Rencontre avec… Erik L`Homme

Transcription

Rencontre avec… Erik L`Homme
Rencontre avec… Erik L’Homme
Par Marieke Mille, rédactrice en chef de la revue Lecture Jeune
Novembre 2012
Erik L’Homme vient d’achever la série « A comme Association », commencée avec Pierre Bottero. Cette
aventure éditoriale singulière réunissait ces deux auteurs en un même univers, dans lequel chacun
faisait évoluer son personnage – Ombe pour Pierre Bottero et Jasper pour Erik L’Homme. Le décès
brutal de son coauteur a contraint Erik L’Homme à poursuivre seul la série. A l’occasion de la parution
du dernier volume, Lecture Jeune l’a rencontré.
Erik L’Homme est né il y a une quarantaine d’années dans les montagnes du Dauphiné. Une
enfance drômoise, au contact de la nature et des livres, lui donne le goût des escapades en tout
genre. Parti sur les traces des héros de ses lectures, bourlingueurs et poètes, ses pas
l’entraînent aux portes de l’Asie centrale, sur la piste de l’homme sauvage, et
jusqu’aux Philippines, à la recherche d’un trésor fabuleux. De retour en France, il entreprend la
rédaction d’une thèse de doctorat en histoire et civilisation. Il travaille ensuite comme
journaliste dans le domaine de l’environnement. Le succès de ses romans pour la jeunesse lui
permet aujourd’hui de vivre de sa plume. Depuis, il partage son temps entre l’écriture, la boxe
et les randonnées.
Marieke Mille : Pourquoi avoir choisi de continuer la série seul ?
Erik L’Homme : A la disparition de Pierre, il y avait trois options. Soit rien n’était publié. Soit nous
trouvions un autre auteur pour le remplacer, ce que nous n’avons pas du tout envisagé. La troisième
solution était de continuer seul, comme je l’ai fait, en réadaptant le fil de l’histoire et en me la réappropriant. Il y a plusieurs raisons à ce choix. D’une part, c’était la seule manière de donner accès aux
deux derniers textes de Pierre. Ensuite, je voulais aller jusqu’au bout de ce projet que nous avions
commencé ensemble.
MM : Comment avez-vous envisagé l’écriture après sa disparition ?
EL : J’ai écrit le cinquième tome qui aurait pu se suffire à lui-même. Il prend acte de la mort d’Ombe
et développe les sentiments que tous les lecteurs de Pierre ont pu ressentir. Ce livre était également
important pour les obliger à faire leur deuil : j’avais entendu et vu tant de manifestations de leur désarroi et de leur peine que je souhaitais réagir. Il m’importait beaucoup de les contraindre à se recentrer en leur faisant comprendre que Pierre n’était plus là, même s’il reste présent à travers ses livres.
Rencontre avec… Erik L’Homme, par Marieke Mille (novembre 2012)
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Ce volume m’a aussi servi à amorcer mon changement d’intrigue. C’est la raison pour laquelle, selon
moi, il y a deux cycles dans la série : le premier « avec » et le second « sans » Bottero.
MM : Comment avez-vous réadapté l’histoire ?
EL : Tout d’abord, nous avions pensé la série en treize volumes qui, pour douze d’entre eux, devaient
paraître par paire, comme les quatre premiers. Le treizième tome aurait été écrit selon le même principe, avec chacun son personnage, mais en alternant les chapitres. Après le décès de Pierre, j’ai décidé de faire disparaître son héroïne. Il ne restait plus que Jasper pour raconter l’histoire, soit huit
tomes. J’ai réadapté l’intrigue sans Ombe. Par un subterfuge narratif, elle est toujours aux côtés de
Jasper, mais elle n’a pas l’autonomie propre qui aurait été indispensable pour continuer l’histoire initialement prévue. Je l’ai donc focalisée sur ce que Jasper devait accomplir. Cependant, plus on allait
vers la fin et moins les éléments étaient définis. D’ailleurs, pour comprendre la série telle qu’elle se
présente aujourd’hui, il est très important de savoir que j’ai essayé d’être le plus fidèle possible à ce
que nous avions prévu avec Pierre. Ces contraintes n’étaient pas toujours faciles à intégrer et il aurait
été parfois plus aisé d’ajouter un élément de ma composition pour redonner du souffle à l’intrigue.
