Progrès, économie et histoire chez Turgot

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Progrès, économie et histoire chez Turgot
Progrès, économie et histoire chez Turgot
Laure Chantrel, MCF en Economie, CEMI, Université Paul Valéry, [email protected]
Benoît Prévost, MCF en Economie, CEMI, Université Paul Valéry, [email protected]
1. Introduction
Connu pour son rôle fondateur dans la théorie dite " des quatre stades ", en même temps qu’Adam
Smith 1 , Turgot a pu être présenté comme un précurseur du matérialisme historique au même titre que
l’auteur de la Richesse des nations2 . L’idée que des causes physiques sont à l’origine de l’histoire est déjà
à l’œuvre avec Montesquieu3 , et l’idée que le mode de subsistance est la plus importante de ces causes
physiques s’épanouira avec l’école historique écossaise4 . Une telle lecture fait clairement de Turgot non
seulement un auteur essentiel des philosophies de l’histoire, mais surtout un artisan tout aussi essentiel de
leur sécularisation5 . Complétée par la théorie de l’accumulation, la théorie des quatre stades permettrait
alors de concevoir le progrès sur un mode radicalement novateur, fondé sur l’enrichissement continu6 .
Certes, en faisant de la vie terrestre le lieu de l’histoire, aussi bien dans sa manifestation que dans sa fin,
Turgot entreprend bien de séculariser l’histoire et de dépasser les théologies de l'histoire7 . Mais rattacher
cette démarche à un matérialisme historique revient à négliger toute l’originalité de Turgot. L'histoire de
Turgot est une synthèse originale du sensualisme de Condillac et de l'histoire concrète de Montesquieu8 .
Surmontant l'opposition entre la nature et la culture, entre la raison et les passions, elle permet de
réconcilier les nécessités physiques et les causes morales à l'œuvre dans l'histoire.
Découlant des sensations, la raison et les passions ne peuvent pas être pensées en dehors de l'histoire ; on
peut en lire le cheminement dans les progrès de l'esprit humain. C'est l'homme dans son environnement
qui devient objet et sujet de l'histoire. Tout d'abord, l'homme et ses besoins, et c'est l'Economie qui
devient historique ; ensuite, l'homme dans la société, et c'est la morale chrétienne qui se débarrasse de la
Providence au profit des progrès matériels et moraux, c'est-à-dire des progrès de l'esprit humain.
Après avoir, dans une première partie, mis en évidence la conception du progrès de Turgot, les différents
1
MEEK R.L. [1971].
Meek regrette d’avoir trop longtemps sous-estimé " le rôle de la théorie des quatre stades historiques dans l’émergence de la
version dix-neuvièmiste de la conception matérialiste ", Meek R.L., [1971]. Il n’est pas le seul. Parmi les plus célèbres
spécialistes de Smith, on peut citer Skinner, SKINNER A. S. [1975], ou Heilbroner qui va jusqu’à parler de proto-marxisme à
propos de Smith, HEILBRONER R. [1975], p. 525. Voir PREVOST B. [2002].
3
Il n’est pas, bien sûr, question de faire ici de Montesquieu un précurseur du matérialisme historique, ni de confondre le
matérialisme philosophique du 18 ème siècle avec le matérialisme historique du 19ème .
4
Pierre Rosanvallon s’enflamme à propos de cette rupture dans l’histoire des idées, rappelant les travaux de John Millar ,
ainsi que ceux de Robertson, Ferguson ou Stewart. Il cite Millar : " Le grand Montesquieu montra le chemin. Il fut le Bacon de
cette branche de la philosophie. Smith en fut le Newton " in Historical View of the British Government. ROSANVALLON P.
[1989], p.47 et suivantes.
5
Si l’on considère que le matérialisme historique est l’une des formes les plus radicales de la sécularisation
6
Voir BREWER A. [1995], à propos de la théorie de la croissance, ainsi que RAVIX J.-T. et ROMANI P.-M. [1984] pour le rôle
économique de la notion de progrès.
7
LARRÈRE C. [2000], p.187.
8
EHRARD J. [1963], p.762.
2
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1
éléments de son projet d'une histoire universelle, nous montrerons comment cette histoire trouve ses
fondements dans une nature elle-même historicisée (deuxième partie), et quelle place la raison occupe
dans le processus de perfectionnement de l'humanité (troisième partie).
I Le projet d'une histoire universelle
Turgot formule clairement son projet dans le Plan d’un premier discours sur l’histoire universelle :
" Dévoiler l’influence des causes générales et nécessaires, celles des causes particulières et des
actions libres des grands hommes, et le rapport de tout cela à la constitution même de l’homme ;
montrer les ressorts et la mécanique des causes morales par leurs effets : voilà ce qu’est l’histoire
aux yeux d’un philosophe "9 .
En quelques paragraphes, Turgot pose les principes de sa démarche historique qui est bien celle d’une
philosophie de l’histoire. On peut retenir la définition de Löwith, pour qui la philosophie de l'histoire est
" l’interprétation systématique de l’histoire du monde selon un principe directeur qui permet de mettre
en relation événements et conséquences historiques et de les rapporter à un sens ultime "10 . Il existe bien
chez Turgot une fin historique. Cette fin, c’est un progrès polymorphe qui touche " la formation, le
mélange des nations ; l’origine, les révolutions des gouvernements ; les progrès des langues, de la
physique, de la morale, des mœurs, des sciences et des arts "11 . Dans cette histoire, le langage tient une
place particulière, parce que ses progrès sont à la fois le fondement et le signe des progrès de l’esprit
humain : l’homme se distingue des animaux par la faculté du langage qui lui permet à la fois le
développement de ses idées et leur transmission, c'est-à-dire leur accumulation. Or, c’est grâce à cette
accumulation que l’homme s’arrache progressivement à sa condition animale primitive pour devenir un
être spécifique : le seul qui soit capable de progrès ; un être doué d’une raison plus étendue et d’une liberté
plus active12 . L’héritage du sensualisme de Condillac se manifeste à travers l’idée que l’esprit humain se
forme par accumulation d’expériences et de connaissance. L’homme est nécessairement un être de
progrès : " Les hommes instruits par l’expérience, deviennent plus et mieux humains "13 . Cette
accumulation, fondée sur la transmission entre générations, implique donc des progrès au cours de
l’Histoire.
Une fois posé que l’homme est un être de progrès, Turgot définit l’Histoire du genre humain
comme " une combinaison continuelle de ses progrès avec les passions et avec les événements
qu’elles ont produit (…) où chaque homme n’est plus qu’une partie d’un tout immense qui a,
comme lui, son enfance et ses progrès "14 .
C’est de cette affirmation fondamentale que vient la possibilité de penser l’histoire humaine comme un
9
TURGOT A.R.J., [1913h], p.276.
LÖWITH K. [2002], p.21.
11
TURGOT A.R.J. [1913h], p.276.
12
" L’homme, comme les animaux, succède à d’autres hommes dont il tient l’existence, et il voit, comme eux, ses pareils
répandus sur la surface du globe qu’il habite. Mais, doué d’une raison plus étendue et d’une liberté plus active, ses rapports
avec eux sont beaucoup plus nombreux et plus variés. Possesseur du trésor des signes qu’il a eu la faculté de multiplier
presque à l’infini, il peut s’assurer la possession de toutes ses idées acquises, les communiquer aux autres hommes, les
transmettre à ses successeurs comme un héritage qui s’augmente toujours. ", TURGOT [1913h], p. 276.
13
TURGOT A.R.J. [1913h], p.284.
14
TURGOT A.R.J. [1913h], p.276.
10
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processus qui échappe aux cycles de la Nature15 . La philosophie du progrès articule donc un progrès de
l’esprit humain, et un progrès des nations et des institutions qui les supportent. La démonstration en est
métaphorique ; les nations sont douées, comme les individus, d’expériences, qui les conduisent de
l’enfance à la maturité. Mais Turgot dépasse la métaphore pour penser l’histoire en dehors d’un retour
cyclique qui caractérise la vie humaine, et poser un progrès continu de l’homme et de la société.
Derrière, donc, les différentes formes du progrès, se dessine une unité : les progrès de l’homme et de la
société sont indissociables.
Le travail du philosophe consiste alors à dévoiler, au-delà du chaos des apparences, comment la fin de
l’histoire se réalise. Armé de la géographie et de la chronologie16 , il observe le tableau qui s’offre à lui :
les inégalités de développement entre les nations lui permettent de saisir les différents âges de
l’humanité17 ; il lui reste à comprendre comment les peuples passent d'un âge à l’autre. Si Turgot en
vient à privilégier l’idée que le développement économique soutient le développement de l’esprit
humain18 , c’est parce que sensations et besoins primaires résistent aux accidents de l’histoire et assurent
la continuité de celle-ci.
