Michel Del Castillo Michel Janicot del Castillo
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Michel Del Castillo Michel Janicot del Castillo
Michel Del Castillo Michel Janicot del Castillo naît à Madrid, dans la nuit du 2 au 3 août 1933, vers 23h45, au domicile de ses parents, 29, rue Castello, dans le quartier résidentiel de Salamanque, à moins de deux cents mètres de l’immeuble que sa grand-mère maternelle possède au 59, rue Goya. Son père, Georges Michel Janicot, issu du côté de son père de la bourgeoisie stéphanoise et lyonnaise et, du côté maternel, d’une famille originaire de Nantes et de Lorient, son père est employé au Crédit Lyonnais de Madrid. Devant la montée des périls, le père rentre en France en 1935 où il occupe un poste de cadre commercial chez Michelin, à Clermont Ferrand. La mère et l’enfant devraient le rejoindre bientôt. Au printemps 1936, Michel Janicot débarque inopinément à Madrid et découvre que Candida Isabel a renoué avec un ancien amant dont elle avait eu deux fils. Coupant court aux explications de sa femme, il repart pour la France. En juillet, l’avocat Joaquin Calvo Sotelo, chef du parti monarchiste, est enlevé et sauvagement abattu par des gardes d’assaut. C’est la guerre civile. Républicaine, proche du parti de Manuel Azana, Candida Isabel fait partie de l’étroite minorité des bourgeois éclairés, vite débordés par la violence des révolutionnaires. Dans Madrid et sa région, c’est d’ailleurs le Parti Communiste qui exerce le pouvoir. Candida, qui connaissait Calvo Sotelo, a envoyé une lettre à la famille, condamnant l’assassinat du député. La police politique du Parti saisit la lettre et arrête Candida Isabel, détenue dans un ancien couvent converti en prison. Accompagné de sa grandmère, l’enfant lui rend visite. A l’automne, les armées du Nord, commandées par le général Mola, et celles du Sud, sous les ordres de Franco, foncent vers Madrid. Galvanisant les énergies, les communistes, avec l’aide des Brigades Internationales et de l’armement soviétiue, réussissent à briser l’élan des franquistes. Le front ne bougera pratiquement plus jusqu’à la fin de la guerre. Assiégée, la capitale subit des bombardements intenses. Les Madrilènes souffrent de la faim et du froid, car le charbon manque. Comme tous les enfants de la ville, Miguel est atteint de malnutrition ; ses mains et ses pieds se couvrent d’engelures ; il souffre par ailleurs d’une affection pulmonaire. Égaré entre le chaos de la guerre et les agitations de sa mère qu’il aime passionnément, il se réfugie dans la lecture. Libérée, Candida Isabel regagne l’appartement de la rue Castello et reprend son fils, qui habitait chez sa grand-mère, rue Goya. Elle épouse un lieutenant des Brigades Internationales, José Sfax, tué au front quelques mois plus tard. Sous le nom d’Isabel ou Isabelita, elle écrit dans la presse républicaine, devient très populaire par les causeries qu’elle prononce chaque nuit à Radio Madrid, son alacrité divertissant les auditeurs. Elle vit alors avec l’un des chefs de la police politique du Parti Communiste Espagnol. Fin mars 1939, quelques jours seulement avant l’entrée des troupes franquistes dans la capitale, Candida Isabel part pour Valence où elle s’embarque vers la France, via Oran. Malgré les supplications de sa mère et de Tomasa, la nourrice du petit Michel, elle emmène son fils avec elle, sans doute avec l’espoir d’attendrir Michel Janicot qui, prévenu par un télégramme expédié d’Oran, les accueille à Marseille ; sans chaleur, car il garde dans son portefeuille l’annonce, publiée dans ABC républicain, du mariage de Candida avec José Sfax. Pourtant, il tire Candida du centre d’hébergement où les exilés espagnols ont été parqués, se porte garant pour eux, installe la mère et l’enfant au Mayet de Montagne, près de Vichy, espérant que l’air de la campagne améliorera la santé délabrée de son fils. Sa mère refusant de mettre l’enfant en pension, il lui verse une somme représentant la pension alimentaire de Miguel, jusqu’à sa majorité. Mais Candida dépense sans compter ; elle en est réduite à vivre d’expédients, deviendra entraîneuse au Casino de Vichy. De bouge sordide en hôtel minable, le petit Michel ne mange pas à sa faim, se couche tard, vit en reclus, attendant le retour de cette mère adorée et redoutée. Mais il y a les livres, la musique, sa véritable vie. Lorsque la guerre éclate, en septembre, Candida s’affole, place à plusieurs reprises son