les denominations du diable et des demons chez grégoire le grand

Transcription

les denominations du diable et des demons chez grégoire le grand
HVMANITAS-Vol. L (1998)
LES DENOMINATIONS DU DIABLE ET DES DEMONS
CHEZ GRÉGOIRE LE GRAND
G. J. M. BARTELINK
Universida.de Catolica de Nimega
C'est un fait bien connu que, tant dans le grec que dans le latin
paléochrétien, la terminologie utilisée pour désigner le diable et les démons est
très riche et variée. Au cours des temps, plusieurs dénominations et épithètes
ont été étudiées par rapport à leur origine, évolution, fréquence et mode
d'emploi1. On a également consacré des études à la terminologie propre aux
auteurs individuels2. Dans ce dernier type de recherches on signale parfois que
tel auteur manifeste une prédilection pour telle désignation, le plus souvent
l'auteur en faisant un choix dans le vocabulaire existant, parfois en forgeant
une nouvelle dénomination. Il y a des écrivains qui évitent des expressions
plutôt populaires ou qui préfèrent des termes de couleur biblique.
Les dénominations au moyen desquelles Grégoire désigne le diable et
les démons sont assez nombreuses. Dans les Dialogues la lutte des ascètes contre
les démons est un thème majeur, ce qui se reflète dans un vocabulaire assez
varié. Dans les premiers livres des Moralia in Job, Grégoire discute la position
de Satan qui sans la permission de Dieu ne pourrait tenter Job. Tout cet ouvrage
volumineux est dominé par la lutte de Job contre son adversaire, le Vieil Ennemi,
comme Grégoire l'appelle souvent. Dans les autres écrits (p. ex. les Homélies
sur Ezéchiel) la terminologie démonologique ne manque pas non plus. Dans les
1
Un exemple récent: Antoon Bastiaensen C. M., La perdrix animal méchant figure du
diable: Augustin héritier d'une tradition exégétique, dans: Collectanea Augustiniana. Mélanges
T.J. van Bavel, Louvain 1991, 193-217.
2
Unum pro multis: J. Fontaine, Sur un titre de Satan chez Tertullien: 'diabolus interpolator ',
Studi e Materiali di Storia délie Religioni, Rome 1967, 197-216.
338
G. J. M. BARTELINK
Homiliae in evangelia les ressemblances avec le vocabulaire des Dialogues
sautent aux yeux. En général on peut dire que les désignations du diable et des
démons chez Grégoire sont d'une grande cohérence.
1. Daemon - daemonium. Notons que ces deux termes (dans le Nouveau
Testament daemonium est beaucoup plus fréquent que daemon qui n'y figure
que 7 fois) dans les écrits de Grégoire sont plutôt rares. Même les expressions
néotestamentaires relatives à la possession par les démons (telles que daemoninm
habere, a daemonio vexari, daemonia eicere), courantes chez les auteurs
chrétiens, sont souvent, semble-t-il, évitées par Grégoire. Il est évident que
Grégoire préfère daemones à daemonia. Typique est In Ez. II, Hom. 7,11, où
Grégoire se réfère à Luc 8,30ss. Tandis que dans le texte latin on ne trouve que
daemonia, Grégoire se sert de daemones: qui liberatus a legione daemonum
fuerat. De même: quem legio daemonum... reliquit {Mor. 6,60); legiones
daemonum (Dial. 1,10,1); a daemonibus arripiuntur (Mor. 15,57). Cependant
les tournures ne manquent pas complètement où on lit daemonium: daemonia
eicere (In Ez. II, Hom. 5,22); daemonio vexari (Dial. 2,16.30; 3,21; 4,6,1); a
daemonio... ereptus (Dial. 3,33,5). Pour désigner un possédé par le démon
Grégoire emploie parfois daemoniacus, terme qui, depuis Tertullien, ne se trouve
que chez les auteurs chrétiens (p.ex. daemoniacos absolvere, Dial. 1,10,19;
cf.4,6,1; 4,42,2; 4,46,8). En décrivant la possession Grégoire préfère malignus
spiritus ou immundus spiritus; parfois il se sert du terme général diabolus.