Mais que " les besoins et leur satisfaction" jouent "un rôle complexe et essentiel dans le mouvement de
l’histoire "19 ne doit pas conduire à surestimer la signification historique des différents modes de
subsistance20 : dans l’histoire du progrès, l’introduction du christianisme introduit une rupture bien plus
fondamentale que le développement de l’agriculture…
Qui plus est, les besoins n’expliquent pas tout : ils n’assurent pas à l’histoire un cours tranquille qui serait
jalonné d’inventions techniques et d’une division du travail toujours plus pointue permettant une
accumulation de la richesse. Fondamentalement, c’est sous l’emprise de ses passions, et non grâce au
recours à la raison, que l'homme progresse. Ainsi, c'est aux sentiments qu'échoient la place d'honneur.
Adhérant ainsi à l'opinion de bon nombre de ses contemporains, Turgot affirme que la raison est trop
souvent pervertie par l'esprit de système. Il entend par là :
"… ces suppositions arbitraires par lesquelles on s'efforce d'expliquer tous les phénomènes, et qui
effectivement les expliquent tous également, parce qu'il n'en explique aucun. Ces analogies
indirectes par lesquelles on se hasarde à convertir un fait particulier en principe général et à juger
d'un tout immense par un coup d'œil superficiel jeté sur une partie ; cette présomption aveugle qui
rapporte tout ce qu'elle ignore au peu qu'elle connaît."21
Dans le domaine politique, cet esprit de système consiste à croire que la société idéale peut se penser et
se construire. Turgot ne tombe pas pour autant dans l'apologie facile du sentiment. Certes les passions
15
MORILHAT C. [1988], p.81.
TURGOT A.R.J. [1913h], p.277.
17
" … la géographie, par là même qu’elle est le tableau du présent, varie sans cesse ; et puisque tout ce qui est passé a été
présent, l’histoire qui est le récit du passé, doit être une suite de ces tableaux de l’histoire du monde pris dans chaque moment.
Je parle de l’histoire universelle. " TURGOT [1913g], 257.
18
TURGOT A.R.J. [1913b] p.133.
19
FINZI V. [1981], p.7.
20
On peut noter d’ailleurs que la théorie des quatre stade est interprétée comme une théorie différenciant soit des modes de
production, comme c’est le cas chez Pocock J., POCOCK J. [1985], ou MEEK [1971], soit des modes de subsistance, Finzi
insiste sur la distinction entre les deux termes. Chez Turgot, la chasse et l’élevage ne sont pas des modes de production dans
la mesure où ils ne correspondent pas à des mode d’exploitation du travail.
21
TURGOT A.R.J. [1913r], p.618. Sur Turgot et l'esprit de système, cf. KIENER M.C. [1982].
16
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sont naturelles et nécessaires. Mais, elles ont un caractère historique car la nature humaine est pensée
dans un cadre dynamique d’évolution. Ce qui signifie que certains sentiments, dont l'utilité historique ne
peut être contestée, doivent s'effacer devant des sentiments plus vertueux. Encadrées par la raison
divine, les passions douces vont l’emporter sur les passions tumultueuses. La vertu et l'amour vont ainsi
l'emporter sur la haine et la violence. Ici, Turgot voit " l’empreinte de la main de Dieu "22 qui a mis la
vertu dans le cœur des hommes et leur a ainsi permis de se développer. Aussi, le temps de la raison sera la
fin de l’histoire : dans la mesure où la raison fixe les choses, il faut qu’elle ait atteint une forme de
perfection pour régner sans compromettre le progrès23 .
Le progrès se pense ainsi à trois niveaux distincts : celui des besoins, celui des sentiments et celui de la
raison. L'étude de la nature humaine est donc le point de départ de la philosophie de l'histoire.
II La nature humaine
Que l’homme soit un être raisonnable fonde la philosophie morale24 , et Turgot l’accepte, même s’il ne
pose pas ce caractère comme fondement de la spécificité de l’homme dans le règne animal. On l'a dit,
l’homme se distingue des autres animaux par la faculté du langage qui lui permet à la fois le
développement de ses idées et leur transmission, c'est-à-dire leur accumulation, et parce qu’il est un être
doué d’une raison plus étendue et d’une liberté plus active. Certes le sensualisme de Turgot réduit
considérablement la distance entre l'homme et les animaux. L’animal est comme l'homme doué de
raison et de liberté25 . La différence est une différence de degré. Toutefois, celle-ci lui suffit à rattacher
l'animal au règne de la nature, et au temps cyclique, et l'homme à la société historique. L'homme
contrairement à l'animal est doté de deux qualités qui lui permettent de s'arracher aux cycles de la
nature : la technique par laquelle il transforme son environnement, et le langage ce qui lui permet de
transformer les sensations en idées. Cette dualité est très clairement affirmée dans le "Tableau
philosophique" :
"… et les mêmes sens, les mêmes organes, le spectacle du même Univers, ont partout donné aux
hommes les mêmes idées, comme les mêmes besoins et les mêmes penchants leur ont partout
enseigné les mêmes arts."26
Et c'est grâce au progrès de ces idées et de ces besoins que l'humanité marche vers une perfection plus
grande ; "La raison, les passions, la liberté produisent sans cesse de nouveaux événements " 27 . Cette
spécificité qui distingue l’homme au sein de la nature est en même temps celle qui induit des différences
au sein même du genre humain qui est pensé comme un " tout immense " en mouvement, " où chaque
22
TURGOT A.R.J. [1913h], p.277.
TURGOT A.R.J. [1913h], p.283.
24
Terruel rappelle que " Locke déclare de façon provocante qu’un singe ou qu’un perroquet peuvent correspondre à la
définition de l’homme moral s’ils se trouvent être raisonnables ". TERRUEL J. [2001], p.244
25
" L’homme, comme les animaux, succède à d’autres hommes dont il tient l’existence, et il voit, comme eux, ses pareils
répandus sur la surface du globe qu’il habite. Mais, doué d’une raison plus étendue et d’une liberté plus active, ses rapports
avec eux sont beaucoup plus nombreux et plus variés. Possesseur du trésor des signes qu’il a eu la faculté de multiplier
presque à l’infini, il peut s’assurer la possession de toutes ses idées acquises, les communiquer aux autres hommes, les
transmettre à ses successeurs comme un héritage qui s’augmente toujours ". TURGOT [1913h], p.276
26
TURGOT A.R.J. [1913e], p.216.
27
TURGOT A.R.J. [1913e], p.214-215
23
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homme n’est plus qu’une partie "28
Pour Turgot, si l’homme progresse, c’est sous " l’influence de causes générales et nécessaires " mais aussi
de " causes particulières "29 , qui permettent de penser les différences et les inégalités à la fois entre les
hommes, mais aussi, et surtout, entre les peuples ou nations. Si chaque homme est doué de la faculté de
tirer des leçons de son expérience, les hommes n’en sont pas moins naturellement inégaux :
" La nature, inégale en ses dons, a donné à certains esprits une abondance de talents qu’elle a
refusée à d’autres ; les circonstances développent ces talents ou les laissent enfouis dans
l’obscurité. "30
Les causes de ces inégalités naturelles, Turgot les cherche du côté de la biologie et des arrangements
divers des fibres du cerveau qui expliquent l’apparition de génies31 .
Les inégalités entre les individus se retrouvent entre les nations et s’expliquent par le hasard des
circonstances32 . Le genre humain a lui-même, comme chacune de ses parties (chaque homme) " son
enfance et ses progrès " : certains peuples sont encore dans l’enfance, d’autres plus avancés. Les
différences sont le produit d’une même nature.
L’enfance de l’humanité nous révèle les fondements mêmes de la nature humaine et ainsi les principes du
progrès. Il suffit au philosophe d’observer le Tableau qui s’offre à lui : les inégalités de développements
entre les nations lui permettent de saisir les différents âges de l’humanité33 . Dans cette fresque vivante
soutenue par la mémoire historique, les sauvages et les barbares, aussi frustres soient-ils, contiennent, en
germe, les progrès de l’humanité et dévoilent la nécessité des passions violentes.
1. Que nous apprennent les sauvages et les barbares sur la nature humaine ?
Le progrès est le chemin qui mène du sauvage au chrétien.:
"… peu à peu, ces sauvages, en devenant homme, se disposent à devenir chrétiens : la terre inculte
devient féconde sous des mains devenus industrieuses : des lois fidèlement observées maintiennent
à jamais la tranquillité dans ces climats fortunés : les ravages de la guerre y sont inconnus : l’égalité
en bannit la pauvreté et le luxe, et y conserve, avec la liberté, la vertu et la simplicité des mœurs :
nos arts s’y répandent sans nos vices. "34
Contrairement à Montesquieu qui distingue le sauvage et le barbare35 , Turgot utilise souvent les deux
termes l’un pour l’autre. Tantôt, le sauvage est l’homme proche de la nature, cet homme que les
européens ont découvert en Amérique36 . Mais Turgot parle aussi des barbares d’Amérique37 . Il semble en
28
TURGOT A.R.J. [1913h], p.276.
TURGOT A.R.J. [1913h], p.277.
30
TURGOT A.R.J. [1913e], p .217
31
TURGOT A.R.J. [1913b], p.132 et 139.
