AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D`APPEL DE PARIS Pôle 2

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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D`APPEL DE PARIS Pôle 2
Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 7
ARRET DU 25 JUIN 2014
(n° 22 ,6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/03299
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Novembre 2012 -Tribunal de Grande Instance de
BOBIGNY - RG n° 11/04956
APPELANT
Monsieur Michel CARPENTIER
12 rue de Villeras Val d'Albian
78350 JOUY EN JOSAS
représenté par Me Charles-hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat
postulant, au barreau de PARIS, toque : L0029
assisté de Me Hélène LAGUZET, avocat plaidant, au barreau de PARIS, toque : E2058
INTIMEE
SNC LE PARISIEN LIBERE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit
siège
25 avenue Michelet
93400 Saint Ouen
représentée par Me Basile ADER de l'AARPI ADER, JOLIBOIS, avocat au barreau de PARIS,
toque : T11, substitué à l'audience par Me Amélie TRIPET de l'AARPI ADER, JOLIBOIS, avocat au
barreau de PARIS, toque : T11.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 Avril 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Sophie PORTIER, présidente
Monsieur François REYGROBELLET, conseiller
Madame Sophie-Hélène CHÂTEAU, conseillère
1
qui en ont délibéré sur le rapport de Sophie-Hélène CHATEAU.
Greffier, lors des débats : Melle Fatia HENNI
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées
dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Sophie PORTIER, président et par Melle Fatia HENNI, greffier auquel la minute du
présent arrêt a été remise.
***
Par acte d'huissier en date du 8 février 2011, Michel CARPENTIER a fait assigner la SNC
LE PARISIEN LIBERE et Marie-Odile AMAURY devant le Tribunal de Grande Instance de
Bobigny pour atteinte à sa présomption d'innocence résultant d'un article (version papier et
numérique) intitulé «des centaines d'animaux exotiques découverts dans un pavillon » publié
le 10 novembre 2010 qui comportent les propos suivants :
« Ce retraité aurait « récupéré '' ces animaux dans des laboratoires.
Des centaines d'animaux exotiques dont une majorité despèces rares: sinqes,
serpents, perroquet, mais aussi des rapaces, des rats, des souris. des chiens et des chats,
détenus par un particulier dans des conditions « déplorabtes '' selon la Fondation 30
Millions d'amis à l'origine de cette opération...
« il s'agit d'une opération de secours pour le bien-être des animaux. Les sinqes sont
enfermés dans des cages trop petites et dehors. Quant aux oiseaux, ii suffit de les
reqarder pour s'apercevoir qu'ils ne sont pas en bonne santé '', explique Jean-François
LEGUEULLE, délégué général de la Fondation 30 Millions d'amis, qui a été mise sur la
piste de ce collectionneur un peu particulier par des voisins il y a quelques mois. ''
Il exposait que cette publication faisait suite à une saisie de treize macaques et de trente
perroquets qui avait eu lieu le 9 novembre 2010 à son domicile dans le cadre d'une enquête
préliminaire diligentée par le Parquet de VERSAILLES pour détention illégale d'animaux
non domestiques et maltraitance, laquelle avait été déclenchée par l'association 30 millions
d'amis relayant la plainte d'un voisin, que trente journalistes environ étaient présents lors de
la saisie qui avaient été avertis par la fondation 30 millions d'amis, qu'il avait remis les
documents légaux à la police et n'avait donc pas été placé en garde à vue à l'issue de la saisie
; qu'il avait travaillé comme responsable animalier de la singerie à l'INRA et s'était vu confier
par les scientifiques de l'INRA, pendant 20 ans, vingt sept singes âgés de quelques semaines ,
qu'il était désormais à la retraite mais continuait de s'occuper de façon bénévole des animaux
abandonnés qu'on voulait bien lui confier, étant précisé que les services vétérinaires et le
milieu animalier l'avaient distingué à plusieurs reprises pour ses actions et que les animaux
trouvés chez lui au moment de la saisie étaient suivis médicalement et déclarés ;
M.CARPENTIER affirmait que l'article en question portait atteinte à sa présomption
d'innocence et fondait donc son action sur l'article 9-1 du Code civil dans la mesure où l'écrit
litigieux contenait des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise sa
culpabilité.
