Mémoire(s) de cancres. - lycée Montesquieu du Mans

Transcription

Mémoire(s) de cancres. - lycée Montesquieu du Mans
Mémoire(s) de cancres.
1/ Retrouvailles.
Jean-Pierre en 1961.
J’ai passé vingt ans au Mans dont je crois six années au lycée Montesquieu. C’est-à-dire une
tranche de vie de 10/11 ans jusqu’à seize … Pas rien .
Pendant des années j’ai recherché mon meilleur copain de cette scolarité: Richard Lesh
j’avais tout essayé, Copainsdavant, le Net, rien.… Je trouve par ce biais le site des anciens de
Montesquieu, je fais défiler les photos de classes et je tombe sur
celle de 3ème B2. Nous sommes bien là, lui, premier à gauche, au
deuxième rang en partant du bas, moi tout en haut, troisième en
partant de la gauche, juste au dessus de André Vivet. Les
souvenirs affluent… La fine équipe.
Combien d’heures de colle pour des gags que nous ne pouvions
pas laisser passer. Je me souviens d’un cours de Latin avec
Monsieur Péan, cheveux courts, en brosse et grosses lunettes.
Monsieur Péan avait un tic, il répétait plusieurs fois le dernier mot
de ses phrases.
Richard Lesh en 61
Ce jour-là, il nous dit :
- Les latins, les latins, se servaient de peaux de bêtes, en guise en guise…
Je me mords les lèvres pour ne pas rire car je pense à l’instant à la chanson de Marcel Amont,
je tourne la tête, croise le regard de Lesh qui a compris et pense lui aussi à la même chose…
Monsieur Péan continue :
- En guise… En guise…
Et là Richard Lesh se lève en chantant devant la classe, hilare :
- … De parasoooOOOOOOOOoooole !
Viré.
M. Péan en 1962.
Ce sont des choses comme ça qui créent des liens . Mais l’apothéose ce fut la dernière année.
Je crois 1962/1963.
Un lundi matin composition trimestrielle de physique. La veille nous avions Richard et moi
fait un peu la fête, donc comme à l’accoutumée rien révisé. Nous voilà dans l’amphi, moi tout
en haut, lui juste en dessous, un peu comme sur la photo. Le sujet est donné, Richard se
retourne et je vois à son expression que pour lui c’est le vide total. Je n’en sais pas beaucoup
plus que lui, mais les expériences de physique m’amusent parce qu’elles ressemblent un peu
parfois à de la prestidigitation. Donc j’ai retenu quelques trucs. Je lui mime en douce
l’expérience du verre plein d’eau avec la feuille de papier posée
dessus que l’on retourne et qui tient par le miracle de la pression
atmosphérique… Il me fait signe qu’il ne comprend pas et me lâche
entre ses dents :
- Trouve autre chose…
On n’abandonne pas un copain dans le besoin, même exigeant. Je
griffonne illico un croquis des hémisphères de Magdebourg, lui passe
la feuille pendant que « Bob » le prof regarde ailleurs. Il nous avait
M. Raoul (Bob) en 58.
sans doute pourtant déjà repérés. Et vlan, il se retourne pile au moment
où chacun de nous tenons un bout de la feuille…
- Fini pour vous deux ! s’exclame - t-il .
Nous protestons vaguement que la feuille a glissé… Mais rien n’y fait. Bons pour le conseil
de discipline.
Je revois comme si c’était aujourd’hui le jour où nous sommes
convoqués. Il y avait une petite salle d’attente avant le bureau de la
secrétaire du Proviseur. Nous nous asseyons et attendons que l’on
vienne nous chercher. Le temps passe. Richard me regarde et me dit :
- P’têtre qu’ils nous ont oubliés ?
Je hausse les épaules, dubitatif. Lui défait sa cravate et s’en fait un
superbe noeud-papillon
Mme Doulain, secrétaire
du proviseur.
- C’est mieux comme ça non ?
- Oui, mais frappe à la porte- lui dis-je- C’est un peu long je trouve…