32
" et, de la variété infinie de ces circonstances, naît l’inégalité du progrès des nations. ", TURGOT A.R.J. [1913e], p.217.
33
" … la géographie, par là même qu’elle est le tableau du présent, varie sans cesse ; et puisque tout ce qui est passé a été
présent, l’histoire qui est le récit du passé, doit être une suite de ces tableaux de l’histoire du monde pris dans chaque moment.
Je parle de l’histoire universelle. " TURGOT [1913g], p.257
34
TURGOT A.R.J. [1913d], p.205
35
MONTESQUIEU [1973], TI, livre XVIII, 11. Les peuples sauvages sont des peuples de chasseurs formant de petites nations
dispersées et qui " par quelques raisons particulières, ne peuvent pas se réunir ", tandis que les barbares sont des peuples de
pasteurs qui forment " des petites nations qui peuvent se réunir ".
36
Voir l’ouvrage que Joseph-François Lafitau consacra aux Sauvages d’Amérique en 1722, LAFITAU J. F. [1983]. Lafitau
semble bien distinguer ces Sauvages d’Amérique des Barbares, terme qu’il utilise en référence à l’usage des grecs, dans un
29
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fait que le terme de " barbares " recouvre chez Turgot plusieurs sens, traduisant l’évolution sémantique du
mot 38 . C’est ce qui explique que la barbarie, chez Turgot, puisse prendre plusieurs visages.
Le barbare proche de la nature et vivant sous sa dépendance, et les barbares des sociétés construites sur
l’esprit de système ne nous apprennent pas la même chose. D’un enseignement sur la nature humaine,
on passe à une réflexion sur les institutions. Aussi, le sauvage, même s’il ne peut être un modèle, peut
nous indiquer la bonne direction alors que l’esprit de système doit être combattu sans pitié. Dans la
logique progressiste, la barbarie se manifeste à des degrés différents, et dépasse un simple mode de vie.
Les pires barbares restent les Turcs (tout comme chez Leibniz et chez Hume), des barbares sédentaires
dont les institutions empêchent même le développement de la sphère des besoins et par voie de
conséquence celui du commerce, de l’agriculture et de l’industrie.
Dès l’enfance, et les sauvages nous l’apprennent, l’homme est doué d’un certain nombre de passions,
douces et tumultueuses. En contact permanent avec la nature, l’expérience enseigne aux sauvages les
premières notions de toutes choses. " En effet, nos premières idées sont des sensations (…) elles
viennent de nos sens, de nos besoins "39 . Les " premiers hommes " se laissent conduire par " un instinct
aveugle " 40 ; " le sauvage qui ne sait pas consulter la nature sait souvent la suivre "41 . Il offre ainsi un
modèle à l’éducateur qui doit suivre dans l’éducation les voies empruntées par l’esprit humain dans
l’histoire42 .
Mais, il est aussi violent43 , habité par la haine et la vengeance plus fréquemment que l'homme civilisé.
Maintenant les femmes dans l’asservissement 44 , les barbares sont avides de richesses et suivent " le
penchant à la rapine en même temps que le vœu et le courage de la conservation "45 qui leur est inspirée
par l’avarice. L’avarice leur est familière tout comme à l’homme civilisé46 . Cette affirmation permet à
Turgot de ne pas rattacher ce vice à la richesse : l’avarice, cette passion que la morale réprouve, n’est
donc pas propre à l’accumulation du capital, qui a déjà atteint un haut niveau de développement au 18ème
siècle, elle n’est pas une passion civilisée, mais bien un trait naturel du caractère de l’homme. De
chasseurs, les barbares deviennent pasteurs en apprenant à élever des " animaux qui se laissent soumettre
développement sur les " langues barbares ", LAFITAU J. F. [1983], I, pp.48-50.
37
"Un coup d'œil jeté sur la terre nous met, même aujourd'hui, sous les yeux l'histoire même du genre humain, en nous
montrant les vestiges de tous ses pas et les monuments de tous les degrés par lesquels il est passé, depuis la barbarie, encore
subsistante, des peuples américains, jusqu'à la politesse des nations les plus éclairées de l'Europe. Hélas! nos pères, et les
Pélasges qui précédèrent les grecs ont ressemblé aux sauvages de l'Amérique!" TI p.302-303.
38
Voir REY A. [1998], p.325.
39
TURGOT A.R.J. [1913c], p.163, p.177.
40
TURGOT A.R.J. [1913e], p.234
41
TURGOT A.R.J. [1913f], p.244.
42
" Je ne suis point de ceux qui veulent rejeter les idées abstraites et générales : elles sont nécessaires ; mais je ne pense
nullement qu’elles soient à leur place dans notre manière d’enseigner. Je veux qu’elles viennent aux enfants comme elles sont
venues aux hommes, par degrés, et en s’élevant depuis les idées sensibles jusqu’à elles ", TURGOT [1913f], p.244.
43
" (…) les guerres et les querelles, dont les peuples barbares ne sont que trop ingénieux à se former des motifs ", TURGOT
[1913h], p.279.
44
TURGOT A.R.J. [1913h], p.282.
45
TURGOT A.R.J. [1913h], p.280.
46
" Que Zilia pèse encore les avantages réciproques du sauvage et de l’homme policé. Préférer les sauvages est une
déclamation ridicule. Qu’elle la réfute ; qu’elle montre que les vices que nous regardons comme amenés par la politesse sont
l’apanage du cœur humain ; que celui qui n’a point d’or est aussi avare que celui qui en a, parce que partout les hommes ont le
goût de la propriété, le droit de la conserver, l’avidité qui porte à en accumuler les produits. ", TURGOT [1913f], p.243.
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par les hommes, comme les bœufs, les moutons, les chevaux. " 47 Le goût, ou esprit de propriété est
ancré dans la nature humaine : il vient du sentiment de possession qui naît de la jouissance48 . L’instinct
de propriété se fait donc plus fort à mesure que s’étend leur richesse, et la taille croissante de leurs
troupeaux freine leurs déplacements : ils tombent en esclavage lors des combats qui les opposent aux
autres barbares. Ces barbares soumis constituent la force de travail des conquérants, propriétaires oisifs
qui restent mobiles et continuent de soumettre de nouveaux peuples, accroissant ainsi l’étendue de leur
propriété et de leur pouvoir49 .
Il est intéressant que Turgot distingue ici la propriété et la poursuite de l’intérêt : la propriété n’est pas
le moyen de satisfaire une quelconque passion (par exemple l’avidité) ; elle est une passion en soi.
Puisque l’homme en a naturellement le goût ; il est porté tout aussi naturellement à l’accroître et à en
tirer profit (parce qu’il est avide). La propriété est naturelle parce qu’elle ne se déduit pas d’autres
principes.
Mais les barbares ne sont pas seulement avides, belliqueux, haineux et violents. Ils sont aussi animés par
des passions douces. La tendresse maternelle que l’homme partage avec les animaux donne naissance à la
douce passion qu’est l’amour de la famille. Alors que la société l’éloigne de la nature, l’homme perd ce
sentiment primordial, qu’il lui faut donc retrouver grâce à une bonne éducation50 . Aimant vis-à-vis de sa
famille, le barbare n’aime pas pour autant son prochain comme lui-même ! Il est cruel envers
l'étranger51 .
Ces passions douces (ici l’amour) n'agissent que de manière très partielle et partiale par manque de
raison. Mais elles sont quand même la marque de la vertu. Alors que certains auteurs dénient à tous les
sauvages malgré leurs passions douces une quelconque vertu creusant ainsi un fossé insurmontable entre
l'homme sauvage (naturel) et l'homme civilisé (poli)52 , Turgot le voit dans toute son humanité, modèle
pour l'éducation et pour la raison, étape incontournable sur le chemin des progrès de l'esprit humain.
Plus fondamentalement, on peut dire que la volonté de ne pas opposer la raison aux sentiments permet
de sortir de l'alternative homme sauvage bon, homme civilisé perverti ou au contraire homme sauvage
perverti, homme civilisé bon. L'apologie de la raison conduit à une morale de l'homme adulte et civilisé,
alors que l'apologie du sentiment conduit à idéaliser l'humanité primitive53 . Le sensualisme et
l'historicisme de Turgot, en même temps qu'ils effacent l'opposition entre le sauvage et l'homme poli
47
TURGOT A.R.J. [1913h], p.279.
TURGOT A.R.J. [1913l1], p.379
49
TURGOT A.R.J. [1913h], p.280.
50
" (…) c’est la nature qui amène le mariage, c’est elle qui ajoute à l’attrait du plaisir l’attrait plus sensible encore de l’amour.
