ISBN8492379251_AUX LIMITES DE L`OBJET

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ISBN8492379251_AUX LIMITES DE L`OBJET
AUX LIMITES DE L'OBJET:
LES CONSTRUCTIONS DU TYPE PARLER
POLITIQUE, SENTIR LE BRÛLÉE
L a u r a PINO
y F r a n c i s c o FROJÁN
Universidade de Santiago
0.
INTRODUCTION
Dans les quelques pages qui suivent nous voulons regrouper différentes structures,
parfois de nature bien distincte, susceptibles de fonctionner comme COD, c'est-à-dire
faisant partie d'une construction transitive, et qui répondent à la définition voire à la
notion d'objet en français.
Pour ce faire, nous reprenons quelques idées ébauchées lors de notre communication au XXIIème Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes (cf.
Pino, à paraître b), pour essayer de démontrer que, dans le domaine de Vobjet, on peut
établir une gradation, une hiérarchisation, si l'on veut, qui comprendrait, au moins, les
quatre degrés suivants:
1) celui des vrais objets (affectés ou effectués) qui répondent à la définition et à la
caractérisation des COD traditionnels.
2) celui des segments traditionnellement considérés des CC qui de par leurs caractéristiques formelles et fonctionnelles devraient être classés comme des COD.
3) celui des faux sujets entrant dans des constructions impersonnelles que l'on
pourrait très bien étudier comme objets au sens large du terme.
4) celui des pseudo-objets (ou objets à proprement parler) représentés par des
substantifs ou des adjectifs aux frontières fonctionnelles un peu floues (entre COD et
attribut, parfois même entre COD et COI, ou encore entre COD et CC).
Nous allons examiner chacun des cas mentionnés pour essayer de vérifier et de
démontrer, au moyen de quelques critères définitoires, que quoiqu'ils aient des réalisations différentes, il s'agit dans tous les cas d'objets ou d'éléments appartenant à la zone
objectale dont parle G. Lazard (1994a). De ce point de vue, dans le domaine de l'objet
entreraient tous ces segments apparentés à des objets, car ce sont des éléments centraux
ayant la même structure, le même schéma formel et les mêmes traits fonctionnels que
les compléments d'objet.
Ceci dit, nous passons donc à étudier et à caractériser chacun des quatre groupes
mentionnés ci-dessus pour entreprendre ensuite l'étude des rapports, des différences et
des ressemblances avec les objets prototypiques.
Nous voulons relever ces exemples problématiques car, après la lecture des principaux manuels de grammaire française et de quelques publications récentes sur le
1
"Cet article s'encadre dans le projet da Recherche de l'Université de Santiago de Compostela intitulé Compie mentación verbal e estructura da oración en francés (XU6A204002A98) et subvenioné por la
Secretaría Xeral de Investigación e Desenvolvemento da Xunta de Galicia.
María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000
sujet, nous sommes persuadés qu'il s'agit de vrais objets, même s'ils ne répondent pas
à tous les tests caractérisant l'objet prototypique. Un numéro monographique très
récent des Travaux de linguistique, intitulé Les objets:relations grammaticales et
rôles sémantiques, aborde, d'une manière spéciale, toute la problématique de la
transitivité, le problème des emplois absolus, l'objet interne et la pertinence des tests
employés généralement pour l'identification des objets. Ainsi, J. François (1997: 2137) fait une approche critique du concept de transitivité prototypique par rapport à
une transitivité marginale; M. Noailly (1997: 39-47) veut démontrer que même dans
l'emploi absolu on peut postuler l'existence d'un argument syntaxique jouant le rôle
d'objet; A. Borillo (1997: 51-65) examine le cas d'un groupe de verbes locatifs qui
régissent un argument ayant, de tous les points de vue, le statut d'un objet. Enfin, M.
Larjavaara (1997: 79-88) se demande À quoi sert Vobjet interne? pour démontrer que
les objets dits internes constituent des exemples dérivés des objets affectés ou effectués prototypiques.
