Sensibilité de Culex quinquefasciatus aux insecticides à Bobo

Transcription

Sensibilité de Culex quinquefasciatus aux insecticides à Bobo
ENTOMOLOGIE MÉDICALE
Sensibilité de Culex quinquefasciatus aux insecticides
à Bobo Dioulasso (Burkina Faso).
T. D. A. Ouedraogo (1), T. Baldet (2), O. Skovmand (2), G. Kabre (3, 4) & T. R. Guiguemde (1)
(1) Laboratoire de parasitologie/entomologie du Centre Muraz, Bobo Dioulasso, Burkina Faso.
(2) Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, Montpellier, France.
(3) Intelligent insect control, Montpellier, France.
(4) Université de Ouagadougou, BP 7021 Ouagadougou, Burkina Faso.
Manuscrit n° 2714. “Entomologie médicale”. Reçu le 11 août 2004. Accepté le 5 juillet 2005.
Summary : Susceptibility of Culex quinquefasciatus to insecticides in Bobo Dioulasso (Burkina Faso).
This study conducted from 1999 to 2000 in the suburbs of Bobo Dioulasso a town in the South of
Burkina, aimed at investigating the susceptibility of the local population of Culex quinquefasciatus to
various insecticides and proposing alternative strategies allowing a better management of insecticide
resistance in the field.
Eggs of C. quinquefasciatus were first collected in stagnant waste water places. The larvae were
reared to early 4rth instar and tested by larval bioassays to determine the LC50/95 and the resistance
ratios (RR50 and RR95) as well as their confidence intervals. A susceptible reference Strain “Slab” was
used as control.
Resistance was found to DDT and pyrethroids, but reduced susceptibility was found for carbamates,
organophosphorates, phenyl pyrazole and in a less extend to Bacillus sphaericus. Resistance to pyrethroides is quite alarming since these insecticides are mainly used for bed net impregnation for the
Roll Back malaria programme implemented in Africa.
The high levels of insecticide resistance in C. quinquefasciatus suggest that alternative strategies
have to be implemented to minimize the pressure of selection on resistant genes. The use of biolarvicides (Bacillus sphaericus) alone or in rotation with different compounds may be a promising
strategy for controlling C. quinquefasciatus in Bobo Dioulasso.
Culex quinquefasciatus
insecticide
resistance
Bacillus sphaericus
Bobo Dioulasso
Burkina Faso
Sub-Saharan Africa
Résumé :
La sensibilité de Culex quinquefasciatus à diverses familles d’insecticides chimiques reste une
préoccupation depuis l’épandage des organochlorés à Bobo Dioulasso au Burkina Faso. Cette
étude réalisée en 1999-2000 avait pour objectif de tester la sensibilité des populations locales de
C. quinquefasciatus aux insecticides et de proposer des stratégies de lutte permettant de limiter le
développement de la résistance sur le terrain.
Ainsi, des larves de C. quinquefasciatus ont été récoltées dans les collections d’eaux usées stagnantes de la ville, puis élevées et testées au laboratoire afin de déterminer les concentrations létales 50
et 95 ainsi que les ratio de résistance (RR50 et RR95) pour différentes familles d’insecticides.
À ce jour, la résistance s’étend à la fois aux organochlorés et aux pyréthrinoïdes. La résistance aux
pyréthrinoïdes est particulièrement préoccupante car ces composés sont largement utilisés pour
l’imprégnation des moustiquaires destinées à la lutte contre le paludisme. On note seulement une
baisse de la sensibilité de C. quinquefasciatus aux organophosphorés, aux carbamates, aux phényl
pyrazoles et, dans une moindre mesure, à Bacillus sphaericus.
Face au développement rapide de la résistance chez C. quinquefasciatus, il est désormais crucial de
mettre en place des stratégies de lutte intégrée permettant de minimiser la pression sur les gènes
de résistance existants. L’emploi de bio-larvicides (Bacillus sphaericus) seul ou en rotation avec
d’autres insecticides pourrait être une stratégie alternative de lutte contre C. quinquefasciatus à
Bobo-dioulasso.
