Le bien-être psychologique des personnes âgées par la
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Le bien-être psychologique des personnes âgées par la
Revue québécoise de psychologie, vol. 17, n° 2, 199 6 LE BIEN-ÊTRE PSYCHOLOGIQUE DES PERSONNES ÂGÉES PAR LA POURSUITE DES BUTS PERSONNELS Léandre BOUFFARD1 Micheline DUBÉ2 Université de Sherbrooke Université du Québec à Trois-Rivières Sylvie LAPIERRE Étienne BASTIN Université du Québec à Trois-Rivières Université de Sherbrooke Résumé Une intervention portant sur l'élaboration, la planification et la poursuite de buts personnels est appliquée à des femmes âgées dans le but de promouvoir leur bienêtre subjectif. Cette intervention axée sur la perspective future (PF) est comparée à un groupe de discussion dans le cadre d'un schème avec prétest et posttest. Les rencontres de groupe durent une heure par semaine pendant huit semaines. Les résultats indiquent que les bénéfices procurés par l'intervention PF ne sont pas significativement supérieurs à ceux du groupe de discussion. Des analyses plus poussées ont révélé l'importance de tenir compte du fonctionnement initial des sujets pour évaluer les bénéfices obtenus par la participation à l'un des deux groupes. Une étude de cas illustre les améliorations observées chez une participante de l'intervention PF. Les résultats modestes, mais prometteurs, encouragent la poursuite de la recherche en vue de préciser le modèle et d'améliorer le programme d'intervention. 1 2 Subvention de la Direction générale de l'enseignement collégial, Ministère de l'Éducation du Québec. Subvention de la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la région Mauricie—Bois-Francs, Ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec Pour information, contactez L. Bouffard, Département de psychologie, Université de Sherbrooke, 2500, boul. Université, Sherbrooke (Québec), J1K 2R1. 110 Au cours des dernières années, la recherche sur les buts et la perspective future (PF) a connu un développement important (Frese et Sabini, 1985; Pervin, 1989; Zaleski, 1994). Bien que les auteurs utilisent différents concepts pour étudier la PF, ils s'accordent sur l'importance de la capacité d'anticiper et reconnaissent son influence sur la motivation, le comportement et le bien-être (p. ex. Lewin, 1942). Les effets bénéfiques de l'orientation vers un but (la PF) constituent l'un des résultats les plus solides de la psychologie générale (Locke et Latham, 1990; Payne, Robbins et Dougherty, 1991). La présence de buts personnels donne du sens à la vie (Reker, Peacock et Wong, 1987), tandis que l'absence de buts a quelque chose de pathologique (Nuttin, 1987). En effet, quel que soit l'âge de la personne, la capacité de faire des plans et de réaliser des projets est garante d'une bonne santé psychologique (Nuttin, 1985). L'objectif de la présente recherche consiste à restaurer, entretenir ou susciter un intérêt pour les choses à venir chez les personnes âgées. Plus spécifiquement, il s'agit de favoriser le développement de la PF en vue de promouvoir le bien-être psychologique des personnes âgées. La perspective future (PF) La PF est l'intégration du futur chronologique dans le présent psychologique (Lens, 1993). «Cette remarquable caractéristique humaine consiste à anticiper, à faire des plans et à organiser les possibilités futures» (Gjesme, 1983, p. 374). Elle est constituée d'aspirations, de préoccupations, de projections de soi, bref des buts de l'individu. Il s'agit de représentations mentales chargées de valeurs et d'affects (Emmons, 1989; Nuttin, 1980). L'existence des buts constitue donc la base même de la notion de PF. Parmi les dimensions de la PF, nous en retenons deux dans la présente recherche. La croyance en la réalisation de projets correspond à la probabilité que l'individu se donne d'atteindre un objectif valorisé à court ou à long terme. Cette croyance est couramment identifiée comme préalable à toute démarche personnelle nécessitant effort et persistance (Bandura, 1993; Deci et Ryan, 1985; Nuttin, 1985). L'attitude envers le futur (p. ex. optimisme/pessimisme) se rapporte à la dimension affective et constitue un facteur important de motivation et d'action (Nuttin, 1980; Staats et Stassen, 1987). 