Tout le programme - Les Grands Interprètes

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Tout le programme - Les Grands Interprètes
Programme Sergeï et Lusine KHACHATRYAN
Johannes BRAHMS (1833 – 1897)
Sonate pour piano et violon n° 1 en sol majeur Opus 78
-
1. Vivace ma non troppo
2. Adagio
3. Allegro molto moderato
Sonate pour piano et violon n° 2 en la majeur Opus 100
-
1. Allegro amabile
2. Andante tranquillo - Vivace
3. Allegretto grazioso (quasi andante)
- - - - - - ENTRACTE - - - - - -
Sonate pour violon et piano n° 3 en ré mineur Op 108
-
1.
2.
3.
4.
Allegro alla breve
Adagio
Un poco presto e con sentimento
Presto agitato
La jeunesse de Brahms est pour le moins bohème. Il naît en 1833 à Hambourg dans une famille
relativement pauvre. Son père, contrebassiste de profession joue aussi du cor et du violon dans les
brasseries de la cité Hanséatique pour gagner sa vie. Le jeune Johannes Brahms baigne depuis sa
naissance dans la musique, ce qui développe naturellement ses dons. Il apprend de façon empirique
et avec une très grande facilité le piano et, avant même de savoir lire la musique, il invente son
propre système de notation musicale. Son père s’aperçoit très tôt de ses dispositions et espère en
faire un musicien « à son image », trouvant que le cor ou la contrebasse sont plus rémunérateurs que
le piano. Dès dix ans, il entraînera régulièrement Johannes à jouer avec lui dans les brasseries et
tavernes mal famées de Hambourg.
Malgré ces considérations plus commerciales que musicales, le père de Johannes est témoin des
progrès pianistiques constants de son fils, et décide de le confier à Otto Frieidrich Cossel puis à
Edouard Marxsen pour lui donner une éducation musicale sérieuse. Ses progrès sont fulgurants et
Brahms devient rapidement un pianiste virtuose. Un impresario entend le jeune Johannes âgé alors
d’une dizaine d’années, lors d’un petit concert destiné à financer ses études. Conquis, il lui propose
sur le champ de financer une tournée en Amérique accompagné de sa famille. Malgré le rêve procuré
par cette offre alléchante, le père de Brahms décline l’offre, préférant que son fils fasse des études
sérieuses plutôt que d’entamer la carrière éphémère d’un petit génie.
Le piano accompagnera Brahms durant toute sa vie et il composera pour cet instrument une grande
partie de son œuvre depuis la première sonate pour piano opus 1 composée vers vingt ans jusqu’aux
derniers Klavierstücke écrits la soixantaine venue, seulement quatre ans avant sa disparition.
C’est aussi avec son père que Johannes Brahms se familiarisera avec d’autres instruments de
musique tels que le violon, le cor ou le violoncelle. Il semblerait qu’il jouait du violon de façon très
honorable puisqu’il interprétait sur cet instrument des danses et des musiques à la mode, au sein de
petites formations, lorsque le besoin de musiciens supplémentaires se faisait sentir.
Sans être un violoniste émérite, Brahms se sentira toujours proche de cet instrument pour lequel il
composera de nombreux chefs-d’œuvre (Concerto pour violon, Double-concerto pour violon et
violoncelle, Trois Sonates pour violon et piano, et de nombreuses autres pièces de musique de
chambre quatuors, quintettes et sextuors). Par ailleurs, si Brahms a attendu d’avoir quarante-six ans
pour composer sa première sonate pour violon et piano qu’il jugeait digne d’être éditée, il en avait
déjà composé trois autres auparavant, dont deux détruites par Brahms lui-même, et la dernière
perdue.
Les compositions pour violon de Brahms ont été marquées par sa rencontre avec trois violonistes
exceptionnels. En 1848, au tout début de sa carrière Brahms rencontre Eduard Renényi, un jeune
violoniste hongrois de trois ans son aîné, avec qui il entame une tournée de concerts. C’est pour lui
que Brahms compose une des trois sonates disparues. Brahms et Reményi s’entendent parfaitement,
le violoniste étant surpris de voir avec quelle facilité son jeune partenaire assimile les rythmes parfois
très complexes de la musique hongroise. Brahms rencontre ensuite le grand violoniste Joseph
Joachim, condisciple de Reményi au conservatoire de Vienne. Joachim devient rapidement l’ami
fidèle de Brahms et lui fait découvrir toutes les ressources expressives du violon en l’initiant
notamment au phrasé de l’instrument et au maniement de l’archet. Joachim sera le dédicataire et le
créateur du concerto pour violon, et Brahms lui dédiera aussi le Scherzo de la sonate F.A.E. Cette
sonate est une œuvre collective écrite avec Schumann et Dietrich écrite pour la longue absence de
Joachim parti en tournée. L’œuvre est basée sur les notes Fa La Mi (FAE dans la notation Allemande)
initiales de l’adage Frei aber einsam (libre mais seul). Le dernier violoniste marquant dans la vie de
Brahms est Joseph Hellmesberger, violoniste viennois à qui Brahms succède à la tête de la Société
des amis de la musique au tout nouveau Musikverein. Hellmesberger deviendra lui aussi un proche
de Brahms et ils créeront ensemble les deux premières sonates pour violon et piano.