C’est cette même nature qui, par la sage providence du Souverain Etre, donne aux animaux une tendresse maternelle qui dure
précisément jusqu’au temps où cessera le besoin des petits. C’est elle qui rend leurs caresses si agréables à leurs parents. (…)
C’est une réflexion vraie que les liens de la société naturelle des familles ont perdu de leur force à mesure que la société
générale s’est étendue : la société a gêné la nature ; on a ôté à sa famille pour donner au public. ", TURGOT A.R.J. [1913f],
p.249
On notera que ces réflexions sur la dissolution du lien familial dans la société moderne, au profit du lien civil ( ou citoyen)
incarné dans l’Etat, se retrouvent également dans la Théorie des Sentiments moraux de Smith. SMITH A. [1976]
51
"Cet aveuglement partial envers sa patrie, jusqu’à ce que le christianisme et depuis la philosophie lui ait appris à aimer tous
les hommes, ressemble à cet état de ces animaux qui pendant l’hiver sont hérissés d’un poil épais et hideux qui doit tomber au
printemps… ", TURGOT A.R.J. [1913h], p.284
52
cf. EHRARD J. (1994), p.351.
53
cf. EHRARD J. [1994], p.349.
48
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7
(on dira peu de temps après l'homme civilisé), rendent absurde le mythe du bon sauvage, ou son
symétrique le barbare sanguinaire. La nature perd beaucoup de ses droits au profit du progrès.
Toutefois elle reste un référent puisque l'éducation doit permettre de retrouver les passions de l'homme
sauvage.. Le progrès de l'esprit humain éloigne l'homme de la source de ce progrès, les sensations
premières qui ont d'abord éveillé son esprit et l'on conduit à des sentiments vertueux. Et ce n'est qu'une
raison éclairée par la mise en évidence des processus d'apprentissage qui pourra reconstituer ce que
l'homme a perdu en ne vivant plus dans un contact étroit avec la nature. La nature n'est pas chez Turgot
celle de l'instinct égoïste, mais celle de l'amour désintéressé de la justice. L'homme est naturellement
porté à aimer la vertu54 . La vertu est un instinct moral. Comme le souligne Ehrard, le plus sûr moyen de
naturaliser la morale était de moraliser la nature55 . Turgot ne tombe pas pour autant dans l'idée d'une
morale innée que presque tout son siècle refuse56 . La vertu est une prédisposition que l'homme pourra
plus ou moins développer suivant la société dans laquelle il vit, la classe à laquelle il appartient,
l'éducation qu'il reçoit.
C'est cette idée d'une morale comme prédisposition qui permet de concilier le déterminisme historique et
la liberté. Comme être moral, développant son sens de la justice, l'individu est libre. Et cette liberté se
déploie dans l'histoire à travers les progrès de la vertu. Dans le même temps, l'homme est un être de
besoins, à partir desquels se développent des sentiments tels que l'avarice. Et ces besoins, tout comme les
sentiments qui en découlent, se déploient eux aussi dans l'histoire. Et même au niveau des besoins,
l'homme peut exercer sa liberté.
La vertu, comme les passions intéressées ou aveugles a son rôle à jouer dans l'histoire. Le progrès de
l'esprit humain ne supporterait l'absence ni de l'une, ni des autres. Mais le progrès de l'esprit humain, c'est
aussi le progrès de l'empire de la vertu sur les autres sentiments, qu'elle doit finalement canaliser. Ainsi, si
l'histoire justifie chez Turgot l'existence de ces passions qu'on a depuis rattaché au triomphe du
libéralisme économique et du capitalisme marchand, elle justifie aussi la régulation de ces passions par des
institutions chrétiennes vertueuses fondées sur l'amour d'autrui. Certes les passions qui animent les
commerçants sont des passions douces. Mais sans lois pour les coordonner, pas d'ordre et de tranquillité
dans l'Etat. Et c'est le christianisme qui, assis sur ces deux piliers, l'égalité et l'amour du prochain, peut
insuffler aux gouvernements l'autorité nécessaire au bonheur des sociétés57 .
Ici, l'originalité de Turgot ne porte pas sur le rapport de la raison aux passions. Nombreux sont les
moralistes qui reconnaissent aux passions le pouvoir de "mettre tout en mouvement" 58 , et qui
demandent toutefois à ce que celles-ci soient encadrées par la raison. L'originalité de Turgot porte d'une
part sur cette volonté de concilier la nature et la religion, et d'autre part sur cette approche historique
des passions et de la raison qui permet de comprendre que dans certaines circonstances, la raison est
impuissante, que les passions gouvernent le monde dans un chaos indescriptible qui ne pourra révéler qu'a
54
TURGOT [1913h], p.277
EHRARD J. (1963), p.788.
56
EHRARD J.[1994], p.371. Pour les débats sur le sens moral, cf. JAFFRO L. [2000].
57
"Faire le bonheur des sociétés, en assurer la durée, voilà le but et la perfection de la politique." TI, p.206.
58
Fontenelle B. [1764-1766], cf. EHRARD J.[1994], p.375.
55
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8
posteriori sa nécessité. Dans cet univers, les passions réalisent une fin qui les dépasse.
2. Sensations et sentiments
Contrairement à Hume, Turgot ne met pas sur le même plan les émotions et les passions59 . Les passions
se développent sous l’emprise des émotions. Contrairement aux sensations, et donc aux émotions, les
passions ont un caractère historique. Le passage du stade de chasseurs au stade de pasteurs, puis du stade
de pasteur au stade de cultivateurs, s’accompagnant de progrès de l'inégalité et de la productivité, dégage
du temps de loisir qui permet le développement de nouvelles passions60 .
Les passions agissent comme les sensations, elles permettent le développement des idées, dans les
moments où la raison est impuissante parce qu’immature61 .
On l’a évoqué, les passions peuvent être regroupées en deux catégories : les passions douces et les
tumultueuses. Il est des passions douces, " la générosité, les vertus, les affections douces "62 , " qui sont
nécessaires et qui se développent d’autant plus que l’humanité est perfectionnée "63 . Il est des passions
tumultueuses, destructrices, qui dominent dans les temps de barbarie64 et que Turgot oppose à la raison.
naturelle, qui sont aussi nécessaires. Sans elles, pas de progrès de l’esprit humain. Les passions douces,
elles, ne sont pas opposées à la raison. Au contraire, fruits des lois qui forment les mœurs, les passions
douces correspondent dans l’ordre des sentiments au progrès de la raison :
" Aussi paraît-il que, dans ces derniers temps, la générosité, les vertus, les affections douces
s’étendant toujours, du moins eu Europe, diminue l’empire de la vengeance et des haines
nationales. "65
De fait, il est difficile de distinguer passions douces et raison, puisque la vertu, rangée aux côtés de la
générosité ou des affections douces, est le propre même de la raison66 . Toutefois, bien que Turgot ne soit
pas très explicite sur ce point, on peut aussi considérer que la vertu naît des passions douces. Ainsi, de la
sensibilité aux malheurs des autres naît la charité qui est une vertu67 .
En fait, les passions sont façonnées par l’expérience. Dans la sphère des sentiments, les besoins jouent
un rôle spécifique. De la sensation de faim naît le besoin de manger qui est un sentiment pouvant prendre
des formes variées. Ce sentiment, sous l’influence de l’expérience, donne lieu à d’autres sentiments, en
particulier la prévoyance, l’épargne, et autres passions douces qui jugulent les passions tumultueuses.
Pour donner un exemple, les laboureurs, trop occupés à travailler, sont peu enclins aux conquêtes, fruits
de la haine et de la vengeance. Parmi les besoins, Turgot distingue les besoins naturels et les besoins
artificiels. Il s’étend peu sur cette distinction, qui laisse supposer que les besoins naturels seraient les
59
Hume classe les émotions, les désirs et les passions dans les impressions de réflexion. Cf. RAWLS J. [2000], pp.24 et
suivantes ; et HUME D. [1991] I-8.
60
Cf. TURGOT A.R.J. [1913e] 218 et TURGOT [1913h] p.283.
61
" … ainsi les passions ont multiplié les idées, étendu les connaissances, perfectionné les esprits, au défaut de la raison dont
le jour n’était pas venu et qui eut été moins puissante si elle eût régné plus tôt. " TURGOT [1913h], p.283
62
TURGOT A.R.J. [1913h] p.284.
63
TURGOT A.R.J. [1913h] p.284.
64
TURGOT A.R.J. [1913h] p.284.
65
ibid.
66
TURGOT A.R.J. [1913h] p.283.
67
TURGOT A.R.J. [1913d] p.202.
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9
besoins primaires liés à la conservation de soi, et les besoins artificiels ceux que l’imagination peut créer.
Les besoins ont donc eux aussi un caractère historique. Et Turgot peut penser une dynamique historique
fondée sur les besoins68 .
