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Réanimation 14 (2005) 454–456
http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
Comment informer le patient et sa famille ? Le point de vue juridique
Informing patients and their families: a legal point of view
C. Sicot
Le Sou Médical, groupe MACSF, 10, cours du Triangle-de-l’Arche, TSA 40100, 92919 La Défense cedex, France
Résumé
L’information du malade ne se limite pas à la transmission des données nécessaires à l’obtention de son consentement à la réalisation de
l’acte diagnostique ou thérapeutique qu’on lui propose. Tout malade — et, éventuellement, ses proches dès lors qu’il ne s’y est pas opposé et
que les textes réglementaires l’autorisent — doit être tenu régulièrement informé de son état, a fortiori, en cas de complication iatrogène ou
d’évolution défavorable. Il s’agit d’une obligation morale, déontologique et légale inscrite dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades et à la qualité du système de santé, qui en a fixé les modalités.
© 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.
Abstract
Informing one’s patients is not limited to giving the data necessary to obtain a patient’s authorization to carry out a diagnostic or therapeutic act. All patients — and if applicable, their family when the patient and laws allow for this — must be regularly informed of their
condition, especially in the case of iatrogenic complications or unfavourable changes. This is a moral, deontological and legal obligation
included in the law of 4th March 2002 relating to the rights of patients and the quality of the health system that implemented the methods.
© 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.
Mots clés : Responsabilité médicale ; Accident médical ; Information du malade
Keywords: Medical liability; Medical accident; Informing patients
Depuis une quinzaine d’années, le nombre de déclarations
d’accidents corporels adressées aux assureurs spécialisés en
responsabilité médicale a fortement progressé. La Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM) — qui assure actuellement 80 % des lits de l’hospitalisation publique — fait état
d’une augmentation de 13 % par an de 1987 à 2000 (soit
× 4,4). Le Sou Médical groupe MACSF — qui assure 60 %
des médecins français et plus de 70 % de ceux exerçant en
libéral — fait état d’une progression de la sinistralité (nombre annuel de déclarations d’accidents corporels/nombre de
sociétaires) de 5,5 % par an de 1985 à 2002 (soit × 2,4) [1].
À quoi est due cette « judiciarisation » de la médecine ?
D’après l’analyse faite par quatre cabinets d’avocats anglais
spécialisés dans les contentieux médicaux, les patients (ou
Adresse e-mail : [email protected] (C. Sicot).
leurs proches) poursuivent leurs médecins en justice, essentiellement pour les quatre motifs suivants :
• désir de sanction envers l’équipe médicale ;
• recherche d’une compensation financière ;
• désir d’obtenir une explication et sentiment d’avoir été
négligé ;
• souhait d’améliorer la qualité des soins et d’éviter à un
autre patient d’être victime de la même erreur [2].
Ces deux derniers motifs, s’ils ne sont pas les plus fréquents,
sont, néanmoins, responsables d’un nombre non négligeable
de plaintes, notamment devant les juridictions pénales. Ils
illustrent, a contrario, la réticence du corps médical à informer le patient dès lors que ce dernier a été victime, à l’occasion des soins administrés, d’un préjudice que celui-ci soit
ou non lié à la faute d’un professionnel de santé. L’information du malade ne se limite pas, en effet, à lui fournir les
données nécessaires à l’obtention de son consentement à la
1624-0693/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS pour Société de réanimation de langue française.