fils dans des fermes des environs. Candida Isabel se rend à Clermont Ferrand en 1940 où Michel Janicot travaille et demeure. Elle se répand en récriminations, accusant son ex-mari de les avoir abandonnés, elle et son fils, de les condamner à la pire misère. Fou de rage, Michel la dénonce au commissariat. En vertu des décrets Daladier, les autorités peuvent interner dans des camps « les étrangers indésirables, susceptibles de troubler l’ordre public ». Candida est conduite au camp de Rieucros, près de Mende. Effondrée, elle écrit au Préfet en le suppliant de lui permettre de récupérer son petit. Elle disposait de tous les moyens pour mettre son fils à l’abri. Elle choisit de l’entraîner dans le piège. Ce qui n’aurait été, dans des circonstances normales, qu’un drame familial devient, du fait de la guerre et de l’occupation, une tragédie. Rieucros n’était pas Auschwitz, ce n’était pas non plus un camp de vacances. L’enfant retrouve le froid, terrible, la faim. L’angoisse surtout de perdre sa mère, car Candida Isabel fait de fréquents séjours à l’infirmerie. C’est alors une juive allemande, Dora Schaul, qui s’occupe de lui. A la fin de l’année, Candida est transférée à l’hôpital de Montpellier d’où elle s’évade, munie par un inspecteur de police de faux-vrais papiers au nom de Blanche Azéma. Avec son fils, elle se cache quelque temps dans la banlieue de Montpellier où leurs photos sont affichées au Commissariat central. Les cheveux teints d’un blond platine, Blanche Azéma monte enfin dans un train pour Marseille d’où elle espère gagner le Mexique. Ils arrivent sans encombre et leur existence errante recommence, comme recommencent aussi, pour son fils, les placements. Chaque fois, le petit s’évade, réussit à retrouver sa mère. Et puis…coup de théâtre : l’opulence succède à la misère. C’est la vie de palace, les restaurants du marché noir, le théâtre et l’opéra. Et c’est, pour l’enfant, la sidération. Miguel n’habite plus sa vie. Escortés d’un Allemand qu’ils sont censés ne pas connaître, Candida et son fils partent « clandestinement » vers Paris. Au wagon-restaurant, dans leur compartiment de wagon-lit, l’enfant se blottit dans les bras de sa mère. Il a perdu la notion du temps, il n’a aucun futur. Peu de jours après son neuvième anniversaire, c’est, sur un trottoir du boulevard Haussmann, qu’a lieu la séparation définitive. « Emmené en Allemagne », lit-on au dos de son premier roman. Par qui ? Comment ? Pourquoi ? Il faudra sans doute attendre la parution du dernier tome de sa trilogie pour comprendre ce que, ce jour de septembre 1942, Candida Isabel a fait de son fils cadet. Il passera toute la guerre en Allemagne, de camp en ferme de travail. Il en reviendra brisé. Rapatrié en Espagne au mois de mars 1945, Miguel est interné en tant que fils de Rouge, dans une Maison de Redressement d’où il s’évade, le 29 juin 1949. Quatre années d’enfer qu’il a évoquées dans plusieurs de ses livres, mais, aussi, dans ce bagne, la révélation qui transformera son existence, Dostoïevski. Il gagne Madrid, se rend devant l’immeuble de la rue Goya, vendu trois ans auparavant. A bout de forces, il se présente au Commissariat où un jeune inspecteur, ému par son histoire, l’envoie, après enquête, chez les Jésuites, à Ubeda, en Andalousie. Ce sera, dans ce destin terrible, le salut, grâce notamment au supérieur du Collège, le père Mariano Prados, Pardo dans Tanguy. Les Jésuites lui imposent un programme de rattrapage : quatre heures de latin le matin, quatre de grec l’après-midi. Les résultats d’un tel traitement répondent aux attentes des religieux. Pour heureux qu’il soit en ces lieux, Miguel, âgé de seize ans, n’a pourtant qu’un désir, retrouver sa famille, renouer les fils. Le père Prados ayant découvert l’adresse de son demi-frère, Xavier, fils du premier mariage de Candida, Miguel est invité à passer des vacances à Santa Cruz de Tenerife, aux Canaries, où Xavier occupe une haute fonction au Gouvernement Civil. Connaissant l’adresse du père de Miguel, il lui écrit pour solliciter son aide : aucune réponse. Michel Janicot ne répond pas davantage aux lettres de son fils. Désespéré, Miguel quitte le collège pour se rapprocher de la France, son obsession. Acculé par la misère, il traîne une existence d’indigence, se fait embaucher comme manœuvre dans une cimenterie, à Vallcarca de Sitgès, non loin de Barcelone. Découragé, plusieurs fois au bord du suicide. il prend le train pour Huesca, petite