L'histoire de Turgot, contrairement à l'histoire concrète de Montesquieu69 remet radicalement en cause
l'idée de besoins naturels. Les besoins, qui se développent dans l'histoire, acquièrent ainsi un caractère
social. Ils sont le produit de l'organisation sociale, des institutions, du peuplement… Assez curieusement,
c'est cette construction sociale des besoins qui permet de naturaliser l'économie. Car derrière la diversité,
des peuples, il y a bien la diversité des besoins. Mais derrière la diversité des besoins, c'est toujours le
même homme que l'on rencontre. L'égalitarisme de Turgot, enfant du christianisme70 , transforme les
diversités des peuples en autant d'étapes de leur développement, et ainsi naturalise l'économie, puisque
celle-ci doit emprunter les mêmes voies chez les différents peuples. Il participe ainsi à la construction de
cette utopie du marché fondée sur le caractère naturel de l'échange, où l'homme déploie sa nature sociale,
du troc primitif jusqu'à l'accumulation capitaliste en exerçant son instinct de propriété. Et ce d'autant que
la diversité historique dévoile le caractère naturel de l'inégalité, conséquence des nécessités physiques et
des causes morales. A la diversité dans la fertilité des sols, on peut adjoindre une cause beaucoup plus
puissante, la diversité dans le caractère des hommes, l'économie des uns s'opposant à la dissipation, à
l'indolence et à l'inaction des autres. La description du processus historique rejoint ici le modèle de
médiocrité de biens71 que certains ont référé aux valeurs d'une noblesse d'office72 , soucieuse de l'intérêt
de l'Etat, et d'autres aux intérêts de la bourgeoisie 73 , deux références dont la figure emblématique de
Turgot semble incarner.
Bien qu’historiques, culturels, les besoins de l’homme sont bornés74 , et les facultés pour les obtenir le
sont encore plus, si bien que Turgot inscrit sa théorie de la valeur dans l’ordre de la rareté.
Le premier commerce est avec la nature, qu’il faut payer de son temps et de son travail pour satisfaire
ses besoins. Ce commerce initial va permettre à l’homme de développer ses capacités à ordonner ses
différents besoins, à établir des priorités dans la satisfaction de ses besoins :
" Lorsque ce sentiment, qui d’abord n’était que momentané, prend un caractère de permanence,
c’est alors que l’homme commence à comparer entre eux ses besoins, à proportionner la
recherche des objets, non plus uniquement à l’impulsion rapide du besoin présent , mais à l’ordre
68
" Le sauvage borne ses désirs à la satisfaction du besoin présent et quelque soit la quantité des objets dont il peut user, dès
qu’il en a pris ce qu’il lui faut, il abandonne le reste, qui ne lui est bon à rien.
L’expérience apprend cependant à notre sauvage que, parmi les objets propres à ses jouissances, il en est quelques-uns que
leur nature rend susceptibles d’être conservés pendant quelque temps et qu’il peut accumuler pour le besoins à venir : ceux-là
conservent leur valeur, même lorsque le besoin du moment est satisfait. Il cherche à se les approprier, c’est-à-dire à les mettre
dans un lieu sûr où il puisse les cacher ou les défendre. On voit que les considérations qui entrent dans l’estimation de cette
valeur, uniquement relative à l’homme qui jouit ou qui désire, se multiplient beaucoup par ce nouveau point de vue qu’ajoute
la prévoyance au premier sentiment de besoin. ", TURGOT [1923], p.85-86.
On notera d’ailleurs que cette dynamique des besoins a des conséquences sentimentales inattendues : le développement de
l’amour de l’humanité à mesure que se resserrent les liens des besoins mutuels, TURGOT [1913d], 210.
69
Cf. EHRARD J. [1994], p.721.
70
Cf. TURGOT A.R.J. [1913d], p.200-201.
71
CHANTREL L. [1989].
72
HUPPERT G. [1983].
73
EHRARD J. [1994], p.386.
74
" En y réfléchissant, nous verrons que la totalité des objets nécessaires à la conservation et au bien-être de l’homme forment,
si j’ose ainsi parler, une somme de besoins qui, malgré toute leur étendue et leur variété, est assez bornée. ",TURGOT A.R.J.
[1923], p.87.
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de nécessité et d’utilité des différents besoins. "75
En d’autres termes, besoin et rareté contraignent l’homme à développer sa raison.
III Raison et histoire
Les progrès de l’esprit humain peuvent être compris comme des progrès de la raison. Mais la conscience
de ces progrès ne s’acquiert qu’à travers les yeux du philosophe ; il n’est pas nécessaire que les hommes
aient conscience de réaliser le progrès pour que celui-ci se réalise effectivement. Le progrès n’étant pas
fondé sur la conscience, il existe hors de la raison. Et l’Histoire de Turgot s'oppose à la logique du
contrat social 76 : point de construction rationnelle de la société, mais des trajectoires diverses 77 . Les
lois imparfaites, reflet de la raison et de la justice, ne doivent pas être fixées78 . Ainsi, Turgot historicise
le rapport de la raison aux passions. De la célèbre phrase de Hume soumettant la raison aux passions, ou
encore des propos de Condillac qui attribue aux passions la puissance de mettre l'entendement en
mouvement 79 , Turgot retient des processus qui peuvent être transposés dans l'étude historique. Cela
change considérablement la définition de la raison. Car celle-ci n'est pas seulement sujette à l'erreur,
trompée par exemple par l'imagination80 , ou par l'esprit de système, elle est surtout imparfaite car liée à
une étape du processus historique. Si les passions, principes du mouvement n'étaient pas là pour renverser
une raison imparfaite mais sûre d'elle, le progrès de l'esprit humain serait arrêté depuis longtemps.
" Celle-ci (la raison), qui est la justice elle-même, n’aurait enlevé à personne ce qui lui appartenait,
aurait banni à jamais la guerre et les usurpations, aurait laissé les hommes divisés en une foule de
nations séparées les unes des autres, parlant des langues diverses.
Borné, par conséquent dans ses idées, incapable des progrès en tout genre de l’esprit, de sciences,
d’arts, de police, qui naissent de la réunion des génies rassemblés de différentes provinces, le genre
humain serait resté à jamais dans la médiocrité. "81
L'histoire de Turgot repose sur le jeu de plusieurs forces de mouvement, qu'il faut chercher du côté des
passions, de l'intérêt, et même du vice82 . Et si l'économie joue un rôle important dans l'histoire, c'est
surtout parce que des besoins naissent des passions douces ou des passions violentes, qui font agir
l'homme, et changent la société. Seules les passions tumultueuses et dangereuses, opposées à la raison et à
la justice, sont capables de faire sortir les sociétés de la torpeur dans laquelle les plongent les lois bien
réglées. La raison doit donc attendre que vienne son temps : la fin de l'histoire.
75
TURGOT A.R.J. [1923], p.86.
BINOCHE B. [1994], p.55.
77
TURGOT A.R.J. [1913h] p.276-277.
78
" la raison et la justice, mieux écoutées, auraient tout fixé, comme cela est à peu près arrivé en Chine. Mais ce qui n’est
jamais parfait ne doit jamais être entièrement fixé.", TURGOT A.R.J. [1913h], p.283.
79
L' influence des passions est si grande, que souvent sans elles l'entendement n'auroit presque point d'exercice, et que pour
avoir de l'esprit, il ne manque quelquefois à un homme que des passions. Elles sont même absolument nécessaires pour
certains talens. Mais une analyse des passions appartiendroit plutôt à un ouvrage où l'on traiteroit des progrès de nos
connoissances, qu'à celui où il ne s' agit que de leur origine". In Condillac [1746], p.151-152.
80
CONDILLAC E. [1746], Introduction, p.VIII.
81
TURGOT A.R.J. [1913h], p.283.
82
"Il faut que les lois "sachent diriger au bonheur public les intérêts, les passions et les vices mêmes des particuliers",
TURGOT A.R.J. [1913d], p.206.
76
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1. Les forces à l'œuvre dans l'histoire
Du point de vue des différentes phases du progrès, la référence à la Théorie des quatre stades83 , dont trois
seulement sont explicitement définis par Turgot, doit être circonscrite à l’analyse du mode subsistance84 .
Le développement moral qui va de la sauvagerie à la civilisation est un processus lent et graduel dont il
est difficile de définir précisément des étapes. La seule rupture véritablement importante est l’apparition
du christianisme qui, alors même que les hordes barbares déferlent sur l’Europe, détruisant la civilisation,
assure la continuité du progrès moral et, surtout, définit, avec la véritable perfection de l’esprit humain,
l’horizon de l’histoire.
Comme on l'a dit, l'historien utilise deux méthodes différentes : la chronologie et la géographie politique.
La chronologie ne peut commencer qu’avec l’écriture qui procure des connaissances effectives sur les
sociétés anciennes85 . La géographie politique permet d’observer l'existence de nations sans écriture86 . Et
le philosophe peut alors rechercher " comment les hommes ont pu se répandre sur la terre et les sociétés
politiques s’organiser "87 . A ce moment, ce n’est plus l’homme de foi qui s’exprime, mais bien
l’historien philosophe88 . La bible n'a plus sa place dans cette histoire. Ce livre donne simplement " un
nouveau point de départ, semblable à celui qui aurait eu lieu, quand les faits qu’il nous raconte ne seraient
pas devenus un objet de notre foi "89 .
