Care et dépendance - Agir pour le Care

Transcription

Care et dépendance - Agir pour le Care
13 & 14 juin 2013 – Université Paris-Descartes, Paris
Care et
dépendance
Intervenants et discutants
Intervenants
• Alain SMAGGHE, médecin gériatre,
coordonnateur d’Agir pour le care,
groupe Humanis
• Claudette BOUAZIZ, directrice
• Sérgio PASCHOAL, médecin
gériatre, Secrétariat à la Santé de
São Paulo, École de Médecine de
l’Université de São Paulo, Brésil
Discutants
de l’Etablissement d’hébergement
pour personnes âgées dépendantes
(EHPAD) Emilie de Rodat
• Lise BURGADE, conseillère
technique, Caisse nationale de
solidarité pour l’autonomie (CNSA)
• Michiya TAKAHASHI, responsable
• Guita GRIN DEBERT,
anthropologue, Université de
Campinas, Brésil
de l’établissement Mori no Komichi,
Japon
Fiche mémo
2
Théories et pratiques du care :
comparaisons internationales
« Care et dépendance » :
de quoi parle-t-on ?
Les gestes et les attitudes du personnel « invisible »
des hôpitaux – infirmières, aides-soignantes, femmes
de ménage, etc. –, trop souvent négligés par les
théoriciens du soin, mériteraient d’être davantage mis
en valeur. Une multitude de gestes silencieux jalonne
en effet le quotidien des hôpitaux, des cliniques, des
EHPAD, etc. Or ces gestes, qui ne sont pas dotés
en soi d’objectif thérapeutique, apportent aux
résidents une tranquillité et un réconfort, sans
lesquels il n’y aurait pas de thérapie possible. Il
est donc essentiel de donner place dans les réflexions
théoriques, comme dans le débat public en général, à
cette expérience des travailleuses du care, notamment
pour repenser la prise en charge des personnes âgées
dépendantes. Le contexte actuel de vieillissement
grandissant des sociétés occidentales impose
en effet aux personnels de santé et de soin comme
aux acteurs publics de revoir en profondeur les
méthodes d’accompagnement de ces personnes.
Les théories du care gagneraient donc à se rapprocher
des praticiens du care, pour porter ensemble une
nouvelle vision de la prise en charge, fondée sur
l’attention, le respect de la personne, et surtout sur la
volonté de personnaliser le soin apporté aux patients.
Mais elles devront également, pour y parvenir, porter
ensemble une nouvelle vision du travail des
professionnelles du care, lesquelles, trop souvent
ignorées voire méprisées traversent des situations de
souffrance au travail encore largement méconnues. Or
cela implique un dévoilement du « sale boulot » qu’elles
effectuent – contact des corps nus, des déjections, etc.
– et du savoir-faire qu’elles acquièrent à le réaliser, qui
ne sont nullement reconnus aujourd’hui.
A chaque question sa piste de solutions
Que peuvent apporter les théories du care aux
praticiennes du care qui interviennent auprès
des personnes âgées dépendantes ?
Les théories du care ont l’avantage d’aider les praticiennes du care à retrouver confiance en leur
propre expérience, et de donner une légitimité nouvelle aux dimensions de leur travail qu’elles jugent
les plus importantes – sourire, caresser, reboutonner
une robe, etc. – contre la normativité à l’œuvre dans
les hôpitaux, trop souvent éloignée du travail réel. Cet
apport est d’autant plus bénéfique en cas d’accompagnement de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, dont l’attitude changeante bouleverse, de
fait, toutes les formes de protocole.
Comment repenser, à l’aune de ces théories,
l’organisation de la prise en charge des
personnes âgées dépendantes dans les
établissements de soin ?
Il faut commencer par revenir sur un certain nombre
de postulats contestables – concernant, par exemple,
l’engagement du soignant dans sa relation au patient1
– qui servent de support à l’élaboration de protocoles
thérapeutiques, et de grilles d’évaluation qui entravent
la liberté d’action des soignants. Il faut ensuite envisager, à partir de l’expérience des travailleuses du
care, de nouvelles formes d’intervention auprès
des personnes âgées : maintien, dans la mesure du
possible, des personnes à leur domicile, constitution
de communautés de voisins suivies régulièrement par
un personnel sensibilisé au care, etc. Cette transformation est d’autant plus nécessaire que le nombre de
travailleuses du care ne cesse de diminuer, quand le
besoin de prise en charge augmente.
Comment enrichir les modalités de régulation
du secteur médico-social – normes, financement
– à l’aide des théories du care ?
Les acteurs publics qui décident de ces modalités ont
besoin de se fonder sur des mesures et des évaluations précises du degré de dépendance de la personne
concernée et de l’efficacité des méthodes proposées
pour sa prise en charge. Or le care est par nature invisible et non mesurable. Il n’apparaît donc pas, a priori,
comme une méthode recevable pour les organismes
financeurs. Cependant, s’inspirer des pratiques du
care dans les établissements de soin pourrait s’avérer
financièrement très porteur, car cela limiterait notamment les surcoûts liés à l’absentéisme des personnels
soignants. Plutôt que de tenter de faire entrer le
care dans les catégories définies au préalable par
les politiques publiques, il serait donc préférable
de mettre ces politiques publiques elles-mêmes à
l’épreuve du care, et de recomposer entièrement les
méthodes et les pratiques imposées aux soignants.
Témoignages
France, Brésil, Japon
En France – la vie dans l’EHPAD Emilie de Rodat
La maison de retraite Emilie de Rodat, située à Rueil-Malmaison, accueille des personnes âgées dépendantes
