Chartres, la "route Abraham" - Pierre

Transcription

Chartres, la "route Abraham" - Pierre
PARTAGE DE PRATIQUES
Chartres, la “route Abraham”
Pierre-Denis Autric
membre du groupe Abraham
Le 75e pèlerinage des étudiants de Chartres a associé les
étudiants actuels aux anciens étudiants rassemblés sur la route
Abraham, créée pour l’occasion. Cette année a été portée par le
thème du jeune homme riche (Mc 10, 17-22) qui, suivant « tous ces
commandements depuis sa jeunesse », se demande comment il
pourra accéder à la vie éternelle. Ce thème a résonné très fortement
chez les anciens. Ce pèlerinage a été une étape importante dans leur
foi, gardée fidèlement jusqu’à aujourd’hui, sur leur route vers la vie
éternelle. L’appel du cardinal André Vingt-Trois aux anciens visait
précisément « la continuité des générations et la permanence de l’action de Dieu ».
De fait trois générations d’étudiants se sont retrouvées sur le
parvis de Notre-Dame à Chartres. Notons qu’en soixante-quinze ans
l’Église a bien changé : 1935, c’est avant guerre ; 1962, le concile
Vatican II ; 1968, la révolution étudiante dans le monde occidental ;
1997, les Journées mondiales de la jeunesse à Paris ; 2000, le pèlerinage de Chartres, une des étapes de la démarche jubilaire des
étudiants… Que de visages de l’Église se sont succédés !
En soixante-quinze ans, l’université a bien changé. Le nombre
d’étudiants a beaucoup augmenté et les universités se sont dispersées
dans toute l’Ile-de-France. Enfin la société a changé, en particulier
dans son rapport à l’Église. Si dans les années d’avant guerre, elle
était une force centrale dans la société, elle est aujourd’hui une option
possible parmi d’autres. Ces évolutions se devinent dans la lecture
105
PARTAGE DE PRATIQUES
des thèmes du pèlerinage 1. Si des thèmes doctrinaux ont été choisis
dans les années 40-60, ils sont remplacés par des thèmes en prise
avec la société à partir des années 70. Les années 90 ont vu l’apparition de thèmes tirés de textes de la Bible.
C’est Mgr Renaud de Dinechin qui a demandé au groupe
Abraham d’organiser cet événement. Nous avons retenu l’option
d’une journée dans laquelle jeunes et vieux, familles et célibataires
pourraient participer et se mélanger dans la spiritualité mariale du
pèlerinage. Nous avons prévu deux routes. L’une pour les marcheurs
et l’autre pour les non marcheurs, qui se sont rassemblées à la
Maison diocésaine de la Visitation dans le bas de Chartres. Les
familles étaient évidement bienvenues avec une inscription forfaitaire,
quelque soit le nombre d’enfants.
Nous avons donc dû organiser la route Abraham en tenant
compte des différentes sensibilités qui ont rythmé ces soixante-quinze
ans de la vie de l’Église et pourtant ne pas tomber dans la nostalgie
d’anciens combattants. Aussi avons-nous opéré plusieurs choix structurant l’organisation de la route. Le premier a été de faire des chapitres qui mêlaient – autant que faire se peut – les tranches d’âges ainsi
que marcheurs et non-marcheurs. Cela nous a semblé la meilleure
façon de permettre à chacun d’échanger sur la manière dont était
vécu spirituellement et logistiquement le pèlerinage. Les retours des
pèlerins de tous âges ont été extrêmement positifs. Ils n’ont eu qu’un
seul regret : ne pas avoir pu faire un temps de partage sur le thème
de l’Évangile. Ce temps de chapitre est, depuis les origines du pèlerinage, un moment clé. Il avait été prévu, mais des contraintes de
temps nous empêché de le faire.
Le second a été de faire un pèlerinage résolument marial. En
effet certaines générations (1969-1980 environ) sont parties vers
Chartres sans être portées par le rosaire ou simplement le Je vous
salue Marie. Pour cela, les chapitres sont partis l’un après l’autre dans
un temps de méditation du rosaire, suivi d’un temps de silence. Dans
le livret du pèlerin, l’introduction au rosaire cherchait à ménager
toutes les spiritualités : « Pour entrer dans notre marche avec la Vierge
Marie, avec qui nous cheminons de Notre-Dame de Paris à NotreDame de Chartres depuis soixante-quinze ans, il vous est proposé de
prier le chapelet en méditant les mystères du Rosaire. Chaque chef de
106
CHARTRES, LA “ROUTE ABRAHAM”
chapitre a pleine latitude pour adapter le rythme et les modalités de
cette prière à son chapitre et pour choisir les mystères médités. » Ce
texte est suivi d’une méditation des mystères lumineux écrite par le
frère Pierre Januard, dominicain, ancien étudiant de la Sorbonne. De
fait, chaque chapitre a fait selon la sensibilité qui s’est dégagée de son
groupe ; certains trouvant que l’on ne priait pas assez, d’autres qu’il
était trop difficile de réciter l’ensemble des mystères dans la boue des
chemins de Chartres. Après ce temps de prière, les chapitres ont fait
silence pendant environ une demi-heure. La dernière heure de la
matinée pouvait être occupée librement : chant, échange, partage en
marchant.