2. Diabolus. Bien qu'il s'agisse du terme général désignant le diable,
courant chez les auteurs chrétiens depuis le Nouveau Testament, il n'est pourtant
pas fréquent chez Grégoire, qui préfère les termes latins, antiquus hostis en
particulier. A Satan il semble préférer l'équivalent latin adversarius (cf. p.ex.
beatum Job et prius contra adversarium praetulit, Mor. 7,1 )3. Quelques passages
méritent notre attention. D'abord un emploi métaphorique de diabolus. Grégoire
raconte qu'un prêtre, de retour d'un voyage, apostrophe ainsi son valet: Veni,
diabole (= fourbe), discalcia me (Dial. 3,20,1). Immédiatement le diable lui-même apparaît, comme s'il avait été appelé. Ici se reflète cette croyance
3
Grégoire connaît probablement les explications du mot hébreu Satan présentées par
Jérôme: In Eph. 2,4,27 (PL 26,543D) lingua vero hebraea satan appellatur, id est adversarius, sive
contrarius; In Psalm. 108,6 (CCL 72, p. 231) Pro diabolo in hebraeo satan scriptum est, quod
interpretatur adversarius.
LES DÉNOMINATIONS DU DIABLE
339
populaire qu' il fallait se garder de prononcer le nom du diable, qui fut à Γ origine
d'une tendance au tabou et à l'euphémisme.
Pour s'exprimer d'une façon claire, Grégoire se sert du terme général
diabolus dans une description d'un rituel en usage chez les Langobards:
Langobardi... more suo immolaverunt caput capreae diabolo, hoc ei currentes
per circuitum et carminé nefando dedicantes (Dial. 3,28,1).
3. Antiquus hosïis est la dénomination de Satan préférée par Grégoire4.
L'expression comme telle ne se trouve pas dans la Bible, mais elle a bien des
racines bibliques. Tout d'abord il faut signaler que inimicus employé pour
désigner le diable est néotestamentaire. Le Christ lui-même, en expliquant la
parabole du semeur, dit: Inimicus autem, qui seminavit ea, est diabolus (Matlh.
13,39). De même, l'adjectif antiquus aune couleur biblique. Le renvoi kApocal.
12,9 est évident: serpens antiquns qui vocatur diabolus (cf. ibid. 20,2; Jean
8,44 homicida ab initio). Au moyen de l'expression antiquus hostis Grégoire
veut souligner que, dès le début, le diable n'a fait que menacer et attaquer le
genre humain. Le même ennemi qui a séduit Adam et Eve, nous accompagne
pendant la vie: et quasi nobiscum hostem deducimus, quem cum labore
superamus {Mor. 9,46)5. Par le péché du premier homme, nous portons avec
nous, dès la naissance, le péché et la punition. Le diable et les démons, nous dit
Grégoire, mettent tout en oeuvre pour tenter les hommes, pour autant que Dieu
le leur permet. Ainsi les bons seront-ils séparés des mauvais (Mor. 2,39). Avant
l'incarnation le pouvoir du Vieil Ennemi était plus grand qu'après la venue du
Christ: Antiquus ergo hostis generis humani fluvium absorbuit (Job 40,18), qui
a mundi origine usque ad Redemptoris adventum, vix paucis electis evadentibus,
in ventrem suae malitiae genus humanum traxit (Hom. in ev. 26,9). Le terme
antiquus hostis figure surtout au singulier. Il est notamment - mais non pas
exclusivement - réservé à Satan, le chef des démons. Grégoire s'en sert déjà
fréquemment dans ses premiers écrits. Dans les premiers livres du Commentaire
sur Job (vers 580) cette expression désigne souvent Satan qui reçoit de Dieu la
4
A. Biaise {Dictionnaire du Latin chrétien, s.v.) ne signale pas un seul texte de Grégoire.
Il ne cite que Jonas, Vita Columbani (Mon. Germ. Hist, Rerum Merov.IV, p. 155). A noter aussi
l'emploi de Vêtus chez le poète Commodien (Apol. 181 ; 317).
5
Dans plusieurs textes de Grégoire, antiquus se rapporte à la période de l'Ancien Testament,
avant la naissance du Christ. Voir par exemple Mor. 9,46 Quia igitur antiquorum patrum prius dies
facti sunt quam mundo Deus in carne manifestaretur.