C’était une sorte d’exercice de style. Je disposais d’éléments à placer dans le fil conducteur – défini,
mais biaisé par la mort d’Ombe – que je devais lier. Je suis parti du principe que si Pierre revenait
maintenant, il ne serait absolument pas surpris par l’évolution de la série. Certains éléments de ses
tomes lui appartenaient. Comme je ne savais pas ce qu’il voulait en faire, je me suis uniquement réapproprié ceux que je sentais ou dont on avait parlé avec clarté.
MM : Dans votre oeuvre, on constate un glissement vers le réel. Vous êtes parti de la fantasy avec Le Livre des étoiles, en passant par la science-fiction, le fantastique ou le récit de voyage.
Vous entremêlez dans cette série la fiction à la réalité, est-ce une volonté de votre part ?
EL : C’est vrai, mais je ne sais pas s’il s’agit d’un mécanisme conscient. Je suis clairement attiré par le
fantastique ; je crois que c’est la catégorie de l’imaginaire qui me plaît le plus. Depuis Phænomen, j’ai
compris que c’est ce que je voulais vraiment écrire. Même si je revenais un jour vers la science-fiction, ce serait une science-fiction d’anticipation basée sur la réalité. Je crois que si le fantastique
m’intéresse tant, c’est que le genre correspond à ma façon de voir le monde. Je suis bien parti chercher le yéti pendant deux ans ! Je laisse à la réalité la possibilité de me surprendre et je suis donc
tout à fait ouvert au fantastique. Écrire de la fantasy pure m’attire beaucoup moins aujourd’hui,
d’autant plus que j’aime en lire et qu’on y trouve des choses brillantes.
Je crois que si le fantastique m’intéresse tant, c’est que le genre
correspond à ma façon de voir le monde. Je suis bien parti chercher le
yéti pendant deux ans ! Je laisse à la réalité la possibilité de me
surprendre et je suis donc tout à fait ouvert au fantastique.
Rencontre avec… Erik L’Homme, par Marieke Mille (novembre 2012)
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MM : Des Pas dans la neige, récit de votre propre voyage, est un livre à part dans votre œuvre.
Comment a-t-il été reçu ?
EL : J’ai fait des rencontres scolaires autour de ce titre et tous les jeunes avaient le même ressenti : ils
m’ont fait part de leur déception parce que je ne rencontrais pas l’homme des neiges à la fin du livre.
Cela témoigne de l’omniprésence du roman dans leurs lectures. Je leur ai expliqué que, dans un roman, mon personnage l’aurait peut-être trouvé, mais comme il s’agissait de ma propre expérience, je
ne pouvais pas mentir. C’est un livre très étrange que peu de lecteurs ont eu la curiosité de parcourir.
Pourtant, ceux qui l’ont lu m’ont fait des retours très positifs. On ne se tourne pas facilement vers cet
ouvrage mais sa lecture marque. Tous mes autres livres invitent au voyage intérieur. Celui-là est important pour moi car il ambitionne de pousser les lecteurs à partir pour de vrai, en leur montrant un
exemple.
MM : Qu’implique le fait d’écrire pour les adolescents ?
EL : Un lecteur adolescent, c’est un lecteur extrêmement sensible et réactif. Il peut tout à fait lire un
livre qui devient pendant quelques mois ou quelques années un élément central de son existence.
C’est un écorché. Tout ce qui va le toucher le marque donc avec beaucoup de force et ses réactions
sont proportionnelles. S’adresser à ce public nécessite de la vigilance. En même temps, c’est également l’occasion de proposer aux lecteurs des délires dans lesquels ils vont s’engouffrer. En tant
qu’auteur, on profite de cette grande réactivité aussi.
MM : Quel rapport entretenez-vous avec vos lecteurs ?