Bref, toutes ces considérations serviraient à montrer le statut hybride et l'hétérogénéité de l'objet (cf. Bortolusi, 1990, 26-35 et Franckel et Paillard, 1993, 29-43).
1
L'OBJET ET LE COD
Nous allons traiter en premier le cas de l'objet prototypique: COD des grammaires,
deuxième actant des phrases transitives biactancielles. Il jouit, en tant que complément
nucléaire du verbe, d'une construction formelle propre {- préposition} et des caractéristiques syntaxiques répondant à certains critères ou tests d'identification qui viendraient compléter cette définition formelle et qui sont les suivants: nature nominale,
caractère obligatoire, place fixe, détachement par dislocation ou extraction au moyen
de "c'est...que", interrogation, pronominalisation, passivation, accord du participe
passé etc. (pour l'explication de chacun de ces tests, cf. Pino 1995 et 1996). On pourrait
citer ces quelques exemples illustratifs:
-
Je possède deux
-
*Je possède
-
T u écris une
-
*Tu une lettre écris
maisons
lettre
-
Elle voit Pierre
-
Qui voit-elle? / Qui est-ce qu'elle voit?= Pierre
-
Vous mangez des fruits
Vous mangez quoi? / Qu'est-ce que vous mangez?= des
-
Il étudie sa
-
Il /'étudie
-
Nous achetons des
-
Nous en achetons
fruits
leçon
cadeaux
María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000
- Les ouvriers ont construit la maison
- La maison a été construite par les ouvriers
-
Marie a pris les lettres
Marie les a prises
D'un point de vue sémantique, il s'agit, en général, d'objets sur lesquels s'exerce
ou transite l'action exprimée par le verbe et réalisée par le sujet, c'est-à-dire de patients,
affectés ou effectués, animés ou inanimés:
-
Pierre reçoit le paquet (objet affecté).
Elles écrivent un roman (objet effectué)
-
Vous aidez vos amis (animé)
Ils lisent des romans (inanimé)2
Ces exemples ne présentent pas de problèmes pour la question qui nous occupe
aujourd'hui, car ils satisfont tous les tests identificatoires du COD et représentent le
canon, modèle ou prototype des constructions dites transitives.
Par ailleurs, les rapports sémantiques qui s'instaurent entre le verbe et son objet
peuvent répondre à une idée de localisation spatiale (il habite Paris; elle quitte sa maison), de durée temporelle (je passe quelques jours à la campagne; le cours a duré une
heure); de cause (cela lui a causé tant d'ennuis!), de comparaison (le vin accompagne
bien la viande) etc., ce qui pourrait remettre en cause la conception traditionnelle de la
transitivité (cf. Riegel, 1994: 218).
2.
L'OBJET ET LE CC 3
Cette deuxième partie regroupera les compléments qui participent des traits caractéristiques du COD et du CC, et que l'on étudie dans les grammaires sous l'étiquette de
compléments de mesure, ainsi que certains segments, classés traditionnellement parmi
les compléments de nature adverbiale (Grevisse-Goosse, 1993) ou bien considérés
comme des compléments d'objet interne (Gougenheim, 1970a: 181-182 ou Chevalier,
1964: 179). Il faudrait encore ajouter à cette liste quelques constructions directes, telles
que parler politique ou causer affaires que G. Gougenheim traite comme des objets de
plein champ, mais où d'autres voient aussi un complément de nature circonstancielle ou
adverbiale (Gougenheim, 1970b, Grevisse-Goosse, 1993 ou encore Le Goffic, 1993).
2
Normalement, la différenciation animé/inanimé n'est pas pertinente, sauf en ce qui concerne certains
verbes, tels que briser, commander, conseiller, payer, recevoir, voler etc. (cf. Le Goffic, 1993: 245-246)
3
Pour une explication plus en détail des principales conclusions concernant ce chapitre: cf. Pino, 1996:
347-356.