111 Le bien-être psychologique La notion de bien-être adoptée ici est large et multidimensionnelle. Elle correspond à l'expérience subjective de l'individu. Cette conception positive ne se limite pas à l'absence de symptômes, mais suppose l'adaptation aux pertes inhérentes au vieillissement (Lebowitz et Niederehe, 1992), l'adoption de nouveaux rôles (Erikson, Erikson et Kivnick, 1986) et l'optimisation des capacités disponibles (Baltes et Baltes, 1993). Le bien-être est concrétisé par quatre indices courants provenant des travaux classiques dans le domaine (George, 1981; Kozma, Stones et McNeil, 1991; Okun, Stock, Haring et Witter, 1984; Ryff, 1989). Ces indices sont la satisfaction de vivre, l'estime de soi, l'absence de dépression et l'autonomie psychologique définie comme la volonté d'exercer son pouvoir de décider et son pouvoir d'agir (Lamy, Dubé, Lapierre, Alain et Lalande, 1994). La PF et le bien-être Plusieurs auteurs considèrent les buts (selon leurs dimensions cognitive et affective) comme des prédicteurs utiles d'un large éventail d'indices de bien-être (Lecci, Okun et Karoly, 1994). Holahan (1988) précise que la «direction vers un but» explique plus de 50 % de la variance du bien-être psychologique. Lapierre, Bouffard et Bastin (sous presse) ont étudié le contenu de la PF en relation avec le bien-être des personnes âgées. Le bien-être (compétence, autodétermination, sens à la vie et satisfaction de vivre) est associé à des buts qui se rapportent à la croissance personnelle, à la réalisation d'activités variées et à un intérêt pour les autres, tandis que l'absence de bien-être est lié à des buts centrés sur le maintien du statu quo (autoconservation). La satisfaction de vivre est certes la variable la plus étudiée en matière de bien-être psychologique depuis Neugarten, Havighurst et Tobin (1961). Elle est reliée à l'extension temporelle des buts (Bouffard et Bastin, 1992), à l'existence des buts (Smith et Robbins, 1988) et à une attitude positive envers le futur (Bouffard, Dubé, Lapierre et Bastin, 1992). Pour Liber (1982), l'individu peut entretenir ou rehausser le sentiment de sa valeur personnelle non seulement à partir de ce qu'il a été et de ce qu'il est, mais aussi de ce qu'il deviendra. Pour leur part, Cross et Markus (1991) proposent la notion de «soi possible» (ce que l'individu voudrait ou aimerait devenir) et considère que les sois possibles fournissent à l'individu un instrument pour son propre développement et une source de valorisation personnelle. Les recherches empiriques montrent une relation entre l'estime de soi et la présence de buts personnels (Smith et Robbins, 1988), et une relation entre l'estime de soi et une attitude positive à l'égard du futur (Dubé, Bouffard, Lapierre et Bastin, 1993) . 112 Il est bien connu que la dépression fait disparaître toute perspective d'avenir (Fraisse, 1963) alors que la présence de buts significatifs est source d'espoir (Wolff, 1971). Bouffard et al. (1992) ont trouvé, d'une part, des relations négatives entre l'importance des buts et la dépression et, d'autre part, entre une attitude positive envers le futur et la dépression. De plus, Smith et Robbins (1988) rapportent une relation négative entre la dépression et l'existence de buts personnels. La décision d'entreprendre la réalisation d'une tâche ou la poursuite d'un but dépend en bonne partie de l'autonomie psychologique ou de la maîtrise que l'individu pense avoir sur sa vie (Nuttin, 1980). Bouffard et Bastin (1992) font état d'une relation modeste mais significative entre l'extension temporelle des buts et la perception de contrôle personnel, un concept voisin de celui d'autonomie psychologique. De même, Smith et Robbins (1988) démontrent l'existence d'un lien entre le contrôle personnel et la présence de buts personnels. Enfin, l'autonomie psychologique est fortement associée (r = 0,65) à la croyance en la réalisation de projets (Dubé et al., 1993). Bref, l'association de la PF avec les indices de bien-être psychologique est bien démontrée par les résultats des études corrélationnelles. Cependant, aucune recherche de type expérimental n'a établi la direction de la causalité. Les résultats de deux études longitudinales ont démontré que c'est l'engagement personnel dans la poursuite d'un but qui constitue un prédicteur de bien-être psychologique et non l'inverse (Brunstein, 1993; Emmons et King, 1988). Sur la base de ces résultats obtenus auprès d'adultes, nous pensons (avec Holahan, 1988; Lapierre et al., sous presse; Rapkin et Fisher, 1992; Robbins et al., 1994) qu'il est temps de mettre au point une intervention axée sur la PF s'adressant aux personnes âgées afin de vérifier la direction de la causalité et de fournir un programme utile aux praticiens oeuvrant auprès de ces personnes. 