Introduction
C
omme la plupart des villes de l’Afrique de l’Ouest, les
deux plus importantes villes du Burkina Faso, Ouagadougou et Bobo Dioulasso, présentent des collections d’eaux
usées stagnantes, des caniveaux mal curés, des puisards à ciel
ouvert ou simplement fermés par une tôle. Ces collections
Parasitologie
Culex quinquefasciatus
insecticide
résistance
Bacillus sphaericus
Bobo Dioulasso
Burkina Faso
Afrique intertropicale
d’eaux usées stagnantes, générées et entretenues par les pratiques humaines d’utilisation de l’eau, sont les principales pourvoyeuses de moustiques. Les larves de Culex quinquefasciatus
Say, 1 823 y sont particulièrement bien adaptées et s’y développent en masse dans les eaux de puisards (26). En Afrique
de l’Ouest, C. quinquefasciatus est la principale source de
nuisance en milieu urbain. En effet, la femelle hématophage
406
Sensibilité de C. quinquefasciatus aux insecticides.
entraîne par ses multiples piqûres une nuisance considérable.
Cette dernière a été estimée à 25 000 piqûres par homme et
par an dans le centre ville de Bobo Dioulasso (4, 25).
Cette forte nuisance est favorisée par :
– la croissance rapide et parfois anarchique des villes avec
l’insuffisance des mesures d’assainissement et d’hygiène du
milieu,
– la résistance de C. quinquefasciatus aux insecticides,
– l’insuffisance des moyens humains et financiers publics ou
privés de lutte antivectorielle (11).
La lutte contre C. quinquefasciatus est pratiquée essentiellement au niveau larvaire. Elle est basée d’une part, sur les
méthodes de lutte physique et d’aménagement du milieu et
d’autre part, sur la lutte chimique. Malheureusement, cette
dernière s’est heurtée très vite aux problèmes de résistance à
la plupart des insecticides couramment utilisés (7, 19). Autre
problème, l’utilisation des insecticides peut présenter un
impact sur le système écologique, limitant ainsi leur utilisation (17,18) et expliquant par ailleurs l’intérêt croissant des
recherches pour trouver de nouveaux agents de lutte antivectorielle.
Cette étude réalisée en 1999-2000 avait donc pour objectif
de tester, à Bobo Dioulasso, la sensibilité des populations
locales de C. quinquefasciatus aux insecticides (organochlorés,
organophosphorés, carbamates, pyréthrinoïdes, etc.) et de
proposer des stratégies de lutte intégrée permettant de limiter
le développement de la résistance sur le terrain.
Matériel & méthode
Site d’étude
Bobo Dioulasso est la deuxième ville du Burkina Faso ; ses
coordonnées géographiques sont : 11°12’ de latitude nord et
4°19’ de latitude ouest. Elle est située sur l’axe routier Ouagadougou-Abidjan, au sud-ouest du pays. La ville est traversée
de part en part par un marigot, le Houet, qui prend naissance
dans la périphérie sud. Son lit très encaissé s’élargit en aval
de la ville. La pluviométrie annuelle moyenne est de l’ordre
de 1 100 mm, avec un maximum de précipitation en août. La
température annuelle moyenne est de 27 °C.
Ville cosmopolite, elle abrite une population estimée à 400 000
habitants (22). Dans le centre de la ville, les eaux de pluies
et une partie des eaux usées sont collectées dans de larges
canaux à ciel ouvert. En revanche, les zones périphériques
d’extension récente, généralement non loties, n’ont que très
peu d’aménagements et les eaux stagnent fréquemment dans
les bas-fonds argileux.
Collecte des pontes
Les pontes de C. quinquefasciatus souche Bobo, ont été récoltées dans des puisards ou dans des caniveaux. L’utilisation de
pontes au lieu de larves, a pour avantage d’avoir à l’éclosion
des larves de même stade de développement. Les pontes sont
placées dans des cuvettes pour élevage. Après l’éclosion, les
larves sont nourries avec des croquettes pour chat, pilées et
tamisées. Au bout de 8 à 12 jours, on obtient habituellement
des larves de stade IV (sous conditions standard : température
de 27° C et une hygrométrie de 70 à 80 %) qui seront utilisées
lors des tests insecticides. En parallèle, la souche de référence
sensible S-lab (13), provenant du laboratoire de lutte contre
les insectes nuisibles (LIN) de l’institut de recherche pour le
développement (IRD) à Montpellier, est maintenue à l’insectarium dans les mêmes conditions au Centre-Muraz.
Bull Soc Pathol Exot, 2005, 98, 5, 406-410
Les insecticides
Les différents insecticides testés ainsi que leurs familles chimiques respectives sont présentés dans le tableau I.