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En tout cas, tous ces emplois doivent être mis en relation avec la notion de complément d'objet interne qui rejoint, à son tour, celle d'accusatif interne ou de contenu,
ainsi que celle d'accusatif d'extension ou adverbial du latin (cf. Bassols, 1956). Ces
compléments de caractère hybride seront expliqués comme des objets adverbiaux, à
partir des modèles et des variantes des deux types d'accusatifs latins, ce qui suppose un
élargissement des emplois de l'accusatif qui servira à marquer l'extension, la durée ou
la mesure (cf. Rivas, 1994: 90-92) .
Nous avons traité le premier groupe d'exemples (compléments de mesure) dans
une communication à l'occasion du Ilème Colloque International de Linguistique
Française et nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait étudier ces cas comme
de vrais COD et non pas comme des CC, des compléments circonstanciels intégrés ou
enfin comme des compléments adverbiaux4. Et cela pour les raisons suivantes:
1) la plupart de ces compléments (de poids, mesure, durée, prix etc.) doivent être
considérés comme une dérivation ou une extension de l'idée d'objet interne car, quoiqu'ils ne reproduisent pas la même racine verbale, on peut toujours les regrouper dans
son champ sémantico-référentiel.
2) parmi les verbes concernés, il y en a quelques-uns qui se construisent avec de
vrais objets, comme c'est le cas de coûter, courir, mesurer, peser ou vivre, en admettant parfois même des emplois agentifs:
-
Cette séparation lui a coûté bien des larmes
L'athlète a couru plusieurs cent mètres dans sa jeunesse
L'ouvrier mesure le mur avant de le réparer
L'infirmière pèse le bébé
Nous avons vécu des mois très difficiles à l'étranger
3) il s'agit dans tous les cas de compléments nucléaires, exigés donc par le verbe,
occupant une place fixe et non-mobile et ayant une construction directe:
-
Le bébé pèse trois kilos
*Le bébé pèse
*Le bébé trois kilos pèse
Le cours a duré deux heures
*Le cours a duré
*Le cours deux heures a duré
4) en outre, ils répondent, pour la plupart, aux tests employés normalement pour
l'identification du COD: interrogation, pronominalisation. et pour certains d'entre eux,
aussi à la passivation et même à l'accord du participe passé (arrêté ministériel de 2812-76):
4
Sous ces étiquettes on les étudie respectivement dans Denis et Sancier-Chateau, 1994 et GrevisseGoosse, 1993.
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- Ce livre coûte cent francs. Que coûte ce livre? Ce livre les coûte (Wilmet, 1997:482)
- Je ne parle pas des sommes que ces travaux m'ont coûté (coûtées)
- J'oublierai vite les peines que ce travail m'a coûtées (coûté) (arrêté Haby, 28-12-76)
- Le paquet pèse six kilos
- Que pèse-t-il?5
- Il les pèse bien
- Nous avons passé dix années en Amérique
- Nous les avons passées en Amérique
- Les dix premiers kilomètres ont été courus en moins de 50 minutes (Blinkenberg,
1960:65)
- Voilà Madame, deux kilos bien pesés, trois mètres bien mesurés etc. (cf.
Blinkenberg, 1960:64-66 ou Martinet, 1979:162)
5) la nature circonstancielle ou adverbiale de ces compléments est déterminée par
la possibilité que l'on a toujours de les remplacer par des adverbes, transformation qui
est également possible pour les COD:
- L'enfant pèse trente kilos
- Il pèse beaucoup
- L'enfant a mangé deux sandwiches
- Il a beaucoup mangé (cf. Pino, 1996: 353-354).
Nous ne sommes donc pas de l'avis de A. Vassant (1994: 22-47), lorsqu'elle étudie cette série d'exemples et qu'elle les inclut parmi les groupes nominaux exprimant la
mesure en termes d'espace ou de temps et fonctionnant comme des CC essentiels dans
les exemples avec les verbes peser, coûter et mesurer et non essentiels en ce qui concerne le cas des verbes courir, marcher et dormir (Vassant, 1994: 32-35).
