algerie : l`armee tient toujours les urnes

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algerie : l`armee tient toujours les urnes
ALGERIE : L’ARMEE TIENT TOUJOURS LES URNES
Luis Martinez
CERI / FNSP
Les élections présidentielles d’avril seront enfin libres, assurent les généraux. Mais leur
favori, Ali Benflis, a toutes les chances de l’emporter sur Abdelaziz Bouteflika.
En avril 2004, les électeurs algériens éliront leur président. Enfin en toute liberté? Les généraux
le disent à longueur de colonnes dans les médias. Mais on peut en douter.
Depuis la destitution du président Chadli Bendjedid en 1991, la présidence algérienne
est une institution sous influence : tout au long des années 90, c'est l'armée qui a fait
et défait les chefs de l'Etat, en truquant purement et simplement le scrutin ou en intimidant les
prétendants indésirables. Seule la nomination de Mohammed Boudiaf en 1992, bientôt suivie
de son assassinat par un présumé islamiste, échappa à cette règle : par sa politique, le
président menaçait le pouvoir d'une armée en pleine guerre contre les groupes islamistes.
En 1995, l'élection sans surprise du général Liamine Zeroual visait à restaurer un Etat ébranlé
par la violence née de l'interruption du processus électoral en décembre 1991. En 1999,
l'élection, faute de candidats, d'Abdelaziz Bouteflika, ancien ministre des Affaires étrangères de
Boumediène (1965-1979), avait pour but de rétablir la crédibilité de l'Algérie sur la scène
internationale. Les critiques contre les violations massives des droits de l'homme perpétrées par
l'armée avaient en effet provoqué un sentiment « d'insécurité juridique » chez les généraux, qui
craignaient d'être traduits en justice. A chaque élection, il s'agissait en somme de démontrer, à
la communauté nationale, puis internationale, que l'Etat restait debout, en dépit d'une guerre
civile meurtrière.
Le contexte du scrutin de 2004 est très différent. Les groupes armés islamistes ne menacent
plus la sécurité de l'Etat. L’Algérie a repris sa place sur la scène internationale : de l'accord
d'association dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen à l'engagement dans la lutte
contre le terrorisme mondial, Alger est en phase avec Paris et Washington. La crainte de
procès internationaux contre les généraux s'est évanouie depuis le 11 septembre 2001.
L’embargo moral qui frappait Alger est levé et les militaires, désormais à l'avant-garde de la
lutte contre le terrorisme mondial, reçoivent l'armement nécessaire contre la guérilla. Dans ce
contexte de « normalisation », les généraux, grands seigneurs, proclament donc leur neutralité
dans la course à la présidence. L'enjeu est de taille. Un scrutin libre, sans interférence de l'arLuis Martinez – Algérie : l’armée tient toujours les urnes – CERI / Alternatives internationales – Janvier-février 2004
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mée, serait une première en Algérie. Il permettrait d'envisager enfin le début d'un processus de
démocratisation. Mais, au-delà des déclarations d'intention, rien n'indique que l'armée soit
prête à faire confiance aux hommes politiques du pays. Le système repose en effet sur
l'entretien d'une classe politique d'environ trois mille personnes, qui a noué avec l'armée une
relation d'extrême dépendance et touche les bénéfices de sa servitude volontaire (postes
de députés, villas, comptes à l'étranger, etc.). Le mépris des généraux à son égard est
immense.
ÉVITER UN "BOUDIAF BIS"
Ils tireront donc une fois de plus les ficelles électorales. Depuis des mois, la presse algérienne
souligne la préférence de l'armée pour l'ancien Premier ministre Ali Benflis, actuel
secrétaire général du Front de libération nationale, apprécié des investisseurs étrangers et
perçu comme capable de mettre en oeuvre les réformes économiques indispensables.
Les critiques acerbes de généraux à la retraite contre Abdelaziz Bouteflika, candidat à sa
propre succession, confirment ce parti pris. Ils lui reprochent pêle-mêle son « mépris » pour une
partie de la haute hiérarchie de l'armée, d'avoir blanchi une partie des islamistes à la faveur de
la loi sur la concorde civile et, surtout, de ne pas savoir prendre les mesures
économiques nécessaires pour enrayer la paupérisation rapide de la population. Mais surtout,
Ali Benflis rassure une armée qui ne tient pas à voir revenir un « Boudiaf bis », un président
relativement autonome. Or, il est facile pour l'armée de soutenir, grâce à ses réseaux
(médias, syndicats, partis politiques, associations), sa candidature. Son élection paraît dès
lors acquise. Ce n'est sans doute pas en 2004 encore que l'armée algérienne affranchira la
classe politique de sa sujétion.
Luis Martinez – Algérie : l’armée tient toujours les urnes – CERI / Alternatives internationales – Janvier-février 2004
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