Tableau I.
Liste des insecticides testés sur Culex quinquefacciatus.
List of insecticides tested on Culex quinquefasciatus.
insecticide
DDT
dieldrine
Téméphos
malathion
chlorpyrifos-éthyl
carbosulfan
Propoxur
perméthrine 25/75
deltaméthrine
fipronil
Bacillus sphaericus SPH 88 (100%)*
famille chimique (abrégé)
organochloré (OC)
organochloré (OC)
organophosphoré (OP)
organophosphoré (OP)
organophosphoré (OP)
carbamate (C)
carbamate (C)
pyréthrinoïde (PY)
pyréthrinoïde (PY)
phényl-pyrazole (PH)
biolarvicide (BIO)
* titre fixé à 1 700 U.I.T./mg pour Culex pipiens (U.I.T. = unité internationale de toxicité)
Le bioessai larvaire
Préparation du test
Des gammes de 8 dilutions plus un témoin, sont préparées
afin de déterminer la dose pouvant tuer 50 % (CL50) et
95 % (CL95) des larves de moustique. Pour chaque dilution,
une série de 5 gobelets est utilisée, contenant chacun 20 larves de stade IV jeune. Dans chaque gobelet, on verse 99 ml
d’eau ; puis on y dépose 20 larves préalablement triées avec
une pipette à poire. Selon les gammes de dilution préalablement choisies, on ajoute par dose croissante et par gobelet
X ml d’une dilution fille à l’aide d’une micropipette P 1 000.
Enfin, on rajoute 1-X ml d’éthanol pour compléter à 100 ml
dans chaque gobelet. Dans les gobelets contenant les larves
témoins, on rajoute uniquement 1 ml d’éthanol.
Lecture du test
La lecture du test se fait 24 heures après sa réalisation pour
les tests chimiques. Pendant ces 24 heures, les larves ne sont
pas nourries. Les gobelets sont placés dans une salle du laboratoire d’entomologie, dans les conditions standard (27 °C et
80 % d’hygrométrie).
Pour les tests biologiques, la lecture se fait 48 heures après
la réalisation. Les larves sont nourries après 24 heures afin
d’éviter toute mortalité liée à un déficit en ressource alimentaire. La quantité de nourriture est toutefois réduite afin de
ne pas favoriser la formation d’un voile bactérien, néfaste
aux larves (10).
Interprétation du test
Le protocole du test larvaire est basé sur la méthode du triple
essai, c’est à dire trois tests réalisés dans les mêmes conditions
expérimentales mais à plusieurs jours d’intervalle (21). Les
résultats sont exprimés en pourcentage de la mortalité larvaire
en fonction de la concentration. L’exploitation et l’analyse
des données brutes se font par la méthode de FINNEY (12) à
l’aide du logiciel d’analyse log-probit de RAYMOND (24) qui
permet de déterminer les concentrations létales 50 (CL50) et 95
(CL95), ainsi que leur intervalles de confiance. Le programme
d’analyse probit présente l’avantage de déterminer également
les pentes (et les équations) des droites de régression. Toutefois, il est difficile de tracer ces droites lorsque l’on se trouve
en présence de populations hétérogènes présentant à la fois
des individus sensibles et des individus résistants (pool de
génotypes SS, RS et RR). Dans ce cas, il n’y a plus de proportionnalité directe entre la mortalité et les doses utilisées
et l’on observe alors un plateau de mortalité caractéristique.
407
T. D. A. Ouedraogo, T. Baldet, O. Skovmand et al.
Résultats
Le rapport de la CL50 de la souche étudiée sur celui de la
souche sensible de référence nous donne le ratio de résistance
50 (RR50). Le RR95 se calcule de la même façon, en prenant
le rapport des CL95.
L
Tableau II.
insecticide
DDT
dieldrine
Temephos
Sensibilité de Culex quinquefasciatus de Bobo aux insecticides
(organochloré, organophosphoré et carbamate).