EL : D’une part, on peut parler de « cyber-rapports ». Par l’intermédiaire du forum de A comme association ou des blogs de lecteurs, j’observe leurs discussions sur mon travail et ces dernières ne me
laissent jamais indifférent. Je n’ai pas de prise sur ce discours mais il m’a permis de me rendre
compte de la grande importance que pouvaient avoir un auteur et ses livres dans la vie de ces jeunes.
En même temps, il y a quand même une proximité : la plupart d’entre eux dit spontanément « Erik »,
comme si je faisais partie de leur groupe. Les rencontres lors des salons ou des dédicaces représentent le second versant de ces rapports. Les lecteurs sont davantage intimidés car j’entre à ce moment-là dans leur réalité. J’essaie d’être attentif et bienveillant, tout en gardant une distance qui me
semble normale et salutaire. Après, ils se créent le personnage qu’ils veulent voir.
Pour que le livre continue à être un objet magique, je pense qu’il
faut le laisser être un livre.
MM : Avez-vous des projets incluant le numérique ?
EL : Je pense avoir instauré de l’interactivité dans mes livres avant même qu’on parle autant du livre
numérique. Dans le premier tome de Phænomen, mes héros fuient dans Paris et passent devant une
affiche sur laquelle est indiquée une adresse électronique. Les quelques lecteurs qui ont eu la curiosité d’aller voir ce site ont pu y trouver trois photographies avec quatre personnages dans la foule,
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identifiés par un cercle. Dans ces trois images, il y avait la clé pour comprendre la fin du dernier tome
qui allait paraître trois ans plus tard. J’estime donc ne pas être réfractaire à ces pratiques. Mais aujourd’hui que tout le monde me parle de numérique, je n’ai pas envie de faire quoi que ce soit. Pour
moi, dans le cadre d’un roman, cela n’apporte rien. Tout ce qui peut renvoyer à de l’image est antinomique avec l’essence même du roman puisque les images sont derrière chaque mot. Je suis cinéphile mais ce sont deux choses très différentes. Le fait qu’on mêle les deux me gêne. Pour que le livre
continue à être un objet magique, je pense qu’il faut le laisser être un livre.
MM : Quels sont vos projets à venir ?
EL : Pour me reposer de cette longue série, je vais écrire un livre unique, dans un univers entièrement réaliste et pour un public de jeunes adultes. Dans ce prochain récit, comme toujours, rien ne
sera particulièrement effrayant pour un plus jeune lecteur, mais le sujet le touchera sans doute
moins. Enfin, quoi qu’il advienne de ce livre, succès ou pas, j’ai la certitude que c’est celui-là qu’il me
faut écrire !
Propos recueillis par Marieke Mille, rédactrice en chef de la revue Lecture Jeune, initialement paru sur
le blog de Lecture Jeunesse en novembre 2012.
Rencontre avec… Erik L’Homme, par Marieke Mille (novembre 2012)
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Publications
Le Livre des étoiles
Qadehar le sorcier, Gallimard Jeunesse, 2001.
Le Seigneur Sha, Gallimard Jeunesse, 2002.
Le Visage de l’Ombre, Gallimard Jeunesse, 2003.
Les Maîtres des brisants
Chien-de-la-lune, Gallimard Jeunesse, 2004.
Le Secret des abîmes, Gallimard Jeunesse, 2005.
Seigneurs de guerre, Gallimard Jeunesse, 2009.
Phænomen
Phænomen, Gallimard Jeunesse, 2006.
Plus près du secret, Gallimard Jeunesse, 2007.
En des lieux obscurs, Gallimard Jeunesse, 2008.
Contes d’un royaume perdu, illustrations de François Place, Gallimard Jeunesse, 2003.
Cochon Rouge, Gallimard Jeunesse, 2009.
Des Pas dans la neige, Gallimard Jeunesse, 2010.
A comme association
La Pâle Lumière des ténèbres, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2010.
Les Limites obscures de la magie, Pierre Bottero, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2010.
L’Etoffe fragile du monde, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.
Le Subtil Parfum du soufre, Pierre Bottero, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.
Là où les mots n’existent pas, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.
Ce qui dort dans la nuit, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2011.
Car nos cœurs sont hantés, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2012.
Le regard brûlant des étoiles, Gallimard Jeunesse/Rageot éditeur, 2012.
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