113 L'intervention L'intervention porte spécifiquement sur l'expression, la planification et la poursuite des buts personnels. Le choix d'une intervention de groupe se base sur les capacités relationnelles des personnes âgées et sur le soutien mutuel des participants (Toseland, 1990). Cette modalité d'intervention s'est avérée efficace pour augmenter la qualité de vie des sujets (Hegeman et Tobin, 1988), instaurer des conduites indépendantes (Kemper, Appelbaum et Harrigan, 1987), favoriser la croissance personnelle (le projet SAGE : Luce, 1979), rehausser l'estime de soi (Frey, Kelbley, Durham et James, 1992) et favoriser l'extension temporelle de la PF (Kostin, 1979). Les objectifs L'objectif général consiste à évaluer l'efficacité d'une intervention axée sur les buts personnels (PF) à l'endroit du bien-être psychologique des personnes âgées Concrètement et spécifiquement, il s'agit de vérifier si : 1. la PF augmente à la suite de l'intervention (croyance en la réalisation de projets, attitude face au futur); 2. les indices de bien-être psychologique s'améliorent à la suite de l'intervention (satisfaction de vivre, estime de soi, dépression, autonomie psychologique). De plus, on vérifiera l'effet modérateur du niveau initial de toutes les variables psychologiques précédemment mentionnées et des variables sociodémographiques. Enfin, il est prévu de recueillir des données anecdotiques en vue de rejoindre l'expérience vécue par les participants et de réviser éventuellement le programme d'intervention. MÉTHODOLOGIE Les sujets L'échantillon est composé de 75 femmes âgées de 65 ans et plus dont l'âge moyen est de 77 ans. Une proportion de 38 % vit à domicile et bénéficie des services d'un centre de jour, 20 % vit en pavillon et 36 %, en centre d'accueil. Les handicaps fonctionnels qui affectent ces personnes se rapportent principalement aux activités de la vie quotidienne, ce qui explique le recours aux services du centre de jour ou la résidence en institution. Les personnes ont été contactées par les membres du personnel des institutions et elles ont signé un formulaire de consentement. Elles ne souffrent pas d'handicap cognitif ni de trouble psychiatrique. Les trois quarts d'entre elles sont veuves et de niveau socio-économique bas. Les sujets de chaque milieu ont été répartis de façon aléatoire entre deux conditions expérimentales : l'intervention PF et un groupe de discussion permettant de contrôler l'effet placebo (ou effet Hawthorne). 114 Au cours de l'expérimentation, l'échantillon est passé de 75 à 61 sujets. Ces derniers ont participé à un minimum de cinq rencontres sur huit s'échelonnant sur autant de semaines. Le taux d'abandon de 19 % se compare avantageusement à celui généralement observé dans ce genre de recherche (Moran et Gatz, 1987). L'abandon ou l'absence aux rencontres a été causé par la maladie, par la visite d'un proche et par l'organisation d'activités parallèles dans l'institution. Les sujets qui ont abandonné ne se distinguent pas de ceux qui ont poursuivi. Il n'y a pas de différences significatives entre les 24 sujets du groupe expérimental (PF) et les 37 sujets du groupe de discussion, sauf que ces derniers nécessitent plus fréquemment le supplément de revenu (X2 = 8,1; dl = 1; p < 0,005). Le déroulement de l'expérience Le questionnaire a été complété par l'interviewer au cours d'une entrevue individuelle d'environ une heure trente avec la personne âgée. Cette entrevue était précédée d'une brève visite amicale ayant pour but de préciser les objectifs de la rencontre et d'assurer la confidentialité. Elle comportait également l'avantage de faire baisser l'inquiétude ou la méfiance qui surgit fréquemment lors de la première passation des questionnaires. Ainsi se trouvait écartée la possibilité que les résultats du posttest s'expliquent par une baisse de la méfiance par rapport au prétest. Les rencontres de groupe (5-8 personnes) ont duré environ une heure et se déroulaient sous la direction d'une animatrice différente de l'interviewer. Elles ont eu lieu une fois par semaine pendant huit semaines. Les trois animatrices ont été choisies pour leur expérience et leur compétence en animation auprès des personnes âgées. Elles ont reçu une formation appropriée portant sur les processus et les techniques propres aux interventions auprès des personnes âgées (Toseland, 1990) et ont bénéficié de rencontres régulières avec les chercheurs au cours de l'intervention. Elles ont appliqué les deux types d'intervention (PF et discussion) afin de contrôler l'effet éventuel de l'animatrice. Chacune a été assignée au milieu d'expérimentation où elle travaille et a animé quatre groupes (deux groupes expérimentaux et deux groupes de discussion). L'intervention PF a donc été réalisée auprès de six groupes; il en est de même des rencontres de discussion. La description de l'intervention L'intervention centrée sur le futur (intervention PF) se déroule de façon à