L'historien peut identifier trois états distincts de la production, et, à l’intérieur même du stade agricole,
différents modes de propriété et d’organisation du travail. L’analyse économique permet de les
hiérarchiser en fonction de la productivité du travail. Cette dernière fonde la construction rationnelle
d’une succession logique de ces stades ainsi que l’explication d’une transformation des régimes de
propriété foncière et d’exploitation du sol. Le stade agricole prend naissance dans la barbarie : il ne
constitue pas une rupture dans le développement moral. Il s'inscrit dans la continuité de l'histoire.
Turgot consacre peu de pages aux stades des chasseurs et des pasteurs. En effet, à travers la propriété de
la terre, le stade agricole est véritablement la condition d’un développement continu des inégalités
reposant sur la propriété et permettant un progrès indéfini de la richesse. Le stade agricole est
indissociable du développement de l’industrie et du commerce puisque le développement de la division du
travail, qui permet l’accroissement de la productivité agricole, repose sur le développement du
commerce et de l’industrie90 . Il assure ainsi la pérennité politique de la classe des propriétaires fonciers,
mise à mal, chez Smith par exemple, par l’extension de la division du travail et des échanges91 .
83
Sur la théorie des quatre stades et son émergence, voir MEEK R. [1971] et POCOCK J. [1985]. On trouve chez FINZI R.
[1982] et MORANGE J. [1982], des développements sur la théorie des stades chez Turgot, notamment sur l’absence d’un
quatrième stade.
84
Voir FINZI R. [1982].
85
TURGOT A.R.J. [1913j], p.337.
86
Cette distinction permet d'expliquer que tantôt Turgot écrit que l'histoire commence avec l'écriture, tantôt qu'il situe le
point de départ de son étude après le déluge au moment où les hommes se sont dispersés sur la terre.
87
TURGOT A.R.J. [1913h], p.278.
88
La Bible " donne à ces intéressants événements un nouveau point de départ, semblable à celui qui aurait eu lieu, quand les
faits qu’il nous raconte ne seraient pas devenus un objet de notre foi ." TURGOT A.R.J. [1913h] 278.
89
TURGOT A.R.J. [1913h], p.278.
90
Turgot n’a pas besoin de distinguer un quatrième stade.
91
Dans le Livre 5 de la Richesse des nations, après avoir défini plusieurs modes de subordination indispensables au maintien
des gouvernements civils, Smith explique en quoi les stades pastoral et agricole se caractérisent par une subordination par la
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Il ne faut pas confondre développement de la richesse et progrès de l’histoire : le développement de la
richesse n’est qu’une composante du progrès et il est limité par un certain nombre de conditions qui
relèvent de l’organisation sociale et du degré de moralité. Ce qui permet le progrès, ce sont les
révolutions permanentes les guerres, les invasions.
Comme nous l’avons vu, les passions violentes prédominent chez les barbares, et c’est ce qui fait leur
force du point de vue de l’histoire, puisque " les passions tumultueuses, dangereuses, sont devenues un
principe d’action et par conséquent de progrès "92 .
Les barbares pasteurs sont des hommes qui déjà disposent de loisirs et de possessions. Ces deux qualités
développent le goût de la conquête, qui joue un rôle fondamental dans le progrès en assurant le mélange
des peuples, la naissance de nouvelles langues, et le poliçage des sauvages. L’histoire repose sur un
mouvement permanent et violent, et " ce n’est que par les bouleversements et les ravages que les nations
se sont étendues, que la police, les gouvernements se sont perfectionnés à la longue "93 .
Le progrès se construit sur les ruines des civilisations anciennes, la destruction de lois imparfaites, la
dissolution de frontières trop étroites. Certes, ces destructions se paient d’un recul des arts et des
sciences… d’un arrêt du progrès :
" Les barbares vinrent interrompre les progrès, mais cette conquête même poliça tout le nord de
l’Europe ; voilà un progrès réel pour le genre humain dans la ruine apparente des sciences et des
arts. "94
Plus d’une fois, le monde a été le théâtre de ces mélanges heureux qui suivent les invasions95 , mais les
vagues barbares qui firent chuter l’empire romain furent trop nombreuses, trop peu espacées, pour qu’une
telle assimilation puisse se faire : l’Europe toute entière fut plongée dans un " spectacle désolant ",
recouverte " de nouvelles ruines et de nouvelles ténèbres "96 .
Pour autant le Moyen Age ne peut être interprété comme une période de régression qui remettrait en
question l’idée d’un progrès continu. L’ampleur de ces phénomènes amène certes Turgot à présenter le
Moyen Age comme un " canal souterrain "97 , mais la solution n’est pas que métaphorique. La continuité
richesse, en particulier du fait de la dépendance matérielle des individus vis-à-vis des propriétaires fonciers : une multitude
dépend d’un seul (cette subordination s’accompagne d’une plus grande facilité à sympathiser avec les riches, amplement
développée dans la Théorie des sentiments moraux). De fait, l’extension de l’échange (en particulier du marché du travail) et
de la division du travail, en faisant dépendre chacun de tous, réduit considérablement le pouvoir des propriétaires fonciers.
Leur pouvoir s’étiole ainsi progressivement, au profit d’un Etat supposé plus impartial qui respecte équitablement les intérêts
des riches et des pauvres. De surcroît la nouvelle classe économiquement dominante, les capitalistes, s’assure d’une influence
politique grandissante (au détriment des propriétaires) grâce à la corruption du pouvoir politique, comme l’a montré la
période mercantiliste étudiée dans le Livre 4 de la Richesse des Nations. Sur la philosophie de l’histoire chez Smith, voir
PREVOST B. [2002].
92
TURGOT A.R.J. [1913h] p.283. "Il est des passions douces qui sont toujours nécessaires et qui se développent d'autant plus
que l'humanité est perfectionnée ; il en est d'autres violentes et terribles, comme la haine, la vengeance, qui sont plus
développées dans les temps de barbarie ; elles sont naturelles aussi, par conséquent nécessaires aussi : leurs explosions
ramènent aux passions douces et les améliorent. C'est ainsi que la fermentation véhémente est indispensable à la confection
des bons vins.", TURGOT [1913h] p.284
93
TURGOT A.R.J. [1913h] p.285.
94
TURGOT [1913b], p.137.
95
" le spectacle d’un peuple policé envahi par les barbares, qui leur communique ses mœurs, son langage, ses connaissances,
et les force de ne faire avec lui qu’un seul peuple ", TURGOT A.R.J. [1913e], p.228.
96
TURGOT A.R.J. [1913e], p.230.
97
" Les faits s’amassaient dans l’ombre des temps d’ignorance, et les sciences dont le progrès, pour être caché, n’en était pas
moins réels, devaient reparaître un jour, accrues de ces nouvelles richesses, et telles que ces rivières qui, après s’être dérobées
quelque temps à notre vue dans un canal souterrain, se montrent plus loin grossies de toutes les eaux filtrées à travers la
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13
du progrès est réelle, elle est assurée par les arts mécaniques, et par la philosophie98 .
En effet, les arts mécaniques reposent sur le développement des besoins et opposent une résistance plus
grande à la barbarie que les arts qui reposent sur des causes purement morales99 . Le concept de cause
morale n’est pas défini dans le texte auquel il est ici fait référence 100 . Ailleurs, Turgot oppose causes
physiques et causes morales, mais il donne une définition extrêmement extensive du concept de cause
morale et très restrictive du concept de cause physique101 :
" Par causes morales, j’entends toutes les circonstances qui peuvent influencer l’âme en qualité de
motifs ou de raisons et nous faire contracter certaines habitudes. De ce genre, sont la nature du
gouvernement, les révolutions dans les affaires publiques, l’aisance ou la misère du peuple, la
situation de la nation relativement à ses voisins, et les autres circonstances pareilles. Par causes
physiques, j’entends les qualités de l’air et du climat. "102
Les différentes dispositions naturelles des hommes, l’inégalité à la naissance relèvent aussi de causes
physiques : arrangement plus ou moins heureux des fibres du cerveau, plus ou moins de force ou de
délicatesse dans les organes des sens103 … Qu’il s’agisse du climat, ou des dispositions naturelles des
hommes, dans tous les cas, Turgot se méfie des causes physiques : il ne faut y recourir dans l’explication
que lorsqu’on a épuisé les causes morales104 . L’inégalité réelle entre les âmes nous sera toujours inconnue
et ne pourra jamais être l’effet de nos raisonnements105 . Par conséquent, il faut croire que le
développement des arts mécaniques comme celui des arts s’explique par des causes morales, mais pas
" purement morales "106 . En fait le commerce se soutient par lui-même, tant que les besoins n’ont pas
été réduits à leur aspect le plus rudimentaire, ce qui arrive seulement sous le despotisme des Turcs qui
détruit tout désir, toute passion chez les hommes.
