Charles Maurras, l`ordre et l`harmonie
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Charles Maurras, l`ordre et l`harmonie
Charles Maurras, l’ordre et l’harmonie Écrit par Arnaud Guyot-Jeannin Vendredi, 13 Avril 2012 17:59 Il y aura soixante ans cet automne, disparaissait Charles Maurras. En prévision de cet anniversaire, deux nouveaux ouvrages lui sont consacrés. Radioscopie d’un vieux lutteur épris de sa Provence natale et en quête d’une France royale. Après avoir exercé une influence considérable, en France et à l’étranger, et sous des formes diverses, au cours de la première moitié du XXe siècle, la pensée et l’action de Charles Maurras sont, de nos jours, largement ignorées. Quand elles ne sont pas caricaturées, ostracisées, reléguées aux enfers. Il paraît loin le temps – c’était il y a quarante ans – où le président Georges Pompidou se permettait de citer un de ses plus célèbres ouvrages, Kiel et Tanger (1910) – portant sur la politique étrangère –, devant un parterre d’étudiants de Sciences-Po. Maurras n’a jamais cessé, toutefois, d’intéresser les historiens des idées politiques, les chercheurs ou, tout simplement, les esprits curieux. En témoignent les deux nouveaux ouvrages qui lui sont consacrés en cette année du soixantième anniversaire de sa mort. Le premier, un Cahier de L’Herne publié sous la direction de Stéphane Giocanti et Axel Tisserand, bien qu’inégal et prudent, se révèle incontournable pour certains textes : « La poésie méditerranéenne de Charles Maurras », par Stéphane Giocanti lui-même ; « Charles Maurras : un itinéraire spirituel ? », par Jean-Marc Joubert ; ou encore «Maurras fédéraliste », par Frédéric Rouvillois. A quoi s’ajoutent des textes captivants et oubliés de Gustave Thibon, « Maurras, homme de l’esprit » (1967), et d’Henri Massis, « Maurras et le sentiment de la mort ». Sans oublier les lettres émouvantes de Georges Bernanos et de Pierre Drieu La Rochelle ni la bouleversante et inédite correspondance amoureuse de Maurras. Petite monographie due au jeune historien Tony Kunter, le second livre est une claire introduction, assez originale et équilibrée, à son itinéraire existentiel, intellectuel et spirituel. La pensée et l’action de Charles Maurras sont aussi complexes que sa personnalité. Pétries, comme elle, de riches contradictions. Avocat très actif d’un ordre social et politique stable, chantre de la mesure – qu’il ne confondait pas avec la tiédeur –, vitupérant l’égalitarisme et l’individualisme, il s’inspirait à la fois des penseurs contre-révolutionnaires (Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Frédéric Le Play…) et des positivistes (Auguste Comte et Hippolyte Taine). Défenseur du classicisme grec et du Grand Siècle contre le romantisme, il s’engagea d’autant 1/6 Charles Maurras, l’ordre et l’harmonie Écrit par Arnaud Guyot-Jeannin Vendredi, 13 Avril 2012 17:59 plus dans cette défense que sa nature cédait parfois à ce même romantisme. Amoureux de la vie, des femmes, de la Provence et de la France, Maurras a pourtant connu la tentation du suicide, une misogynie certaine après des ruptures déchirantes et la difficulté d’articuler le fédéralisme, le royalisme et le nationalisme intégral. Païen antichrétien tout en défendant l’Eglise de l’ordre, il se convertit au catholicisme à la toute fin de son existence. Probablement conscient de certaines de ces contradictions, il tenta toujours de les surmonter. Non sans douleur ! Et avec plus ou moins de bonheur ! Emprisonné à Clairvaux, en juin 1950, il laisse ce poignant testament spirituel – empreint d’inquiétude et d’une foi paradoxale –, rédigé sous une forme poétique : « Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine / Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour. / Ce vieux coeur de soldat n’a point connu la haine / Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour […] Et je ne comprends rien à l’être de mon être / Tant de Dieux ennemis se le sont disputé ! / Mes os vont soulever la dalle des ancêtres, / Je cherche en y tombant la même vérité. […] Comment croire, Seigneur, pour une âme que traîne / Son obscur appétit des lumières du jour ? / Seigneur, endormez-la dans votre paix certaine / Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour. » (La Prière de la