Nouvelle-Zélande : faire avancer

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Nouvelle-Zélande : faire avancer
Ailleurs
Nouvelle-Zélande : faire avancer
le vélo pour faire reculer le casque
Quelques signes d’évolution permettent d’imaginer un
retour sur le port obligatoire du casque en NouvelleZélande. Mais il y a surtout d’autres manières de se
montrer positif pour encourager d’abord une pratique plus
régulière du vélo. Témoignages croisés de quelques
convaincus à Wellington.
Jane et Robert sont militants du
CAN(1). Ils habitent le quartier de
Newtown dans le sud de Wellington.
Un quartier qui n’est pas sur une
colline, détail important. De
Newtown, ils franchissent les quelques kilomètres qui les séparent du
centre-ville plus rapidement que la
voiture ou le bus. Ce qui serait loin
d’être le cas s’ils vivaient dans le
quartier voisin de Brooklyn, où même
bien entraîné on est complètement
largué par les motorisés.
Mais d’où vient donc cette idée du
casque obligatoire ? A l’origine il y a
eu un choc émotionnel, et un
contexte transports très défavorable
au vélo.
(4,3 millions d’habitants sur une
superficie d’environ la moitié de
celle de la France) n’incitera aucun
gouvernement à investir massivement dans un réseau ferroviaire
digne de ce nom.
Le choc émotionnel, c’était en 1988 :
parmi d’autres accidents de vélo,
une femme victime d’un grave
trauma crânien a fait quelques gros
titres dans la presse. En pleine
période d’accélération commerciale
de la voiture. On a donc « sécurisé »
le cycliste. La loi est passée en 1994,
et sans débat devant le parlement,
souligne Robert, qui relève par
ailleurs un corollaire de l’augmentation du nombre de voitures : « Au
cours des années 80, on voyait de
moins en moins de vélos. Ce qui
peut contribuer à démontrer que
moins il y a de vélos, plus c’est dangereux. »
Les résistances des sportifs
Vingt ans après, il constate que les
mentalités ont évolué : « Depuis cinq
ans, le gouvernement admet l’idée
que plus de vélos en circulation,
J.M. Trotignon
« You have to be strong to keep your
place on the road ». C’est ainsi que
Jane caractérise l’usager moyen en
Nouvelle-Zélande : se montrer fort
pour tenir sa place sur la chaussée.
Le cycliste que j’ai vu dans la rue ici
est plutôt sportif que pépère, actif et
réactif dans la circulation, attentif à
bien se placer en toutes circonstances, prêt à démarrer en tête d’un
bon coup de pédale dès que le feu
passe au vert, visiblement aguerri. Et
donc bien visible, pas seulement par
le casque, mais aussi par l’attitude.
Rare (et mal respecté) :
un sas vélo sur un carrefour
c’est plus sécurisant. Et il y a des
gens au ministère des Transports qui
pensent que la loi sur le casque
n’est pas une bonne loi. » Rien n’est
gagné pour autant : les résistances
sont grandes. Certaines viennent
d’ailleurs des cyclistes eux-mêmes :
les sportifs, s’entend. Quand on dit
qu’après 1994 la proportion de
cyclistes a baissé ici de près de
30 %, on parle uniquement de pratique quotidienne du vélo : la pratique
sportive et cyclotouriste, elle, a aug-
Chemin de fer anémique
et voiture en force
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J.M. Trotignon
Le contexte : « A la fin des années
80, le gouvernement a baissé les
taxes d’importation sur les voitures »,
explique Jane. Et la Nouvelle-Zélande,
où un jeune peut conduire seul
avant 18 ans, est devenu un excellent débouché pour les voitures
japonaises. Ici, le train est pratiquement inexistant. Celui qui relie les
deux principales villes du pays
(550 km entre Auckland et
Wellington) est un tortillard. Les
trains de banlieue sont peu performants. La faiblesse démographique
Accroche-vélos sous abri dans une petite gare de la banlieue de Wellington
J.M. Trotignon
La peur
de l’opinion
publique
Le port du casque, toujours difficile à accepter pour certaines femmes
menté. Et très nombreux sont parmi
ses adeptes les partisans du casque,
du moins largement consentants.
organisme que Jane et Robert, mais
elle rejoint leurs conclusions : « tout
ça, c’est une question d’éducation ».
