COURONNEMENT D`UN CHEF DE CLAN AU PAYS

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COURONNEMENT D`UN CHEF DE CLAN AU PAYS
C O U R O N N E M E N T D’U N C H E F D E C L A N A U P A Y S Z A F I S O R O
par ANDRIAMIALISOA Henri Abel,
Institut National de Recherche et de Formation Pédagogiques, 1969
L’élection d’un Mpanjaka
Pour cette fonction élective, le texte nous conte comment est élu le chef
ou Mpanjaka du clan noble des Zafisoro. Tous les Zafisoro ne votent pas
mais tous sont représentés par les garagehy. Le vote peut d’une certaine
façon être dit censitaire, d’un cens que fixe l’âge. Les électeurs forment une
assemblée qui est un Sénat au sens étymologique du mot. Le futur
Mpanjaka doit posséder des qualités physiques, intellectuelles et morales.
Sa fonction ne lui permettra pas de s’enrichir. Au contraire. Nos politiciens
devraient écouter ce que nous apprend la connaissance des coutumes de nos
régions. Et – serait-ce trop leur demander ? – de suivre le même chemin que
les Mpanjaka Zanarevahatry mettant leurs biens au service de leur
peuple. En lisant ce texte qui reste actuel, on se souviendra 1) que le
cadre de la vie quotidienne à Antananarivo a beaucoup changé depuis
sa rédaction et 2) que le conflit ancien dont parle l’auteur a connu des
rebondissements au cours des dernières décennies. — J.P.D.
Chaque pays a ses moeurs et coutumes et chaque coutume a, selon l’histoire, ses
particularités. Vous qui avez longtemps vécu sur les Hauts-Plateaux, habitués à la vie urbaine
où les représentations théâtrales attirent fort bien la jeunesse et les séances
cinématographiques vous prennent des heures après une longue journée de travail et de
fatigue, où les diverses cérémonies : circoncision, exhumation, mariage, ne conservent plus
leur forme traditionnelle, où les difficultés de la vie, le temps et les circonstances ne
permettent plus aux pauvres gens d’observer attentivement ce qui, à un certain moment de la
journée, à une certaine époque de la vie, se passe autour d’elles. Vous qui, pour des raisons,
très diverses, parfois indépendantes de votre volonté, victime de cécité sociale, ne sachant pas
exactement quelle vie mènent vos concitoyens des côtes, ignorant complètement les folklores
de l’île, hostiles aux moeurs campagnardes et ennemis irréductibles de la tradition, n’hésitez
pas, allez à grands pas, dès le début des grandes vacances, voir vos braves compatriotes de la
Côte Est. Acceptez de bonne grâce mon invitation : "Assister au couronnement d’un
mpanjaka ou Chef de clan au pays zafisoro". Ouvrez vos yeux, tendez vos oreilles et
patientez! Vous serez charmés par les danses et les chants folkloriques des jeunes Zafisoro,
intéressés par le déroulement de la cérémonie.
De prime abord, j’estime nécessaire de faire connaissance avec cette population peu
connue dans l’île, que nos jeunes écoliers ne daignent même pas connaître. Ce sont des
descendants des Antaisaka, se divisant eux-mêmes en trois groupes principaux :
- les Zanarevahatry, de rang noble,
- les Zazalava ou hommes libres,
- les Antalampotsy, descendants d’andevo ou "Faran-jaza", (les derniers des peuples)
formant un clan rival des Antaifasy avec qui ils sont entrés depuis longtemps et très souvent
en lutte, en sont sortis vainqueurs et qui, même de nos jours ne s’entendent pas très bien avec
eux. Ils avaient selon la légende, un territoire commun se trouvant sur la Côte sud-est de
Madagascar, entre Vohipeno et Vangaindrano, aux environs de Farafangana. Voulant
s’approprier cet héritage, les Zafisoro avaient, après des années de lutte sans merci, l’idée de
tromper les Antaifasy en les invitant à boire ensemble en vue d’une franche cohésion et d’une
étroite collaboration. Ayant accepté volontiers cette invitation, n’ayant pas voulu se traiter
d’usurpateurs et de gens de mauvaise foi, ceux-ci s’y rendirent avec plaisir. De leur côté, les
Zafisoro préparaient à l’avance des cruches pleines de vin et les transportaient à l’endroit où
ils devaient recevoir leurs invités. D’autres cruches pleines de ranonampango (eau de riz cuit
dont la couleur ressemble beaucoup à celle du vin) étaient mises à part. Après les salutations
d’usage et un long discours prononcé par le Chef Zafisoro, tous ceux qui étaient présents se
mettaient à boire : les Zafisoro buvaient seulement de l’eau de riz, tandis que les Antaifasy,
n’ayant aucun soupçon sur le coup préparé contre eux, prenaient du vin et finissaient par
s’enivrer. Profitant de cette occasion, les Zafisoro battaient leurs adversaires si bien que ceuxci leur demandaient grâce. Depuis ce temps, les Zafisoro se déclaraient propriétaires
authentiques du territoire et s’y installaient.