doi:10.1016/j.reaurg.2005.02.011
C. Sicot / Réanimation 14 (2005) 454–456
réalisation de l’acte diagnostique ou thérapeutique qu’on lui
propose. Rétablir la confiance dans la relation médecin–
malade passe nécessairement par une politique de transparence dont fait partie l’information des victimes d’accident
médical. Il s’agit, pour chaque médecin à la fois d’une obligation morale, déontologique (implicitement contenue dans
l’article 35 du Code de Déontologie Médicale) et légale depuis
la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé. D’après l’article L1142-4 de cette
dernière : « Toute personne victime ou s’estimant victime
d’un dommage imputable à une activité de prévention, de
diagnostic ou de soins ou ses ayants droit, si la personne
est décédée, ou, le cas échéant, son représentant légal, doit
être informé par le professionnel, l’établissement de santé,
les services de santé ou l’organisme concerné sur les circonstances et les causes de ce dommage. Cette information
lui est délivrée au plus tard dans les quinze jours suivant la
découverte du dommage ou à sa demande expresse, lors
d’un entretien au cours duquel la personne peut se faire
assister par un médecin ou une autre personne de son
choix ». Par ailleurs, il faut rappeler que la même loi autorise
l’accès — en règle, direct — du patient à son dossier médical : « Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenue par des professionnels et
établissements de santé (...) » (art L1111-7). La loi du 4 mars
2002 a également profondément modifié les conditions
d’information des proches. Elle a ainsi individualisé la notion
de « personne de confiance » : « Toute personne majeure
peut désigner une personne de confiance qui peut être un
parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa
volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin...
Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé,
il est proposé au malade de désigner une personne de
confiance dans les conditions prévues à l’alinéa précédent
(...) » (art L1111-6). En outre, la même loi a prévu qu’« (...)
En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la
personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L 1111-6, reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celleci, sauf opposition de sa part (...) » (art L-1110-4). Mais
l’innovation la plus marquante dans le domaine de l’information des ayants droit d’un malade, réside dans la possibilité
qu’en cas de décès, ses ayants droit peuvent avoir accès à son
dossier : « (...) Le secret médical ne fait pas obstacle à ce
que les informations concernant une personne décédée soient
délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur
sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de
faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée
par la personne avant son décès » (art L 1110-4). Autrement
dit, si un médecin refuse de remplir son obligation d’information vis-à-vis de la victime d’un accident lié aux soins,
celle-ci (ou ses ayants droit, en cas de décès) a la possibilité
d’obtenir la confirmation de ce qui s’est réellement passé en
demandant à consulter son dossier.
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Quelles sont les conséquences d’un refus d’information
des victimes (ou de leurs proches) ? La loi du 4 mars 2002 n’a
pas prévu de sanction mais la dissimulation d’un évènement
indésirable peut, a priori, être considérée par le malade, une
fois qu’il aura pris conscience du préjudice qui lui a été causé,
comme une présomption de responsabilité, voire un aveu de
culpabilité de la part du médecin. Surtout, les magistrats font
preuve d’une grande sévérité pour sanctionner de telles
conduites, comme en témoignent les deux affaires suivantes.
Le 29 juillet 1996, un patient (M. X) était accueilli dans le
service de radiologie d’un CHU parisien pour y subir un examen scanographique. Les trois seringues de produit de
contraste qui devaient lui être injectées lors de l’examen
avaient été préparées et placées sur une table proche du patient
où se trouvait également une seringue contenant de l’eau non
stérile, destinée à remplir les ballonnets de sonde rectale. À
la suite d’une erreur de manipulation, cette dernière était injectée à M. X. Bien que s’étant rendu compte de l’erreur, le médecin radiologue et la manipulatrice n’en informaient pas le
malade et poursuivaient, comme si de rien n’était, l’examen
Rentré chez lui, M. X était, quelques heures plus tard, pris de
vomissements et de fièvre. Dans la nuit du 29 au 30 juillet, il
était admis en urgence dans le service de réanimation du centre hospitalier proche de son domicile, avec le diagnostic de
choc septique. Le lendemain matin, les médecins réanimateurs en charge de M. X contactaient l’établissement où avait
eu lieu l’examen scanographique. Mais le chef de radiologie
(le PrY), qui était informé depuis la veille de l’erreur de manipulation, ordonnait à son personnel de ne fournir aucune information sur l’origine de l’accident. Le 31 juillet, dans la soirée, en raison de l’installation d’un SDRA, M. X était transféré
dans un CHU parisien (distinct du premier). Ce n’est que le
1er août que le Pr Y portait à la connaissance des médecins
réanimateurs du CHU, l’erreur commise dans son service.