ville du Haut Aragon. Ayant, dans un train entre Madrid et Barcelone, fait la connaissance d’une dirigeante des Sections féminines de la Phalange, elle lui a proposé son aide. Mais, quand ce jeune vagabond se présente au local des Phalanges, elle ne sait que faire de lui et l’envoie dans un camp de vacances des Pyrénées aragonaises où il passe l’été de 1950. En réalité, il espérait, depuis Huesca, franchir la frontière pour rejoindre sa véritable patrie, la France. Miguel restera deux ans à Huesca, accueilli d’abord au foyer d’un Phalangiste, une Vieille Chemise dont il évoquera la figure dans Le Crime des pères ; il vit, survit plutôt, en donnant des cours particuliers de français. Il est soutenu par un curé de campagne, Joaquin Bassols, qui jouera un grand rôle dans sa vie, l’empêchant de couler tout à fait. Miguel va à Saragosse, où il s’inscrit à la Faculté des Lettres. Rompu par cette course harassante qu’il mène depuis bientôt dix ans, il tombe gravement malade, frôle la mort, se relève avant de tenter pour de bon d’en finir en se jetant dans l’Ebre. Mais son instinct de vie est le plus fort et, tentant le tout pour le tout, il prend le train pour Saint-Sébastien. Un inconnu aura pitié de ce jeune homme à la dérive, lui fera franchir la frontière et le mettra dans un train en direction de Paris où, sur un quai de la gare d’Austerlitz, il retrouve son père, un inconnu ou presque. Comment ce spectre rescapé de la guerre, ce fantôme surgi de la misère et de la faim, et ce bourgeois conventionnel s’entendraient-ils ? Miguel rompt avec fracas pour se réfugier chez son oncle Stéphane et sa femme, Rita Janicot, qui lui offriront un foyer et deviendront ses véritables parents Vivant, pour la première fois de sa vie, dans un cadre stable et rassurant, il reprend ses études, passe ses deux bacs, s’inscrit à la Sorbonne, suit les cours de Sciences Politiques, s’oriente vers la Psychologie. Attiré par la figure de Miguel de Unamuno, l’un de ses maîtres, il se rend à Salamanque où il suit les cours de grec ancien, chaire occupée par le grand philosophe espagnol. Au mois de mai 1955, il a retrouvé par hasard sa mère, qui vit à Paris, rue des Archives. Pourquoi ne l’a-t-elle pas recherché durant toutes ces années, pourquoi… ? Chaque question deviendra un livre, jusqu’à la mort de Candida Isabel, en 1995. Son premier roman, Tanguy, parait en 1957 aux Editions René Julliard chez qui, de peur qu’on ne s’arrête à la tonalité biographique du livre, il a porté trois manuscrits. François Le Grix, son directeur littéraire, son confident et son ami, décide pourtant de commencer par Tanguy dont il prévoit le succès. Mais c’est l’auteur qui, malgré les objections de son mentor, s’obstine à signer du nom de sa mère, décision qui, ainsi que François Le Grix l’avait prévu, sera source d’un malentendu durable : beaucoup s’obstineront à voir en lui un écrivain espagnol. Pour autant qu’on puisse l’expliquer, ce choix exprime une volonté de fidélité, non à l’Espagne, mais à l’Espagne de l’exil, celle à laquelle l’écrivain se sent appartenir. On peut y voir aussi un rejet de la figure paternelle, donc de son patronyme. A peine paru, le livre remporte un succès mondial. Tout ce bruit éprouve nerveusement le jeune romancier, mal remis encore de son passé et incapable de supporter le tumulte d’une frivolité pour lui incompréhensible. Suivant les conseils de François Mauriac, il s’éloigne de Paris, voyage en Italie, séjourne à Capri dans la maison de Colette de Jouvenel, la fille de l’écrivaine. Les années 1960 à 67 sont une période de formation où l’auteur tente à la fois de maîtriser sa vie et d’approfondir son travail d’écrivain. Il procède à des lectures ou relectures systématiques, notamment les romanciers russes, anglais et espagnols. Il ne cesse de voyager, Mexique, Cuba, Etats-Unis, les pays du Maghreb surtout, avec d’incessants retours en Espagne. Après les deux romans qu’il avait écrits en même temps que Tanguy, La Guitare (1958) et Le Colleur d’affiches (1959), il publie Le manège espagnol (1960) et Tara ( 1962). En 1967, dans l’adaptation du Mur, la nouvelle de Jean-Paul Sartre tourné par Serge Roullet, il incarne le rôle de Pablo. Cette même année, il publie Gérardo Laïn, livre d’une contention brûlante où s’affrontent ses inquiétudes spirituelles et son homosexualité. Après la guerre d’Algérie qui l’avait bouleversé- il compte de nombreux amis algériens -, les événements de Mai 