Corpus de textes - Collège Léonard de Vinci

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Corpus de textes - Collège Léonard de Vinci
Exercice passerelle 3ème / 2nde : la scène de première rencontre.
Ce groupement de textes sera proposé aux élèves de 3ème en fin d’année. Ils devront rédiger deux
paragraphes structurés et argumentés dans lesquels ils montreront tout d’abord comment se construit la
scène de première rencontre puis la manière sont dont les sentiments des personnages sont exprimés. Au
début du mois de septembre, les enseignants de 2nde reprendront ce groupement pour faire un travail plus
spécifique sur le paragraphe de commentaire.
Texte 1 : La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette (1678)
Nous sommes au 16ème siècle, à la cour d’ Henri II et Catherine de Médicis. Un bal est donné
pour les fiançailles de la Dauphine, Marie Stuart avec l’héritier du trône. Le Prince et la Princesse de
Clèves y sont conviés. Cette dernière, âgée de seize ans et demi, est réputée pour sa grande vertu et sa
fidélité à un mari plus âgé qu’elle n’aime pas. Au bal, elle va rencontrer le Duc de Nemours, un brillant
gentilhomme dont les conquêtes amoureuses ne se comptent plus et qui est sur le point d’épouser la reine
d’Angleterre…
Elle avait ouï parler de ce prince à tout le monde comme de ce qu’il y avait de mieux fait et de
plus agréable à la cour ; et surtout Mme la dauphine¹ le lui avait dépeint d’une sorte et lui en avait parlé
tant de fois qu’elle lui avait donné de la curiosité, et même de l’impatience de le voir. Elle passa tout le
jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir du bal et au festin royal qui se faisait au
Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait
avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait et
à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un
qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme
qu’elle crut d’abord² ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour
arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surprise³ de le voir
quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore
l’air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la
première fois sans avoir un grand étonnement⁴. M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que,
lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit sa révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de
son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi
et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier⁵ de les
voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de
parler à personne et leur demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s’ils ne
s’en doutaient point.
1. L’épouse de l’héritier du trône (ici Marie Stuart) - 2. Dès l’abord, tout de suite.- 3. Sens fort : étonné. - 4. Admiration (qui éblouit et qui aveugle.)-5.
Unique en son genre, rare.
Texte 2 : Manon Lescaut, l’Abbé Prévost (1731)
Au cours de l’un de ses voyages, le narrateur, le Marquis de Renoncour, rencontre à Calais un
jeune homme dont le chagrin le frappe. C’est le Chevalier des Grieux qui va lui raconter sa propre
histoire et celle de Manon.
J’avais dix-sept ans et j’achevais mes études de philosophie à Amiens où mes parents qui sont une
des meilleures maisons de P…, m’avaient envoyé. Je menais une vie si sage et si réglée que mes maîtres
me proposaient pour l’exemple du collège. J’avais marqué le temps de mon départ d’Amiens. Hélas ! Que
ne le marquais-je pas un jour plus tôt !… J’aurais porté chez mon père toute mon innocence…
La veille même de celui que je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami
Tiberge, nous vîmes arriver le coche d’Arras et nous le suivîmes jusqu’à l’hôtellerie où ces voitures
descendent. Nous n’avions pas d’autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes qui se
retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s’arrêta seule dans la cour, pendant qu’un homme
d’un âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s’empressait pour lui faire tirer son équipage des
paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n’avais jamais pensé à la différence de sexes, ni regardé
une fille avec un peu d’attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me
trouvais enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. J’avais le défaut d’être excessivement timide et
facile à déconcerter ; mais loin d’être arrêté par cette faiblesse, je m’avançais vers la maîtresse de mon
cœur. Quoiqu’elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je
lui demandais qui l’amenait à Amiens et si elle avait quelques personnes de connaissance. Elle me
répondit ingénument qu’elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L’amour me rendait si
éclairé, depuis un moment qu’il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel
pour mes désirs. Je lui parlai d’une manière qui lui fit comprendre mes sentiments car elle était bien plus
expérimentée que moi. C’était donc malgré elle qu’on l’envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son
penchant au plaisir qui s’était déjà déclaré et qui a causé par la suite, tous ses malheurs et les miens. Je
combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon
éloquence purent me suggérer. Elle n’affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de
silence qu’elle ne prévoyait que trop qu’elle allait être malheureuse, mais que c’était apparemment la
volonté du Ciel, puisqu’il ne lui laissait nul moyen de l’éviter. La douceur de ses regards, un air charmant
de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt, l’ascendant de ma destinée qui m’entraînait à ma perte,
ne me permirent pas un moment de balancer sur ma réponse. Je l’assurai que, si elle voulait faire quelque
fond sur mon honneur et sur la tendresse infinie qu’elle m’inspirait déjà, j’emploierais ma vie pour la
délivrer de la tyrannie de ses parents et la rendre heureuse. Je me suis étonné mille fois en y réfléchissant,
d’où me venait alors tant de hardiesse et de facilité à m’exprimer ; mais on ne ferait pas une divinité de
l’amour s’il n’opérait souvent des prodiges.
Texte 3 : Le Rouge et le Noir, Stendhal (1830)
Le Rouge et le Noir raconte l’évolution sociale de Julien Sorel, un jeune homme pauvre, cultivé et
ambitieux. Au début du roman, Monsieur de Rénal a embauché Julien pour être le précepteur de ses
enfants. C’est la première rencontre de Julien avec Madame de Rênal.
Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Mme
de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte
d’entrée la figure d’un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il
était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.
Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux que l’esprit un peu romanesque de Mme de
Rênal eut d’abord l’idée que ce pouvait être une jeune fille déguisée, qui venait demander quelque grâce à
Mr le Maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d’entrée, et qui évidemment n’osait
pas lever la main jusqu’à la sonnette. Mme de Rênal s’approcha, distraite un instant de l’amer chagrin que
lui donnait l’arrivée du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit
quand une voix douce dit tout près de son oreille :
- Que voulez-vous ici, mon enfant ?
Julien se tourna vivement, et, frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de
sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu’il venait faire. Mme de Rênal avait
répété sa question.
- Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu’il essuyait de son
mieux.
Mme de Rênal resta interdite. Ils étaient fort près l’un de l’autre à se regarder. Julien n’avait jamais vu un
être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d’un air doux. Mme de
Rênal regardait les grosses larmes qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles d’abord et maintenant si
roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d’une jeune fille, elle se
moquait d’elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle
s’était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !
Ratine : tissu de laine épais dont le poil est tiré et frisé.
Texte 4 : Le diable au corps, R. Radiguet (1923)
Radiguet est âgé de dix-sept ans, lorsqu’il écrit ce roman qui le rendra célèbre. L’histoire débute
en avril 1917. Le narrateur qui a seize ans fait la connaissance, lors d’une promenade familiale, de
Marthe, dix-huit-ans, fiancée à un certain Jacques Lacombe, mobilisé, et qu’elle doit épouser en
octobre…
Au cours de cette promenade, je devais remarquer qu’elle fronçait souvent les sourcils, ce qui
couvrait son front de rides auxquelles il fallait une minute pour disparaître. Afin qu’elle eût tous les
motifs pour me déplaire, sans que je me reprochasse d’être injuste, je souhaitais qu’elle employât des
façons de parler assez communes. Sur ce point, elle me déçut. Le père, lui, avait l’air d’un brave homme,
ancien sous-officier, adoré de ses soldats. Mais où était Marthe ? Je tremblais à la perspective d’une
promenade sans autre compagnie que celle de ses parents. Elle devait venir par le prochain train, « dans
un quart d’heure, expliqua Mme Grangier, n’ayant pu être prête à temps. Son frère arriverait avec elle. »
Quand le train entra en gare, Marthe était debout sur le marchepied du wagon. « Attends bien que le train
s’arrête », lui cria sa mère… Cette imprudente me charma.
Sa robe, son chapeau, très simples, prouvaient son peu d’estime pour l’opinion des inconnus. Elle donnait
la main à un petit garçon qui paraissait avoir onze ans. C’était son frère, enfant pâle, dont tous les gestes
trahissaient la maladie.
Sur la route, Marthe et moi marchions en tête. Mon père marchait derrière, entre les Grangier. Mes frères,
eux, bâillaient, avec ce nouveau petit camarade chétif, à qui l’on défendait de courir.
Comme je complimentais Marthe sur ses aquarelles, elle me répondit modestement que c’étaient des
études. Elle n’y attachait aucune importance. Elle me montrerait mieux des fleurs « stylisées. » Je jugeais
bon pour la première fois, de ne pas lui dire que je trouvais ces sortes de fleurs ridicules.
Sous son chapeau elle ne pouvait bien me voir. Moi, je l’observais.
- Vous ressemblez peu à madame votre mère, lui dis-je.
C’était un madrigal*.
- On me le dit quelquefois ; mais quand vous viendrez à la maison, je vous montrerai les photographies de
maman lorsqu’elle était jeune : je lui ressemble beaucoup.
Je fus attristé de cette réponse et je priai Dieu de ne point voir Marthe quand elle aurait l’âge de sa mère.
Voulant dissiper le malaise de cette réponse pénible, et ne comprenant pas que, pénible, elle ne pouvait
l’être que pour moi puisque heureusement Marthe ne voyait point sa mère avec mes yeux, je lui dis :
- Vous avez tort de vous coiffer de la sorte, les cheveux lisses vous iraient mieux.
Je restai terrifié, n’ayant jamais dit pareille chose à une femme. Je pensais à la façon dont j’étais coiffé,
moi.
- Vous pourrez le demander à maman (comme si elle avait besoin de se justifier !) d’habitude, je me
coiffe pas si mal, mais j’étais en retard et je craignais de manquer le second train. D’ailleurs, je n’avais
pas l’intention d’ôter mon chapeau.
« Quelle fille est-ce donc, pensais-je pour admettre qu’un gamin la querelle à propos de ses mèches ? »
J’essayai de deviner ses goûts en littérature ; je fus heureux qu’elle connût Baudelaire et Verlaine*,
charmé de la façon dont elle aimait Baudelaire, qui n’était pourtant pas la mienne. J’y discernais une
révolte. Ses parents avaient fini par admettre ses goûts…
* Madrigal : Poème galant. Ici, le mot prend le sens de compliment.
* Baudelaire et Verlaine : Poètes de la deuxième moitié du XIXème siècle, qualifiés de « maudits » tant à cause de leurs vies
dissolues que de la hardiesse de leurs écrits.