M. X était, alors, atteint d’une défaillance multiviscérale gravissime. Ce n’est que fin août qu’il pouvait être transféré de
réanimation en rééducation fonctionnelle où il séjournait deux
mois, avant de regagner son domicile.
Ayant été mis en examen sur le fondement de blessures
involontaires et de non-assistance à personne en danger, le Pr
Y sollicitait l’administration hospitalière pour qu’elle assure
la défense de ses intérêts et prenne en charge les honoraires
de son avocat. Il invoquait, au soutien de sa demande, les
dispositions de la loi du 13 juillet 1983 portant sur les droits
et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de
la loi du 16 décembre 1996, laquelle fait obligation à la collectivité publique d’accorder sa protection au fonctionnaire
dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion
de faits qui n’ont pas le caractère de faute personnelle. Mais
l’administration hospitalière rejetait sa demande au motif que,
selon elle, la faute du Pr Y avait le caractère d’une faute personnelle. Le praticien exerçait un recours afin d’obtenir
l’annulation de cette décision. Par un arrêt en date du
28 décembre 2001, le Conseil d’État validait l’analyse de
l’administration hospitalière et rejetait la requête du médecin
radiologue en stigmatisant « le caractère inexcusable du com-
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portement de ce praticien au regard de la déontologie de la
profession » [3].
Le 3 août 1994, vers 17 heures, un garçon de 16 ans était
victime d’une noyade après un traumatisme sur le bord d’une
piscine où il jouait à faire des plongeons et des sauts périlleux.
Par l’intermédiaire du Samu, il était hospitalisé à 19 heures
dans le service de réanimation d’une clinique proche. Le Dr
A, chef de ce service, constatait une détresse respiratoire liée
à la noyade (œdème pulmonaire lésionnel) et demandait des
clichés du crâne et du rachis cervical, à faire au lit du blessé
compte tenu de la gravité de son état. Avant d’avoir pris
connaissance des résultats de ces examens, le Dr A passait le
relais au Dr B qui devait assurer la permanence de nuit. Au
moment de la relève, vers six heures, une infirmière signalait
au Dr B que le blessé n’avait pas de réactions, ni aux membres supérieurs, ni aux membres inférieurs. Ce dernier informait l’assistant du service le Dr C, dès son arrivée vers
8–9 heures, que le blessé était tétraplégique. Ce dernier
demandait, en urgence, un examen scanographique du rachis
cervical qui révélait une fracture–luxation de C5. Le blessé
était, alors, transféré en neurochirurgie où était pratiquée une
ostéosynthèse par plaque postérieure. Malheureusement,
aucune récupération neurologique n’était obtenue, ce qui
entraînait une incapacité permanente partielle estimée à 80 %.
Très rapidement, s’était installé un climat conflictuel entre
le Dr A et la famille de cet adolescent, celle-ci se plaignant
notamment de ne pas pouvoir être reçue par le Dr A, ni obtenir communication des radiographies du rachis cervical faites à l’admission. Les parents finissaient par déposer en juillet
1996, une plainte pénale avec constitution de partie civile.
Au cours de l’enquête, on découvrait, lors de l’expertise préliminaire, que le Dr A avait dissimulé l’existence du Dr B en
affirmant que c’était lui qui était de garde dans la nuit du 3 au
4 août 1994 et qu’il avait pris seul en charge le blessé. Par
ailleurs, lors d’une perquisition ordonnée par le juge d’instruction à la clinique, les radiographies du rachis cervical pratiquées à l’admission restaient introuvables. En outre, une
modification du dossier informatique du blessé (ayant eu lieu
le 17 mars 1998, 6 heures après un interrogatoire du Dr A par
les enquêteurs) était constatée. Le 20 mars 1998, le juge d’instruction décidait de placer en détention provisoire les Dr A et
B soupçonnés d’une possible « dissimulation d’indices et de
preuves ». Le Dr A était remis en liberté, sous contrôle judiciaire, le 10 avril 1998 [4].
