COMMUNICATION
Transcription
COMMUNICATION
COMMUNICATION JOURNEES CULTURELLES CHEIKH AHMADOU BAMBA ( Hizbut Tarquiyyah) THEME : “LE CONSEIL PRIVE : UN TRIBUNAL D’EXCEPTION” A priori, le sujet peut paraître surabondant. Que ce soit sous une forme interrogative, dubitative ou affirmative. En effet, ce n’est ni une surprise, ni une bravoure intellectuelle que d’affirmer, péremptoirement et sans ambages, que le Conseil Privé qui a eu à “juger” Cheikh Ahmadou Bamba, le jeudi 5 Septembre 1895 à 9heures sur convocation du Gouverneur de Saint-Louis, sous forme de “réunion”, est loin d’être un “Tribunal”, une “juridiction de jugement ”, même à titre exceptionnel. On a assisté à une parodie de procès, à une forfaiture. Pour asseoir et assumer un tel propos, une telle thèse, il suffit de s’interroger sur les notions de “Tribunal” et de “Tribunal d’exception”. Qu’est ce qu’un “Tribunal” ? Qu’est ce qu’un “Tribunal d’Exception” ? Répondre à ces questions, nous permettra de voir d’une part, quelque soit l’angle sous lequel le thème est abordé que, le Conseil Privé de 1895, ne participe pas d’une bonne administration (I) et d’une bonne distribution de la justice (II), même coloniale et que de l’autre, il ya lieu d’épiloguer sur les conséquences juridiques et judiciaires d’un tel “Tribunal” extraordinaire, à plus d’un titre, et notamment sur le principe d’une réparation (III) et les possibilités d’un recours en révision (IV). * * * I- LE CONSEIL PRIVE : LIMITES D’UNE BONNE ADMINISTRATION DE LA JUSTICE 1 Il appert, du Procès-verbal de la réunion du Conseil Privé du Jeudi 5 Septembre 1895 (Procès-verbal n°1, Délibération n°16), les informations suivantes aussi bien sur la composition de ce Conseil, convoqué par le Gouverneur, que sur la sentence qui a été prononcée. En effet, étaient présentes à cette “fabuleuse” réunion : “M. Mouttet, Gouverneur, Président ; De Hersaint Gilly, Commissaire des Colonies, Chef du Service administratif ; Boyer, lieutenant- Colonel, Commandant Supérieur des Troupes par intérim ; Jurquet, directeur de l’Intérieur par intérim ; Cnapelynck, Procureur Général, par intérim ; Clarac, médecin principal, Chef du service Santé ; Hogaret, lieutenant de vaisseau, Délégué du Commissaire de la Marine ; J. Beziat, Conseiller Privé titulaire ; Lombain, Conseiller Privé suppléant ; Superville, Secrétaire archiviste. Après avoir examiné certains problèmes relatifs à la Colonie, le Conseil approuve la décision des membres ci-dessus désignés, d’exiler au Gabon le Marabout Cheikh Ahmadou Bamba qui doit être embarqué le 21 Septembre 1895. Une pension de 50 francs par mois lui sera accordée durant son séjour au Gabon” (source : “ Ahmadou Bamba face aux autorités coloniales (1889 -1927 par Oumar BA, Archiviste, Documentaliste). Il n’est pas besoin d’être un initié ou un expert juridique, pour s’apercevoir aisément, qu’aussi bien dans la forme que dans le fond, ce Conseil Privé ne répond à aucun des critères qui fondent et organisent une juridiction de jugement. En effet, une bonne administration de la justice, c’est d’abord et avant tout, mettre en place, un cadre institutionnel et fonctionnel, mieux à même de gouverner un procès juste et équitable : En l’espèce, il est aisé de remarquer que le Conseil Privé n’est pas un “Tribunal” au sens juridique et judiciaire du terme. Selon Gérard CORNU, auteur du “Vocabulaire juridique” qui fait autorité en la matière, le Tribunal est : 1. “ lieu ou l’on rend la justice ; 2. la juridiction elle-même, que celle-ci soit composée de plusieurs magistrats (Tribunal de Grande Instance) ou d’un seul (Tribunal d’Instance). Parfois cependant, Tribunal, employé seul, désigne plutôt une juridiction collégiale qu’un juge unique”. 2 Cette définition, prouve éloquemment, que le Conseil Privé n’est pas un tribunal. Peut être, pourrait-on, dans son acception péjorative, dire en l’espèce que le Conseil Privé est, entre guillemets, un “Tribunal” qui a “jugé” Cheikh Ahmadou Bamba et a rendu une décision erronée de déportation vers le Gabon sans que : - sa composition soit régulière. Il convient de noter que tous ceux qui étaient présents à cette réunion du Conseil Privé, seul CNAPELINCK y a officié en qualité de magistrat occupant, d’ailleurs, à titre intérimaire, les fonctions de Procureur Général. - le mode de fonctionnement de ce “Tribunal” ad hoc, convoqué pour « les besoins d’une cause, méconnaît les principes directeurs d’un procès juste et équitable. Le Conseil Privé n’est même un Tribunal d’exception, parce que justement, “les juridictions d’exception sont des juridictions qui ne sont compétentes que dans les cas strictement prévus par la loi pour juger certaines infractions, et, incidemment, certaines types de délinquants. Le terme de juridiction d’exception peut être utilisé afin d’indiquer le caractère dérogatoire