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Par jugement contradictoire, en date du 20 novembre 2012, le Tribunal de Grande Instance
de Bobigny:
- a déclaré l'action de Michel CARPENTIER irrecevable à l'encontre de Marie-Odile
AMAURY prise en sa qualité de « directeur de publication »;
- a déclaré Michel CARPENTIER recevable pour les demandes formées à l'encontre de la
SNC LE PARISIEN LIBERE,
- l'en a débouté, l'atteinte à la présomption d'innocence n'étant pas établie à l'analyse de
l'article du PARISIEN,
- a condamné Michel CARPENTIER aux entiers dépens de l'instance, autorisation étant
donnée à Maître Basile ADER de recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sur le
fondement de l'article 699 du Code de procédure civile ;
- a condamné Michel CARPENTIER à payer à la SNC LE PARISIEN LIBERE et à
Marie-Odile AMAURY la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code
de procédure civile ;
Le 19 février 2013, M.CARPENTIER a interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal de
Grande Instance de Bobigny le 20 novembre 2012 uniquement à l'encontre de la SNC LE
PARISIEN LIBERE.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 29 avril 2014, Michel CARPENTIER demande à la
cour de :
- dire et juger que la société LE PARISIEN LIBERE a porté atteinte au droit à la
présomption d'innocence dont bénéficie Michel CARPENTIER en publiant l'article en cause
dans le journal LE PARISIEN et sur le site internet « le parisien.fr » le 10 novembre 2010,
- condamner la société LE PARISIEN LIBERE à verser à Monsieur CARPENTIER la
somme de 13.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au
titre de la violation à son droit à la présomption d'innocence,
- interdire à la société LE PARISIEN LIBERE de procéder à toute nouvelle diffusion,
publication ou exploitation directe ou indirecte de l'article objet du litige,
- ordonner la diffusion aux frais exclusifs des défendeurs, sur la page d'ouverture du site
http://www.leparisien.fr, pendant une durée d'une semaine, dans les huit jours suivant la
signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, du
communiqué suivant :
« par arrêt du ..., la Cour d'appel de Paris a condamné la société LE PARISIEN LIBERE
pour avoir porté atteinte à la présomption d'innocence de Monsieur C. »
- condamner la société LE PARISIEN LIBERE à payer à Monsieur CARPENTIER la
somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- condamner la société LE PARISIEN LIBERE aux entiers dépens de première instance et
d'appel.
Au soutien de ses prétentions l'appelant fait valoir que l'article en question porte atteinte à sa
présomption d'innocence dans la mesure où l'écrit litigieux contiendrait des conclusions
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définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise sa culpabilité. Il soutient que le sens
général de cet article consiste en une présentation systématiquement défavorable et cynique
de lui même, incitant le lecteur à adhérer à la thèse de la Fondation 30 Millions d'amis, et à
comprendre qu 'il est coupable des faits de mauvais traitement et d'illégalité de la détention
des animaux, sur lesquels l'enquête judiciaire est diligentée. Il estime que la conclusion de
l'article :
'Entendu par les enquêteurs qui semblent exclure la piste d'un trafic, il risque des poursuites
pour détention illégale d'animaux sauvages et encourt plusieurs milliers d'euros d'amende. Le
Parquet rendra sa décision dans quelques semaines. Enattendant, les autres animaux saisis
ont été dirigés vers des centres de la faune sauvage en France. '' conforte le lecteur dans cette
conviction et qu'il a donc bien été présenté publiquement comme coupable des faits ;
Dans ses dernières conclusions signifiées le 17 juin 2013, la société LE PARISIEN LIBERE
demande à la Cour de:
- confirmer purement et simplement le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté Michel
CARPENTIER de l'ensemble de ses demandes aux motifs que l'article litigieux ne portait pas
atteinte à sa présomption d'innocence ;
- débouter Michel CARPENTIER de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner Michel CARPENTIER à verser au concluant la somme de 3.000 euros sur le
fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en outre tous les dépens de première
instance et d'appel, dont distraction, pour ceux qui le concernent, au profit de Maître Basile
ADER, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses conclusions l'intimé fait valoir que l'article 9-1 du code civil 'ne fait pas
obstacle au droit pour le journaliste de rendre compte d'affaires judiciaires en cours
d'instruction, en divulguant le nom des personnes poursuivies", qu'en l'espèce la découverte
des 'animaux exotiques dans un pavillon', occupé par 'un retraité de l'institut national de la
recherche agronomique' sont des faits avérés et d'ailleurs non contestés par l'appelant, que si
des propos critiques sont tenus, ils le sont par le représentant de la Fondation 30 millions
d'amis, Monsieur Jean François LEGUEULLE, que s'agissant des propos tenus par un tiers le
journaliste n'est pas tenu d' en vérifier la réalité.
Il ajoute que le journal a laissé amplement la parole à Monsieur Michel CARPENTIER qui a
pu ainsi donner lui-même les éléments d'explications utiles, qu'il en découle qu'aucune
opinion tranchée sur la culpabilité de Monsieur CARPENTIER ne s'est imposée à la lecture
de l'article et qu'en conséquence aucune atteinte à la présomption d'innocence n'en résulte au
sens de l'article 9-1 du code civil.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 30 avril 2014 ;
SUR CE,
Considérant que l''article 9-1 alinéa 2 du Code civil dispose que 'lorsqu'une personne est,
avant toute condamnation présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet
d'une enquête ou d'une, instruction judiciaire le juge peut prescrire toute mesure utile pour
mettre fin à l'atteinte à la présomption d'innocence et réparer le dommage subi ;
Considérant que pour porter atteinte à la présomption d'innocence, l'écrit litigieux doit
contenir des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité.