ne pouvant plus rester à domicile, présentant une maladie d’Alzheimer ou apparentée. Depuis 1977, cette
maison s’est organisée en petites unités familiales dénommées « cantous » (« coin du feu », en occitan), soit
une douzaine de chambres individuelles autour d’une salle de vie commune. En fonction de leurs possibilités,
les résidents participent ou assistent à tous les actes de la vie quotidienne – épluchage des légumes, mise
de la table, vaisselle, pliage du linge, etc. Ils passent la majeure partie de leur temps dans la salle commune.
Les familles sont également associées à la vie de l’institution. En outre, l’institution est organisée de façon à
faciliter le plus possible la vie des personnels.
Au Brésil – le programme « accompagnement des personnes âgées », à São Paulo
Le secrétariat à la santé de la préfecture de São Paulo a décidé de mettre en place un programme d’accompagnement des personnes âgées, suite au constat du vieillissement croissant de la population de cette ville
– 12 % de la population est en effet âgée de 60 ans et plus. Pour faire face à la réalité difficile de l’isolement
des personnes âgées, encore trop méconnue, et pour répondre aux besoins de cette population fragile, le
programme vise à apporter des soins à domicile – actions de care pour les personnes âgées dépendantes et
leur famille –, et à réintégrer ces personnes dans la société en leur redonnant des droits de citoyens. Ce programme comporte notamment un plan de care individualisé, articulé autour de trois orientations : l’autonomie
de la personne, le support social (vie seule ou en couple, etc.), et les risques pour la santé (hygiène, conditions
de logement, etc.).
Au Japon – le group home Erin
La prise en charge des personnes âgées est un problème majeur au Japon, car le vieillissement de la population avance à grands pas. Pour répondre à ce problème, de nouveaux types d’établissements ont été conçus :
les group homes (nouveaux types d’EHPAD à chambre individuelle). Malheureusement, le care n’y est pas
toujours pratiqué comme attendu. Le group home Erin tente à sa mesure d’y remédier. Dans cet établissement, le plan de traitement est élaboré par les soignants avec le patient lui-même. Pour le rendre pertinent,
les soignants tentent de se mettre à la place des patients. Ils ont ainsi complètement transformé les méthodes
habituelles de lavage et de prise des repas, par exemple. La douche est désormais un acte personnalisé, et les
repas sont des moments de détente, où chacun peut prendre son temps, et non plus des moments chronométrés.
1. Les protocoles en vigueur aujourd’hui dans les établissements de soin se fondent tous sur l’idée de la nécessité d’une « juste
distance » pour faire de la relation patient-soignant une relation véritablement soignante. Or ce point de vue est largement
contestable. En effet, comme l’écrit Pascale Molinier, « le rapprochement permet de lutter contre le dégout tout en préservant
la relation. Une « chérie », une personne que l’on réussit à traiter « comme sa mère » suscite moins le dégout. Il devient moins
écœurant de lui laver les fesses par exemple » (Pascale Molinier, Le travail du care, éd. La Dispute, 2013)
Regard sur le care :
une pratique doublée d’une éthique
Selon Joan Tronto, le care s’élabore dans la pratique
selon quatre phases : percevoir et ne pas négliger un désir particulier d’autrui, décider de répondre à ce désir et organiser la réponse, répondre concrètement à ce désir par un travail,
vérifier enfin auprès de la personne aidée que
son désir a été bien identifié et que la réponse
a été bien organisée puis réalisée.
Or chacune de ces phases repose sur une posture
éthique : l’attention à l’autre pour la perception
de ses désirs, la prise de responsabilité pour la
décision d’y répondre, la compétence pour exercer
le travail concret de réponse, et la capacité de recueillir et de tenir compte de l’avis de celui qui
exprimait ses désirs.
Références
bibliographiques
• Ghislaine Doniol-Shaw, Emmanuelle Lada, « Le
travail des aides à domicile auprès des personnes
âgées en France : façons de dire, façons de faire »,
Actes du colloque Actes éducatifs et de soins, entre
éthique et gouvernance (Nice, 4-5 juin 2009).
Article disponible en ligne à l’adresse suivante :
http://revel.unice.fr/symposia/actedusoin/index.html?id=643
• Marie Garrau, Alice Le Goff, Care, dépendance
et justice. Une introduction aux théories du care,
Presses universitaires de France (PUF) philosophies, 2010
• Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman,
Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité,
responsabilité, éd. Payot, 2009
• Pascale Molinier, « Le care à l’épreuve du travail.
Vulnérabilités croisées et savoir-faire discrets »,
dans Le Souci des autres. Ethique et politique du
care, dir. Patricia Paperman et Sandra Laugier, coll.
Raisons Pratiques, Editions de l’École des hautes
études en sciences sociales (EHESS), pp. 299-316,
2006
• Joan Tronto, Un monde vulnérable, pour une politique du care, trad. Hervé Maury, éd. La Découverte,
2009
Acteur majeur de la protection sociale en France, Humanis place l’Homme au coeur de
ses priorités et mobilise toutes les énergies pour assurer le «mieux vivre». Cet engagement a conduit Humanis à développer depuis 2007 le programme Agir pour le care
dont l’ambition est d’aider les acteurs du care à l’amélioration de leurs pratiques et à la
revalorisation de leur travail.
Pour en savoir plus : www.agirpourlecare.com

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