faciliter la mise au point, la planification et la poursuite de buts personnels relatifs au thème de la rencontre. Ces thèmes proviennent des buts exprimés par plus de 700 sujets âgés (Bouffard, Lapierre et Bastin, 1989); ils ont été retenus sur la base de l'importance que leur accordaient les personnes âgées et se veulent pertinents pour les individus vivant à domicile ou en institution. Si chaque thème n'intéresse pas 115 nécessairement chaque sujet, l'ensemble des thèmes devrait rejoindre l'ensemble des sujets et activer ainsi leur PF. Les détails sur l'intervention PF sont présentés au tableau 1. Par ailleurs, les rencontres qui s'adressent au groupe de discussion sont dirigées par les mêmes animatrices. Ce programme compte le même nombre de rencontres et ne porte pas sur le futur. Il comporte des échanges autour des thèmes suivants en regard du présent ou du passé : 1) la communication non verbale, 2) l'expérience et la sagesse, 3) la solitude, 4) le bien-être, 5) l'entraide, 6) les souvenirs, 7) les difficultés de la communication et enfin 8) la dernière rencontre qui comprend la synthèse, les adieux, les remerciements et la remise de la photo de groupe. Il est important de souligner que les deux conditions (PF et discussion) se distinguent par le fait que les thèmes du groupe de discussion portent sur le présent et le passé, tandis que ceux du groupe PF se rapportent au futur; il s'agit de buts personnels réalistes à préciser, à planifier et à poursuivre. La mesure des variables L'évaluation de la PF comporte deux dimensions : l'attitude à l'égard du futur et la croyance en la réalisation de projets. 116 Tableau 1 Intervention axée sur le futur (groupe expérimental) Objectif Favoriser l'élaboration, la planification et la réalisation de buts personnels, concrets et réalistes. Structure de la rencontre Chaque rencontre comprend deux parties principales (à part l'accueil et l'annonce de la session suivante) : 1. Élaboration de buts personnels relatifs au thème de la rencontre; 2. Choix de moyens et planification de l'action en vue d'atteindre les buts visés. Thèmes des rencontres (Chacun des thèmes est abordé en regard de l'avenir) 1. Mes activités préférées (anciennes activités à conserver et nouvelles que j'aimerais faire); 2. Mon autonomie et ma santé (que pourrais-je faire pour conserver ou améliorer mon autonomie et ma santé ?); 3. Le développement personnel (puis-je m'améliorer ?); 4. Retour permettant de faire le point sur les actions réalisées ou tentées, les stratégies utilisées et les difficultés rencontrées; 5. Mes relations avec les autres (relations que je voudrais conserver, améliorer ou créer); 6. Mes petits bonheurs (comment me faire plaisir ?); 7. Un sens à la vie (croyances, valeurs, mort...); 8. Retour final, adieux, remerciements et remise de la photo du groupe. L'attitude à l'égard du futur L'attitude face au futur est mesurée au moyen de l'Échelle d'attitude temporelle de Nuttin (1980) (test-retest = 0,57; consistance interne = 0,92). À chaque paire d'adjectifs (désagréable/agréable, menaçant/attrayant, etc.) correspond une échelle en sept points à l'aide de laquelle le sujet évalue sa perception du futur. Un chiffre élevé indique une attitude positive face au futur. Afin de ne pas surcharger l'entrevue, nous avons retenu cinq des dixneuf items; ils donnent un coefficient de consistance interne de 0,81 (132 sujets âgés) et un coefficient de corrélation test-retest de 0,61 à partir des scores de 40 sujets âgés interrogés à trois mois d'intervalle (Bouffard et al., 1992). 117 La croyance en la réalisation de projets Le questionnaire sur la croyance en la réalisation de projets évalue la probabilité que l'individu se donne de réaliser 25 buts sélectionnés parmi les plus fréquemment mentionnés par 700 personnes âgées (Bouffard, Lapierre et Bastin, 1989; Lapierre, Bouffard et Bastin, 1993). Les sujets indiquent leur réponse sur une échelle de quatre points (1 = ne se réalisera certainement pas; 4 = se réalisera certainement). Ce questionnaire a obtenu un coefficient de consistance interne de 0,85 auprès de 107 sujets âgés (Dubé et al., 1993). Quatre indices concrétisent la variable bien-être psychologique. La satisfaction de vivre L'échelle de satisfaction de vie élaborée par Diener, Emmons, Larsen et Griffin (1985) a été traduite et validée par Blais, Vallerand, Pelletier et Brière (1989) qui ont également fourni des normes pour une population âgée francophone. Cet instrument compte cinq items (alpha = 0,82) et sa structure factorielle se limite à un seul facteur qui explique 60 % de la variance. Les corrélations élevées avec d'autres instruments témoignent de