340
G. J. M. BARTELINK
permission de tenter son serviteur Job. Hostis suggère la lutte contre l'Ennemi,
un thème à variations qui revient toujours chez Grégoire. C'est ainsi qu'il se
sert de l'image traditionnelle de l'âme comme une citadelle assiégée: Inimicus
saeviens, et sancti viri validissimum pectus debellare contendens, cunctas contra eum tentationum machinas erexit (Mor. praef. 4,9)6. Quand l'ennemi ne peut
pas faire directement irruption dans un coeur robuste, il se sert de complices qui
se trouvent à l'intérieur des murs (Ep. 5,44). Grégoire distingue entre les hostes
contra faciem et les hostes ex latere (Mor. praef. 5,11). C'est sur l'instigation de
Vantiquus hostis que les démons attaquent les hommes. Grégoire insiste sur le
fait que Satan est le chef des démons (qu'il appelle souvent maligni spiritus).
Que chez Grégoire antiquus hostis surpasse diabolus loin en fréquence
(de même que maligni spiritus est plus fréquent que le terme néotestamentaire
daemonia), pourrait constituer un indice de sa prédilection pour des expressions
authentiquement latines. Pour ce qui est du choix de antiquus hostis, Grégoire
peut s'être inspiré de textes comme Augustin, De symbolo ad catechumenos
4,11, où le diable est qualifié de callido, antiquo et veternoso inimico.
4. Maligni spiritus. Tout comme antiquus hostis, l'expression malignus
spiritus (employée surtout au pluriel) est très fréquente chez Grégoire. Dans le
Nouveau Testament elle ne figure qu'une seule fois: curatae a spiritibus malignis
(Luc 8,2; traduction de pneumata ponèra, qui dans le N.T. a été rendu ailleurs
par spiritus mali)1. Sans doute Grégoire a-t-il considéré malignus comme une
épithète plus caractéristique que malus, ce qui peut expliquer son choix personnel.
Les traits de malice, astuce et hypocrisie, inhérents à malignus (cf. Mor 8,87
qui dolos suae iniquitatis operiunt - qui subtilitatem interius duplicitatis callent
- qui semper malitiam sub specie puritatis occultant) s'appliquent justement
aux opérations de Satan et de ses démons8. Il arrive que Grégoire, en paraphrasant
6
D'autres motifs traditionnels en relation avec hostis: 1. Le martyre est une lutte contre le
diable (cf. In Ez. II, Hom. 5,22 pour la palme qui est la rémunération de la victoire). 2. Au moment
de la mort la lutte contre les démons devient très violente: Callidus quippe adversarius bestia terrae
dicitur (Job 5,22), quia ad rapiendas mortis tempore peccatorum animas violentia efferatur (Mor.
6,49; cf. Dial. 4,37,12). 3. Les rois ennemis d'Israël sont un symbole du diable: Quis enim Assur
superbi régis (le roi Assur d'Assyrie) nomine nisi ille per elationem cadens antiquus hostis exprimitur?
(Mor. 9,103); régis Aegyptii (le Pharao) adversitas, id est maligni spiritus (In Ez. I, Hom 12,24).
7
Dans la première Epitre de Jean figure malignus substantivé (= le diable): 2,13.14; 5,18.
8
Tout comme Origène et Jérôme, Grégoire admet qu'il y a des classes de démons. Voir par
exemple Mor. 15,33 (à propos de Job 20,25).
LES DENOMINATIONS DU DIABLE
341
un texte biblique, remplace diabolus par malignus spiritus (p.ex. Hom in ev.
16,1 ubi nunc ad tentandum malignus spiritus inveniret: Matth. 4,1 diabolus).
5. Métaphores empruntées aux animaux. Les symboles animaliers ne
manquent pas chez Grégoire. Le diable et ses complices polymorphes sont
souvent thériomorphes. Formas se vertit in omnes, dit Augustin en citant Virgile
{Civ.Dei 10,10 = Virg., Georg. 4,411). Pour décrire l'iconographie du démon,
Réau s'exprime ainsi: "Protée diabolique, il emprunte à volonté la forme animale
ou humaine... Pour séduire Eve il se métamorphose en serpent à tête de femme
(Gen. 3,15); pour menacer la Femme de l'Apocalypse, en dragon à sept têtes
(Apoc. 12,9). En d'autres circonstances, il se transforme enbasilisc, en lion, en
ours, en bouc ou en renard, en lézard ou en scorpion, en corbeau ou en hibou"9.
