » (jardin-hortus), délimité par une frontière, fermé par un mur, surveillé par des gardiens armés. Hostis est l’univers de la guerre, la vie y est conçue comme un combat. L’humain se définit d’abord par l’appartenance à un territoire et à des groupes distincts ; il est en permanence sous le régime du rapport de « force », cette qualité suprême de l’homme, militaire ou militant, guerrier perpétuel, dominant et représentant à lui tout seul l’ensemble du genre humain ; la femme n’étant qu’un appendice utilitaire, une côte tirée de lui-même (récit de la création). Dans ce monde hostile, la paix n’est pas l’inexistence des armes, mais leur silence provisoire et dissuasif. Et comme les sociétés ne peuvent pas se passer d’échanges, le commerce n’est pas une alternative à la guerre (Montesquieu), mais une autre façon de la mener, dans un continuum dont l’histoire regorge. Quel est le lien entre hostire et hostis ? « Egaliser, rendre la pareille » se traduit par la loi du Talion : « œil pour œil, dent pour dent », « user de représailles » ; par le racisme et la xénophobie : « ces Arabes, ces Rroms… tous les mêmes » ; par le « vivre entre semblables », entre gens de mêmes conditions et convictions, des cités aux villes et quartiers privés (gated communities). Une respiration tout de même dans cet univers belligérant : l’accueil de celui/celle qui est différent-e et vient d’ailleurs. C’est la figure de l’étranger, même s’il ne vient pas très loin et a, en fait, la même nationalité. Cet accueil s’est historiquement traduit par des lieux spéciaux, les caravansérails et les ….. et des « sanctuaires », temples ou villes, dans lesquels les personnes « persécutées » pouvaient trouver une protection absolue. Ce devoir d’accueil est en même temps une contestation et une acceptation du système de l’hostis, de l’hostilité : il ouvre la porte du « jardin », du « lieu clos et enclos », mais il le confirme dans sa légitimité en valorisant le statut de celui qui accueille « chez lui », selon des règles qui conjuguent générosité et souveraineté (cela vous rappelle peut-être un personnage qui vient de quitter une triste présidence). Pour élargir le cercle de ceux qui pratiquent l’accueil, dans les réseaux Sanctuaires notamment, il est nécessaire de faire un travail de sensibilisation. L’objectif est que des populations plus ou moins ciblées connaissent un peu mieux le vécu des personnes en demande d’accueil, les acceptent, voire s’engagent elles aussi dans cette démarche. 1 Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d'Alain Rey -c/o Robert ; et Encyclopédie Wikipédia. De l’accueil à l’hospitalité – Jean-Pierre Cavalié - Octobre 2012[Texte] Page 2 Le monde de l’hospitalité A l’image des frères ennemis, Caïn et Abel, Hostire a enfanté un jumeau antinomique à hostis : hospes. Le monde d’hospes est celui de l’hôte que l’on doit accueillir et protéger au besoin. Le point de départ est effectivement l’accueil, mais cette fois-ci, il ne confirme pas l’inégalité de statut et de condition entre l’accueillant et l’accueilli ; il n’est pas la légitimation des enfermements, des frontières et des murs bien gardés. Car l’hospitalité est une subversion des frontières, une destruction des murs de séparation, une réunification des territoires comme des peuples. Car l’autre n’est pas un ennemi, mais un ami, un frère/une sœur surtout. L’hospitalité est un monde de paix, car elle est la voie de la fraternité humaine, possible parce qu’elle est basée sur le don et le partage. Et nous revenons naturellement au mot racine : hostire qui signifie égaliser, rendre la pareille. Dans le système hospitalier, il prend effectivement un tout autre sens que dans celui de l’hostilité. Tout d’abord, il met à égalité l’accueillant et l’accueilli ; c’est pour cela qu’en Français, notamment, l’hôte désigne indifféremment l’un et l’autre, comme si chacun était appelé à devenir l’un et l’autre. C’est très subversif, car cela signifie que dans l’acte d’hospitalité, l’accueillant cesse d’être « souverain chez soi » pour devenir « citoyen chez nous ». Et du coup, surtout dans un monde qui ne cesse de bouger et migrer, il n’est plus légitime de se penser « chez soi » ; l’humanité est appelée à se sentir « chez elle » sur toute la terre. Egaliser signifie aussi se considérer et