Et pendant tout le Moyen Age les arts mécaniques vont se développer et s’enrichir de " mille
découvertes nouvelles sans qu’aucune un peu importante se soit perdue. La marine s’est perfectionnée et
même l’art du commerce "107 . De même les sciences spéculatives perdurent, parce qu’elles reposent sur
un support matériel, les livres qui, tant que la langue dans laquelle ils sont écrits reste connue, assurent la
transmission des connaissances, parce qu'on n’oublie pas ce qu’on a su108 . Toutefois, elles ne peuvent se
développer car l’absence de liberté empêche les développements de la physique, nécessaires au
développement de la métaphysique109 . Enfin, la diffusion du christianisme porteur des vertus
indispensables au progrès permet l’apparition de la scolastique, philosophie bien supérieure, du point de
terre ",TURGOT A.R.J. [1913e], p.231.
98
Sur ce point, cf. FINZI R. [1982].
99
TURGOT A.R.J. [1913b], p.119.
100
Toutefois suit une liste de causes purement morales : " un esprit de langueur, de mollesse répandu dans une nation, la
pédanterie, le mépris des gens de lettres, la bizarrerie du goût des Princes, leur tyrannie… ", TURGOT A.R.J. [1913b], p.119.
101
Montesquieu distingue de la même manière ces deux ordres de causes. MONTESQUIEU C.L. [1748], livre XIX, chapitre 4.
102
TURGOT A.R.J. [1913j], p.339
103
TURGOT A.R.J. [1913b], p.139.
104
TURGOT A.R.J. [1913b], p.140. Turgot est très certainement injuste avec Montesquieu en surévaluant l'importance des
causes physiques chez celui-ci.
105
TURGOT A.R.J. [1913b], p.139.
106
cf. liste note 100.
107
TURGOT A.R.J. [1913h], p.119.
108
" on n’oublie point ce que l’on a su. On ne perfectionne point les sciences parce qu’il y a peu d’hommes et par conséquent
peu de génies qui s’y appliquent ; mais on ne les perd pas entièrement " (TURGOT A.R.J. [1913h], p.119).
109
TURGOT A.R.J. [1913b], p.118.
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14
vue de Turgot, à celle des Anciens110 .
Si les passions constituent le principe de mouvement historique, le progrès ne peut néanmoins pas se
passer de la raison. Mais cette dernière, progressant dans l’histoire, avec la science et la philosophie, ne
peut être un principe directeur de la vie sociale qu’une f ois parvenue à sa perfection.
2. Le triomphe de la raison
Une première lecture pourrait laisser croire qu’agissent des ruses de l’histoire, rendant la raison inutile :
" Et les ambitieux eux-mêmes, en formant les grandes nations, ont contribué aux vues de la
Providence, au progrès des lumières, et par suite à l'accroissement de bonheur du genre humain qui
ne les occupait pas du tout. Leurs passions, leurs fureurs mêmes, les ont conduits sans qu'ils sussent
où ils allaient. Je crois voir une armée immense dont un vaste génie dirige tous les mouvements. A
la vue des signaux militaires, au bruit tumultueux des trompettes et des tambours, les escadrons
entiers s'ébranlent, les chevaux mêmes sont remplis d'un feu qui n'a aucun but; chaque partie fait sa
route à travers les obstacles sans connaître ce qui peut en résulter ; le chef seul voit l'effet de tant
de marches combinées… " 111
Mais en fait, la raison a bien un rôle à jouer. Il existe en fait deux définitions de la raison chez Turgot.
La première est relative à nos capacités à combiner nos idées 112 . La seconde est relative à la vertu :
raison est justice113 . La liberté portée par le christianisme soutient à la fois l’une et l’autre. Il s’avère
donc que la raison a un pouvoir de persuasion donc un pouvoir d’action qui devient indispensable au fur
et à mesure que l’histoire éloigne l’homme de la nature : c’est là le suprême effort de la raison " de se
ramener par la réflexion où les premiers hommes avaient été conduits par un instinct aveugle "114 .
Pour Turgot, la vérité est un principe actif, elle a le pouvoir de convaincre et, " les hommes plus
éclairés, plus vertueux, plus heureux, goûtent et découvrent tout à la fois les avantages du
christianisme "115 .
La force du christianisme, c’est d’une part l’amour du prochain, et d’autre part l’idée corollaire qu’est
l’esprit d’égalité. L’amour du prochain permet de dépasser les affrontements d’intérêts 116 en élevant
l’homme au-dessus de ses intérêts égoïstes117 . La vertu est bien régulatrice du lien social. Mais elle n’agit
pas ex nihilo : elle agit par l’intermédiaire des passions douces et permet l’apparition d’institutions
justes, nécessaires à son plein épanouissement118 .
110
" Instruits par elle (la Révélation), nos théologiens scolastiques, tant décriés par la sécheresse de leur méthode, n’ont-ils
pas dans le sein même de la barbarie, des connaissances plus vastes, plus sûres et plus sublimes sur les plus grands objets ? ",
TURGOT A.R.J. [1913d], p.198.
111
TURGOT A.R.J. [1913h], p.283.
112
C’est en tout cas ce qu’on peut penser dans ce passage à propos des inégalités entre les hommes : " Il est des esprits à qui la
nature à donner une mémoire capable de rassembler une foule de connaissances, une raison exacte capable de les comparer, de
leur donner cet arrangement qui les met dans tout leur jour… ", TURGOT A.R.J. [1913b], p.132
113
TURGOT A.R.J. [1913h], p.283.
114
TURGOT A.R.J. [1913e], p.234.
115
TURGOT A.R.J. [1913d], p.197.
116
Il permet également, comme on l’a vu, de dépasser la haine de l’étranger.
117
" La nature a donné à tous les hommes le droit d’être heureux : des besoins, des désirs, des passions, une raison qui se
combinent en mille manières sont les forces qu’elle leur a données pour y parvenir. Mais trop bornés dans leurs vues, trop
petitement intéressés, presque toujours opposés les uns aux autres dans la recherche des biens particuliers, les hommes
avaient besoin d’une puissance supérieure qui embrassant dans ses desseins le bonheur de tous, pût diriger au même but et
concilier tant d’intérêts différents ", TURGOT A.R.J. [1913d], p.205-6.
118
" (…) et il n’est que plus glorieux pour elle d’avoir pu arracher les hommes à leur intérêt sans aucun précepte, et seulement
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L’éducation est un moyen essentiel à la progression des passions douces, à condition qu’elle donne le
goût, le désir d’être vertueux, plutôt que de contraindre une nature qui naturellement se porte vers ces
sentiments119 .
La crainte d’un " Dieu qui voit tout " est également essentielle : elle inspire aux hommes la soumission à
" des lois intérieures ", " des mœurs ". Cette soumission touche tous les hommes emprunts de l’esprit du
christianisme ; elle subordonne jusqu’aux rois, que les lois n’atteignent pas120 .
L’esprit d’égalité, quant à lui, " bannit la pauvreté et le luxe "121 et " conserve, avec la liberté, la vertu et
la simplicité des mœurs " ; les arts se répandent sans les vices122 .
Le christianisme permet à l’homme de s’élever au-dessus de lui-même et d’envisager " toutes les nations
et toutes les conditions d’un point de vue équitable " 123 . La liberté peut alors se fonder sur l’esprit
d’égalité 124 .
Néanmoins, il convient ici de distinguer clairement égalité formelle et égalité réelle : les hommes
aspirent à l’égalité réelle mais ne peuvent pas l’atteindre125 . De fait, cette égalité réelle s’accompagne
nécessairement d’une inégalité formelle. Ainsi, le dessein de Lycurgue voulant établir l’égalité réelle
entre les citoyens repose sur l’esclavage et nie donc l’égalité entre les hommes126 . Qui plus est, l’égalité
réelle constitue un frein puissant au progrès, car lorsque l’égalité est établie, plus personne ne veut
travailler. Sans l’inégalité,
" qui perfectionnera les arts utiles ? Qui secourra les infirmes ? Qui étendra les lumières de
l’esprit ? Qui pourra donner aux hommes et aux nations cette éducation tant particulière que
générale qui forme les mœurs ? Qui jugera paisiblement les querelles ? Qui donnera un frein à la
férocité des uns, un appui à la faiblesse des autres ? "127
L’inégalité seule peut assurer l’existence d’une classe oisive à qui revient la charge d’assurer toutes ces
fonctions : devant se rendre terrible ou utile à la classe laborieuse, l’histoire et le progrès l’amènent à
être plus utile que redoutable128 .
L’inégalité réelle est d’autant moins condamnable qu’elle est non seulement utile mais naturelle : elle
en adoucissant peu à peu leurs esprits, en inspirant à leurs cœurs l’humanité et la justice ; par elle seule, les lois n’ont plus été
l’instrument de l’oppression ; enfin elles ont tenu la balance entre les puissants et les faibles ; elles sont devenues
véritablement justes ", TURGOT A.R.J. [1913d] 210-1.
119
" Ne dites pas à votre fils : soyez vertueux, mais faites-lui trouver du plaisir à l’être ; développez dans son cœur le germe
des sentiments que la nature y a mis. ", TURGOT A.R.J. [1913f], p.244.
120
TURGOT A.R.J. [1913d] p.212.
121
On retrouve là encore l'idéal de médiocrité de biens, le rejet du comportement de consommation de la noblesse ancienne,
qui vivant dans le luxe ne peut investir sur la terre et menace la reproduction du circuit économique.
