Compte rendu - Institut Pierre Werner

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Compte rendu - Institut Pierre Werner
Cris et chuchotements - Atouts et limites du bilinguisme au théâtre
avec Mathieu Carrière, Frank Hoffmann, Nora Koenig, Lili Schackert, Andreas
Wagner, Jessica Walther-Gabory, Katrin Veith
Soirée de et sur le théâtre organisée par l’Institut Pierre Werner en partenariat avec le
Théâtre National du Luxembourg et l’Université du Luxembourg.
Mardi 10 mars 2009, 18h30
Cette soirée-débat visait à mener une réflexion sur le bilinguisme au théâtre en
s’appuyant sur un texte en particulier : « Cris et Chuchotements », sans chercher à
tirer de conclusions générales sur le sujet.
La soirée a débuté par le monologue d’ouverture de la pièce « Cris et
chuchotements » joué en français par Mathieu Carrière. Puis un mot d’introduction a
été prononcé par Diane Krüger au nom de l’Institut Pierre Werner et par Frank
Hoffmann au nom du Théâtre National du Luxembourg. Frank Hoffmann a ensuite
invité Mathieu Carrière à rejouer son monologue mais cette fois-ci en allemand.
Ce sont Andreas Wagner, conseiller artistique et animateur des débats de la soirée,
ainsi que Frank Hoffmann, metteur en scène de la pièce, qui ont ouvert la discussion,
en compagnie de l’acteur Mathieu Carrière. Mathieu Carrière, qui joue le rôle de
Bergman et de tous les autres personnages masculins de la pièce, est Allemand,
malgré ce que son nom pourrait laisser préjuger. Il a suivi des cours en France dans un
établissement tenu par des jésuites et a joué aussi bien en allemand qu’en français, ce
qui explique qu’il parle aujourd’hui les deux langues. Il a fait part au public de
certaines anecdotes, comme par exemple de son premier rôle joué en français. Mais il
ne s’est jamais senti sûr de lui lorsqu’il devait jouer en français. Depuis, il considère
qu’un sentiment d’incertitude est nécessaire pour arriver à bien interpréter un rôle.
Selon lui, il y a une différence importante entre le théâtre allemand et le théâtre
français : la langue allemande permet d’exprimer des sentiments et des pensées de
manière directe.
Andreas Wagner revient sur l’identité triple de la pièce :
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1. La pièce est jouée sur les mêmes planches. 2. Les textes sont les mêmes. 3. Les
acteurs sont eux aussi les mêmes. Et pourtant, la pièce est jouée dans deux langues, ce
qui en fait une expérience particulièrement intéressante.
Mathieu Carrière aborde le rôle de Bergman qui a une si forte identité et explique que
c’est un défi de le démultiplier. Aborder cette identité presque sacrale au moyen du
déconstructionnisme et du ludisme lui paraît passionnant.
Frank Hoffmann a expliqué sa conception des pièces de théâtre. Pourquoi avoir
adapté au théâtre un film, qui plus est d’un des meilleurs réalisateurs ? Hoffmann ne
s’est pas basé sur le film de Bergman, mais sur un exposé de Bergman se présentant
comme une longue lettre adressée aux spectateurs. De plus, seules certaines scènes du
film sont reprises dans la pièce et certaines scènes de la pièce n’existent pas dans le
film. Par ailleurs, Hoffmann ajoute un niveau supplémentaire avec le personnage de
Bergman.
Après cette première partie de la discussion, suit la scène du monologue d’Agnès où
la jeune fille parle de sa mère. La scène est d’abord jouée en français puis en
allemand.
Après l’interprétation de la scène, Andreas Wagner et Frank Hoffmann ont échangé
leurs points de vue sur cet extrait avec Lili Schackert, qui interprète le rôle d’Agnès.
Elle aussi est Allemande, mais a fait des études et a suivi une formation de théâtre en
France.
A la question qui lui est posée sur la manière dont elle s’est préparée pour la pièce,
elle répond qu’elle a travaillé les deux textes en parallèle afin de mieux comprendre et
de mieux ressentir le texte et pour éviter de tomber dans une diction trop mélodique
dans la version française. En allemand, elle arrive à aborder le texte de manière plus
subtile.
Andreas Wagner soulève la question du romantisme : est-ce que suivant la langue
utilisée, le romantisme peut apparaître de manières différentes ? Frank Hoffmann a
alors expliqué que si les deux versions linguistiques sont perçues par le spectateur de
manières différentes, cela ne s’explique pas tant par le caractère romantique de la
langue allemande que par le spectateur lui-même. Toutefois, il trouve en général la
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traduction française plus romantique. Mathieu Carrière ajoute que si l’on a parfois
l’impression que la langue française est romantique, c’est parce qu’elle est prononcée
en « guirlande » (avec des accents tout au long de la phrase) alors qu’on ne devrait
prononcer qu’un seul accent, en fin de la phrase.