Notons maintenant quelques exemples concernant le deuxième groupe de compléments: il s'agit fondamentalement des compléments des verbes goûter, sentir ou respirer et leurs synonymes dans des structures telles que:
-
Ce vin sent le bouchon
Cette chambre sent le renfermé
Dans cette maison, tout respire le calme
Cet homme respire la santé
Cette confiture goûte le moisi (Belgique-régional)
5
II faut dire ici que ces compléments de mesure acceptent également l'interrogation au moyen de combien, comme le font d'ailleurs les COD: combien d'enfants as-tu?, combien de films avez-vous vus? (cf.
Buyssens, 1975:35).
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Dans son étude de 1970 sur L'objet interne et les catégories sémantiques des verbes intransitifs en français, G. Gougenheim étudiait, entre autres, le cas du complément
du verbe sentir qu'il analysait comme un complément d'objet interne (Gougenheim,
1970a: 181-182).
Par contre, A. Vassant (1994: 35-37) nie à ces segments cette dénomination et considère qu'il s'agit de groupes nominaux commutables par des adverbes, jouant le rôle
de compléments essentiels avec une valeur adverbiale de manière (Vassant, 1994:37; cf.
Grevisse-Goosse, 1993:477).
P. Le Goffic (1993:247-248) étudie ces exemples comme des cas de compléments
directs qui ne sont pas objets, mais qui sont proches des attributs (cf. chap. 4). Nous
croyons cependant que l'on peut très bien rattacher ce groupe d'exemples aux cas des
compléments de mesure (cf. supra) et les traiter, comme le fait par exemple Wilmet
(1997:478) comme des compléments d'objet, en tenant toujours compte du fait que nous
ne sommes pas devant des objets prototypiques, mais des cas de faible transitivité. Les
compléments concernés, de même que les compléments de mesure, sont des compléments nucléaires, non-mobiles et de construction directe, répondant également à Y interrogation avec quoi? ou qu'est-ce que? et remplaçables par des adverbes 6 :
-
Ce vin sent le bouchon
*Ce vin sent
*Ce vin le bouchon sent.
Il sent quoi? = le bouchon
Il sent bon
Les derniers cas à traiter dans ce chapitre sont constitués par des exemples où l'on
peut voir les traces de Y objet interne ou bien de Y emploi absolu. Nous nous référons
aux constructions du type parler politique, parler (le) français, causer affaires qu'on
peut aussi rapprocher d'autres cas tels que acheter français, voter socialiste ou manger
italien.
G. Gougenheim (1970b:51-58) parle pour ces cas d'objet de plein champ, ayant
comme caractéristique principale que "le lien entre cet objet et le verbe est très fort mais
que la nature de leur relation n'est nullement précisée (...) L'objet de plein champ ainsi
construit est un objet total qui tend à devenir l'objet unique. De là dans plusieurs exemples la présence de la locution limitative ne...que " (Gougenheim, 1970b:54-55; cf. aussi
Grevisse, 1980:187-188 et Grevisse-Goosse, 1993:443-444).
Par contre, P. Le Goffic voit dans la construction parler politique "un complément
nominal direct et sans déterminant, paraphrasable par parler de politique. Le complément direct marque une sorte de mesure ou d'étendue: la parole porte sur (est sur le
terrain de) la politique" (Le Goffic, 1993:242). En ce qui concerne les cas où le complément est représenté par un adjectif, il pense que le complément est plus proche de
6
En ce qui concerne les tests de reconnaissance de l'objet et la notion de propriété syntaxique (cf.
Nique, 1976:53-64).
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l'objet que de l'attribut (cf. chap. 4), parce qu"'il est invariable et marque une réalité
extérieure qui ne se fond pas avec le sujet" (Le Goffic, 1993:237) 7 .
En cherchant les traces de l'actant objet dans l'emploi absolu, M. Noailly
(1997:39-47) évoque les constructions achetez beau, offrez utile, épouser français, manger anglais etc., qu'elle définit comme des constructions transitives très particulières,
proches en tout cas de l'emploi dit absolu (l'adjectif invariable caractérise un objet
absent) et qu'elle interprète comme suit:
"Dans ce type de relation (...), il se met en place un actant objet, à peu près de la même
manière que dans l'emploi absolu, et presque aussi indéterminé, à cela près qu'il reçoit cette
caractérisation adjective. (...) De fait, tout se passe comme si l'adjectif nu prenait la place
d'un argument objet et bloquait la construction transitive, en la saturant à sa manière.