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Considérant que Michel CARPENTIER soutient que l'ensemble de l'article éclaire les propos
litigieux, que les photos publiées autour de l'article ont pour objectif d'illustrer les
accusations de la Fondation 30 millions d'amis qui estimait que Michel CARPENTIER
maltraitait ces animaux (cages trop petites, expression vulnérable des animaux), que la
mention des fonctions occupées par Michel CARPENTIER inciterait le lecteur à penser que
ce dernier aurait abusé de sa fonction pour obtenir et garder ces animaux, que le sous-titre
« la piste du trafic semble être exclue » serait, au contraire, destiné à attirer l'attention du
lecteur sur la gravité des faits ;
Considérant que c'est par des motifs pertinents que le tribunal a estimé qu'en indiquant que
les fonctions occupées par Michel CARPENTIER, retraité de L'INRA (Institut National de la
Recherche Agronomique) où il occupait des fonctions de responsable animalier, le
journaliste avait souligné le légitime l'intérêt que le dit retraité pouvait porter aux espèces
protégées retrouvées chez lui, compte tenu de ses fonctions passées ainsi que sa compétence
pour en prendre soin ; qu 'en indiquant que la piste du trafic semble exclue, le journaliste
donne une présentation objective de la situation et fait preuve d'une prudence certaine qui
permet au lecteur de ne pas avoir une analyse tronquée des faits ou exclusivement à charge,
et ne tend pas à leur donner, contrairement à ce que soutient l'appelant, un caractère de
gravité particulière ;
Considérant que le tribunal a justement retenu que si des précisions sont certes données dans
l'article sur les mauvaises conditions supposées dans lesquelles les animaux auraient été
détenus, celles-ci sont rapportées comme résultant des propos , cités entre guillemets , tenus
par la Fondation 30 millions d'amis et par M.Jean-François LEGUEULLE, délégué général
de ladite Fondation ; que contrairement à ce qu'indique M. Michel CARPENTIER, le
journaliste du Parisien a pris la précaution de respecter le caractère contradictoire de son
enquête puisqu'il lui a donné la parole, a repris sa version des faits, également citée entre
guillemets, expliquant ses motivations et les soins qu'il avait prodigués aux animaux et la
défense qu'il oppose aux griefs émis à son encontre par la Fondation 30 millions d'amis ; qu'il
ne peut donc être reproché au journaliste ne pas avoir suffisamment donné la parole à
M.CARPENTIER dès lors que l'essentiel des éléments de sa défense est exposé ;
Considérant qu'à la lecture de la conclusion de l'article - 'il risque des poursuites pour
détention illégale d'animaux sauvages et encourt plusieurs milliers d'euros d'amende. Le
parquet rendra sa décision dans quelques semaines.' - M. CARPENTIER ne peut prétendre
que sa culpabilité a été présentée comme acquise, alors que le journaliste utilise le terme
'risque' et parle donc d'éventuelles poursuites, encore en débat au parquet, ce qui démontre
que celles-ci n'ont pas encore donné lieu à une décision de la part de l'autorité de poursuite ;
qu'à aucun moment le terme de culpabilité ou d'illegalité n'est employé mais qu'au contraire
il est souligné l'incertitude de l'issue pénale de l'affaire, ce que comprend tout lecteur, même
s'il n 'est pas juriste ;
Considérant qu'en conséquence la cour confirmera l'analyse du tribunal de Bobigny en ce
qu'il a retenu qu'aucune conclusion définitive manifestant un préjugé tenant pour acquise la
culpabilité de M.Michel CARPENTIER pour les faits de maltraitance sur animaux
poursuivis, et pour lesquels il aurait été finalement relaxé, ne figure dans l'article contesté du
Parisien ; que le jugement étant confirmé, Michel Carpentier sera débouté de toutes ses
demandes ;
Sur les frais et dépens
Considérant qu'eu égard au sens du présent arrêt, Monsieur Carpentier supportera les dépens
d'appel et sera condamné à payer à la société Le Parisien libéré la somme de 1500 € en
application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause
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d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition,
Confirme le jugement déféré,
Condamne Michel CARPENTIER à payer à LA SOCIETE LE PARISIEN LIBERE une
somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens
d'appel dont distraction, pour ceux qui le concernent, au profit de Maître Basile ADER, en
application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Rejette tout autre demande.
LE PRESIDENT LE GREFFIER
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