fin). Né le 20 avril 1868 à Martigues, en Provence, Charles Marie Photius Maurras est le deuxième fils de Jean Maurras, un percepteur aux convictions libérales, et de Marie, profondément catholique. Quelques mois auparavant, Jean et Marie ont perdu leur premier fils, Romain, âgé de deux ans. Quatre ans plus tard, François Joseph Emile vient, toutefois, agrandir la famille, mais peu de temps après, le père meurt foudroyé. Charles a six ans lorsqu’il part vivre avec sa mère et son petit frère à Aix-en- Provence. Il en a quatorze lorsqu’il est, soudain, atteint de surdité. Doutant de lui-même, il traverse alors une intense crise morale et religieuse et tente de se suicider. Raccroché progressivement à la vie, il est reçu – avec mention – à son premier baccalauréat, en 1884, puis au baccalauréat final, en 1885. A la fin de cette même année, la mère et les deux fils montent s’installer à Paris. Charles Maurras s’inscrit à la Sorbonne, en histoire, et, en février 1886, il publie son premier article dans les Annales de philosophie chrétienne. Obtenant, en 1888, le prix du Félibrige pour un Eloge du poète provençal Théodore Aubanel, il devient, en 1888, membre de cette académie qui s’est fixée comme objectif la restauration de la langue et de la culture d’oc. Durant l’été de la même année, il fait la connaissance de son compatriote Frédéric Mistral, puis, en 2/6 Charles Maurras, l’ordre et l’harmonie Écrit par Arnaud Guyot-Jeannin Vendredi, 13 Avril 2012 17:59 décembre, du Lorrain Maurice Barrès. Pétri de culture classique (Racine, Virgile et Lucrèce) et moderne (Musset, Lamartine, Mistral), le jeune Maurras éprouve également un amour infini pour sa Provence natale. En 1889, il rencontre Frédéric Amouretti lors des Fêtes félibréennes de Sceaux et devient le secrétaire du Félibrige de Paris. Il publie son premier ouvrage, consacré à Aubanel. L’année suivante, il collabore au quotidien royaliste la Gazette de France et fait la connaissance d’Anatole France, dont il devient l’ami. Jusqu’à la mort de France, en 1924, les deux hommes resteront liés en dépit de leur opposition au moment de l’affaire Dreyfus. En 1891, il consacre son deuxième essai critique au poète Jean Moréas, le chef de file de l’école romane, qui lui a été présenté l’année précédente. Au début de 1892, il rédige la déclaration des Jeunes Félibres fédéralistes qui, soutenue par Mistral, est lue par Amouretti. Il ne s’agit plus seulement de défendre culturellement la Provence, mais d’engager une politique de haute lutte qui vise à donner un destin à cette terre et à son peuple. En 1894, Maurras publie le Chemin de paradis, mythes et fabliaux. Puis, du 8 avril au 3 mai 1896, la Gazette de France le charge de couvrir comme reporter les premiers jeux Olympiques modernes, à Athènes. Il en revient tout ébloui. En 1897, l’affaire Dreyfus éclate. Convaincu de la culpabilité du capitaine alsacien de confession juive, Maurras devient l’une des plumes du camp antidreyfusard. Son antisémitisme d’Etat fait rage dans plusieurs périodiques. Dans le même temps, il publie l’Idée de la décentralisation et Trois Idées politiques (sur Chateaubriand, Michelet et Sainte-Beuve). Le 3 janvier 1899, Jules Lemaître fonde la Ligue de la patrie française à laquelle Maurras adhère. Le 20 juin, il rejoint le Comité d’action française, créé l’année précédente par Henri Vaugeois et Maurice Pujo. Il y est, alors, le seul à se revendiquer « royaliste ». A cet égard, il mène, en 1900, «Une campagne royaliste » au Figaro, puis publie Anthinéa (1901). En 1905, alors qu’est fondée la Ligue d’action française – dont Henri Vaugeois est le président et Léon de Montesquiou le secrétaire général –, Maurras publie l’Avenir de l’intelligence, qui met en garde contre le règne de l’argent. L’année suivante, l’Institut d’action française voit le jour et, le 21 mars 1908, paraît le premier numéro du quotidien l’Action Française, né de la transformation de la revue mensuelle du même nom créée neuf ans plus tôt. Maurras publie, ensuite, une deuxième édition de sa célèbre Enquête sur la monarchie (1909), dans laquelle il se prononce en faveur d’« une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et 3/6 Charles Maurras, l’ordre et l’harmonie Écrit par Arnaud Guyot-Jeannin Vendredi, 13 