Discrimination
Le soutien de villes
et d’enseignants
Ce qui fait dire à une autre cycliste
au quotidien, Lisa, que « ce serait
très impopulaire de changer la loi ».
A cause d’un réflexe primaire de protection encore largement dominant,
mais aussi parmi les amateurs de
vélo les plus nombreux, ceux qui
donnent le ton d’une pratique plutôt
sportive, voire virile. La proportion de
femmes à vélo dans les rues des
villes est d’ailleurs assez significative :
les estimations sont dans une fourchette assez large autour d’une
femme pour quatre hommes.
La féminité est en cause. Lisa en est
assez amère, elle qui apprécie de
pouvoir aller à son travail dans une
tenue correcte, et donc bien coiffée.
Elle ne milite pas dans le même
Et c’est bien par là que les NéoZélandais pourront sortir la tête du
casque, sans doute plus que par
l’attaque frontale de la loi. L’éducation
a commencé avec le soutien de collectivités locales. « Notre organisme,
explique Jane, a commencé à faire
de l’initiation au vélo dans les écoles.
D’abord en formant des enseignants,
qui ensuite forment les élèves, à
Auckland, Wellington, Christchurch.
Mais on n’en est qu’au début. Nous
poursuivons d’autres stratégies dans
deux petites villes, New Plymouth et
Hastings, qui investissent pour tenter
de mettre plus de gens à vélo par
l’aménagement de pistes cyclables,
un effort d’éducation, un soutien à la
réparation de vieux vélos. L’intérêt de
VLS : expérience avortée
Dans un pays où le port obligatoire du casque n’est pas la seule dissuasion à une pratique régulière du vélo, il n’est pas facile de mettre en
place un système de vélo en libre service. Il y a bien eu une expérience
de « Bike share » à Auckland, la plus grande ville du pays, mais elle a
tourné court. Il faut dire que c’était quasiment expérimental : 200 vélos
seulement ont été mis en circulation pour 1 300 000 habitants. Au bout
de deux ans, c’était fini.
Le maire de Wellington, Cecilia
Wady-Brown, est du parti vert. Elle
apprécie beaucoup plus le vélo
que le port obligatoire du casque.
Mais elle n’est pas seule... et au
sein de sa propre majorité, elle se
heurte à un respect craintif de
l’opinion publique. « Les conseils
municipaux ont très peur de l’opinion publique », estime Lisa, militante de Cycling Wellington*, qui
pense que de toutes façons « les
Villes n’ont pas beaucoup de pouvoir. Seul le ministère des
Transports peut changer quelque
chose. »
Les solutions individuelles existent,
à condition d’oser. « Je ne mets
pas de casque, dit Lisa. Je n’ai
jamais été arrêtée. Ceux qui se
font arrêter pour non port du casque sont plutôt des hommes, plus
jeunes que moi. » Mais elle
constate qu’aux heures de pointe,
bien des gens circulent à vélo sans
se faire arrêter. A condition quand
même de ne pas avoir trop l’air
rebelle.
Arme imparable dans cette réaction individuelle : l’exemption du
port du casque pour raison médicale. Lisa en a une, qu’elle n’a
jamais eu besoin de montrer. Il
n’est pas très difficile de trouver un
médecin qui vous signe cette
exemption, mais peu y ont recours.
Une centaine de personnes sur
tout le pays.