Comment se déroule maintenant la cérémonie?
Quelques jours à l’avance, on annonce dans tous les villages environnants, à toute la
population, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, qu’une réunion doit avoir lieu au bourg ou
renivohitra le vendredi suivant. Ce jour, favorable à la cérémonie selon les prescriptions et les
principes du mpanandro est choisi pour une raison majeure : le vendredi est un jour léger
(andro maivana) ; les responsabilités d’un chef, selon la croyance, seront moins lourdes et les
ordres seront vite exécutés. Tout s’accomplira sans difficulté. Comme d’habitude, cette fête
se célèbre à la saison du café : tout le monde, même les familles les plus modestes, se trouve
ainsi dans la possibilité de se procurer tout ce dont on a besoin pour s’y préparer. Le jour
venu, tous les habitants bien endimanchés, les garçons vêtus de leurs plus habits, les filles
portant leurs plus belles parures, se massent sur la place publique ou fatrange, lieu de réunion
pendant les grandes cérémonies.
Vers neuf heures, le doyen du bourg proclame la déchéance du dernier chef de clan ou
annonce sa mort. Notons que chaque groupe : Zanarevahatry, Zazalava, Antalampotsy, a son
Chef. Il y a déchéance quand, par négligence ou pour par maladresse, le Chef élu a joué un
vilain rôle. La malhonnêteté, la partialité, le laisser-aller, la négligence, la mauvaise foi, le
refus d’assumer convenablement ses responsabilités, sont des fautes graves.
Les garagehy vantony ou hommes ayant atteint l’âge mûr, ayant rendu des services
importants dans la société, ayant encore les jambes assez solides pour pouvoir se déplacer de
temps en temps, choisis spécialement en raison de leur compétence, de leur intelligence et de
leur aptitude particulière à faire un bon discours, tous les gens du même clan se réunissent
accroupis sur une grande natte dans la Tranobe, lonaky (case ancestrale du groupe
Zanarevahatry destinée uniquement aux réunions importantes et aux grandes réceptions) en
vue d’élire le nouveau Chef parmi les grands Ray aman-dReny du bourg ou notables (Ray
aman-dreny étant un terme utilisé en pays zafisoro). Cette réunion se tient à Evato, la capitale
du pays zafisoro. Ce sont des représentants et anciens chefs de clan venus de tous les villages
du territoire et qui ne sont plus éligibles. Dans la case, tout le monde cède les places
d’honneur aux plus âgés qui occupent toujours la partie est de la maison, celle qui est la plus
aérée.
Dans le silence presque absolu de l’auditoire, le doyen, présidant cette réunion, précise
et rappelle en même temps les conditions à remplir pour qu’un homme soit élu Chef, toutes
les qualités qu’il doit posséder pour pouvoir mener à bien sa lourde tâche :
— avoir atteint l’âge mur,
— être ferme et capable de gouverner,
— être chef de famille, car un célibataire n’accomplirait pas sérieusement ses devoirs,
— être pacifique, brave et juste.
Chaque village présente un ou plusieurs candidats. Des discussions s’engagent. Chacun,
pour être bien vu et connu, voulant dominer les autres par ses dons oratoires, désire parler
longuement devant ce monde. Dans la cour, on s’impatiente. Des jeux s’organisent et battent
leur plein en attendant la fin de la réunion : des danses sur la fatrange où, se mettant par deux,
cavaliers et partenaires, se tenant par les hanches, face à face, tournent en rond sur le rythme
presque monotone de l’accordéon et se déplacent très lentement. Dans un coin du village, les
jeunes filles, choisissant à leur tour la plus belle, la plus charmante et la plus élégante parmi
les camarades présentes, profitent de cette fête pour se connaître, se faire voir et admirer,
s’exposer au regard des beaux jeunes hommes, qui jouent aussi au Mpanjaka dans une
ambiance de franche camaraderie.