Andreas Wagner avance que l’alchimie change selon la langue et Lili Schackert
acquiesce. Elle a l’impression que certaines scènes se transforment suivant la langue.
Puis suit une scène de la vie antérieure de Maria. Cette fois-ci aussi la scène est jouée
d’abord en français puis en allemand.
Andreas Wagner constate que Jessica Walther-Gabory a joué « Maria » dans un
registre vocal plus aigu dans la version française.
Jessica Walther-Gabory confirme, mais ajoute qu’elle l’a fait consciemment. Elle
évoque la différence de l’image féminine en France et en Allemagne. Elle a le
sentiment qu’elle peut parler plus aigu en français. En allemand, ça ne conviendrait
pas. Maria ne serait alors pas prise au sérieux et de plus, les registres vocaux plus
graves passent en Allemagne pour plus séducteurs.
Frank Hoffmann fait remarquer que ce ne sont pas seulement les procédés de
technique linguistique, ni la gestuelle, ni l’attitude corporelle qui diffèrent d’une
langue à l’autre mais bien plus la manière de penser.
Suit la scène dans laquelle Maria essaie de se rapprocher de sa sœur Karin. Cette
fois-ci, c’est la version allemande qui précède la française.
Nora Koenig (Karin), Luxembourgeoise, se sent plus à l’aise en allemand, langue qui
lui est plus familière. Lorsqu’elle est revenue au Luxembourg et qu’elle a dû jouer en
français, ça lui a fait un petit peu peur. Elle a fait remarquer qu’elle n’avait joué
qu’une seule fois en luxembourgeois mais que ça avait été pour elle la langue la plus
agréable, puisque c’est sa langue maternelle.
Frank Hoffmann a évoqué l’époque où il a joué dans des théâtres français et où il a
travaillé avec des acteurs luxembourgeois. Ces acteurs parlaient très bien le français.
Pourtant le jeu ne fonctionnait pas. Pour Hoffmann, ça ne vient pas de l’accent, mais
du fait qu’on doit aborder les langues de manière complètement différente. Dans le
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théâtre en langue française, on doit utiliser la langue pour exprimer quelque chose. Le
« Zwischen-den-Zeilen-ausdrücken » (« exprimer entre les lignes »), qui est très
souvent utilisé dans le théâtre allemand, ne fonctionne pas en français.
Pour clore la soirée, la parole a été donnée au public. On a alors constaté que la
perception pouvait être très différente d’une version linguistique à l’autre. Le contexte
de la représentation reste le même, mais les impressions du public sont parfois
complètement différentes. Si un Allemand est plus touché par une scène jouée en
allemand, c’est peut-être parce que c’est sa langue maternelle. Frank Hoffmann pense
pourtant que ça vient du spectateur lui-même. La proximité du public avec l’acteur
joue également un rôle important. Mathieu Carrière remarque que les Français
n’aiment pas laisser paraître de sentiments, ils ne le veulent pas. Dans une pièce
française, on ne doit pas faire de pause dans la diction, ne serait-ce que pour respirer,
alors que ça ne pose aucun problème en allemand.
Une question a porté sur la traduction du texte original suédois. Frank Hoffmann a
expliqué qu’il n’a pas travaillé à partir du script de Bergman mais de la traduction
allemande d’un exposé. Ensuite il s’est procuré la version française et a aussitôt
constaté les différences entre les deux versions. Il a modifié l’exposé, mais a toujours
gardé la version allemande comme base de travail, puisque le suédois se rapproche
plus de l’allemand.
Un spectateur a l’impression d’avoir entendu plus dans la version allemande que dans
la version française. Or, comme l’une n’est pas plus riche en texte ou en détails que
l’autre, il suggère que ceci s’explique par le caractère de la langue allemande, qui est
plus précise voire plus imagée. Un autre spectateur explique que la dernière scène lui
a paru si dure dans la version allemande, que la version française lui est apparue en
contraste plus légère et plaisante. Jessica Walther-Gabory répond alors que ça vient
plutôt de l’idée que chacun se fait de la manière dont on doit jouer dans chacune des
deux langues.
Pour terminer, un spectateur a demandé si la traduction représentait un problème.
Frank Hoffmann a fait remarquer que les traductions de l’exposé suédois étaient très
différentes en français et en allemand. Il a souligné qu’il y a même de l’allemand dans
la version française de la pièce, du fait que la version française ne correspond pas au
sens du texte suédois. En outre, Bergman utilise l’allemand même dans la version
suédoise.
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