sa validité. Lors d'une recherche antérieure (Bouffard et al., 1992), le coefficient alpha était de 0,72 (131 sujets âgés) et le coefficient de corrélation test-retest de 0,79 (40 sujets âgés interrogés à trois mois d'intervalle). Le sujet exprime sa satisfaction pour chaque item (p. ex. «Mes conditions de vie sont excellentes») à l'aide d'une échelle en sept points (1 = fortement en désaccord; 7 = fortement en accord). Un score élevé signifie un niveau élevé de satisfaction de vivre. L'estime de soi Les 16 items servant à évaluer l'estime de soi (p. ex. «J'ai confiance en mon habileté à évaluer une situation») sont empruntés à l'échelle «Estime de soi» du Personal Orientation Inventory de Shostrom (1963). Elle a été traduite et validée en français par Tremblay (1968) qui a obtenu un coefficient moyen de fidélité de 0,70. Il est fréquemment utilisé dans les recherches en psychogérontologie. Dans une recherche antérieure faite auprès de 108 sujets âgés, le coefficient de consistance interne de l'échelle d'Estime de soi se chiffrait à 0,65 (Dubé et al., 1993). Un score élevé signifie une bonne estime de soi. La dépression La dépression a été évaluée au moyen de l'Échelle de dépression gériatrique de Yesavage et al. (1983), traduite et validée en français par Bourque, Blanchard et Vézina (1990) (alpha = 0,89; moitié-moitié = 0,88; test-retest = 0,70). Un score élevé aux 30 items (p. ex. «Est-ce que vous ressentez un vide dans votre vie ?») indique la présence de dépression. L'autonomie psychologique 118 Le Questionnaire d'autonomie psychologique (Dubé et al., 1992) comprend 28 items répartis selon deux dimensions : le contrôle décisionnel et le contrôle comportemental, chacune comportant 14 items. Ces items sont répartis en trois sous-dimensions : la dynamique de l'individu, ses capacités et son intégration sociale. Le sujet indique à quelle fréquence il réagit de la façon décrite par l'item (p. ex. «Je veux prendre moi-même mes décisions») à l'aide d'une échelle en cinq points (1 = jamais; 5 = toujours). Un score élevé indique que le sujet manifeste une grande autonomie psychologique. L'analyse factorielle révèle que tous les items concourent bien à mesurer un seul facteur, l'autonomie psychologique expliquant 27 % de la variance. Les corrélations entre chacun des items et l'autonomie psychologique varient de 0,45 à 0,62 (Dubé, Alain, Lapierre et Lalande, 1992). Dans une étude auprès de 107 sujets âgés, le coefficient de consistance interne était de 0,86 (Dubé et al., 1993). L'évaluation de l'autonomie fonctionnelle L'autonomie fonctionnelle a été mesurée grâce au SMAF (Système de Mesure de l'Autonomie Fonctionnelle) (Hébert, Carrier et Bilodeau, 1988). Le SMAF est constitué de 29 items qui couvrent cinq secteurs fondamentaux d'aptitudes fonctionnelles : activités de la vie quotidienne, mobilité, communication, fonctions mentales et tâches domestiques. Un score élevé indique que la personne est en grande perte d'autonomie fonctionnelle. Le SMAF a été administré au prétest seulement. La collecte de données qualitatives Dans le but d'approfondir la compréhension des résultats quantitatifs, d'avoir accès aux processus impliqués au cours de l'intervention et de saisir — partiellement, au moins — l'expérience personnelle et l'évolution des participantes, un abondant matériel anecdotique a été recueilli. Pour ce faire, l'animatrice prend note des informations pertinentes à chaque séance, et ce, pour chaque participante du groupe expérimental. Ces données sont classées en trois catégories (buts, moyens et actions) et sont complétées par d'autres observations jugées utiles. RÉSULTATS L'impact de l'intervention L'analyse des résultats vérifie d'abord si l'intervention produit un effet sur la PF (objectif 1) et le bien-être psychologique (objectif 2). À cette fin, chaque dimension de la PF et chaque indice de bien-être est soumis à une analyse de la covariance dans laquelle les deux groupes (PF et discussion) représentent le facteur et la mesure prétest, la covariable. Dans le tableau 2, apparaissent les résultats au prétest et au posttest des groupes PF et discussion pour les dimensions de la PF et les indices 119 du bien-être. Il appert que l'intervention n'a pas produit d'effet significativement plus élevé que dans le groupe de discussion. L'effet modérateur du niveau initial des variables psychologiques Dans le but de vérifier l'effet éventuel du niveau initial des variables psychologiques (croyance en la réalisation de projets, attitude à l'endroit du futur, satisfaction de vivre, estime de soi, dépression et autonomie psychologique) sur les résultats de l'intervention, les sujets ont