Grégoire emprunte les métaphores animales en premier lieu à la Bibie.
Il explique que leo dans la Bible peut avoir un sens favorable mais peut être
employé aussi in peiorem partem (In Ez. II, Hom. 7,1). Pour ce dernier sens il
renvoie au leo rugiens de 1 Pierre 5,8: Sic leonis nomine diaboli similitudo
exprimitur, sicut per primum pastorem dicitur. Satan, ainsi Grégoire, est appelé
Lion à cause de sa cruauté, et ce n'est pas sans raison qu'on le nomme Tigre,
tant sa nature revêt de formes: tantôt ange de révolte, tantôt ange de lumière
(Mor. 5,43). Le loup dans la parabole du bon pasteur est également une image
du diable: malignus videlicet spiritus (Hom. in ev. 14,3).
Puis, le diable est le monstre de la mer dont parle Job 7,12. Grégoire dit:
Quid autem ceti nomine nisi antiquus hostis (peu après il l'appelle malignus
spiritus) exprimitur? (Mor. 8,39). De même à propos de Leviathan (Job 40,19):
Per Leviathan quippe cetus devorator humani generis designatur (Hom. in ev.
25,8; et notamment Mor. 33,7-9)'°.
La couleur biblique de serpens (vipera, aspis) est évidente. Grégoire
emploie la tournure caput serpentis observare dans le sens de "résister aux
tentations dès le début" (Mor. 1,53). Quand le diable est appelé draco, c'est une
réminiscence de l'Apocalypse. Un mourant voit un dragon qui veut le dévorer
(Dial. 4,40,4; 4,40,11-12). Un moine sur son lit de mort est libéré du dragon
9
Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien II, Paris 1956, 80.
Grégoire connaît l'image du diable pris au hameçon de l'incarnation: Cumque in eo (le
Christ devenu homme) serpens iste per manus persequentium escam corporis momordit, divinitatis
aculeum perforavit {Hom. in ev. 25,8). Voir sur ce thème: Joh. Zellinger, Der gekôderte Leviathan
im Hortus deliciarum der Herrad von Landsperg, Historisches Jahrbuch 45 (1925), 161-177.
10
342
G. J. M. BARTELINK
menaçant (ad devorandum se draconem venïre) par les prières des autres moines
(Hom. in ev. 19,7; cf. 38,16). Un moine qui veut quitter son monastère rencontre
le diable sous l'apparence d'un dragon: contra se adsistere aperto ore draconem
in itinere invenit (Dial. 2,25,1).
Leporcus, animal immonde pour les Juifs, est aussi symbole du diable
et des démons (cf. Luc 8,30ss.). Grégoire dépeint la scène d'un porc qui se
faufile parmi la foule dans l'église de la Sabure, rendue aux catholiques par les
Ariens (Dial. 3,30,3).
Puisque les démons volent dans l'air (Eph. 6,12), ils peuvent être
symbolisés par les oiseaux. Le Christ lui-même nous a expliqué que les oiseaux
qui, dans la parabole du semeur, piquent les semences (Matth. 13,4), symbolisent
le diable (Mor. 26,30-31; Hom. in ev. 15,1-2). De même, ce sont les oiseaux que
Abraham avait chassés, quand il voulait offrir une offrande vespérale (Gen.
15,11), qui pour Grégoire symbolisent les esprits mauvais: Sic nos cum in ara
cordis holocaustum Deo offerimus, ab immundis hoc volucribus custodimus,
ne maligni spiritus et perversae cogitationes rapiant quod mens nostra offerre
se Deo utiliter sperat (Mor. 16,53). Spécialement le milvus (milan), oiseau de
proie, est un symbole du diable qui attaque les hommes par ses tentations (Mor.