Certes, c'est là un type très spécial de transitivité syntaxique, très éloigné de la transitivité
ordinaire, à objet nominal, mais il faut bien que ça en soit, puisque la présence de cet adjectif suffit à concurrencer et à bloquer toute autre réalisation plus canonique de la transitivité
du verbe concerné" (Noailly, 1997:43-44).
Toutes ces réflexions nous amènent donc à établir des limites plus larges à l'objet,
en y incluant tous ces emplois non-canoniques (mais pourtant bien réels), ce qui nous
ferait mieux comprendre la catégorie linguistique de l'objet et la zone de l'objet dont
nous parle G. Lazard:
"Peut-être faut-il ranger dans la même catégorie le complément direct, en français,
d a n s des e x p r e s s i o n s c o m m e ça sent la violette,
il pèse trois kilos, les travaux
dureront
trois
mois, complément qui ressemble à l'objet, quoiqu'il ne puisse devenir sujet au passif.
Tout cela donne à penser que des termes dont certains sont analysés comme adverbiaux et d'autres embarrassent les grammairiens ne sont pas sans parenté grammaticale avec
ceux qu'on analyse comme objets, c'est-à-dire que ce sont aussi des compléments proches,
qui seraient à situer en quelque manière dans la zone objectale. Des recherches comparatives appropriées devraient permettre de préciser les rapports" (Lazard, 1994a:98).
3.
L'OBJET ET LE SUJET
Nous nous proposons de considérer maintenant la parenté entre le sujet et le COD
en ce qui concerne le segment fonctionnel étudié dans les grammaires françaises sous
le nom de sujet réel ou séquence de l'impersonnel.8 Nous nous référons aux cas des
constructions impersonnelles dites réversibles et, en général, à toute structure impersonnelle susceptible de se construire avec séquence, comme c'est le cas dans:
7
Dans ce groupe il étudie plusieurs types .avoir froid (où il considère que froid a une nature plutôt
adjectivale), acheter français (qu'il considère proche de parler français), rapporter gros (qu'il analyse
comme une sorte d'objet interne), boire chaud et chercher plus grand (cf. Le Goffic, 1993:237-238).
8
Pour ce qui est des différentes théories à propos de la caractérisation de la construction impersonnelle,
cf. Pino (à paraître a).
María Luz Casal Silva et al. (eds.), La lingüística francesa en España camino del siglo XXI, 2000
- Il faut du courage
- Il est arrivé une catastrophe
- Il manque trois étudiants aujourd'hui
- Il reste du lait dans le frigo
Nous postulons que, dans ces exemples, le segment qui se construit à la droite du
verbe ne fonctionne en aucun cas comme un sujet, mais que, par contre, la dite séquence
présente plusieurs traits communs avec le COD (cf. Brunot, 1926, Pieltain, 1964,
Lazard, 1994b ou Gaatone, 1998).
Le problème qui se pose dans ces constructions, c'est qu'il y a deux éléments obligatoires (d'une part il et de l'autre la séquence), mais il n'y a qu'un seul argument,
représenté par la séquence, car l'explétif il n'est pas réfèrent:
- Il manque cent francs
- * Manque cent francs
- *I1 manque
Pour définir le sujet on se sert normalement de tests d'identification, tels que Y accord avec le verbe, la place, la pronominalisation et la référentialité9: il faut dire, à ce
propos, que la séquence n'en satisfait aucun, mais par contre il répond à la plupart
d'entre eux. Nous pouvons donc en conclure que il est le seul sujet possible des constructions impersonnelles, même s'il s'agit d'un sujet particulier, sans rôle sémantique,
incomplet ou vide, si l'on veut (cf. Lazard, 1994b).
En ce qui concerne la séquence et en tenant compte que, sauf en coordination, une
même phrase ne peut avoir qu'un seul sujet, nous devons affirmer, au moins, qu'elle ne
fonctionne pas comme sujet.