été divisés en trois sous-groupes pour chacune des variables et le tiers supérieur a été comparé au tiers inférieur dans le cadre de l'analyse de la covariance. Ainsi, l'analyse de la covariance inclut le facteur (groupe PF versus groupe discussion), la covariable (prétest) et le niveau (tiers inférieur versus tiers supérieur). Cette série d'analyses a révélé deux résultats intéressants et significatifs (p < 0,01). Le premier résultat indique que le groupe participant à l'intervention PF montre une amélioration significativement plus grande de la croyance en la réalisation de projets que celle du groupe de discussion. Cette observation est valable chez les sujets dont le niveau initial à cette variable est bas (3,02 au prétest devient 3,37 au posttest) ou élevé (3,66 devient 3,87). Deuxièmement, dans le groupe PF seulement, les sujets dont le niveau initial d'autonomie psychologique est élevé connaissent une augmentation de la croyance en la réalisation de projets (3,59 devient 3,74). 120 Tableau 2 Moyennes et écarts-types des groupes PF et discussion au prétest et au posttest pour les variables étudiées PF (n=24) Aspects de la PF Discussion (n=37) Prétest Posttest Prétest Posttest M (é.-t.) M (é.-t.) M (é.-t.) M (é.-t.) Croyance en la réalisation 3,35 3,47 3,42 3,46 (sur 4) (0,27) (0,39) (0,36) (0,34) Attitude face au futur 4,82 4,83 5,02 5,08 (sur 7) (0,94) (1,09) (0,97) (0,83) ANCOVA p 0,46 0,48 Indices de bien-être psychologique Satisfaction de vie 5,30 5,48 5,72 5,76 (sur 7) (1,20) (0,88) (0,80) (0,88) 12,67 13,46 13,14 13,19 (2,58) (1,98) (2,03) (1,91) Estime de soi (sur 16) Dépression 9,25 7,29 7,92 7,68 (sur 30) (6,03) (4,31) (5,05) (5,14) Autonomie psychologique 3,97 4.09 4,07 4,23 (sur 5) (0,45) (0,63) (0,43) (0,49) 0,79 0,33 0,35 0,63 L'effet modérateur des variables sociodémographiques Dans le but de vérifier si les variables sociodémographiques influencent les résultats de l'intervention, il convient de procéder au même type d'analyse qu'au paragraphe précédent. Dans le présent cas, l'analyse de la covariance inclut le facteur (groupe PF versus groupe discussion), la covariable (prétest) et la variable sociodémographique (âge, statut social, autonomie fonctionnelle, milieu de vie). Cette série d'analyses de covariance révèle trois effets significatifs. Premièrement, un niveau élevé d'autonomie fonctionnelle s'accompagne d'une augmentation de la croyance en la réalisation de projets, et ce, pour les deux groupes. Deuxièmement, il y a un effet de milieu : la croyance en la réalisation de projets diminue en centre d'accueil (pour les deux groupes), alors qu'elle augmente chez les personnes qui fréquentent le centre de jour ou vivent en pavillon (pour les deux groupes). Troisièmement, on constate un effet d'interaction groupe x milieu qui affecte l'estime de soi (p < 0,01). En effet, on observe, à la suite de l'intervention PF, une augmentation de l'estime de soi dans tous les milieux, sauf en centre d'accueil où elle reste stable; dans le groupe de discussion, il y a une augmentation de l'estime de soi chez les personnes en centre d'accueil et en pavillon et une diminution chez les sujets recrutés en centre de jour. Une étude de cas 121 Les données recueillies par les animatrices révèlent clairement que les participantes du groupe PF ont formulé des buts personnels réalistes et variés. Elles ont précisé, souvent avec l'aide du groupe, des moyens et des plans pour réaliser ces buts. Lors des retours (rencontres 4 et 8), il fut possible de constater que plusieurs personnes avaient effectué (ou tenté de faire) quelques-unes des actions prévues. Le climat du groupe et l'attitude chaleureuse de l'animatrice ont apporté un soutien solide dans la poursuite des objectifs individuels. L'intégration des données qualitatives donne lieu à des études de cas qui font apparaître des résultats positifs et illustrent bien l'expérience fructueuse vécue par des participantes du groupe PF. Voici donc un de ces cas. Cas 110 Madame G est âgée de 88 ans; elle est veuve et mère de huit enfants. Pendant sa vie active, elle a travaillé dans un magasin et à la caisse populaire de son village. Son conjoint travaillait à la coupe du bois. Elle vit dans son logement et est autonome bien qu'elle doive recevoir de l'assistance pour certaines tâches domestiques. Elle se sent très isolée, reçoit peu de visite de ses enfants et trouve difficile le milieu des HLM où l'on s'épie et se critique mutuellement. Cet isolement s'explique peut-être par le fait que Madame G n'est pas d'un contact facile, aimerait qu'on la plaigne, critique souvent et exprime peu de gratitude à la suite de ce qu'on fait pour elle. Elle fréquente le centre de jour deux fois par semaine. Elle s'est impliquée tout au long de la démarche sans manquer une seule rencontre (voir le compte rendu au tableau 3). La troisième rencontre marque un point tournant; elle décide de s'efforcer d'être plus patiente et de sourire. Finalement, elle s'est efforcée vraiment et a changé d'attitudes et de comportements. Le personnel du centre de jour a même noté le changement qui perdure encore cinq mois plus tard : moins de critique, plus de tolérance, sourire. Elle a également réalisé des progrès dans la poursuite d'autres objectifs : participation à un «groupe de mémoire» et récitation de la prière du mardi. 