Susceptibility of Bobo Culex quinquefasciatus to insecticides
(organochlorate, organophosphorate and carbamate).
souche
CL50
CL95
RR50
RR95
IC
IC
IC
IC
S-Lab
0,027
0,45
[0,025-0,030]
[0,33-0,67]
Bobo
4,8
99
176
220
[4,2-5,5]
[68,4-155,2]
[161-193]
[205-237]
S-Lab
0,026
0,16
[0,024-0,028]
[0,14-0,18]
Bobo
0,052
0,35
2,0
2,2
[0,049-0,056]
[0,30-0,41]
[1,9-2,2]
[2,1-2,3]
S-Lab
Bobo
malathion
S-Lab
Bobo
chlorpyrifos
S-Lab
Bobo
carbosulfan
S-Lab
Bobo
Propoxur
S-Lab
Bobo
0,00066
[0,00060-0,00072]
0,0018
[0,0017-0,0019]
0,024
[0,022-0,026]
0,1
[0,06-0,17]
0,0018
[0,0016-0,0019]
0,0077
[0,0072-0,0083]
0,0029
[0,0025-0,0034]
0,01
[0,009-0,012]
0,14
[0,12-0,16]
2,71
[0,7-10,6]
0,019
[0,016-0,024]
0,063
[0,054-0,075]
0,032
[0,024-0,04]
0,06
[0,05-0,07]
0,11
[0,10-0,12]
0,23
[0,22-0,25]
O,069
[0,062-0,075]
0,18
[0,162-0,198]
0,99
[0,83-1,22]
1,5
[1,24-1,75]
es tableaux II et III présentent la sensibilité de C. quinquefasciatus aux insecticides dans la ville de Bobo Dioulasso. Pour chaque insecticide, les relations (log)
dose– (probit) mortalité sont bien représentées par
des droites (P > 0.05), excepté pour le malathion
où la courbe présente un plateau de mortalité bien
marqué. Ceci dénote une hétérogénéité de réponse
au malathion chez cette population de C. quinquestatut
fasciatus, qui est probablement constituée d’individus ayant une sensibilité différente à cet insecticide.
C. quinquefasciatus souche Bobo apparaît forteR
ment résistante au DDT (RR50 = 176). La résistance concerne également les pyréthrinoïdes tels
que la perméthrine (RR50 = 20,4) et la deltaméthrine
S*
(RR50 = 20,3). Une baisse de sensibilité est observée
pour les organophosphorés tels que le temephos
(RR50 = 2,8), le chlorpyrifos et le malathion (RR50 =
S*
4,4 pour chaque).
C. quinquefasciatus souche Bobo présente également une sensibilité réduite vis-à-vis de la dieldrine
S*
(RR50 = 2,0), du propoxur (RR50 = 2,2), du carbosulfan (RR50 = 2,0), du fipronil (RR50 = 1,7 à 24 heures
et 1,9 à 48 heures) et de B. sphaericus (RR50 = 1,5).
S*
Pour ces 4 insecticides, les RR50 sont faibles mais
significativement différents de la valeur de 1 (non
chevauchement des intervalles de confiance).
-
-
2,8
[2,6-3,0]
-
3,4
[3,3-3,7]
-
4,4
[3,3-5,8]
-
19,3
[18,3-20,5]
-
4,4
[4,0-4,8]
3,3
[2,9-3,4]
-
-
2,0
[1,8-2,2]
-
2,8
[2,6-3,1]
-
S*
2,2
[2,0-2,4]
1,5
[ 1,3-1,7]
S*
-
IC : Intervalle de confiance à 95 %
RR50 = CL50 souche terrain / CL50 souche de référence sensible
RR95 = CL95 souche terrain / CL95 souche de référence sensible
statut : R = Résistant (RR50 ≥ 5)
S* = Sensibilité réduite par rapport à la souche de référence sensible S-lab (2 ≤ RR50 < 5)
S = Sensible (RR50 < 2)
Tableau III.
Sensibilité de Culex quinquefasciatus de Bobo aux insecticides
(pyréthrinoïde, phényl pyrazole, biolarvicide).
