La critique dans L`Ile des esclaves

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La critique dans L`Ile des esclaves
La critique dans L’Ile des esclaves
1. La critique de la nature humaine
Tout au long de la pièce, les personnages éprouvent tous, plus ou moins, le désir d’exercer sa puissance
sur les autres.
1. Les maîtres
Dès la scène 1, Iphicrate est montré comme un homme violent physiquement (épée, gourdin) et
moralement (« Tu me traitais comme un pauvre animal »). En grec, Iph. Signifie « celui qui gouverne par
la force » : Marivaux dénonce ainsi le besoin d’écraser les autres.
De même, Euphrosine montre sa volonté de puissance en humiliant sa servante (cf scène 3 : « sotte,
ridicule, bête »)
Tout se passe comme si les maîtres devaient humilier et dégrader ceux qui leur sont socialement
inférieurs pour exister comme le dit Cléanthis à la scène 10 : «Voilà de nos gens qui nous méprisent dans
le monde, qui font les fiers, qui nous maltraitent, qui nous regardent comme des vers de terre »
Aveuglé par un violent sentiment de domination, le maître perd donc sa noblesse par un comportement
barbare à l’égard des faibles.
L’esclavage confère aux personnages une forme de supériorité morale, la souffrance humanise : « Je dois
avoir le cœur meilleur que toi car il y a plus longtemps que je souffre, et je sais ce que sais que la peine »
(scène 9).
Mais, pour Marivaux, le pouvoir tyrannique sur l’autre est une inclination naturelle chez l’homme.
2. Les esclaves
Tout au long de la pièce, ils n’ont qu’un désir : celui de « devenir » comme les maîtres, de s’approprier
leurs défauts. Le renversement des pouvoirs est vécu comme une infinie délectation. Cléanthis et
Arlequin découvrent l’immense plaisir de donner des ordres (scène 6 : « Vite, des sièges ! », « qu’on se
retire à dix pas » ; scène 7 « Approchez ! »), d’être dans la peu de leur maître : « Il faut bien jouir de notre
état, en goûter le plaisir » (scène 6). C’est surtout Cléanthis qui bascule dans la tyrannie : « Vous vous
conformerez à mes intentions, je l’espère. Imaginez-vous même que je le veux » (scène 7)
La volonté de puissance semble donc bien être un défaut inhérent à la nature humaine. Dès que l’on goûte
au pouvoir, il semble difficile voire impossible de ne pas en abuser, comme le dit Arlequin à la scène 9 :
« Si j’avais été votre pareil, je n’aurais peut-être pas mieux valu que vous ».
Marivaux ne se fait donc aucune illusion sur la nature humaine mais il croit en la possibilité
d’amélioration de l’homme. Il accorde à l’homme la faculté de changer sa nature afin d’adoucir les
moeurs de la société.
II. La critique de la société
Comme d’autres auteurs de son époque, Marivaux dénonce les valeurs dominantes de l’époque qui
fondent la reconnaissance sociale sur la noblesse du rang et la fortune personnelle au détriment du mérite
personnel.
1. La question du mérite
Cléanthis pose clairement la question fondamentale du vrai mérite individuel : « Que faut-il être ? Riche ?
non. Noble ? non. Grand seigneur ? point du tout ». A ces valeurs qui font, comme elle le dit avec ironie
« les honnêtes gens du monde », elle en substitue d’autres : « le cœur bon, la vertu, la raison ».
2. L’avertissement moral
Cependant Marivaux ne remet pas en cause la notion de classe sociale : le serviteur doit obéissance à son
maître. En effet, le dénouement est une restauration des pouvoirs mais le visage des maîtres a changé. Ils
sont devenus plus humains : pour l’avoir subie, ils comprennent mieux la souffrance de leurs
domestiques. Cette pièce est plutôt un avertissement moral : Marivaux avertit les Seigneurs. Ce n’est pas
parce qu’ils ont du pouvoir qu’ils doivent en abuser. Il leur demande, à travers Arlequin, une attitude plus
humaine : « Je ne te ressemble pas, moi, je n’aurais pas le courage d’être heureux à tes dépens » (scène
9). Les maîtres doivent donc relativiser leur pouvoir, c’est ce que résume Trivelin dans la dernière scène :
« La différence de condition n’est qu’une épreuve que les dieux font sur nous. »
La structure de la pièce
Exposition
Le maître à l’épreuve du
portrait du valet
Le maître à l’épreuve du désir
du valet
La leçon finale : le dénouement
scène 1
scène 2
scène 3
scène 4
scène 5
scène 6
scène 7
scène 8
scène 9
scène 10
scène 11
Iph et A. sur l’Ile des esclaves
Trivelin présente les lois de l’île
Portrait d’Euphrosine par Cléanthis
Euphrosine finit par admettre la véracité du portrait
Portrait d’Iphicrate par Arlequin. Iph. reconnaît ses torts
A. et C. s’essaient au langage galant des maîtres
Cléanthis ordonne à Euphrosine d’aimer Arlequin
A. veut séduire E. mais reste sans voix devant sa douleur
Iph. reconnaît ses torts. A pardonne est reprend son habit
E. prend conscience de ses abus, Cl lui pardonne.
Trivelin félicite les pers et tire une leçon.
11 scènes, 4 mouvements. Equilibre symétrique : encadrés par l’exposition et le dénouement, 2 épreuves
de 3 scènes chacune entament peu à peu la « superbe » des maîtres.