Une première expertise attribuait la tétraplégie à un hématome paramédullaire important et progressif et concluait à
« une perte de chance considérable due au retard de diagnostic lésionnel ». Toutefois, une contre-expertise écartait
l’hypothèse d’un hématome compressif et concluait que la
tétraplégie s’était très vraisemblablement constituée d’emblée,
avant l’arrivée à la clinique. Le compte rendu opératoire du
service de neurochirurgie ne faisait pas état de « laminectomie » ce qui prouvait l’absence de compression médullaire
qui aurait justifié une intervention urgente. En tout état de
cause, celle-ci n’aurait pu avoir lieu qu’après le traitement du
problème respiratoire.
En décembre 2001, les magistrats du tribunal correctionnel estimèrent que « (...) Les éléments du dossier et l’analyse faite par les experts, démontrent amplement le comportement fautif du Dr B et plus encore du Dr A. Les tentatives
de ce dernier pour cacher la vérité, y compris devant les
médecins experts désignés par un juge d’instruction, illustrent la volonté de faire obstacle aux investigations... Alors
qu’il existait une forte suspicion de fracture du rachis cervical dès l’admission... comment expliquer que seuls les
clichés du rachis cervical aient disparu ?... Fort opportunément, leur disparition permet d’affırmer, a posteriori, sans
risque d’être contredit, qu’ils étaient inexploitables. La modification du dossier informatique, réalisée à un moment crucial de l’affaire, ajoute au malaise créé par les mensonges
du Dr A. Ces comportements fautifs relevés par les experts,
de façon concordante, sont mentionnés pour mémoire. Ils
permettent de mieux comprendre le sentiment exprimé par
les parties civiles de ne pas avoir été prises en considération et d’avoir été victimes d’une tentative de dissimulation
de la vérité. Toutefois, en droit, ces fautes ne sont pas la
cause directe du dommage et n’ont pas contribué à créer la
situation qui a permis la réalisation du dommage. Par
ailleurs, l’abstention fautive des prévenus n’était pas de
nature à éviter la réalisation du dommage, ni même à en
atténuer les effets. Il convient, en conséquence, de prononcer la relaxe des deux prévenus (...) ».
Plus que de longs développements, ces deux dossiers illustrent les conséquences dévastatrices que peuvent avoir pour
des médecins, le refus de ne pas informer les malades et, éventuellement, leur famille sur « ce qui s’est réellement passé ».
En conclusion, tout malade — et éventuellement, ses proches dès lors qu’il ne s’y est pas opposé et que les textes
réglementaires l’autorisent — doit être tenu régulièrement
informé de son état, a fortiori, en cas de complication iatrogène ou d’évolution défavorable. Cette information doit être
fondée sur : « La VÉRITE, rien que la vérité, toute la vérité ».
Toute omission sera, a priori, considérée comme destinée à
dissimuler une faute. Toute falsification du dossier risque
d’entraîner un emprisonnement immédiat avec, en outre, le
risque qu’un accident non fautif puisse être considéré comme
un accident fautif.
Références
[1]
[2]
[3]
[4]
Sicot C. Une politique de gestion des risques : pourquoi ? Responsabilité 2003;3:3–5.
Vincent CH, Young M, Phillip S. Why do people sue doctors? A study
of patients and relatives taking legal action. Lancet 1994;343:1609–
13.
Baranger D, Sicot C. Faute médicale détachable de la fonction : une
décision relevant de l’administration hospitalière. Réanimation 2002;
11:440–1.
Dépêche AFP du 10 avril 1998.

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