Dans la Tranobe, les discussions se poursuivent. On procède à l’élection par scrutin à
mains levées. Finalement un candidat est élu. Le résultat reste secret. A l’issue de cette
réunion, on désigne un homme pour mettre le satromena ou bonnet rouge sur la tête de l’élu
en guise de couronne. C’est une coiffure assez simple qu’on n’achète pas dans le commerce.
Sa fabrication est confiée à une couturière du village. Elle est faite de deux bouts d’étoffe
rouge (le rouge étant une couleur royale) cousus pour former un calot que l’on pomponne à la
partie postérieure. Il faut un homme mûr, ferme et d’un certain âge pour porter ce bonnet sur
la tête du nouvel élu. Les femmes et les jeunes gens n’ont guère le droit ni de toucher le
satromena ni de le mettre sur la tête du Mpanjaka ou Chef de clan : celui-ci ne se laisserait
pas ainsi, selon la croyance, guider ou influencer par une femme, son épouse par exemple, et
ne remplirait pas à la légère son devoir de Mpanjaka, à la manière d’un jeune homme.
Au dehors, tout le monde s’inquiète à la seule pensée d’être élu, car être Chef, c’est
endosser mille responsabilités, être soumis aux critiques des gens, être le père et aussi le
serviteur de tous les hommes, et se préparer ainsi à s’engager à des dépenses énormes et
parfois inutiles : sacrifice d’un ou de deux boeufs du Chef de clan, suivant le sazy ou amende,
dans le cas où celui-ci se montre partial, viole un engagement ou lance, au cours de son
discours un mot qui choque le public : le fait de tutoyer une personne âgée, un notable ou ray
aman-dreny du village devant le public, par exemple, entraîne indubitablement le sazy ; les
garagehy se réunissent quelque part en vue de fixer l’amende. Ils viennent ensuite trouver le
Chef de Clan dans la Tranobe pour lui rendre le verdict. Les frais occasionnés par les
réceptions des autorités administratives ou d’autres étrangers venus passer la nuit au village
sont aussi à la charge du Mpanjaka. Toutes ces raisons font horreur aux gens susceptibles
d’être élus. De leur côté, les femmes prient Dieu pour que la place ne soit pas prise par leur
mari, car être la femme du Chef, c’est aussi être la servante la plus humble.
N’ayant pas été prévenu ni informé, l’homme, celui qui vient d’être élu, reçoit d’une
façon inattendue et à l’endroit même où le garagehy désigné a pu le surprendre, le bonnet
rouge sur la tête. A partir de ce moment, il n’a plus le droit de refuser de prendre la place.
Je ne saurai trop vous parler de l’acclamation de la foule, de la déception et du désespoir
du nouveau Mpanjaka. Devenu important, il n’est plus un personnage effacé de son village.
Désormais, il se montrera un administrateur habile. Il jouera le rôle de médiateur entre les
autorités administratives : maires, chefs de canton, sous-préfet, préfet, et le peuple dont il est
le seul représentant permanent. Aidé de ses Vadivoho ou adjoints, il s’assurera de la bonne
marche des affaires du fokonolona (l’ensemble de la population du village), secondera le Chef
de Canton dans la perception des impôts, mettra fin au vol de boeufs. En tant que Conseiller
Technique principal des fonctionnaires, il sera obligé de rester au village au lieu d’aller
travailler sa rizière ou Hosy be (elle se transmet de chef en chef et est travaillée par la
famille). Grand promoteur de toutes les didy ou lois, il sera le seul juge compétent de son
territoire et devra de ce fait faire preuve de fermeté, d’habileté, de finesse, d’autorité et de
justice ,vis-à-vis du public pour se faire écouter et obéir. Il sera très respecté et considéré
comme étant le plus haut personnage de la localité, le grand Famalo ou protecteur du monde
zafisoro.
