Oscar Peer, La vieille maison, traduit du romanche

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Oscar Peer, La vieille maison, traduit du romanche
Oscar Peer, La vieille maison, traduit du romanche par Walter Rosselli, Ed. Plaisir de lire
Le jury de la Fondation Schiller suisse a décidé de récompenser Walter Rosselli avec le Prix
Terra Nova littérature pour sa traduction en français de La vieille maison, de l’auteur
romanche Oscar Peer, décédé en décembre dernier. Le texte en français possède une sorte de
fluidité rustique, comme de l’eau qui coule sur les pierres vives d’un torrent de montagne,
tout à fait adaptée au propos de ce roman bref, à l’écriture très concrète, aux phrases courtes
et directes.
L’histoire en est simple : Chasper vit dans un village des Grisons avec son père, qui passe
désormais plus de temps au bistrot du village qu’à la maison. A la mort de ce dernier, le fils
apprend qu’il devait des sommes astronomiques au tenancier du bistrot, également maire du
village, un homme riche qui convoite la maison de son débiteur. Par fidélité à une histoire
familiale qui s’est délitée depuis longtemps, le fils essaie d’éviter de devoir céder la maison à
ce créancier.
En peu de mots et sans effets spectaculaires, le lecteur peut se faire une image nuancée d’un
contexte familial étouffant où la tradition et le devoir prennent toute la place et ne souffrent
pas de discussion, alors même qu’ils sont contredits par les faits : les dettes, l’alcoolisme du
père, le désir de liberté des deux fils et le chagrin de la mère. Chasper se sent le gardien de la
maison et des valeurs familiales alors même qu’il est désormais seul, ses parents étant
décédés, le frère aîné ayant disparu – on ne sait s’il est mort ou s’il s’est libéré de ses liens –,
et la jeune fille qu’il aime étant sur le point d’en épouser un autre.
L’œuvre d’Oscar Peer se caractérise par une grande densité atmosphérique et Walter Rosselli
a très bien réussi à la retransmettre en français, tout comme le « ton » d’Oscar Peer.
« Lura adüna darcheu üna curiusa vierina, el nu sa scha quai sun fastüts chi ardan, obain
vespras o mürs chi prouvan da’s salvar. » (P. 186) « Puis, toujours un petit bruit curieux, il ne
sait pas si ce sont des fétus de paille qui brûlent, ou alors des guêpes ou des souris qui
essaient de se sauver. » (P. 161)
Par cette apparente simplicité du langage et des sentiments qui fait la part belle aux non-dits,
la traduction rend très bien le caractère rustique, paysan, et plein de ruse de la langue
originale, qui ne pénètre jamais dans la psychologie des personnages mais les décrit très
précisément à travers leurs actes. Alors que tout semble énoncé précisément, on se rend
compte peu à peu que tout est, au contraire, allusif. En français, la sobriété de la langue rend à
merveille le caractère étouffant de ce monde de non-dits.
Ainsi, l’amour de Chasper est impossible parce que tu : jamais au premier plan, cette histoire
d’amour est pourtant centrale dans la symbolique du roman, puisqu’elle raconte entre les
lignes un désir de liberté jamais formulé dans l’espoir qu’il s’effacera.
Oscar Peer dessine avec un grand talent, et en peu de mots, les êtres humains. Le traducteur
s’est approprié cette sobriété de moyens pour brosser des portraits très complets.
« Minchatant sta’l uras a la lunga davant la platta, guardond aint il fö. Ils fessels chi’s
transfuorman in bras-cher cotschen, chi’s consüman, i’s doda ün schloppinöz, lura be plü ün
büschmöz. » (P. 82) « Parfois, il reste des heures durant devant le fourneau, regardant le feu.
Les bûches qui se transforment en braises rouges, qui se consument, on entend des
craquements, puis plus qu’un sifflement » (P. 71)
Outre la qualité de la traduction, la Fondation Schiller Suisse, en décernant le prix Terra Nova
à Walter Rosselli, veut marquer son encouragement au précieux travail d’ambassadeur de la
littérature romanche en français dans lequel il s’est lancé. Walter Rosselli a en effet également
traduit un autre ouvrage important de la littérature romanche contemporaine, Onna Maria
Tumera de Leo Tuor, qui paraît ce printemps 2014 aux Editions d’en bas.
(http://www.wrossell.net/home/home.html)
Le jury de la Fondation Schiller suisse
Nicolas Couchepin, Anne Pitteloud

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