Les points de L`Observatoire #18

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Les points de L`Observatoire #18
EN AVANT-PREMIÈRE !
Quand le désir gouverne…
Qui gouverne ? C’est le désir qui gouverne, sous l’égide de la croissance et du crédit, qui
permettent d’avoir aujourd’hui ce que nous produirons demain. C’est le désir qui gouverne,
et les élus de tous bords l’ont bien compris. De Paris plage en Nuit blanche et de Gay
Pride en libérations obligatoires, tous s’appliquent à nourrir, animer, ranimer le désir ! C’est
le désir qui gouverne, et « ces désirs qu’on nous inflige » à coup de publicité insinuante et
de « temps de cerveau disponible » comme Alain Souchon l’a bien vu (dans «Foule
Sentimentale»). Et c’est la promesse crédible de satisfaction du désir, de tous les désirs,
qui fait l’extraordinaire résilience de ces sociétés libérales qui ont vaincu les totalitarismes
du XXè siècle. Elles ne reposent sur rien d’autre ; la société portée par la croissance
promet à chacun de réaliser tous ses désirs. Elle lie ses membres plus étroitement que ne
le faisaient les religions, les rois ou les drapeaux. Et la société libérale a fait triompher le
désir contre l’ordre.
Faut-il en parler au passé ? La condition pour que le désir gouverne, c’est que le progrès
soit partagé par tous, c’est que la croissance soit acquise et que ses bénéfices profitent à
chacun, et c’est que nul ne doute que l’avenir sera meilleur. Cette condition n’est plus
remplie, nulle part dans ce monde dit « occidental » que la crise de 2007-2008 a laissé
tétanisé dans une déflation qui ne s’avoue pas. Quand un tiers des Japonais entre 18 ans
et 30 ans a pour idéal de vivre tranquille entre son lit et son écran numérique – l’amour,
pour quoi faire ? – , quand Singapour doit instituer des « cours de rencontre » dans les
entreprises pour que la majorité de sa population suréduquée, suremployée et surpayée
ne passe pas sa vie seule, quand une majorité d’Européens n’espère rien d’autre pour ses
enfants que de préserver leur niveau de vie, la panne de désir est là, et bien là. «Qu’on me
donne l’envie» suppliait Johnny Halliday dans un texte de Florent Pagny qui diagnostiquait
ce reflux du désir qui naît de la déception plus encore que de la satiété. Crise du progrès,
crise de l’avenir, crise de ce bonheur collectif qui naît de l’unité d’une société, de
croyances partagées, de mythes historiques et politiques communs, tout indique que nous
entrons dans une crise inédite, une crise de l’individu souverain bien plus profonde qu’une
crise économique ou financière, cette crise qui voit s’effondrer le régime du désir avant
même qu’il n’ait été identifié, analysé et compris.
J’ai consacré « Le gouvernement du Désir », à cette crise du désir comme principe de la
société de l’individu, cette société qui se veut sans histoire, sans origine, sans croyances,
sans singularité, réunion d’individus de droit mus par la seule poursuite de leur intérêt – de
leur désir illimité. Cette société est en train de disparaître sous nos yeux. Communautés
ou tribus, intégrismes et radicalismes, nationalismes et localismes, disent une chose
simple ; l’homme n’est pas fait pour vivre seul. Rien ne vaut la chaleur du « nous », la
confiance dans des proches, la certitude de décider ensemble de son destin. Rien ne peut
remplacer la bienveillance d’un environnement sain, d’une nature féconde et diverse,
d’une relation apaisée avec la vie, sous toutes ses formes.
Les dirigeants politiques comme les chefs d’entreprise doivent en être conscients ; le désir
de consommation, le désir de jouir, le désir d’en avoir toujours plus, n’est que la forme
transitoire, fragile et surtout, limitée, du désir qui a été moteur de l’histoire sous ses formes
jumelles du désir de survie et du désir de pouvoir. Voilà à quoi nous sommes confrontés.
D’abord, le désir politique de décider ensemble de son destin, sans soumission et sans
occupation, qui s’appelle souveraineté, qui s’appelle indépendance, et qui s’appelle
libération ; ensuite, le désir de dire nous, de reconstituer ces biens communs,
impartageables et incommensurables que sont la sécurité publique, la fierté nationale, les
traditions culturelles, ces biens que l’économie est impuissante à produire, si elle sait bien
les détruire ; et enfin, le désir vital de la survie de l’espèce, contre la destruction de la
diversité, la colonisation des ressources et l’esclavage des hommes dont la mondialisation
financière et l’industrialisation forcée sont les moteurs.
Si le premier désir individuel et collectif des hommes est bien le désir de survie, au
moment où le constat de menaces contre elle se diffuse, la révolution du désir est devant
nous. Elle va violemment rappeler que les seuls biens qui comptent vraiment, et par
lesquels une société se définit, ne sont jamais des biens qui se vendent et s’achètent,
mais les biens qui se donnent, se transmettent ou s’échangent, jamais des biens privés
mais des biens communs, symboliques et chargés de sens – toutes ces choses qui n’ont
de prix sur aucun marché du monde, et qui font la vie.
« Le gouvernement du Désir », Hervé Juvin, Gallimard, collection Le Débat, sortie en
librairie le 28 novembre 2016
A lire :
« Au fondement des sociétés humaines », Maurice Godelier, Albin Michel, 2007.
« La révolution moderne » (4 tomes), Marcel Gauchet, Gallimard, 2007, 2014.
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