14,64). Bien connue est la scène du merle (merula), oiseau noir, qui vole autour
de la tête de saint Benoît (Dial. 2,2,1), symbole du démon qui suggère les
tentations".
6. Expressions employées incidentellement.
a. Alieni. Deux textes vétérotestamentaires (Prov. 5,16 nec sint alieni
participes tui; Ps. 53,5 Alieni insurrexerunt in me) ont été cités par Grégoire
afin d'appliquer le terme alienus aux démons (cf. In Ez. I, Hom. 12,12 et ne
maligni spiritus, qui iure a nobis alieni sunt... nobis subripiant,... circumspicimus... ut nobis in eis alieni participes non sint). Les auteurs chrétiens
désignent parfois les esprits mauvais par alieni ou alienati12. Ici Grégoire se
trouve dans une tradition qui a son origine dans la Septante, où heautous
" Voir P. Courcelle, Saint Benoît, le merle et le buisson d'épines, Journal des Savants
(1967), 154-161.
12
Cf. Min. Félix, Oct. 26,8 les esprits mauvais alienati a Deo; DidascAp. 3,18 Ab omnibus
igitur his tam alienis et diabolicis scripturis fortiter te abstine; Ps. Orig., Tract.de libris S. Script.
116,3 extraneus est, qui extra fidem est et deificae disciplinae alienus, quod est diabolus; Hrabanus
Maurus, De universo (PL 111,547C) Alieni, daemones, Iudaei sive haeretici, ut in psalmo (se. Ps.
53,5).
LES DÉNOMINATIONS DU DIABLE
343
apallotrioun (se alienaré) pent désigner l'aliénation de l'homme qui s'éloigne
de Dieu (cf. Ps. 57,4).
b. Altercator impudens: quatenus altercator impudens vel saepe victus
obmutescat (Mor. 3,5).
c. Corruptor: dissolutam mentem corruptori prostituit (Mor. 2,79).
d. Iniquorum caput: plerumque scriptura sacra de iniquorum capite, id
est diabolo, loquitur (Mor. 9,44). Les hommes, dont la vie terrestre est mauvaise,
sont le corpus diaboli, par opposition à l'Eglise, dont le Christ est la tête (cf.
Co/.l,18)13. Autres textes: corpus omne diaboli, id est multitudo reproborum
(Mor. 33,51; voir aussi Mor. 34,56); diabolus caput (Mor. 2,7).
e. Latrones insidiantes. Les démons font des embûches le long de la
route de notre vie (comme les brigands dans la parabole du bon Samaritain)'4.
Quand nous sommes orgueilleux de nos bonnes oeuvres, nous risquons plus
que jamais les attaques des démons: Quousque enim ab aeternae patriae securitate
disiungimur, in latronum insidiantium iter ambulamus (Mor. 8,82); Occultanda
sunt ergo quae agimus ne, haec in huius vitae itinere incaute portantes, latrocinantium spirituum incursione perdamus (Mor. 8,83).
f. Magister malitiae (Dial. 2,8,10).
g. Malignus seductor (Mor. 4,41).
f. Mundi huiuspotens: a mundi huius potente opprimitur (In Ez. I, Hom.
7,21). Voir aussi le commentaire de Grégoire sur Jean 12,31 (princeps huius
mundi) dans Hom. in ev. 39,8.
7. L'emploi d'épithètes.
Grégoire puise dans un répertoire très riche d'adjectifs et d'épithètes
pour caractériser le diable et les démons. Partiellement il s'agit d'expressions
stéréotypées, mais bien souvent c'est le contexte qui définit le choix de Grégoire.
Tel est le cas, par exemple, quand il qualifie d'astucieux le diable en tant que
tentateur (Mor. 6,1). Cela vaut aussi pour l'emploi de l'épithète multiformis
(Mor. 6,46), qui souligne les attaques des puissances diaboliques sous des formes multiples. Grégoire appelle Satan superbum apostatam (Mor. 4,16), puisqu'il
admet, comme d'autres avant lui, que ce fut l'orgueil qui a causé sa chute.
13
Grégoire s'est inspiré ici d'Augustin (cf. Enarr. inps. 139,7 Sicut enim bonorum caput
Christus est, sic illorum caput diabolus).
