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Article paru sur le site de critiques de spectacles vivants : www.lecloudanslaplanche.com
Au nom du père, de la fille et du corpus Chloés
La Cie Lever du Jour (dé)livre Chloé Delaume en une remarquable trinité intérieure.
Article paru le 10 décembre 2009
"J’ai perdu le foie, mais j’ai gardé la langue. 15 cm2, c’est peu pour se défendre."
Veuillez laisser ce corps dans l'état où vous l'avez trouvé en entrant
La compagnie Lever du Jour gratifie le public, (…), d’une création inspirée des écrits de
Chloé Delaume, Veuillez laisser ce corps dans l'état où vous l'avez trouvé en entrant. Mise en
scène et interprétée par Delphine Alvado, Anne Bourgès et Alexandra Malfi, la pièce plonge
dans l’univers personnel et décalé de Nathalie Dalain, alias Chloé Delaume. Née d’un
montage composite de trois livres de l’auteure, la pièce pour trois voix et trois corps livre
l’électro-encéphalogramme imaginaire d’une femme chez qui tout ne tourne pas rond, au
grand dam des eunuques de la pensée bon ton et des chasseuses de nœuds télé-hachés.
"L’histoire des femmes n’est que la somme des morts de leurs récits
enfantins."
Pour tout décor, un intérieur drapé, baroque, si ce n’était le gris à la place du pourpre. Un
espace fermé que des stries lumineuses éclairent dans les moments d’effervescence.
Ce lieu, c’est la cervelle de Chloé Delaume, son
for intérieur ou plutôt le théâtre où se déroulent et
se rejouent les drames et les combats de sa vie.
Sous les tentures, rampant et se lovant à même les
circonvolutions du cerveau de son hôte, trois
personnages incarnent une seule femme, l’auteure
et (anti-)héroïne, Chloé. Dans ce théâtre
transformé en crâne pour l’occasion, les
comédiennes rejouent en direct la maturation d’un
être en proie à ses traumatismes et ses aspirations.
Au nom du père, de la fille et du "corpus Chloés",
en voiture pour un voyage sans escale ni retour
avec pour toute destination la mort, l’amour, le
mal-être – en un mot : la création.
Un théâtre intérieur fait de chair et de scène,
Veuillez laissez ce corps dans l’état où vous l’avez
trouvé en entrant fait se succéder des séquences en
autant de thèmes et d’événements fondateurs sur la
vie et la personnalité de l’auteure : appréhension
du corps, scènes familiales, mariage, jalousie,
Faits et méfaits du corps dilapidé. (Photos Djeyo / Le
Clou dans la Planche)
volonté vengeresse et castratrice de la "gent
queutale" et bien d’autres encore. Ironie du sort ou dialectique de l’existence, ces éléments
fondateurs sont aussi des événements destructeurs de la vie. Et c’est au cœur même de cette
ambivalence que se construit le personnage de Chloé Delaume, l’ombilic des limbes de la
petite Nathalie.
Article paru sur le site de critiques de spectacles vivants : www.lecloudanslaplanche.com
"C’est l’histoire d’une petite fille qui cherchait l’amour, mais qui n’y croyait
pas du tout", répètent en canon les trois personnages de Chloé. Trois femmes pour en
représenter une ou femme qui en cache trois ? Donner à voir la "tempête sous un crâne" d’une
auteure/héroïne par trois femmes, reflétant chacune une facette, permet de saisir un être à la
recherche de son propre personnage ; donne la possibilité de capter un dialogue intérieur qui
foisonne et accompagne le cours non linéaire d’une renaissance.
C’est d’ailleurs l’aspect fragmentaire de la réalisation qui prime et renvoie, en creux, à
l’univers chaotique de
l’auteure-héroïne-trinité.
Trois en un, mais force
est de constater que le
principe actif donne
parfois l’effet non désiré :
le récit explosé mêlant
traumatisme infantile,
volonté castratrice ou
remake des parques
version Barbie, a de quoi
perdre le spectateur dans
le dédale schizophrénique
de l’héroïne-trinité.
L’enchaînement précipité
des séquences, que de
brefs intermèdes sonores et visuels freinent à grand peine, donne le vertige et perd le
spectateur qui n’a pour toute bouée que les rôles des trois comédiennes : entre rendre l’univers
intérieur de Chloé et faire assister le public à la naissance de l’être fictionnel, la mise en scène
ne sait plus où donner de la tête.
Entre gestation et chaos, naissance et destruction, il peut donc paraître difficile de s’adonner à
l’un sans renoncer à l’autre. Les rôles, clairement délimités au début, se mêlent, s’emmêlent,
se démêlent au gré des séquences au point de devancer le propos de l’auteure pour entraîner le
spectateur dans un monde intérieur frôlant la folie. C’est toutefois tenter une gageure que de
restituer en grandeur nature le délire quotidien de Moi multiples nichant dans la tête d’une
seule et même femme. Et c’est à cet exercice périlleux que se sont illustrées les trois
comédiennes.
Tout à fait remarquable, le travail scénographique, fidèle adjuvant de la mise en scène, fait de
l’espace scénique un être composite suggérant toujours l’idée du multiple et de l’un,
illustration parfaite des déchirements intérieurs de notre héroïne tricéphale. Ainsi, dans le
destin de Chloé Delaume se joue une vie qui, pour être fragmentée, n’en est pas moins celle
d’une femme qui se donne tout entière. Et c’est bien cela que donne à voir la Compagnie
Lever du jour avec cette création à faire tourner la tête. II
Christophe Lucchese
Article paru sur le site de critiques de spectacles vivants : www.lecloudanslaplanche.com