faire en sorte que nous soyons toutes et tous des égaux, en dignité, en droit et en conditions de vie. Pas en modes de vie, car égaux ne veut pas dire semblables ; la diversité, dans un monde de partage, est notre richesse. De toute façon, nous savons tous que les frontières et les murs ne servent pas à protéger les personnes, mais les inégalités de conditions de vie, c’est pourquoi l’hospitalité est pacifique et révolutionnaire ; elle est l’une des voies d’un « autre monde possible ». Ainsi, hospitalité rime avec fraternité en ne reconnaissant qu’une seule famille humaine, appelée à « vivre ensemble » et en communion. Hospitalité rime aussi avec oikuméné qui désignait chez les Grecs anciens la terre habitée et signifiait littéralement « une seule maison » ; l’humanité n’a qu’une seule maison Terre, elle doit former une seule maisonnée en harmonie. On comprend alors que l’hospitalité exige, bien plus qu’une action de sensibilisation propre à l’accueil, une démarche exigeante de conscientisation. Forgé par le pédagogue Paolo Freire, ce mot désigne un changement de conscience de la part de tout le monde, en l’occurrence de l’accueillant, de l’accueilli, de celui qui est d’ici comme de celui qui est d’ailleurs. L’enjeu est un changement de conception de l’humanité, de la société, de la vie, pour faire de deux mondes distants, séparés, inégaux, voire hostiles, un troisième monde, autre, nouveau, meilleur, plus beau et plus heureux, pour tous2. Aujourd’hui plus que jamais, l’hospitalité représente une voie alternative, à la dimension des immenses défis de « la terre habitée ». 2 J’ai développé une merveilleuse phrase prononcée par un migrant algérien interviewé sur le bateau, entre Marseille et Alger, par Elisabeth Leuvrey, réalisatrice du très beau documentaire : « La traversée ». De l’accueil à l’hospitalité – Jean-Pierre Cavalié - Octobre 2012[Texte] Page 3 Le mouvement sanctuaire A l’œuvre de façon conséquente aux Etats-Unis et en Angleterre, un mouvement Sanctuaire commence à émerger en France. Il pratique et revendique au grand jour l’accueil inconditionnel des étrangers, particulièrement des demandeurs d’asile. Où se situe-t-il dans le tandem accueil - hospitalité ? Eh bien, je pense qu’il fait le lien entre les deux : Il pose un geste d’accueil qui est un acte de résistance dans notre monde « hostile », mais à travers l’inconditionnalité du geste, il reconnaît en l’étranger concerné, d’abord un être humain. En ce sens, les Sanctuaires ont également un pied dans le monde de l’hospitalité. Ils commencent par une démarche d’accueil, mais qui mène au-delà ; ils apaisent les peurs et montrent non seulement que c’est possible, mais aussi que tout le monde y gagne. Certes, nous savons que la pratique des Sanctuaires se développe dans des régions qui manquent de main d’œuvre et de population. Il y a donc un intérêt à cet accueil des étrangers, mais qu’importe ; l’échange d’intérêts, quand il est juste, est positif. S’il va de pair avec la recherche pratique d’un « autre monde possible », en lien, par exemple, avec le réseau international des « villes en transition », des Colibris, des Forum Sociaux Mondiaux… le mouvement Sanctuaire peut jouer un rôle majeur pour dessiner le nouveau visage de la « terre habitée », libérée de la culture, quand ce n’est pas du culte, de l’hostilité. Plus qu’un geste, plus qu’une démarche, l’hospitalité est sans doute en voie de devenir une planche de salut ; une autre mondialisation, parce qu’elle mène, au fond, à l’humanisation de l’humanité. En résumé : HOSTIRE = Egaliser, rendre la pareille HOSTIS = ennemi HOSPES = hôte Monde en guerre Monde en paix Egaliser : « Œil pour œil », ghetto, racismes Egaliser : - Accueillant = accueilli = hôte Humanité divisée (peuples, nations, genres…) Une seule humanité - fraternité Planète éclatée/exploitée Oikuméné : une seule « maison-terre » Accueil résistance et souveraineté « chez soi » Hospitalité : citoyens « chez nous » Passe par la sensibilisation Passe par la conscientisation (Freire) L’étranger doit être aidé pour s’intégrer/insérer Pas d’étrangers sur terre, que des humains Sanctuaires : un chemin de l’accueil vers l’hospitalité Jean-Pierre Cavalié – Septèmes octobre 2012 De l’accueil à l’hospitalité – Jean-Pierre Cavalié - Octobre 2012[Texte] Page 4