Interview de Vincent Bircher, travailleur social à l`Etat de Genève
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Interview de Vincent Bircher, travailleur social à l`Etat de Genève
Interview de Vincent Bircher, travailleur social à l’Etat de Genève, militant au SSP – Région Genève. Comment expliquer l’ampleur de la mobilisation du social l’automne dernier ? Il y a d’abord un contexte: Genève est très clivé en termes de rapports sociaux de classe, avec d’un côté des grosses fortunes, et de l’autre des cités suburbaines précarisés, d’où proviennent une grande partie des bénéficiaires du social. Le personnel est confronté à cette précarité. L’immense majorité pensent que « quelque chose ne tourne pas rond ». Le sentiment s’est renforcé aussi que, ces dernières années, les plus riches se sont enrichis, et que cela va s’accentuer avec la RIE III. Les salarié-e-s de la Fondation officielle de la Jeunesse (FOJ) ont joué un rôle moteur dans la mobilisation du secteur social. La FOJ a affiché un taux officiel de 100% de grévistes sur environ 400 salarié-e-s, avec le soutien de la hiérarchie. Cela montre que les directions réalisent aussi qu’elles vont devoir faire pression sur le personnel avec les programmes d’économies. La conférence de presse du secteur social, organisée durant la mobilisation, a reçu un écho important. Elle a contribué à mobiliser les collègues hésitants. Nous sommes passés de 40 à 400 personnes présentes aux AG! Durant le mouvement, il y a eu une grande effervescence. Le personnel s’est investi dans la rédaction de tract, de pancartes, de banderoles. On sentait un fort besoin de revendiquer la légitimité du travail social auprès de la population. Et la conscience qu’avec la RIE III, on n’allait pas nous faire de cadeaux. Les collègues ont développé une conscience des enjeux au fur et à mesure des journées de grève, notamment par la position intransigeante du Conseil d’Etat qui a renforcé la mobilisation. Le cœur de la mobilisation a vraiment été la volonté de défendre les prestations et la qualité du service public. Ce facteur a joué un rôle plus important que les conditions de travail, car il y a parfois chez le personnel une certaine culpabilisation par rapport à l’urgence sociale dans laquelle se trouvent les bénéficiaires. Rappelons toutefois que l’existence de bonnes conditions de travail garantit la qualité des prestations. Comment évoluent les conditions de travail ? Il y a un clair durcissement. Par exemple, les salarié-e-s de la FOJ ont des horaires irréguliers, ils travaillent de nuit, le week-end, font parfois des semaines de 60 heures. Au Service de protection des mineurs, les dossiers deviennent de plus en plus complexes. À l’Hospice général, la situation est explosive avec l’arrivée de migrant-e-s très précarisé-e-s et des dossiers qui s’accumulent. On travaille dans l’urgence, sous pressions pour parer à l’immédiateté, au contact d’usager-ère très précarisé-e-s. Les collègues s’inquiètent que la situation ne se détériorent avec la RIE III et les mesures d’économies. Le mouvement du social continue à prendre des initiatives… La mobilisation dans le social est restée forte jusqu’à la signature de l’accord. Depuis, nous avons maintenu une AG du secteur par mois jusqu’en mai. Ces assemblées ont réuni entre 40 et 80 personnes, ce qui a maintenu à flot le mouvement. Nous avons décidé de faire émerger les besoins du secteur en présentant ce qu’est notre travail, les manques et les conséquences des coupes. C’est de cette dynamique qu’a émergé le Manifeste du social, que nous avons présenté à la fin du mois de mai à la presse. Les salariés de l’Hospice général ont, de leur côté, organisé une vente de gâteaux pour récoler de l’argent afin de parer ironiquement aux manques financiers de l’institution. Ils ont aussi déposé une pétition qui a récolté la signature de 600 salariés sur 3000 en trois semaines. C’est énorme ! Parallèlement, le Conseil d’Etat a maintenu des coupes dans le secteur social, en violation de l’accord. Certaines institutions subissent des baisses des budgets de fonctionnement de l’ordre de 1 à 5 % ! Dès lors, il faut préparer 2017. L’important sera de retourner auprès des collègues, de faire un travail de base pour remobiliser le secteur. Ça doit notre tâche principale : être sur le terrain, auprès des collègues pour discuter des enjeux à venir. Ce n’est pas facile mais cela permet à long terme de construire un vrai mouvement social. S’il faut retenir une chose de cette grève, c’est que la mobilisation, elle seule, a permis de faire plier l’employeur. Quelle place le syndicat a-t-il dans le secteur social ? La majorité du personnel n’est pas syndiqué. Les militants syndicaux ont participé à l’assemblée du social, avec les collègues non-syndiqués. L’énergie de la mobilisation a d’ailleurs permis de recréer un groupe du social au SSP, avec une nouvelle génération motivée. Dans les périodes de démobilisation, les structures comme le syndicat doivent constituer un fil rouge entre les salariés des différents secteurs et institutions. En même temps, le syndicat ne doit pas prendre toute la place. Il y a un équilibre à construire. Dans une société toujours plus polarisée, le travailleur social peut jouer un rôle d’appui aux plus précaires, mais aussi de contrôle, voire de sanction. Quel type de travail social un syndicat doit-il défendre? Le personnel du social est à l’avant-poste de la question sociale. A l’entrecroisement des rapports sociaux de classe, de race et de sexe, le travail social joue un rôle d’amortisseur social et se borgne à répondre individuellement à des problèmes collectifs engendrés par le système capitaliste. Il faut analyser comment les politiques sociales permettent d’atténuer la conflictualité qui résulte des rapports entre les classes. C’est en prenant conscience de ces enjeux et de notre positionnement à l’intérieur de ces rapports que notre métier peut s’émanciper de son rôle de normalisateur et de contrôle. C’est ainsi que le travail social pourra être un vecteur de changement collectif. Le personnel du travail social doit s’engager dans les batailles qui concernent les politiques publiques dans une perspective critique et radicale. Nous devons investir ou renforcer les collectifs de chômeurs et chômeuses, des personnes à l’aide sociale, en situation d’handicap, etc. afin d’échanger ensemble autour des intérêts qui nous sont communs. Malheureusement, dans les écoles sociales, les théories du management et les savoirs psy sont très présents. Ils contribuent à naturaliser les inégalités. On « s’accommode » d’une certaine injustice sociale. Les pauvres et les précaires sont responsables de leur situation. S’ils ne s’en sortent pas, c’est parce qu’ils ne déploient pas les efforts suffisants. C’est une rhétorique habilement mise à profit dans le domaine du chômage. Elle neutralise les critiques qui posent la responsabilité collective des problèmes générés par le fonctionnement du marché du travail. En conclusion, tant qu’on ne mènera pas une vraie réflexion sur la place du travail social dans notre société, on n’arrivera pas à dépasser une certaine coresponsabilité dans la « gestion de la misère ». Notre génération a été biberonnée à l’idéologie libérale du travail social. Il est temps de nous éveiller à une vision radicale de ce dernier.