Si nous appliquons maintenant les tests de caractérisation utilisés pour l'identification du COD (caractère obligatoire, construction, place, interrogation, pronominalisation et passivation), nous observons que la séquence de l'impersonnel répond à tous,
sauf à la passivation
-
Il existe plusieurs autres chemins à prendre
- *I1 existe à prendre
- Il reste quelques problèmes à résoudre
- Qu 'est-ce qu 'il reste
-
Il me faut vingt francs
- Il me les faut
- Il y a des gens dans la rue
- Il y en a
9
10
Une explication détaillée de chacun des critères mentionnés est présentée dans Pino (à paraître a).
La fiabilité de ce critère peut être mise en doute (cf. Pino, 1996).
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Arrivés à ce point de notre raisonnement, nous ne voyons aucun inconvénient à
traiter ces segments comme des compléments d'objet, en accordant toujours des limites
larges à la notion de transitivité.
En outre, les grammairiens l'admettent et parlent de COD (c'est-à-dire de construction transitive), dans les cas des constructions non- réversibles avec falloir ou avoir pronominalisables au moyen de le ou en (cf. Le Goffic, 1993 ou Grevisse-Goosse, 1993).
Pourquoi donc n'admet-on pas la même solution pour le cas des constructions
réversibles? Le fait que ces constructions possèdent une structure personnelle équivalente d'un point de vue sémantique conditionne, paraît-il, fortement leur analyse.
Pourtant, nous croyons que, d'un point de vue syntaxique, il s'agit de deux constructions, de deux schémas syntaxiques possibles mais différents.
4.
L'OBJET ET L'ATTRIBUT
Dans cette quatrième section, nous allons aborder l'analyse de certaines constructions avec des verbes d'état et apparentés, constituant des structures d'un faible niveau de
transitivité: P. Le Goffic présente dans sa grammaire quelques exemples avec les verbes
constituer, faire, former, marquer et représenter, auxquels on pourrait en ajouter d'autres
avec des verbes tels que comporter, contenir, impliquer, signifier etc. (cf. aussi chap.2):
- Cette découverte constitue le grand exploit du siècle
- Il fait le clown
- Elle fait toujours l'idiot
- Tous ces tableaux forment la meilleure collection du monde
-
L'inauguration de cette bibliothèque marque l'histoire de notre université
Le film représente très bien la société actuelle
Toute règle comporte des exceptions
Chaque litre contient dix décilitres
Dans tous ces exemples, il semble clair que le constituant qui fonctionne comme
complément est, en tout cas, proche d'un attribut, ce qui démontre, encore une fois, que
les frontières fonctionnelles sont floues.
Pour P. Le Goffic dans ces cas "le complément ne constitue pas un actant distinct
du sujet; les verbes marquent ce qu'on pourrait appeler Vinstauration dynamique d'une
relation statique... Ces exemples attestent de ce qu'il n'y a pas de solution de continuité dans la langue entre le pôle de l'attribution et le pôle de la relation agentive: il y a
toujours discussion possible sur le degré de statisme et de dynamisme du procès, ainsi
que sur le point auquel il y a émergence (du côté de l'objet) d'un actant distinct du sujet"
(Le Goffic, 1993:247).
Pourtant, nous croyons que pour cette série d'exemples il faut bien différencier
deux groupes:
1) les exemples avec le verbe faire (if fait le clown, elle fait toujours l'idiot) qui
sont plus proches des attributs caractérisants; de là leur pronominalisation fixe au
moyen de le (cf. infra).
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2) pour les cas restants, il faut parler plutôt d'un rapport d'équivalence ou d'identification qui n'est qu'une des possibilités désignatives de l'attribution au moyen de
être. La grammaire systémique incluerait ces verbes parmi ceux qui expriment des procès
relationnels.