Lisa s’en voudrait bien d’en rester
à une solution individuelle : « Il
faut qu’on arrive à atteindre la
population. Pour ça, l’important
c’est d’avoir des messages convaincants transmis par les bons messagers. »
* www.cyclingwellington.co.nz
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Ailleurs
No critical mass
ces actions est désormais reconnu,
et il y a pas mal de collectivités locales qui sont prêtes à suivre. »
Même si l’accueil y est beaucoup
plus réservé qu’auprès des « local
councils », CAN entretient des échanges, toujours utiles, avec le ministère
des Transports, et depuis peu avec
celui de la santé. Et en profite
d’ailleurs pour faire le lien, pas toujours spontané, entre les deux administrations.
La vélorution est universelle. Lancé à San Francisco en 1992, le mouvement « critical mass » connaît des hauts et des bas suivant les pays et
les époques. A Wellington, Patrick ne se décourage pas malgré l’évidente difficulté à mobiliser. Le jour où je l’ai croisé à Wellington, c’était
justement le soir du dernier vendredi du mois, jour de manif. Bilan : 30
vélos s’étaient retrouvés dans les rues de Wellington. Pas vraiment critique, la masse.
Patrick est chef de projets à CAN, où il compte un peu sur l’usage des
réseaux sociaux pour trouver la masse critique d’usagers sur le net.
Et il peste contre le port obligatoire du casque, qui revient à donner « un
signal fort de dangerosité du vélo ».
Robert et Jane, qui ont des points de
comparaison après avoir beaucoup
voyagé à vélo en Europe, croient en
tout cas que c’est vraiment en faisant
avancer le « everyday cycling »(2)
qu’on fera reculer le casque. Et ils
affirment la confiance des minoritaires : « « We can be successful with
not many people »(3).
J.M. Trotignon
Jean-Michel Trotignon
(1) Cycling Advocates Network, environ 2 000
membres individuels et une vingtaine de
groupes locaux : www.can.org.nz
(2) L’usage du vélo au quotidien
Peter, exempté du port du casque pour raison médicale
(3) On peut réussir en étant peu nombreux
L’argument santé avec Peter
« J’ai grandi dans le nord d’Auckland. On allait tous à l’école à vélo après l’âge de 8 ans, avant c’était à pied ou en
bus. » Et depuis, Peter Keller a toujours fait du vélo. Il fait partie d’une petite association, « Cycling Health », qui axe
beaucoup son argumentation sur la santé. Après ses études de médecine à Dunnedin (« c’était seulement les
étudiants pauvres qui utilisaient le vélo »), il a vécu dans les années 70 à Alberta au Canada, à Lausanne en
Suisse, à Munster en Allemagne. De retour dans son pays en 1979, alors que le vélo était encore assez populaire,
il a vécu sa remise en cause à la fin des années 80 : « Des gens ont commencé à dire que le vélo était dangereux,
dont des neuro-chirurgiens, et des femmes prêtes à dire à chacun ce qu’il doit faire. C’est vrai qu’il y avait des
accidents de cyclistes, mais aussi de piétons. Et les Néo-Zélandais ont été vraiment stupides, ils ont dit d’accord,
il n’y a pas eu de protestations. Et les sportifs ont parfaitement accepté cette loi sur le casque. »
« Cinq ans après, j’ai tenté de faire quelque chose. Un journal a publié un article montrant que le taux d’accidents
ne baissait pas. Un médecin de Wellington a déclaré que cette loi était stupide. Des gens dans la population ont
commencé à dire qu’on pourrait autoriser le vélo sans casque. Depuis dix ans, avec Cycling Health, nous essayons
de faire entendre que cette loi ne fonctionne pas. Et que c’est même un désastre pour la santé publique puisqu’elle dissuade de faire du vélo. »
Contrairement à des militants d’autres mouvements comme CAN, Peter ne croit pas que le développement de la
pratique fasse reculer le casque : « iIs demandent des bandes cyclables et des places de stationnement vélo, mais
ne font rien contre la loi sur le casque ».
Peter me montre sa carte d’exemption : c’est parce qu’il fait de l’eczéma qu’il l’a obtenue. Pour les autres,
l’amende coûte 55 NZ$ (34 €), mais ces dernières années la police n’est pas particulièrement sévère.
http://cyclinghealth.org.nz
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