122 123 Les résultats au posttest corroborent ces changements positifs (voir le tableau 4). Toutes les variables ont connu une amélioration par rapport au prétest, sauf l'estime de soi — d'ailleurs très élevée — qui est restée stable. Tableau 4 Résultats au prétest et au posttest du cas 110 Prétest Posttest Croyance en la réalisation de projet (sur 4) 3,60 3,72 Attitude à l'endroit du futur (sur 7) 3,20 4,40 Satisfaction de vivre (sur 7) 5,20 6,00 14,00 14,00 Dépression (sur 30) 6,00 4,00 Autonomie psychologique (sur 5) 4,30 4,80 Estime de soi (sur 16) DISCUSSION Un programme d'intervention axé sur les buts en vue d'améliorer le bienêtre subjectif des personnes âgées a été comparé à des rencontres de discussion. L'analyse des résultats permet la formulation de quatre conclusions. Bien que les deux types d'intervention aient suscité des améliorations chez les participantes, au niveau des aspects de la PF et du bien-être, l'augmentation des scores dans le groupe PF n'est pas significativement plus grande que dans le groupe de discussion (objectifs 1 et 2). Ces résultats remettent en question le modèle d'intervention et la méthologie; il en sera question un peu plus loin. Cependant, il faut remarquer que les caractéristiques des sujets (femmes très âgées dont la perte d'autonomie fonctionnelle exige l'hébergement ou le recours aux services d'un centre de jour) limitent la portée de cette conclusion à cette seule population. En effet, des résultats indiquent que les personnes plus autonomes augmentent leur croyance en la réalisation de projets et leur estime de soi. Les personnes âgées vivant dans la communauté bénéficieraient sans doute davantage de l'intervention PF. Deuxièmement, l'analyse du rôle des variables modératrices a révélé l'influence de l'autonomie fonctionnelle et de l'autonomie psychologique dans le groupe PF. Cette conclusion fait voir le bien-fondé des profils de motivation de Lapierre et al. (1993) : les personnes favorisées aux plans physique et psychologique ne limitent pas leurs aspirations à la préservation de leur santé, mais manifestent une ouverture vers le futur, un intérêt pour leur croissance personnelle et une préoccupation pour le bienêtre de leur entourage. Cette conclusion vient également appuyer les théories courantes qui mettent l'accent sur l'importance de l'autonomie psychologique. En effet, elle est considérée comme un facteur décisif dans la poursuite d'un défi optimal (Deci et Ryan, 1985) et dans la volonté de passer à l'action (Kuhl, 1994). 124 Troisièmement, le milieu de vie crée des sous-groupes qui profitent mieux de l'intervention PF. Les participantes du groupe PF qui vivent à domicile ou en pavillon ont amélioré leur niveau de croyance en la réalisation de projets, ce qui ne fut pas le cas de celles vivant en centre d'accueil. De plus, celles qui demeurent chez elles ont connu une augmentation de l'estime de soi grâce à l'intervention PF, ce qui ne fut pas le cas non plus dans le groupe de discussion. Les deuxième et troisième conclusions nous encouragent donc dans la poursuite de l'étude du rôle des variables qui viennent moduler l'effet de l'intervention. Quatrièmement, l'examen des données qualitatives — l'étude de cas en particulier — démontre que les participantes du groupe PF ont exprimé des buts personnels, spécifié des moyens de les atteindre et sont passées à l'action ou ont tenté de le faire dans un certain nombre de cas. Ce type d'analyse assure également les chercheurs que les sujets n'ont ressenti aucun inconvénient à ce genre d'intervention. Elle fait voir l'implication personnelle des participantes de même que leur haut niveau de satisfaction relativement à leur participation aux rencontres. Enfin, les données anecdotiques s'avèrent très utiles pour la révision du programme d'intervention. Implications La théorie de Lens (1993) fait ressortir l'importance de promouvoir la PF comme approche d'intervention. Cependant, le modèle de Bandura (1993) incite à accorder plus de