122
TURGOT A.R.J. [1913d], p.205.
123
TURGOT A.R.J. [1913d], p.209.
124
TURGOT A.R.J. [1913d], p.209.
125
TURGOT [1913f], p.243. Si Turgot n’utilise pas les termes d’égalité formelle et réelle, il précise bien que l’inégalité dans
les fortunes est nécessaire (TURGOT [1913f] 242). C'est ce qu'il appelle curieusement l'inégalité des conditions et que nous
appelons l'inégalité réelle. En ce qui concerne la critique d’une trop grande inégalité, celle-ci renvoie la plupart du temps à la
critique de l’esclavage, à l’absence de reconnaissance des droits de l’humanité, à l’assujettissement des femmes, termes qui
peuvent attachés à la nécessité d’établir une égalité formelle. Celle-ci est d’ailleurs au fondement de la monarchie que Turgot
défend comme forme politique achevée. Mais la trop grande inégalité renvoie aussi à une trop grande misère qui ne peut être
prise en charge par des institutions dans les sociétés trop pauvres et où l’amour du prochain ne régit pas les cœurs.
126
TURGOT A.R.J. [1913d], p.207.
127
TURGOT A.R.J. [1913f], p.243
128
TURGOT A.R.J. [1913e], p.218.
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découle à la fois de différences dans la composition même des individus129 que dans leurs comportements.
Le besoin est à l’origine du comportement d’épargne qui explique le processus d’accumulation compris à
partir du comportement de l’individu. L’inégalité dans les propriétés est très largement fonction des
différences de comportement entre les individus 130 : différences qui relèvent aussi bien les capacités
naturelles de chacun que de la disposition à travailler et à épargner131 . Le niveau de l’accumulation du
capital est le résultat d’un processus historique qui détermine le niveau des taux d’intérêt. Autrement dit,
le montant des profits n’est pas le résultat d’un partage de la valeur entre salaires et profits, mais le
résultat d’une accumulation préalable fondée sur l’épargne.
Mais tout ne repose pas sur le comportement de l’individu. Le passage d’une forme de propriété à une
autre permet d’illustrer l’importance des lois, des institutions, des mœurs dans le processus de
développement économique. Turgot reste ainsi fidèle à la méthode qu’il définit dans le " premier
discours "132
Différentes formes d’exploitation de la terre (propriétaires engageant des ouvriers payés à prix fixes),
esclavage (propriétaires faisant travailler des esclaves), vasselage (propriétaires qui renoncent quasiment
à la propriété de la terre en échange d’une rente), colonage partiaire (métayage), fermage (capitalistes
qui louent la terre aux propriétaires fonciers) accompagnent le processus de développement. Ces
différentes formes se superposent évidemment dans l’espace. Le fermage correspond aux pays riches
dont les terres sont toutes appropriées. Il suppose bien sûr une accumulation préalable du capital en
dehors des mains des propriétaires de terres, puisque ce sont les fermiers qui font les avances nécessaires
à la culture des terres133 . Pour que le pays soit déjà riche, il faut non seulement le temps à l’épargne de se
constituer, mais il faut également que les lois soient devenues suffisamment bonnes, les mœurs douces,
autrement dit que les nations soient policées.
La disparition progressive de l’esclavage repose sur la combinaison des contraintes économiques avec
l’organisation des sociétés et les progrès des mœurs134 . D’autre part, les habitudes qui jouent un rôle très
important dans le progrès des mœurs 135 permettent la dissolution de l’esclavage dans le servage. Les
esclaves habitués à vivre à l’endroit où ils sont nés s’y attachent, ils reconnaissent le lieu comme leur
patrie et le maître n’a plus besoin de les soumettre par la force.
129
Leur génie, leurs talents…
La première cause de l’inégalité est le goût du travail, les différences de caractère (l’inquiétude), et les différences de
besoins (taille de la famille). Deuxième cause d’inégalité : l’inégale fertilité des sols ; troisième cause : la taille des familles
(l’héritage). TURGOT A.R.J. [1914a], p.540.
131
" Le contraste de l’intelligence, de l’activité et surtout de l’économie des uns avec l’indolence, l’inaction et la dissipation
des autres, fut un quatrième principe d’inégalité, et le plus puissant de tous. ", TURGOT A.R.J. [1914a], p.540.
132
" J’envisagerai dans la première partie les effets de la religion chrétienne sur les hommes considérés en eux-mêmes. Ses
effets sur la constitution et le bonheur des sociétés politiques seront l’objet de la seconde ; L’humanité et la politique
perfectionnées le renfermeront tout entier. ",TURGOT A.R.J. [1913d], p.196.
133
TURGOT A.R.J. . [1914a], p.549-550. " Cette dernière méthode est la plus avantageuse de toutes, mais elle suppose un pays
déjà riche. ", TURGOT A.R.J. [1914a], p.550.
134
" Lorsque les hommes se rassemblent en grandes sociétés, les recrues d’esclaves cessent d’être assez abondantes pour
subvenir à la consommation qu’en fait l’agriculture… Il (l’esclavage) s’anéantit parce que les nations se policent, elles font
entre elles des conventions pour l’échange de prisonniers de guerre. Ces conventions se font d’autant plus facilement que
chaque particulier est très intéressé à écarter de lui le danger de tomber dans l’esclavage. ", TURGOT A.R.J. [1914a], p.547.
135
Par exemple, Turgot écrivait en 1751 à Madame de Graffigny " On connaît bien peu la force de l’éducation ; et j’en dirai une
des raisons, c’est qu’on se contente de donner des règles quand il faudrait faire naître des habitudes. ", TURGOT A.R.J. [1913f],
p.253.
130
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Et, lorsque toutes les terres sont occupées :
" Ceux qui veulent s’enrichir sont en bien plus grand nombre dans une nation que les riches ; or,
dans l’état actuel des choses, où toutes les terres sont occupées, il n’y a qu’un seul moyen de
devenir riche : c’est d’avoir ou de se procurer, de quelque manière que ce soit, un revenu ou un
profit annuel au-delà du nécessaire absolu pour sa subsistance, et de mettre chaque année, ce
superflu en réserve pour en former un capital par le moyen duquel on puisse se procurer un
accroissement de revenu ou de profit annuel, qu’on puisse encore épargner et convertir en capital.
Il y a donc un grand nombre d’hommes intéressés et occupés à amasser des capitaux. "136
Cela permet aux propriétaires des terres de s’assurer une jouissance plus libre, plus facile et plus sûre en
louant leurs terres aux fermiers (dans les pays trop pauvres, c’est le métayage qui domine). Le fermage
va permettre une expansion continue de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Ainsi le processus
d'accumulation dépend-il de la transformation de la terre et du travail en marchandises137 .
Il est bien évident que ce processus n'est possible que dans un Etat où la propriété est garantie, les
individus égaux en droit, et la liberté du commerce, de l'agriculture et de l'industrie respectées138 .
Le développement économique ne trouve sa pleine expression que grâce aux progrès de la morale.
Lorsque la morale a suffisamment progressé, les lois sont les bonnes lois, celles qui permettent tout à la
fois l’accumulation des richesses et le bonheur de l’humanité139 , irréductible à la seule satisfaction des
intérêts individuels.
Conclusion : la fin de l’histoire
Les institutions économiques doivent donc être pensées comme une production historique qui
conditionne le développement économique, celui-ci agissant en retour sur les conditions de possibilité du
progrès.
Le libéralisme de Turgot ne peut se comprendre que dans cette perspective historique qui, tout en
relativisant la légitimité des institutions, dessine à travers les institutions parfaites l’horizon de
l’histoire. A ce moment, plus de retour en arrière! Le progrès continuera son chemin, mais lisse
uniforme puisque l'histoire aura déjà accompli sa fin.
" Cependant il est si vrai que les intérêts des nations et les succès d’un bon gouvernement se
réduisent au respect religieux pour la liberté des personnes et du travail, à la conservation
inviolable des droits de propriété, à la justice envers tous, d’où résulteront nécessairement la
multiplication des subsistances, l’accroissement des richesses, l’augmentation des jouissances, des
lumières et de tous les moyens de bonheur, que l’on peut espérer qu’un jour tout ce chaos prendra
une forme distincte, que ses parties se coordonneront, que la science du gouvernement deviendra
facile et cessera d’être au-dessus des forces des hommes doués d’un bon sens ordinaire. C’est à ce
terme qu’il faut arriver. "140
Une société dans laquelle, les individus " vendent, pour ainsi dire, et achètent le bonheur. "141
136
TURGOT A.R. J. [1914a], p.589.
cf. POLANYI K. [1983], chapitre VI, p.102 et suivantes.
138
cf. AGONSTINI E. [1982], et CUBERTAFOND B. [1982].
139
TURGOT A.R.J.[ [1913d], p.211.
140
TURGOT A.R.J.[1913i], p.327.
141
TURGOT A.R.J.[1913l1], p.380.
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