La première sonate pour violon et piano en Sol majeur a été composée à Pörstfach en Carinthie en
1879. Elle est souvent appelée « Regenlied » (chanson de la pluie) car elle reprend les thèmes de
deux Lieder opus 59 écrits par Brahms en 1873 sur des textes de Klaus Groth ayant pour sujet la
pluie. Dans ces Lieder, Brahms dépeint par des notes répétées jouées staccato sur des arpèges brisés,
le bruit des gouttes de pluie qui tombent dans un climat à la fois poétique et mélancolique. Cette
atmosphère est propre aux natifs du Nord de l’Allemagne qu’étaient Brahms et Groth. La grande
mélancolie aux tournures élégiaques de ce Lied s’explique aussi par les circonstances dans lesquelles
il a été composé. Comme on le sait Brahms était très lié à Robert Schumann et à sa famille et, depuis
la mort de Robert en 1856, Brahms a toujours entretenu des liens d’amitié très forts avec Clara et ses
enfants. Au moment où il compose le Regenlied, Brahms vient d’apprendre la mort récente de Julie,
la fille de Robert et de Clara Schumann, l’internement de leur fils Ludwig souffrant de la même
maladie mentale que son père et enfin Clara lui confie que Félix, le dernier enfant du couple
Schumann dont Brahms est le parrain est atteint de la tuberculose, mal alors incurable.
Ce Lied aura une importance particulière pour Clara Schumann qui notera dans son journal : « Le
Regenlied m’obsédait jour et nuit, sa mélodie avait pour moi quelque chose d’indiciblement triste et
me rendait toute mélancolique ; j’avais toujours les pensées les plus tristes, je voyais toujours devant
moi ma chère Julie, mon pauvre Ludwig en quelque sorte enterré vivant, et que réserve le sort à
Félix ? ».
En 1879, peu de temps après la mort de Félix, Brahms adresse à Clara la partition de la sonate
« Regenlied » en la dédiant au souvenir de son fils. Clara fût très troublée par cette sonate qui
reprenait ce thème à la fois si obsédant et si cher ; Elle écrit à Brahms « Je pleurais de joie lorsque je
reconnus ma mélodie que j’aimais tant ! – Je dis « ma » mélodie parce que je ne crois pas que
quelqu’un puisse la ressentir avec autant de délices et de mélancolie que moi ».
La sonate évolue dans un climat poétique intense basé sur le thème du Regenlied description
musicale des gouttes de pluie tombant sur les carreaux et qui fait le douloureux parallèle avec le Lied
suivant (opus 59 n°4) intitulé « Nachklang » (écho), décrivant les larmes coulant sur les joues.
La structure cyclique de la sonate unit les trois mouvements sur le thème du Regenlied que Brahms
compare à une graine. Il écrit : « …La substance du Lied se met à germer, devenant littéralement un
grain d’où pousse la composition… ».
Dans les deux premiers mouvements, Brahms n’utilise pas littéralement le matériau du Regenlied
mais crée de nouveaux motifs assez proches rythmiquement, harmoniquement et mélodiquement.
Ceux-ci préparent par leur climat mélancolique à l’exposition du thème du Lied, qui n’apparaîtra
littéralement que dans l’ultime mouvement (Allegro molto moderato).
La deuxième sonate pour violon et piano opus 100 de Johannes Brahms, a été composée en 1886 et
s’expose dans la tonalité lumineuse de la majeur.
Lorsqu’il compose cette sonate, Brahms réside en Suisse, sur les bords du lac de Thun, où les eaux
bouillonnantes de l’Aar et les vertes forêts environnantes seront pour lui, pendant trois étés
successifs, une inépuisable source d’inspiration. Au cours de cet été 1886, Il y compose
simultanément trois œuvres d’importance et assez différentes dans leur expression : La vigoureuse
seconde sonate pour violoncelle et piano (opus 99), la deuxième sonate pour violon et piano (Opus
100) douce et très lyrique, et enfin le troisième Trio (opus 101) à la fois titanesque et résolu
Ces œuvres de la maturité de Brahms ont été composées pendant une période heureuse de sa vie.
Brahms écrit sa deuxième sonate pour violon et piano dans un esprit détendu et bucolique, au
lyrisme chaleureux, où la mélodie et la poésie prennent le pas sur le caractère virtuose et brillant
qu’il utilisera plus tard pour écrire sa troisième sonate opus 108, dans climat à la fois plus libre et plus
tourmenté. On ne trouve pas non plus dans cette sonate la mélancolie qui nimbe la Sonate Regenlied
écrite sept ans plus tôt.