Outre ses attributions administratives, économiques et politiques, il lui est attribué aussi
un rôle social : des familles seront-elles divisées par des querelles intestines? Sans attendre, le
Mpanjaka s’imposera en conciliateur honoré et écouté. Il encouragera la population dans la
construction d’une école ou d’une maternité. Bref, il sera incontestablement l’alpha et
l’oméga du pouvoir, le départ et l’aboutissement de l’autorité dans cette communauté.
Après avoir parlé de son rôle et de ses responsabilités, revenons donc à la cérémonie. Le
Chef a maintenant son satromena sur la tête. Tout le monde se rassemble sur la place
publique. Les deux autres chefs : ceux des deux autres clans et leur suite se joignent à la foule
et le cortège s’avance en direction de la Tranobe (construite par le clan) des Zanarevahatry.
(Signalons que les deux autres chefs de clan, n’ont pas participé au vote). En tête sont
groupés les Antalampotsy ou Faran-jaza considérés comme étant inférieurs aux autres. Etant
les derniers des peuples, il leur appartient de lutter contre les obstacles et surmonter toutes les
difficultés qui pourraient se présenter jusqu’au seuil de cette case ancestrale. Viennent ensuite
les Zazalava et leur suite. Les Zanarevahatry se trouvent à la queue, car ils sont respectés,
selon la tradition. Entre chaque groupe, les danseurs et musiciens, les jeunes gens et les
enfants jouent à l’envi pour animer la fête. Pour donner de l’ombre à chaque chef de clan, un
Vadivoho l’accompagne et porte un parasol dont la couleur n’est pas imposée. Celui des
Zanarevahatry se trouve à un niveau plus élevé que celui des deux autres et celui des Faranjaza est maintenu à un niveau inférieur à celui des Zazalava.
Nous voici devant la Tranobe. Les porteurs de parasols s’arrêtent. Suivant leur rang, les
membres du cortège entrent dans la case applaudis par la foule qui les reçoit. La case est
comble. Les trois Chefs prennent place sur des poufs : celui des Zanarevahatry au nord (place
d’honneur), les deux autres à la partie Est. Tout le monde est installé. Le nouveau Chef élu
reçoit de sa femme un atova de riz (un van plein de riz blanc) qu’il conserve précieusement
jusqu’à sa déchéance ou sa mort. Pour l’offrir, l’épouse du Mpanjaka prend soin de porter ce
cadeau sur la tête et s’avance très lentement vers lui. Dès ce jour, elle a le pouvoir sur toutes
les femmes des villages et endosse avec son mari toutes les responsabilités. A leur tour, les
amis et parents du Mpanjaka, ayant désigné leur doyen pour prononcer un joli discours et
adresser au nouveau promu leurs vœux de prospérité, de santé et de succès. « Lonika ho tsara,
Ragnandria, ho lava velo, ho ela andro hanapaha amin’ito tañy itoa hiañao, da ho
reharehañay fianakaviaña aby. — Nous vous souhaitons, Ranandria (c’est un terme de
respect signifiant Seigneur), une bonne santé, une longue vie, que vous restiez longtemps à
cette place, gouvernant dans ce territoire, pour être la fierté de toute la famille ». Les autres
membres de sa famille apportent ensuite chacun leur part de cadeaux : du riz dans une petite
soubique, des boissons alcooliques (toaka gasy) dans des dames-jeannes, des bouteilles de
limonade et de l’argent. Se levant, le Mpanjaka remercie tout ce monde et promet à son
auditoire d’être juste et de travailler pour l’intérêt et pour le bien de tous.
A son tour, un vadivoho prend la parole et déclare que la séance du Kabary ou jugement
est ouverte et il en est toujours ainsi. Le Chef de clan s’apprête à. remplir sa nouvelle
fonction : être un juge habile et impartial. La scène commence : ici une famille se plaint
d’être diffamée par un tiers au cours d’un discours, là une autre se montre mécontente : ses
cultures ont été détruites par les boeufs des voisins et mille autres plaintes sont portées à la
connaissance du Chef qui, parfois, se montre très sévère et impitoyable. Tantôt il sanctionne,
punit, fait payer une amende : un ou deux boeufs à offrir au fokonolona suivant la gravité de
la faute, tantôt il récompense ceux qui méritent d’être loués (la récompense est ici une
louange). Tout se passe ainsi et le jugement doit prendre fin avant le coucher du soleil. Ce qui
permet à tout le monde de rejoindre sa demeure respective. La fête se termine donc avant la
nuit.
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