au droit de certaines juridictions à caractère politique, comme les tribunaux de l’Inquisition, les Sections Spéciales mises en place en France pendant la Seconde Guerre Mondiale par Vichy, ou des Tribunaux militaires, comme durant la guerre d’Algérie ou à Guantanamo ». On le voit donc, le Conseil Privé qui a statué sur le cas de Cheikh Ahmadou Bamba, ne respecte même pas la définition donnée du Tribunal d’exception alors surtout que, selon le mot des Yves – Fréderic JAFFRE « la tare la plus grave des Tribunaux d’Exception est que si la justice passe, elle ne convainc pas. L’opinion accepte assez bien les jugements rendus par les Tribunaux de droit commun. Elle se méfie de ceux des tribunaux d’exception ». Ainsi, avec un Conseil Privé qui ne répond ni à la définition d’un Tribunal, ni à celle d’un tribunal d’exception, peut-on s’attendre à ce qu’il fasse une bonne distribution de la justice. La réponse est évidement non. II- LE CONSEIL PRIVE : LES LIMITES D’UNE BONNE DISTRIBUTION DE LA JUSTICE Une bonne distribution de la justice, c’est d’abord et avant tout, un procès juste et équitable. 3 Un procès juste et équitable, c’est un procès dans lequel, outre la composition régulière de la juridiction, les droits de la défense sont respectés, l’accusation soutenue par des preuves irréfragables, le principe du contradictoire, de l’équilibre et de la publicité des débats (sauf rares cas) respecté, procès à l’issue duquel, une décision est rendue, avec la possibilité, pour le prévenu, d’user de voies de recours, lorsqu’il est insatisfait de la décision rendue. En l’espèce, il est aisé de remarquer, que ces principes, piliers d’un procès juste et équitable, ont été foulés aux pieds par le Conseil Privé. En effet : - les droits de la défense ont été bafoués. Le Cheikh ne s’est fait pas assister par un Conseil de son choix. On ne lui a pas permis de se défendre conformément aux règles de l’art. D’ailleurs, comme l’a remarqué avec pertinence M. Oumar BA, « …la déclaration qu’à faite le Marabout devant le Conseil Privé n’a pas été consignée dans le procès-verbal et ne figure (à ma connaissance) sur aucun acte officiel… » (op. cit). Ce qui font surgir des questions fort légitimes, propres aux droits de la défense. - Comment Cheikh Ahmadou Bamba a répondu aux accusations qui pesaient sur lui ? - Quels étaient ses arguments de défense ? - Les principes du contradictoire et de l’équilibre des débats n’ont pas été respectés ; - Aucune voie de recours contre la décision rendue, ne lui était offerte ; - Les preuves de l’accusation n’ont pas été rapportées. D’ailleurs, selon toujours Oumar BA « … Accuser le marabout d’avoir la même façon de procéder que Maba Diakhou, Ahmedou Cheikhou, Mahmadou Lamine et Samba DIAMA, c’est de la part des Autorités Coloniales faire preuve de légèreté. Tout un chacun sait en effet qu’Ahmadou Bamba était un adepte de la non violence et qu’il interdisait même à ses talibés de tuer le plus petit insecte… ». D’ailleurs, renchérit M. BA « … Reconnaître qu’aucun fait de prédication de guerre sainte n’avait été relevé contre Ahmadou Bamba et décider de l’envoyer en exil parce que ses agissements et ceux de ses talibés étaient suspects, démontre que les Autorités Coloniales voulaient à tout prix se débarrasser du marabout… » - En conséquence, les preuves de l’accusation, dont la charge pesait sur l’Autorité Coloniale, n’ont pas été rapportées ; 4 - Enfin, la sentence qui a été prononcée, c’est une redondance que de le répéter, n’est pas une décision judiciaire. C’est une décision arbitraire. C’est une forfaiture. Ce qui est manifestement, aux antipodes, de la “Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen” accouchée, en 1789 par ce qu’on a appelé le “Siècle des …Lumières”, transformé, sous nos tropiques et à cette époque, en “Siècle des Ténèbres”. En effet, rappelons-en quelques articles : Articles VII “Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis”. Article VIII “La loi ne doit établir que des peines strictement et évidement nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée”. Article IX “Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable et s’il est jugé indispensable de l’arrêter. Toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimé par la loi”. Article X “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieusement pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi”. Cette “Déclaration” dont se glorifie “le Siècle des Lumières”, date de 1789 alors que le Cheikh a été “jugé” et déporté en 1895 alors surtout que selon le préambule de ce même texte, « la France forme avec les peuples d’autre - mer, une Union fondée sur l’égalité des droits et devoirs, sans distinction de race ni de religion. L’Union Française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien- être et assurer leur sécurité … ». 