Par contre, tout comme dans cette dernière, Brahms utilise tout au long de sa deuxième sonate, des
thèmes empruntés à ses Lieder. On reconnaît ainsi dans le second thème du premier mouvement le
Lied « Wie Melodien zieht es mir leise durch den Sinn » (Comme des mélodies, il me traverse
doucement l’esprit..) opus 105 n°1, puis dans le troisième mouvement « Auf dem Kirchhofe » (au
cimetière) opus 105 n°4 et enfin « Meine Liebe ist grün » (mon amour est vert) et qui traduisent bien
le caractère général très pastoral de l’œuvre. La Sonate Regenlied était destinée à Clara Schumann, la
Sonate Opus 100 s’adresse à une autre femme aimée de Brahms. Il s’agit d’Hermine Spiess, une
jeune altiste dont Brahms admirait le jeu et dont il s’était épris malgré la différence d’âge. Brahms lui
a dédié plusieurs Lieder dont ceux cités dans la sonate, et un autre Opus 97 n°5 au titre plus explicite
sur ses sentiments intitulé : « Komm bald » (viens vite).
Le second mouvement est particulièrement remarquable sur le plan formel puisqu’il fusionne de
façon idéale au sein d’un même mouvement deux formes rythmiques pourtant opposées : une forme
binaire (Andante à deux temps) et une forme ternaire (Scherzo à trois temps). Brahms parvient à
cette prouesse en se basant sur des thèmes communs exposés sous formes de courtes variations.
La création de la deuxième sonate pour violon et piano eut lieu à Vienne le 2 décembre 1886 avec
Brahms au piano et Hellmesberger au violon.
C’est durant l’été 1888 que Brahms achève sa troisième sonate pour piano et violon, dont les
premières esquisses remontent à l’année 1886. Il s’agit d’une œuvre caractéristique du Brahms de
la dernière période, où la passion se trouve contenue et densifiée, et où la richesse mélodique
captive l’auditeur. Cette sonate se démarque des deux précédentes sonates (opus 78 et opus 100)
par son lyrisme maitrisé, sa liberté de ton, et surtout par l’économie des moyens mis en œuvre. La
partie de piano est beaucoup plus développée et virtuose que dans les sonates précédentes, ce qui
explique certainement pourquoi l’œuvre est dédiée à son ami (le pianiste et chef d’orchestre) Hans
von Bülow. D’une profonde richesse thématique, cette sonate évolue assez librement sans procéder
aux grands développements habituels chez le compositeur (ce qui lui était fortement reproché par
Debussy qui avait déclaré un jour : « Fuyons, il va développer ! »). Contrairement aux deux
précédentes sonates qui ne comportaient que trois mouvements, la sonate en ré mineur en
possède quatre.
Dans le premier mouvement « Allegro alla breve », Brahms semble s’affranchir de l’archétype
traditionnel de la forme sonate : l’exposition (constituée de quatre thèmes) et le développement
(n’en reprenant qu’un seul, mais en le chargeant d’idées aussi nouvelles qu’éphémères) ne
paraissent plus aussi évidents, dans ce mouvement particulièrement libre. Il évolue dans une
parfaite continuité mélodique, qui ne connaît aucune faiblesse ni rupture. Après une longue
introduction, le mouvement s’articule autour de deux thèmes principaux sur lesquels viennent se
greffer deux thèmes secondaires. Le premier thème introduit par le violon est extrêmement ardent,
alors que le second joué par le piano est plus chantant, bien qu’il conserve une tension équivalente.
Un bref développement basé sur un nouveau thème précède la réexposition, qui s’enchaîne à une
longue et énergique coda.
Le second mouvement (Adagio) expose tout d’abord au violon une belle mélodie, à la fois ardente
et chaleureuse. Un second thème plus prononcé est soutenu par le piano à grands renforts
d’arpèges. Brahms reprend ces deux thèmes en les ornant davantage. Le mouvement s’achève de
façon douce et contemplative par une coda inspirée par le premier thème.
Le troisième mouvement (un poco presto e con sentimento) en fa dièse mineur tient le rôle du
Scherzo. La fugace agitation confère au début du mouvement un esprit fougueux et résolu, mais
celui-ci fait place à un motif au caractère à la fois grave et fantomatique. Il s’éloigne franchement du
Scherzo traditionnel par sa structure extrêmement libre. D’une grande richesse mélodique, ce
mouvement est basé lui aussi sur deux thèmes distincts répartis en trois différentes séquences.
La sonate trouve sa conclusion avec un long mouvement (presto agitato) au lyrisme passionné et à
l’esprit à la fois énergique et révolté, proche de l’esprit beethovenien. Ici encore Brahms fait preuve
d’une grande invention mélodique, où plusieurs thèmes souvent brillants et des idées musicales
secondaires en découlant, s’organisent subtilement. Au cours de ce long et trépident mouvement,
les deux instruments s’affrontent plus qu’ils ne fusionnent, et ce jusqu’à la tempétueuse et
brillantissime conclusion de la sonate.