14
Voir sur cette expression: G. J.M.Bartelink, Les démons comme brigands, Vig. Christ. 21
(1967), 12-24.
344
G. J. M. BARTELINK
Adversans: adversantes spiritus (Moi: 1,51).
Aëreus: ab aëreis potestatibus (Mor. 2,74); contra potestates aëreas (In
Ez. I, Hom. 8,10). Selon Grégoire les corps subtils des démons leur permirent
de se déplacer à grande vitesse et de surprendre ainsi les hommes.
Antiquus: L'expression antiquus hostis est fréquente chez Grégoire (voir
supra, sub 3). On trouve aussi antiquus adversarius (Mor. 2,14; 4,42; 6,45;
16,13). Cf. vetustus.
Apostata: apostata angélus (Mor. 12,41); apostata spiritus (Dial. 4,30,4).
L'épithète se rapporte à la chute des esprits rebelles qui avaient perdu à tout
jamais leur rang antérieur. Vivant dans les ténèbres de l'enfer, ils ne connaissaient
pas de repentir et leur faute ne trouva pas de pardon. C'est à Augustin que
Grégoire doit la conception que les hommes étaient destinés à suppléer les places
des anges déchus (Aug., Enchiridion 16,62). En expliquant la parabole du bon
pasteur (Luc 15,4-7) Grégoire voit dans les quatre vingt-dix-neuf brebis que le
Fils de Dieu avait quittées pour chercher la brebis errante (le genre humain
perdu) et pour la ramener au troupeau, un symbole des anges.
Astutus: astutus quippe adversarius (Mor. 2,15): le diable astucieux se
sert souvent de ruses pour nous attaquer.
Callidus: ab hoste callido (Mor. 1,53 ; In Ez. I, Hom 2,10); hostis callidus
(Mor. 2,72). L'épithète se rapporte spécialement au diable en tant que tentateur:
callidi temptatoris (Mor. 6,1); callidi persuasoris (Mor. 9,102).
Deceptor: per deceptorem spiritum (Dial. 4,50,6).
Fallax: fallax spiritus (Mor. 2,38).
Immundus: Grégoire fait usage de la tournure biblique immundus spiritus
(Mor. 2,5; et passim).
Impudens: altercator impudens (Mor. 3,5).
Insidians: hostis insidians (Mor. 7,59; 8,43); quasi insidiantibus hostibus
(Mor. 8,82).
Latrocinans: latrocinantium spiriruum incursione (Mor. 8,83) Cf. Maligni
autem spiritus iter nostrum quasi quidam latrunculi obsident (Hom. inev. 11,1).
Voir la note 14.
Malignus: maligni spiritus (Mor. 1,53 et passim; voir supra, sub 4). Autres
tournures: malignus hostis (Mor. 2,68); malignus inimicus (Mor. 2,72).
Malus: ut hune boni spiritus sursum, mali deorsum traherent (Dial.
4,37,12).
Mortifer: mortiferi serpentis (Hom. in ev. 25,6).
LES DÉNOMINATIONS DU DIABLE
345
Multiformis: multiformem adversarium {Mor. 6,46; cf. Mor 10,10).
Niger: niger puerulus (Dial. 2,4,2); taetros et nigerrimos spiritus (Dial.
4,40,7). Voir taeter.
Occultus: occulti hostis insidiae deteguntur {Mor. 2,40). C'est aussi le
occultus hostis qui cause les songes {Dial. 4,50,3; In Comm. Ez., Hom. fr. II
Paterius).
Pravus: pravo spiritui {Mor. 4,22).
Superbus, superbiens: De même qu'Augustin, Grégoire admit que
l'orgueil était la cause de la chute du prince des démons, autrefois un ange de
haut rang (cf. Hom. in ev.. 34,9). A l'opposé de la chute de l'homme, celle du
diable et de ses complices s'explique par leur propre perversion. Ils n'avaient
pas suivi la suggestion d'autrui. Superbus hostis {Mor. 2,41); superbus apostata
{Mor. 4,16); superbienti adversario {Mor. 2,42); hostis superbiens {Mor. 3,6).