68 l’atteignent profondément. Il les regarde avec sympathie, écrit un essai rageur sur l’affaire Gabrielle Russier, Les écrous de la haine, mais il exprime aussi ses réticences devant la rhétorique libertaire, étrangère à son tempérament. Atteint d’une pancréatite aigue, il est opéré en 1973 à Marseille et reste près de deux mois entre la vie et la mort. Après une longue convalescence à Eygalières, au pied des Alpilles, il écrit un gros roman, Le Vent de la Nuit, (1973) qui marque un tournant dans son évolution. On y décèle une aspiration spiritualiste que, dans Le Monde, Jean Sullivan ne manque pas de relever. On y décèle aussi l’influence de Schopenhauer et de Thomas Mann que l’écrivain étudie alors avec assiduité. Couronné par le Grand Prix des Libraires et le Prix des Deux Magots, ce livre charnière remporte un vif succès. A cette époque, il rencontre Jean-Marc Roberts qui deviendra son ami et son éditeur durant de longues années. Il le suivra aux Editions du Seuil. Le silence des pierres, Prix Chateaubriand, paraît en 1975. Ce sera son dernier livre édité chez Julliard. La Nuit du décret, publiée aux Editions du Seuil par JeanMarc Roberts, obtient le Prix Renaudot, en 1981. Vivant retiré dans la campagne du Gard, il travaille avec acharnement sans se mêler aux mondanités parisiennes, étranger au milieu littéraire. En 1984, il publie La gloire de Dina. Une femme en soi, Prix du Levant, sort en 1991. Rue des Archives, Prix Maurice Genevoix, paraît chez Gallimard en 1994. Aux Editions Fayard où il a suivi Jean-Marc Roberts, il publie en 95 Mon frère l’Idiot, Prix de l’écrit intime, un long essai-confession sur Dostoïevski. Elu membre de l’Académie Royale de Belgique, il succède en 1997 à l’historien Georges Duby dont il prononce un éloge. Parution, toujours chez Fayard, de La tunique d’infamie, suivi, en 1998, de Mon père français. Colette, une certaine France obtient le Prix Femina de l’essai en 1999. Michel del Castillo a d’ailleurs rédigé des préfaces et des livres sur l’auteur de Chéri. Au Seuil paraît son journal de l’année 1999, l’Adieu au siècle, suivi d’un pamphlet, Droit d’auteur, aux Editions Stock. Chez Stock que dirige Jean-Marc Roberts, il publie en 2001 Les étoiles froides, premier tome d’une trilogie dont deux seulement ont paru. Chez Stock, Michel del Castillo publie, sous le titre Une répétition, le texte d’une pièce consacrée à Jean Sénac. Elle sera jouée à L’Espace Culturel Confluences, à Paris, dans une mise en scène d’Armel Veilhan. La pièce est précédée d’un court essai, Algérie, l’extase et le sang, qui dénonce avec force la dictature des généraux, réquisitoire qui soulève des oppositions furieuses. C’est au Seuil que sort le second tome de sa trilogie, Les portes du sang. Sa pièce, Le Jour du destin, mise en scène par Jean-Marie Besset et Gilbert Désveaux est représentée au Théâtre Montparnasse avec, dans les principaux rôles, Michel Aumont et Christophe Malavoy. Son Dictionnaire amoureux de L’Espagne parait en 2005 chez Plon, dans la collection créée par Jean-Claude Simoën. L’ouvrage rallie tous les suffrages. Michel del Castillo achève par ailleurs sa seconde pièce, La mémoire de Grenade, que le comédien François Marthouret lit à Montauban, dans le cadre du Festival des Lettres d’Automne, dirigé par Maurice Petit. Universitaires et critiques distinguent clairement les axes de sa production littéraire : L’Espagne ( Le sortilège espagnol, Andalousies…), les figures paternelles ( La Nuit du décret, Le Crime des Pères,(Grand Prix de RTL-Lire), De père français, La tunique d’infamie…), les différents avatars de la figure maternelle( La gloire de Dina, Une femme en soi, Prix du Levant, Les Etoiles froides et Les portes du sang…) ; enfin, une incessante méditation sur l’Art et le rôle de l’artiste ( Mon frère l’Idiot, Colette, une certaine France, Algérie, l’extase et le sang, sur le poète Jean Sénac, Sortie des Artistes, essai sur le théâtre), sans compter de nombreuses conférences sur Mozart, Bach, la musique polyphonique, l’opéra et les grands compositeurs espagnols. Si dates et événements constituent bien le cadre à l’intérieur duquel la vie de l’auteur s’est déroulée, il faut se souvenir de son propos, vingt fois répété : « Je n’ai pas d’autre biographie que les livres, ceux qui m’ont fait et ceux que j’ai faits. Je suis un enfant des mots. », manière de suggérer que sa biographie véritable relève, non de la réalité, mais de la littérature.