Source : Le journal de l`Institut http://www.institut

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Source : Le journal de l’Institut
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Entretien avec Olivier Barrot
Vous êtes à la fois un homme de plume et un homme d'audiovisuel. Quelle différence
faites-vous entre l'oral et l'écrit ?
Je ne pense jamais à la différence entre l'oral et l'écrit. Pour moi, c'est une seule expression. Je
me suis très vite aperçu que ma façon de m'exprimer oralement était élaborée, sophistiquée, et
même à la limite de la préciosité. Or, cette façon qui est la mienne ressemble beaucoup à ma
façon d'écrire. Il me semble que l'articulation de la pensée que traduisent l'écrit ou l'oral n'est
pas linéaire, je passe mon temps à faire des relatives, des incises et des périphrases. J'ai
l'impression d'écrire un français formellement sans défaut, mais au total assez raide. Mon
cheminement oral est, me semble-t-il, analogue : mon discours est organisé, très rarement
spontané. Il ne s'agit jamais, chez moi, d'un jaillissement informel.
Quelle différence faites-vous alors entre "oral" et "improvisation" ?
J'ai des facilités dans l'improvisation. Je maîtrise assez bien les figures du discours, je ne perds
jamais le fil, cela dit sans vanité aucune : j'ai l'esprit ainsi fait. Le discours est une manière de se
défendre, et l'organisation du discours permet de mettre en place des remparts derrière
lesquels je me protège. D'où, sans doute, le perfectionnement de mon propre argumentaire.
D'un autre côté, je me sens assez à l'aise dans le rapport entre la rhétorique et la dialectique,
autrement dit le discours n'est pas uniquement un moyen de se défendre, il tend à convaincre,
à quêter la bienveillance de l'interlocuteur. Au fond, il s'agit de gagner.
Et c'est l'objectif de votre émission littéraire sur France 3...
Oui. Le livre est, en soi, un acte ; la lecture est une conquête et une appropriation. Tout le
monde ne la pratique pas, ce n'est pas comme d'aller au cinéma. Le livre est assez rétif, il n'est
pas "donné", même s'il a des attributs de séduction : la couverture, la qualité du papier, etc.
L'objet reste opaque. Ma tâche est de rendre palpable un objet difficile et un contenu dont le
téléspectateur ignore tout. C'est un travail très difficile et il n'est pas plus simple aujourd'hui
alors que je le fais depuis près de quinze ans.
Vous arrive-t-il de réfléchir à la simplification du langage que vous utilisez ?
Oui, j'y pense souvent. Je suis un type surinformé, de par mon métier et de par une forme de
mémoire que je possède et dont je ne me vante pas plus que ça ; je suis "hypermnésique", je
me souviens de tout, et je connecte facilement entre eux tous les faits que j'ai en tête. Mon
propos peut donc être exagérément connoté, référencé. Or, je fais de la télévision pour le grand
public, à 18 heures, et la première de mes astreintes est d'être compris. Il m'arrive très
fréquemment de simplifier les textes que j'écris. Je travaille depuis très longtemps avec un chef
machiniste qui a une oreille exceptionnelle et une sensibilité quasi musicale aux mots, peut-être
parce qu'il vient de la scène et du théâtre. Il est le seul à attirer mon attention, par exemple, sur
les répétitions de mots. S'il y a une répétition dans mon texte, c'est qu'il n'était pas là ce jour-là.
S'il ne comprend pas ce que je dis, il va me le dire. Il participe à mon travail bien au-delà de la
conscience qu'il en a, et c'est très souvent vers lui que je me tourne quand la prise est terminée.
Constatez-vous aujourd'hui une prééminence de l'oral sur l'écrit ?
Prééminence était surtout donnée aux images, avant l'arrivée d'Internet. Les éléments sonores
à la télévision sont toujours "enfoncés" par le visuel. C'est pour cela que, dans les trois minutes
quotidiennes de "Un livre, un jour", on émet énormément de sens. A moi seul, déjà, je suis "le
type qui sait", j'ai lu ce dont je parle. Par ailleurs, la brièveté de l'émission doit être compensée
par sa densité. Il y a ce que je dis, ce que je fais dire aux auteurs lorsqu'ils sont invités, mais
aussi un habillage et une illustration musicale chargés de sens. Cependant, l'image l'emporte
toujours sur l'oral. Ce qui était imprévu, c'est le retour spontané de l'écrit, autorisé par Internet :
les blogs, etc. Le tout visuel est donc mis en brèche par le mode écrit, même si on peut penser
ce qu'on veut du langage SMS : c'est objectivement de l'écrit. Et par rapport à tout ça, l'oral est
en cause. Le visuel reste hégémonique, puisque l'écrit passe par le visuel : quand on parle
d'Internet, il s'agit toujours d'un écran ! Aujourd'hui, la première expression de l'oral, c'est le
téléphone portable.
Dans ces conditions, est-il encore possible de parler de transmission ou de tradition
orale ?
C'est quand même le plus facile ! L'expression des sentiments s'opère par l'oral. La formidable
vogue de la radio vient quand même à rebours, mais montre qu'on a envie et besoin d'un média
fondé sur la voix humaine, une médiation à notre échelle, moins écrasante que l'image. Je n'ai
pas le sentiment d'une raréfaction de l'expression orale. Quand les adolescents parlent entre
eux, c'est crypté pour des questions de références mais aussi pour des questions de langage.
L'oral sert à la fois de liant, mais aussi de cryptage ou de ségrégation, par le rythme, le choix
des mots etc. Prenez "L'Esquive", le film d'Abdellatif Kechiche, qui a obtenu, entre autres, le
César du meilleur film cette année. Quelle est l'expression commune au langage classique
français et au parler des jeunes des banlieues ? La réponse du film, c'est Marivaux : l'oral par la
scène. C'est le symbole du film, il n'y a pas péril car toute invention verbale est, en soi, porteuse
de sens.
JB
>>> Journaliste, écrivain, producteur de télévision. Directeur de la rédaction de Senso, il anime
et produit quotidiennement sur France 3 l'émission "Un livre, un jour".

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