Susceptibility of Bobo Culex quinquefasciatius to Insecticides
(pyrethroid, phenyl pyrazole, biolarvicide)
insecticide
souche
CL50
CL95
RR50
RR95
IC
IC
IC
IC
perméthrine
S-Lab
0,0025
0,012
[0,0024-0,0027]
[0,011-0,014]
Bobo
0,05
0,23
20,4
19,2
[0,048-0,054]
[0,21-0,26]
[18,7-22,2]
[17,5-20,9]
Delta-méthrine S-Lab
0,00034
0,0033
[0,00031-0,00037] [0,0028-0,0040]
Bobo
0,0068
0,028
20,3
8,5
[0,0064-0,0072]
[0,025-0,030] [18,9-21,7]
[7,1-9,9 ]
Fipronil
S-Lab
Bobo
Fipronil
à 48 h
S-Lab
B. sphaericus
à 48 h
S-Lab
Bobo
Bobo
0,0027
[0,0025-0,0029]
0,0045
[0,0043-0,0048]
0,0016
[0,0014-0,0018]
0,0029
[0,0026-0,0032]
0,014
[0,012-0,016]
0,017
[0,015-0,018]
0,0064
[0,0054-0,0079]
0,012
[0,010-0,015]
0,0037
[0,0035-0,0039]
0,0054
[0,0049-0,0058]
0,019
[0,017-0,022]
0,051
[0,042-0,063]
R
R
-
-
-
1,7
[1,6-1,8]
-
1,2
[1,1-1,3 ]
-
S
1,9
[1,6-2,2]
1,9
[1,6-2,2 ]
S
-
-
-
1,5
[1,4-1,6]
2,7
[2,6-2,8]
S
IC : Intervalle de confiance à 95 %
RR50 = CL50 souche terrain / CL50 souche de référence sensible
RR95 = CL95 souche terrain / CL95 souche de référence sensible
statut : R = résistant (RR50 ≥ 5)
S* = sensibilité réduite par rapport à la souche de référence sensible S-lab (2 ≤ RR50 < 5)
S = sensible (RR50 < 2)
Parasitologie
statut
-
Discussion
Le DDT et la dieldrine ont largement été utilisés
en Afrique de l’Ouest dans les années 50-60 dans la
lutte antipaludique (6). Ces épandages ont entraîné
une résistance rapide de C. quinquefasciatus, puisque, dès 1958, certains auteurs (1, 15) notaient les
premiers cas de résistance au Burkina Faso et en
Côte-d’Ivoire, puis au Mali (16).
Les résultats de cette étude montrent pour le DDT
une CL50 de 4,8 mg/l et un ratio de résistance de
176, confirmant ainsi la forte résistance des populations locales de C. quinquefasciatus à cet insecticide. Cette résistance, mais aussi sa forte toxicité
pour l’environnement et la faune non cible, justifient pleinement l’interdiction d’utiliser cet insecticide dans la lutte contre ce moustique. Pour la
dieldrine, sa sensibilité réduite est très surprenante
étant donné la large répartition de la résistance chez
C. quinquefasciatus en Afrique de l’Ouest. Toutefois, en raison de sa toxicité, son emploi en usage
domestique est prohibé.
Cette étude montre que C. quinquefasciatus souche
Bobo présente une baisse de sensibilité au temephos. Cette tolérance aux organophosphorés est
aussi retrouvée pour le malathion et le chlorpyrifos.
En 1994, à Bobo Dioulasso, CHANDRE et al. avaient
déjà observé des résultats similaires pour le chlorpyrifos éthyl (8). La sensibilité réduite de C. quinquefasciatus aux organophosphorés à Bobo (8) n’est
pas surprenante dans la mesure où ces produits ne
sont plus utilisés en hygiène domestique, aussi bien
au niveau collectif qu’au niveau individuel, depuis la
fin des années 70. Le maintien d’un certain niveau
de résistance pourrait s’expliquer par une migration
408
Sensibilité de C. quinquefasciatus aux insecticides.
passive des estérases, le long du principal axe routier reliant
Abidjan à Ouagadougou, telle quel’ont décrite RAYMOND
(23) et GUILLEMAUD (14).
Les résultats obtenus avec le carbosulfan et le propoxur sont
légèrement supérieurs à ceux relevés en 1994 à Bobo (8), traduisant ainsi une baisse de sensibilité des moustiques à ces
composés. CHANDRE et al. ont montré que les niveaux de
résistance au propoxur étaient en 1994 plus élevés en Côted’Ivoire qu’au Burkina Faso. La présence d’un allèle acétylcholinestérase insensible (Ace.1R) conférant une résistance
croisée aux carbamates et aux organophosphorés avait été
alors détectée dans les populations culicidiennes de Côted’Ivoire. Ce mécanisme n’avait pas été retrouvé au Burkina
Faso, excepté à Niangoloko, ville frontière avec la Côted’Ivoire. Il serait maintenant utile de terminer la présence/
absence de cette mutation (Ace.1) au Burkina Faso par des
essais biochimiques et/ou moléculaires complémentaires.