Taeter: Cette épithète (affreux) dépeint, de même que niger, le diable et
notamment les démons, quand ils apparaissent aux hommes, plusieurs fois aussi
dans une vision de l'enfer. Antiquus hostis taeterrimus et succensus apparebat
{Dial. 2,8,12); a quibusdam taeterrimis viris (les démons; Dial. 4,37,12); taetros
spiritus {Dial. 4,40,9); viderunt duos quosdam taeterrimos spiritus {Dial. 1,12,2);
vidit taetros et nigerrimos spiritus {Hom. in ev. 12,7).
Vetustus: vetustus adversarius {Mor. 5,43). Voir antiquus.
8. Elément stylistique: la variatio.
Tant dans les Moralia que dans les Dialogi et les autres écrits, Grégoire
se sert régulièrement de la figure de la variatio, ce qui trabit le soin qu'il apporte
à son style. On constate en effet que, ces dernières décennies, l'appréciation de
Grégoire en tant qu'écrivain a augmenté considérablement. Nous présentons
ici quelques exemples de variation dans la terminologie démonologique. Le
plus souvent Grégoire commence par un terme qui convient au contexte. Quand
il s'agit d'une possession démoniaque, il se sert de immundus spiritus: Langobardos immundus spiritus invasit {Dial. 1,4,21). Puis Grégoire ajoute les termes
complémentaires qui s'imposent {diabolus, antiquus hostis). Dans une description de la tentation de Benoît {Dial. 2,2,1) le terme général tentator est suivi
par merula et malignus spiritus. Quelques autres exemples: hostis - diabolus
{Mor. praef.3,7); diabolus - hostis {Mor. praef. 3,8); hostis - diabolus - antiquus
hostis {Mor. 13,12); malignus spiritus - antiquus hostis - diabolus - daemonium
(Dial. 3,33-34).
346
G. J. M. BARTELINK
Terminons par quelques remarques générales. Tout comme Jérôme s'était
fréquemment servi d'une expression favorite (contrariae fortitudines) pour
désigner les démons, Grégoire, lui aussi, manifeste une prédilection pour certaines dénominations (à signaler notamment antiquus hostis et maligni spiritus).
Quant au choix de cette terminologie, il nous montre à quel point Grégoire
préférait des termes authentiquement latins.
Puis, dans les écrits de Grégoire, on cherche en vain des tournures
abstraites telles que nequitiae spiritales (tournure, pour laquelle Ambroise manifeste une prédilection nette). Tandis que, par exemple, son contemporain
Grégoire de Tours se conforme aux tendances du latin tardif, en se servant
d'expressions abstraites pour désigner le diable et les démons, Grégoire le Grand
s'en tient à un vocabulaire plutôt concret.
Lit.: J. Rivière, Mort et démon chez les Pères, Rev. des Sciences Relig.
10 (1930), 577-621 (notamment 588-589); A.C. Rush, An Echo of Christian
Antiquity in St. Gregory the Great: Death a Struggle with the Devil, Traditio 3
(1945), 369-379; F. van den Broucke, Démon IV. En Occident, Dict. de Spir. 3,
Paris 1957 (col. 212-219: Du 4e au 7e siècle: la période patristique);
B.Steidle, Der sckwarzekleineKna.be, Benediktinische Monatschrift 34
(1958), 339-350:
D.L.Walzel, The Sources of Médiéval Demonology, Ann Arbor 1974
(chap. 5 Gregory the Great: Imprimatur on popular Beliefs); B.P. McGuire,
God-Man and the Devil in Médiéval Theology and Culture, Cahiers de l'Institut
du moyen âge grec et latin 18 (1976), 18-79 (notamment 24-30: The Patristic
Background; Augustine and Gregory the Great); S.Boesch Gajano, Demoni e
miracoli nei Dialoghi di Gregorio Magno, dans: Hagiographie, cultures et
sociétés. IVe-XIIe siècles, Paris 1981, 263-281; J.B. Russel, Lucifer. The Devil
in the Middle Ages, Ithaca-Londres 1984; P. Miquel, Le diable dans les 'Vies '
des saints moines, (e.a. 'Vie de saint Benoît' par Grégoire le Grand), CoUectanea
Cisterciensia 49 (1987), 246-259.