Si nous comparons maintenant les tests employés pour l'identification de l'objet et
de l'attribut, nous remarquons bel et bien qu'il y a des coïncidences pour les cas de l'interrogation et de la pronominalisation, mais à une différence près: la pronominalisation
des attributs s'effectue en français moderne au moyen du neutre le (ou de en), et non des
formes le, la, les, comme c'est le cas des COD (cf. De Gaulmyn, 1991). Si on fait subir
cette transformation aux exemples ci-dessus, nous obtenons les données suivantes:
- Cette découverte le constitue
- Il le fait
-
Elle le fait
Tous ces tableaux la forment
L'inauguration de cette bibliothèque la marque
Le film la représente très bien
Toute règle en comporte
Chaque litre en contient dix
De là la solution semble pencher du côté de l'objet, mais il y a toujours des cas
douteux qui acceptent mal ou n'acceptent pas de pronominalisation. Là aussi on peut
entrevoir des constructions plus ou moins transitives, plus ou moins attributives, d'après
le verbe concerné dans chacun des cas.
Le critère de la passivation est, sans exception, inacceptable, étant donné que nous
sommes en présence de verbes d'état qui, comme le verbe avoir, ne peuvent en aucun
cas être mis au passif. Cependant, nous croyons qu'il faut accorder à ces structures
(comme nous l'avons fait pour la construction impersonnelle) un degré quelconque de
transitivité, même s'il s'agit d'une transitivité moindre, en quelque sorte affaiblie
(absence de relation agentive, actants parfois confus etc.) et, en tout cas, toujours proche de l'attribution.
Le raisonnement consiste à concevoir la transitivité comme une notion graduelle,
allant des plus forts aux plus faibles niveaux d'interprétation: "La nécessité de prendre
en compte les différentes constructions qui coexistent au sein d'une même langue et les
rapports entre elles que fait apparaître la comparaison des langues conduit à concevoir
la transitivité non point comme une propriété qu'un verbe possède ou ne possède pas,
mais comme une notion scalaire: une construction sera alors non pas transitive ou
intransitive, mais plus ou moins transitive, et surtout plus ou moins transitive qu'une
autre. On conçoit dès lors la possibilité d'établir une échelle de transitivité sur laquelle
se distribueraient les différentes constructions" (Lazard, 1994a: 167).
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5.
CONCLUSION
Après cette analyse rapide mais assez révélatrice, nos conclusions s'avèrent claires
et pourraient s'articuler autour des deux idées suivantes:
1) parmi les classes sémantiques de verbes biactanciels, le prototype est représenté par les verbes d'action (avec un agent et un patient directement affectés par l'action).
A partir de ce modèle, tout un faisceau de possibilités se déploie, qui va des procès plus
aux moins agentifs aux verbes d'état, ayant des actants plus statiques (compléments de
mesure et apparentés) ou même vides (constructions impersonnelles).
2) faisant partie de cette gradation se trouve Y objet des constructions biactancielles
transitives. De ce point de vue, cette notion embrasserait non seulement les emplois
représentés par des actants prototypiques (objets affectés ou effectués), mais aussi tous
ces objets ou pseudo-objets que nous avons énumérés et qui s'approchent ou s'éloignent
à des degrés différents de l'échelle transitive, mais qui n'en sont pas moins des objets.
Cette conception de la transitivité et de la notion d'objet permettra, en plus, une
meilleure compréhension de la syntaxe actancielle de la langue étudiée:
"Quoi qu'il en soit, la notion d'une échelle de transitivité paraît susceptible de développements féconds, à condition de la fonder sur l'analyse précise des relations morphosyntaxiques. Non seulement en effet elle doit permettre une description plus adéquate et plus
fine de la syntaxe actancielle de chaque langue, mais, de même que l'on entrevoit, en linguistique générale, des relations entre certaines classes de verbes et certaines sphères
sémantiques, de même on peut penser qu'une hiérarchie de transitivité grammaticale, établie par comparaison interlinguistique, intégrant et transcendant celles des langues particulières, ne serait pas sans rapport avec les processus du monde réel tels qu'ils sont perçus par
l'esprit humain et constituerait une ouverture intéressante dans la perspective de la recherche
cognitive qui est actuellement en plein essor"(Lazard, 1994al68-169).
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