place aux variables modératrices telles l'autonomie psychologique dans l'intervention elle-même. Cette dernière devra donc viser la promotion de la PF et de l'autonomie psychologique puisque la poursuite des buts ne se réalisera pas sans l'implication personnelle et la «volition» nécessaire au passage à l'action (Kuhl, 1994). Sur le plan méthodologique, il semble pertinent de suggérer 1) d'évaluer la motivation personnelle à participer (Gitlin et al., 1992); 2) d'accorder plus de temps aux difficultés reliées à la réalisation des buts et plus de support aux participantes tout au long du processus; 3) de porter attention aux idées irrationnelles qui bloquent l'élaboration, la planification et la poursuite de buts personnels; 4) d'éviter de se centrer sur des thèmes généraux, mais de partir des intérêts de l'individu en l'amenant à identifier lui-même ses projets significatifs; 5) d'aborder plus systématiquement les différentes étapes de réalisation de projets que sont l'élaboration, la planification et la réalisation; 6) d'allonger l'intervention à 10 ou 12 semaines en vue d'augmenter la possibilité de modifier les attitudes et les comportements visés; 7) de vérifier 5 à 6 mois plus tard la stabilité des effets éventuels. 125 Sur le plan de la pratique professionnelle auprès des personnes âgées, il faut considérer que l'intervention axée sur le futur comporte des avantages qui peuvent être obtenus à peu de frais puisque l'animation exige une formation brève des intervenants, que les rencontres de groupe permettent à plus de personnes de profiter du programme et que les séances s'inscrivent facilement dans l'horaire d'une résidence, d'un centre de jour ou d'un centre de services communautaires. Puisque les quelques bénéfices de l'intervention PF sont apparus chez les participantes se caractérisant par un niveau élevé d'autonomie psychologique et d'autonomie fonctionnelle, on peut penser que les clientèles plus «lourdes» (peu autonomes aux plans psychologique et fonctionnel) profiteraient davantage de l'intervention PF si celle-ci était précédée (ou accompagnée) de sessions de type soutien social et psychologique (Toseland, 1990) les rendant plus aptes à poursuivre leurs buts. Le milieu de vie — qui reflète en partie le niveau d'autonomie fonctionnelle — influence également les résultats de l'intervention. Les personnes qui fréquentent le centre de jour et participent à l'intervention PF voient leur croyance en la réalisation de projets augmenter, ce qui n'est pas le cas de celles qui vivent au centre d'accueil. Dans les recherches futures, la santé physique des personnes hébergées devrait être prise en considération. Chez les personnes les plus fragiles, l'absence d'effet en matière de PF peut provenir non pas de l'inefficacité de l'intervention, mais d'une baisse d'énergie concomitante à l'expérimentation ou encore de l'arrivée de nouvelles pertes physiques ou autres qui bloquent l'émergence ou la réalisation des projets. Bien que les résultats de la présente étude soient modestes, il importe de poursuivre la recherche en vue d'améliorer et d'évaluer l'intervention axée sur le futur puisque la réalisation des buts personnels est garante d'une bonne santé psychologique. Abstract Previous research indicated that future time perspective (FTP) is an important component of subjective well-being and successful aging. An intervention program (8 weeks), based on FTP (personal goal setting, planning and striving), was used with elderly women in order to promote their well-being. This program was compared to a placebo intervention using a pre/post research design. Results indicated that the benefits of the FTP program were not significantly higher than those of the control group. Additional analyses demonstrated the importance of considering the subjects' initial level of functionning to evaluate the changes following the participation in the interventions. A case study showed the improvements of one woman taking part in the FTP program. Research must be carried on in order to complete the model of intervention and to improve the FTP program. Références Baltes, P. B. et Baltes, M. M. (Eds.). (1993). Successful aging. Perspectives from the behavioral sciences. New York : Cambridge University Press. 126 Bandura, A. (1993). Théorie sociale-cognitive des buts. Revue québécoise de psychologie, 14(2), 43-84. Blais, M. R., Vallerand, R. J., Pelletier, L. G. et Brière, N. M. (1989). L'échelle de satisfaction de vie : Validation canadienne-française du «Satisfaction with Life Scale». Revue canadienne des sciences du comportement, 21(2), 210-223. 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