Les niveaux de résistance enregistrés avec la perméthrine et la
deltaméthrine sont élevés. CHANDRE et RIVIÈRE observaient à
Bobo en 1994 (9), un niveau de résistance deux fois supérieure
pour la perméthrine et comparable pour la deltaméthrine. Le
niveau de résistance aux pyréthrinoïdes observé à Bobo est
élevé mais stable dans le temps. Ces niveaux sont comparables
à ceux observés antérieurement en Côte-d’Ivoire (7).
Des tests OMS, réalisés sur adultes aux doses diagnostiques de
1 % pour la perméthrine et de 0,05 % pour la deltaméthrine,
ont confirmé en 1999 la forte résistance de C. quinquefasciatus
vis à vis des pyréthrinoïdes à Bobo Dioulasso (4). La résistance croisée pyréthrinoïdes – DDT, ainsi que la forte diminution de l’effet Kd (voire sa totale disparition) lors des tests
sur adultes, laisse supposer l’implication de la mutation Kdr
comme principal mécanisme de résistance aux pyréthrinoïdes à Bobo Dioulasso. Cette résistance se révèle doublement
problématique. D’une part, les méthodes de protection individuelle (bombes, tortillons…) deviennent caduques, d’autre
part, l’adhésion des populations citadines à la vulgarisation
des moustiquaires imprégnées afin de lutter contre le paludisme est freinée par leur non-efficacité vis à vis du principal
moustique nuisant : C. quinquefasciatus (4).
Enfin, la souche de Bobo Dioulasso est apparue sensible au
fipronil. CHANDRE et RIVIÈRE (9) ont obtenu des résultats
similaires à Bouaké et à Abidjan, ce qui semble confirmer la
sensibilité de C. quinquefasciatus au fipronil dans ces deux
pays. Toutefois, le fipronil agit sur la même cible (canaux
chlorures récepteurs GABA) que les cyclodiènes et notamment la dieldrine (2). De ce fait, un risque de résistance croisée existe, puisque les populations de C. quinquefasciatus
en Afrique de l’Ouest sont en général fortement résistantes
à la dieldrine. Cette caractéristique reste néanmoins à être
vérifiée à Bobo Dioulasso. Par conséquent, l’utilisation du
fipronil ou d’autres phényl pyrazoles en lutte anticulicidienne
nécessiterait un suivi régulier de la sensibilité des populations
cibles (adultes) et des mécanismes de résistance éventuellement impliqués.
Nos résultats montrent, à l’instar du fipronil, que la souche
de Bobo Dioulasso est sensible à B. sphaericus. À Maroua,
ville soudano-sahélienne du nord-Cameroun, BALDET (3) a
obtenu des niveaux de sensibilité similaires à ceux observés à
Bobo. Cette efficacité de B. sphaericus constitue une alternative de lutte intéressante, étant donné le développement de la
résistance aux insecticides chimiques chez C. quinquefasciatus
(5). Toutefois, les forts niveaux de résistance à B. sphaericus
chez C. quinquefasciatus en Inde et au Brésil, après seulement
Bull Soc Pathol Exot, 2005, 98, 5, 406-410
quelques années d’utilisation opérationnelle, soulignent là
encore tout l’intérêt d’un suivi régulier de la sensibilité des
populations cibles (20).
Conclusion
La résistance des populations de C. quinquefasciatus à Bobo
Dioulasso s’étend aux organochlorés et aux pyréthrinoïdes.
Une baisse de sensibilité est notée pour les organophosphorés
et les carbamates. En revanche, C. quinquefasciatus est sensible aux phényl pyrazoles et à B. sphaericus. Face à ce constat, une lutte larvicide contre C. quinquefasciatus utilisant en
rotation ces trois familles d’insecticides (organophosphorés,
phényl pyrazole, bio-larvicide) pourrait être envisagée. Cette
lutte pourrait se faire également dans le cadre d’une approche intégrée, prenant en compte l’assainissement du milieu
et l’utilisation des moustiquaires imprégnées. En outre, une
surveillance régulière de la sensibilité des populations cibles
et des mécanismes de résistance éventuellement impliqués est
indispensable et devrait être partie intégrante de tout programme de lutte anti-vectorielle.
Références bibliographiques
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