Avril 2012 17:59 décentralisée ». En 1911, il préside le Cercle Proudhon, lancé par de jeunes monarchistes hostiles au capitalisme libéral et appelant à l’union avec le courant syndicaliste révolutionnaire inspiré par Georges Sorel. Il reste, cependant, davantage influencé par les conceptions corporatistes et associationnistes du catholique social René de la Tour du Pin. Son nationalisme conduit le royaliste Charles Maurras à défendre, dès le début de la Première Guerre mondiale, la politique d’Union sacrée de la IIIe République, exprimant, à cette occasion, son antigermanisme radical. Après la guerre, il publie, en 1921, la Démocratie religieuse, (contenant le Dilemme de Marc Sangnier) et l’Action française et la Religion catholique, qui se veulent une clarification des positions du mouvement sur la question religieuse, en même temps qu’une critique doctrinale des orientations de Marc Sangnier – qui allaient inspirer la démocratie chrétienne. Dénoncé, dès avant 1914, par certains catholiques pour son « paganisme » antichrétien, défendu, au contraire, par d’autres, Maurras voit sept de ses livres mis à l’index par le Vatican, en même temps que le quotidien l’Action Française, le 29 décembre 1926. Il s’ensuit une grave crise (de nombreux catholiques membres de l’Action française se voient refuser les sacrements) qui se traduit par de nombreuses défections. D’autant que l’un des philosophes catholiques les plus prestigieux, le thomiste Jacques Maritain, jusque-là proche de l’Action française, donne raison au Vatican. Cela alors même qu’il avait publié, trois mois auparavant, Une opinion sur Charles Maurras et le devoir des catholiques, favorable au théoricien monarchiste. A l’inverse, l’écrivain et ancien militant d’Action française Georges Bernanos, dont le catholicisme irrigue toute l’oeuvre, considère qu’il s’agit là d’une odieuse injustice et se réconcilie avec Maurras, avec qui il s’était auparavant brouillé (avant de s’en détourner une nouvelle fois peu après). S’étant soldée dans un premier temps par une saignée, la crise de 1926 a été suivie d’un renouvellement. Ainsi, les années 1930 voient fleurir de nouveaux jeunes penseurs maurrassiens : Thierry Maulnier, Jean-Pierre Maxence, Jean de Fabrègues… Ceux-ci n’hésitent pas, cependant, à prendre du recul par rapport au vieux maître, critiquant notamment son nationalisme – qu’ils jugent étroit – et son évolution conservatrice – qu’ils estiment inadaptée aux nouveaux enjeux sociaux. Globalement favorable au fascisme italien, mais vivement hostile au national- socialisme 4/6 Charles Maurras, l’ordre et l’harmonie Écrit par Arnaud Guyot-Jeannin Vendredi, 13 Avril 2012 17:59 allemand, Charles Maurras s’oppose aux sanctions contre l’Italie lors de la crise éthiopienne, en 1935. Craignant de voir basculer Mussolini, jusqu’alors hostile à Hitler, dans le camp de celui-ci, il traite les députés français favorables aux sanctions d’« assassins de la paix ». Le 13 février 1936, passant en automobile à proximité du cortège des funérailles de l’historien et journaliste Jacques Bainville (le troisième pilier de l’Action Française, avec Maurras et Léon Daudet), boulevard Saint- Germain, à Paris, Léon Blum est violemment pris à partie par d’anciens camelots du roi. Le chef en exercice des camelots, Pierre Juhel, lui sauve la mise, sinon la vie. Cependant, la Ligue d’action française, les camelots et la Fédération nationale des étudiants d’action française sont dissous. Fulminant contre la police politique et contre les députés favorables aux sanctions contre l’Italie, Maurras est condamné à quatre mois de prison ferme. Il en rajoute en menaçant de mort Léon Blum pour « le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu’il rêve contre nos compagnons d’armes italiens (NDLR : rappel du fait que l’Italie a combattu au côté de l’Entente durant la Première Guerre mondiale). Ce jour-là, il ne faudra pas le manquer. » Le 21 juillet, il est définitivement condamné à huit mois de prison ferme. Il effectue sa peine à la Santé. Durant sa captivité, Charles Maurras rédige quotidiennement son article politique pour l’Action Française, sous le pseudonyme de Pellisson, et prend le temps d’écrire plusieurs ouvrages essentiels : les Vergers sur la mer, Dans Arles aux temps