5 Le mérite de ce rappel, c’est de démontrer, que le Sénégal, étant à l’époque, sous tutelle française, devait se voir appliquer cette “ Déclaration” qui était incubée dans le commerce juridique des colonies. Ainsi, en rendant une décision qui méconnait gravement et lourdement les droits de l’homme, la France, par le biais de ses sbires, doit se regarder dans un miroir et voir le visage hideux et laid qu’elle a offert à ses sujets. Avec toutes les conséquences de droit et notamment : - la réparation des préjudices moral et matériel causés à Cheikh Ahmadou Bamba (III) et - les possibilités, offertes par la loi, pour réviser ce procès inique et saugrenu (IV) III- POUR LA REPARATION DES PREJUDICES SUBIS. Il serait superfétatoire de le rappeler. Cheikh Ahmadou Bamba a été injustement accusé, arbitrairement arrêté et détenu et inéquitablement jugé et torturé par ses geôliers. Les préjudices matériel et moral qu'il a subi, sont immenses. Son procès a été une véritable forfaiture. Il y a donc obligation à réparation, parce qu’il y a eu faute de l'ancienne colonie, qui a organisé ce procès, la France, en l'occurrence. Au sens des dispositions civiles, « la faute est un manquement à une obligation .préexistante, de quelque nature que ce soit » et que « est responsable, celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui ». En l'espèce, la responsabilité de la France doit être recherchée et engagée. Il appartiendra à celui qui préside aux destinées du Mouridisme, le Khalif Général des Mourides, qui a qualité à agir, d'en apprécier l'opportunité. Comme sur les modalités d'une révision de ce “procès” organisé par le Conseil Privé. IV- CONDITIONS D'UNE REVISION DE CE “PROCES” 6 Selon Gerard CORNU, « le pourvoi en révision est une voie de recours extraordinaire en annulation ouverte dans les cas spécifiés par la loi devant la Cour de Cassation (Chambre Criminelle) contre une décision définitive de condamnation supposée entachée d'erreur judiciaire » (voir vocabulaire juridique p822). Ainsi, en l'espèce, il est manifestement établi que la “décision de déportation” de Cheikh Ahmadou Bamba est devenue définitive et qu'elle est grossièrement entachée d'erreur judiciaire. Alors, quelles voies pour une éventuelle révision ? Quelle est la juridiction compétente ? Quels sont les faits nouveaux susceptibles de provoquer la révision ? Autant de questions qu'il serait fastidieux d'élucider dans le cadre de la présente intervention. D'ores est déjà, la problématique des faits nouveaux survenus postérieurement, à ce procès, peut être rapidement évacuée si l'on interroge les archives ouvertes et si le Sénégal et la France, s'entendent pour la déclassification de certains documents estampillés confidentiels. L’on y verra une foule de faits nouveaux susceptibles de provoquer une révision. La question de la compétence, c'est à dire de la juridiction apte à connaître de cette révision, n'est pas un écueil dirimant. Il s'agit, soit de la Chambre Criminelle en France, soit de la Chambre Criminelle près la Cour Suprême au Sénégal. La compétence, en l'espèce peut être déterminée par : - la nationalité du requérant en révision ; - du lieu où les faits auraient eu lieu ; - la compétence d’attribution dévolue au Conseil Privé, avant les indépendances, rattachée aux lois françaises. Si l'on tient compte de la nationalité et du lieu où les faits ont abouti à la condamnation, c'est évident que la Chambre Criminelle près la Cour Suprême du Sénégal est compétente pour connaître de la requête, sur le fondement des dispositions des articles 83 et suivants de la loi-organique n°2008_35 du 07 Août 2008. Il nous faut maintenant conclure. 7 *CONCLUSION* Vous nous excuserez d’avoir emprunté dans cette réflexion, une méthode fort simpliste, pratique et moins ésotérique. Pour des soucis pédagogiques. C’est pourquoi, c’est une œuvre inachevée. Parce que c'est une œuvre humaine, perfectible, pour la rendre plus comestible. Cependant, elle a le mérite de poser un débat sur un sujet sensible et rarement exploré par les auteurs, portant leur réflexion sur Cheikh Ahmadou Bamba et le Mouridisme. Les chantiers sont donc ouverts et il appartiendra aux chercheurs, avec leur outil et leur méthodologie de travail scientifiques, de se pencher sur ce thème, toujours d'actualité, mais dont l'étude minutieuse nous permettra de mieux nous réapproprier et de mieux domestiquer le précieux legs que nous avons hérité de Cheikh Ahmadou Bamba : la réhabilitation de la DIGNITE de l'Homme Noir. Même, si, au demeurant, le Cheikh a pardonné ses … bourreaux, qui lui ont rendu… service, sans le savoir, en voulant l'humilier et l'éliminer. Physiquement, moralement et sprituellement ! Votre Bien Dévoué Serviteur, Maître Serigne Khassim TOURE Avocat à la Cour, Ecrivain, Doctorant en Droit Public. 8