De suite il s’exécute, Toc ! Toc ! La porte s’ouvre, la secrétaire, « chignon et lunette », nous
jette un regard inquisiteur.
- Qu’est ce que vous voulez ???
Et là, nous pareils à Jean Rochefort et Pierre Marielle réunis, dans un belle ensemble
théâtral :
-Madâââme nous sommes attendus, veuillez nous annoncer …
Crispée elle referme la porte. Le fou rire nous prend, à peine le temps de nous ressaisir, elle
s’ouvre à nouveau :
- Entrez !
Le bureau du Proviseur, Monsieur Girard je crois, est sombre, juste la lumière de la lampe de
son bureau, ça ajoute au solennel de la situation. Il y a là quelques profs. Pour être attendus,
ça nous sommes attendus…
Le Proviseur s’adresse à nous :
-Vous savez pourquoi vous êtes là ?
Puis il lit le rapport du professeur de physique/chimie :
- L’élève Jean-Pierre Sénamaud a été surpris en train de passer le
document ci-joint « les Hémisphères de Magdebourg », à son
camarade Richard Lesh, veuillez prendre à leur égard, Monsieur le
Proviseur, les sanctions nécessaires, etc, etc…
M. Girard, proviseur en 58.
Le proviseur se tourne vers moi interrogatif :
- C’est bien ainsi que les choses se sont passées ?
Là, je tente le coup , on a rien à perdre, je prends mon air le plus « innocent » :
- Pas du tout Monsieur le Proviseur, il s’agit là d’une totale méprise, voyez-vous, dans
l’amphithéâtre les tables sont étroites, l’espace compté, sur un coup de coude malencontreux,
ma feuille de brouillon s’envole, tombe aux pieds de mon camarade qui me l’a rend, et c’est à
ce moment que notre professeur croit nous surprendre en train de frauder. D’ailleurs à cet
instant nous tenions chacun une extrémité de la feuille, difficile donc de dire si elle allait de
lui à moi ou de moi à lui …
Je crois voir passer l’esquisse d’un sourire sur son visage. Il se tourne alors vers Richard :
- Vous corroborez les faits tels que les énonce votre camarade Sénamaud ?
- …Je quoi ? s’enquiert Richard surpris par le verbe.
- Corroborez…Enfin êtes-vous d’accord ?
- Heu …Oui, oui tout à fait d’accord …
Le Proviseur regarde les autres enseignants :
- Évidemment, dit-il, évidemment, … Il y aura toujours un doute… Mais…
Et là je comprends de suite que ce doute ne nous profitera pas, et en voyant leur expression,
qu’ils ne vont pas s’abstenir non plus.
Richard fut viré huit jours, Viviane sa sœur, intercepta la lettre du Lycée avant que ses parents
ne la reçoive. Pendant huit jours, il partit chaque matin, ses livres sous le bras, soi-disant au
lycée. Il passait sa journée au café de la Bourse en attendant que je le rejoigne à la fin des
cours. Moi, je pris un zéro pointé à cette composition et une bonne engueulade des parents.
J’en avais une certaine habitude.
Il y a quelques mois, j’ai repris mes recherches pour le retrouver, je ne pouvais pas me
résoudre à ce que nous ne nous revoyons pas avant de disparaître . Le temps presse nous
avons maintenant bientôt 63 ans … Un ancien copain du Mans me fait remarquer que j’écris
Lesh avec un « C » au lieu d’un « S ». L’espoir renaît, je tape sur : « Qui porte ce nom ? »
sur les pages blanches d’Internet. La réponse tombe : Un seul Richard Lesh sur la France. Sûr
c’est lui ! j’appelle :
- Allo, bonjour, pourrais-je parler à Richard Lesh ?
- De la part ?
- Jean-Pierre Sénamaud…
Un court silence, puis :
- Jean-Pierre Sénamaud… Merde !!!
Puis un fou rire et :
-Madâââââmmmme nous sommes attendus !
Là nous avons pris quarante six ans de moins, en moins de deux minutes…
Chelles le 8 janvier 2009

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