Ensuite, les pèlerins (marcheurs et non-marcheurs) pouvaient
déposer une intention de prière à Notre-Dame Sous-Terre, une crypte
d’une cinquantaine de mètres de long dont l’entrée est située dans le
transept nord. Par là, nous avons pensé qu’ils avaient la possibilité de
se rapprocher de Marie en se confiant à sa prière maternelle. Cela
permettait aux non-marcheurs de faire un court pèlerinage depuis la
Visitation jusqu’au sanctuaire avec leur chapitre. Les confessions, un
moment fort du pèlerinage, ont été possibles mais pas mises en avant.
La route Abraham n’est pas composée d’étudiants pour lesquels l’aumônerie est le centre de la vie chrétienne, mais de paroissiens réguliers.
Enfin nous avions prévu que les étudiants et les anciens rentrent
ensemble en train. Une annonce pour les étudiants avait été faite lors
de la messe et les anciens avaient été prévenus de l’opportunité de
cet échange entre générations. Les membres de la route ont tous
apprécié ce moment. Ils ont pu constater la vitalité de l’Église car
djembés et guitares ont été très employés durant le trajet du retour et
à deux ou trois reprises des étudiants sont venus distribuer des tracts
pour le festival de Pâques ou des sessions étudiantes pour cet été.
Cette route est un événement unique, les anniversaires de pèlerinage sont rares. Il n’y a pas encore de tradition établie. Le dernier a
eu lieu au milieu des années 1990 pour les 60 ans. Cette année, 300
personnes environ se sont rassemblées avec près de 2 000 étudiants.
Ce pèlerinage est un pèlerinage étudiant ; il n’a pas vocation à
s’adresser à toutes les tranches d’âges. Il faut lui laisser cette spécificité
propre et proposer aux anciens étudiants d’aller à Chartres avec une
paroisse, un diocèse ou par leurs propres moyens. Ce qui nous a le
107
PARTAGE DE PRATIQUES
plus surpris est la participation d’anciens, la soixantaine passée, qui
n’avaient pas pu faire le pèlerinage en tant qu’étudiants. C’est dire
l’importance de cet événement pour le monde étudiant, puisque le
désir de le faire se poursuit longtemps après avoir quitté l’université.
Le groupe Abraham a été créé par des anciens de la Sorbonne
en 2004. L’idée est de permettre aux étudiants de rencontrer des
anciens dans un métier qu’ils souhaiteraient exercer. En effet les
réseaux d’Église sont extrêmement développés ; des chrétiens sont
dans presque tous les corps de métier. En plus ce groupe organise de
temps à autre des retrouvailles (comme ce pèlerinage ou une veillé de
prière, la veille de l’ordination épiscopale de Mgr R. de Dinechin,
ancien aumônier de la Sorbonne. Derrière ces deux actions, il y a
l’intuition de l’importance des réseaux dans l’évangélisation et la
communion des baptisés. Les réseaux fonctionnement d’autant mieux
qu’il y a une confiance réciproque entre les membres du réseau
(nœuds). […] L’Église à ceci de particulier qu’elle est à la fois une
famille, car nous partageons par le baptême le même Père et une
société immense car il y a près d’un milliard de membres. Le contact
entre les différents membres de l’Église est souvent facile et l’on peut
être amené à vous offrir des responsabilités assez importantes sans
avoir à montrer le moindre CV. Cette richesse est à notre avis à cultiver et à encourager.
Le réseau s’oppose en apparence à la paroisse car il est porté par
les choix affinitaires (spirituels ou de classe d’âge) grâce aux technologies de l’information (Internet, réseau mobile…), alors que la paroisse
se forme sur un territoire géographique donné (mélange des spiritualités et des tranches d’âges). D’un côté il y a la force de l’identité dans
un groupe virtuel, de l’autre il y a la confrontation vis à vis. Pourtant,
nous pensons que ces deux lieux sont complémentaires, les initiatives
du réseau permettant d’enrichir le face à face dans la paroisse. La
vocation du réseau Abraham est de se mettre au service de la mission
pour relier ses membres afin de faire grandir la paroisse. ■
NOTES
1 - 1943, le Saint-Esprit ; 1954, le baptême ; 1962,
l’Église. 1974, Abattre les frontières ; 1975, Jésus,
homme libre. Et vous ? 1997, « Ainsi parle le
Seigneur :Cherchez-moi et vous vivrez » (Am 5,4).
108
Une liste complète des thèmes est disponible sur :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pèlerinage_étudiant
_à_Chartres