des fées, Devant l’Allemagne éternelle, la Dentelle du rempart et Mes idées politiques. Ce dernier ouvrage doctrinal compose la synthèse politique, économique et sociale de sa pensée. La préface, intitulée « La politique naturelle », est un superbe manifeste anthropologique qui envisage l’homme comme un être naissant et grandissant au sein de structures d’appartenance qui le relient à la société (famille, métier, commune, paroisse, région, nation) et lui permettent d’accéder à des libertés réelles. La politique considérée comme « naturelle » est celle qui met en œuvre « l’empirisme organisateur », lequel déduit des lois du passé les enseignements de l’avenir. Profond, ce corpus demeure, toutefois, impuissant à évaluer les grands changements paradigmatiques du temps et les nouveaux rapports de force. Sorti de prison le 6 juillet 1937, Maurras se rend en pèlerinage à Lisieux. En effet, la vénération de cet agnostique pour sainte Thérèse est ancienne. Les carmélites prient pour sa conversion et servent d’intermédiaires avec Rome. Deux ans plus tard, le nouveau pape, Pie XII, lève la condamnation de 1926. Entre-temps, proposé pour le prix Nobel de la paix, Maurras a été élu à l’Académie française au fauteuil de l’avocat Henri-Robert et a pris position en faveur des accords de Munich. Non qu’il soit devenu, subitement, favorable à un rapprochement avec l’Allemagne, mais parce qu’il estimait – à l’instar de la plupart des « munichois » – que la France, alors, n’était pas prête militairement à s’engager dans un nouveau conflit. En revanche, dès que celui-ci est déclaré, le 3 septembre 1939, il retrouve les accents de l’Union sacrée. 5/6 Charles Maurras, l’ordre et l’harmonie Écrit par Arnaud Guyot-Jeannin Vendredi, 13 Avril 2012 17:59 Apportant, jusqu’aux derniers combats de juin 1940, un soutien sans faille à l’effort de guerre, il approuve, comme la quasi-totalité des Français, l’armistice. Rallié au gouvernement de Vichy, il pense que le maréchal Pétain est le mieux à même de défendre les intérêts de la France face à l’occupant et de la redresser au moyen d’une « révolution nationale » inspirée en partie de sa propre doctrine. Replié à Lyon avec le journal et le mouvement, il renvoie dos à dos les collaborationnistes (le « clan des ja ») et la résistance de Londres (le « clan des yes »), entendant défendre une hypothétique « ligne de crête » qu’il résume d’une formule : « La France, la France seule ». De 1940 à 1944, les militants de l’Action française se répartissent en parts à peu près égales entre la Résistance (dans sa diversité), la Collaboration (également dans sa diversité) et la ligne « orthodoxe » définie par Maurras. Apartir de 1942, tout en restant farouchement anti-allemand, celui-ci réserve en priorité ses attaques, de plus en plus furieuses, aux seuls résistants, qu’il accuse de briser l’unité nationale. Le 24 août 1944, paraît le dernier numéro de l’Action Française. Le 7 septembre, il est arrêté avec Maurice Pujo et conduit avec lui à la prison Saint-Paul, à Lyon. Le 27 janvier 1945, il est condamné par la cour de justice du Rhône à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale pour… « intelligence avec l’ennemi » (Pujo s’en tire avec cinq ans). Une condamnation qui ne manque pas de piquant pour ce germanophobe patenté. Emprisonné, avec Pujo, à Riom, puis à Clairvaux, il collabore, dès sa fondation, en 1947, à l’hebdomadaire Aspects de la France (qui a pris la relève de l’Action Française interdite), sous le pseudonyme d’Octave Martin. Le 10 août 1951, Charles Maurras est transféré à l’hôtel-Dieu de Troyes. La même année et au début de l’année suivante, il publie Jarres de Biot – où il redit sa fidélité au fédéralisme, revendiquant même la qualité de plus ancien fédéraliste de France –, A mes vieux oliviers et Tragi-comédie de ma surdité. Le 16 novembre 1952, il meurt à la clinique de Saint-Symphorien-lès-Tours, après savoir reçu les derniers sacrements. La veille, tenant un chapelet entre ses mains, il avait murmuré d’une voix douce : « Pour la première fois, j’entends Quelqu’un venir. » A lire Cahier Maurras, sous la direction de Stéphane Giocanti et Axel Tisserand, L’Herne, 392 pages, 39 ; Maurras, de Tony Kunter, Pardès (collection « Qui suis-je ? »), 132 pages, 12 €. 6/6