économie collaborative, la troisième révolution

Transcription

économie collaborative, la troisième révolution
LE DOSSIER
ÉCONOMIE COLLABORATIVE,
LA TROISIÈME RÉVOLUTION DIGITALE
le choc
des offres
Neuf Français sur dix déclarent avoir déjà réalisé au moins une fois une pratique
de consommation collaborative. Elle a déjà bouleversé plusieurs secteurs économiques.
Plutôt qu’une activité à part, c’est une nouvelle économie qui est en marche, qui pousse
chacun à revoir les business model, les pratiques de consommation, le rapport
au commerce et même le sens du travail… La France saura-t-elle saisir le mouvement ?
11
LE DOSSIER
L
’économie collaborative repose
sur le fait de privilégier l’usage à
la propriété d’un bien. Le principe
est simple : il s’agit de partager
l’usage entre plusieurs utilisateurs. À l’origine, un constat révolutionnaire : une perceuse est utilisée 12 minutes dans sa vie, une
voiture dort 95 % de son temps.
Avec les nouvelles technologies,
les opportunités d’échanges entre
les individus se sont multipliées
grâce à des plates-formes en ligne
de mise en relation : des marketplace. De nouveaux business model sont nés : hautement
relationnels ; avec des prix de 30 à 60 % inférieurs aux offres
historiques ; créant un nouveau standard d’expérience
client ; garantissant une promesse de qualité par autorégulation. La récente étude menée par le cabinet Oliver Wyman
le montre. Le succès du modèle tient essentiellement à des
niveaux de satisfaction très élevés, dépassant tous les
modèles classiques. Le double attrait, en tant que consommateur et producteur, a accéléré l’adoption de ces modèles :
les revenus additionnels sont plus de trois fois supérieurs
aux intérêts générés par les modèles traditionnels. Enfin,
il s’agit d’une rupture générationnelle : 51 % des millennials
(16-34 ans) pensent d’abord collaboratif et préfèrent partager les choses plutôt que les acheter.
L’ÉCONOMIE COLLABORATIVE CHANGE LA DONNE
Nicolas d’Hueppe, vice-président de CroissancePlus et
PDG de Cellfish media, le confirme : « Nous voyons se …
PAROLE D’ENTREPRENEUR
MARION CARRETTE, FONDATRICE DE OUICAR
● Quels sont, pour vous, les grands
enjeux de l’économie collaborative ?
28
millions d’euros investis
en juin 2015 par la SNCF,
devenue actionnaire
aux côtés des fonds
historiques (Jaïna Capital
et Ecomobility Ventures)
Le premier enjeu est de faire évoluer
les mentalités toujours fortement
attachées à la notion de propriété,
vers des modèles reposant sur la
fonctionnalité. Nous réinventons
membres
des modèles historiques installés
depuis longtemps, en donnant le
« pouvoir » à des particuliers, en
supprimant les intermédiaires et
en réinsufflant du pouvoir d’achat
voitures de particuliers à louer
dans l’économie. On commence à
partout en France
voir des initiatives intéressantes
d’économie classique couplée au
PLUSIEURS MILLIERS
mode P2P avec SNCF qui investit
de locations chaque mois
dans Ouicar pour compléter son
offre de porte à porte.
+ DE 500 000
30 000
● Quels sont les freins rencontrés ?
Ils sont psychologiques : il est encore difficile pour un propriétaire
d’imaginer confier sa voiture à un
inconnu le temps d’une location.
D’où l’importance de la confiance
et de la réassurance.
12
OuiCar, pionnier de la consommation collaborative
depuis 2007, est le premier site de location de voiture
entre particuliers disponible sur Internet. Une manière
de repenser son rapport à la voiture en privilégiant
son usage à sa propriété.
LE DOSSIER
« BÂTIR UNE START-UP À PORTÉE
MONDIALE, EN FRANCE, C’EST POSSIBLE»
Frédéric Mazzella
FONDATEUR ET PRÉSIDENT
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE BLABLACAR
● Dans l’économie du partage, quel est
le meilleur système de rémunération
pérenne et responsable ?
Le modèle transactionnel par paiement en ligne, dans lequel les passagers payent leur place sur Internet et
des frais sont prélevés sur chaque
transaction est le système le plus
simple et le plus efficace. Avec la
réservation en ligne, nous avons
diminué par dix le taux de désistement. Grâce à ce système, nous nous
sommes assuré un revenu pérenne
pour continuer à nous développer sur
le long terme. C’est ce qui a permis la
croissance du service et de la communauté. Et c’est le même modèle
qui est utilisé par beaucoup d’autres
leaders de l’économie du partage.
Afin de renforcer l’attractivité de notre
écosystème français, et de montrer
le rayonnement de cette économie,
nous avons lancé avec une douzaine
d’entrepreneurs français, le mouvement #ReviensLeon qui vise à faire
la promotion des start-up françaises
à l’étranger et à attirer les talents du
monde entier.
● Avez-vous l’impression d’être
le représentant d’une réussite
de l’entrepreneuriat français ?
● Quels seraient les conseils
à donner aux start-up ?
Notre histoire est par certains côtés
rassurante et symbolique. Elle montre
qu’il est possible de bâtir une start-up
à portée mondiale depuis la France.
Preuve que nous avons sur le territoire tous les éléments pour réussir :
un système éducatif de qualité qui
forme des profils variés et de très haut
niveau, un riche tissu d’incubateurs
et d’accélérateurs qui accompagnent
les start-up, et un réseau de financement maintenant complet. Dans ce
contexte, la réussite de BlaBlaCar
est un bel exemple, loin d’être unique.
… lever un énorme vent de liberté. Internet libéralise,
au sens propre du terme, les relations entre différentes
personnes dans la société, en permettant à une offre
et une demande commerciales de se rencontrer,
quelqu’un qui a besoin de travailler et quelqu’un qui
a besoin d’une production ou d’un service. »
Ainsi, un choc d’offres sans précédent est créé dans
de nombreux secteurs, grâce à un éventail d’offres
qui s’étoffe et s’autogénère. On constate la croissance
accélérée des acteurs de l'économie collaborative,
qui seront leaders dans cinq ans, grâce au modèle des
marketplace et des plates-formes collaboratives, sans
risque et rapidement rentable (commissions de 2 à 20 %).
La réussite d’une start-up tient pour
50 % de l’envie et pour 50 % du travail.
Premier conseil : l’entrepreneur doit
être particulièrement motivé par le
projet qu’il porte ! Et pour transmettre
sa motivation et faire adhérer, rien
de mieux que d’en être le premier
utilisateur ! Cela permet de le comprendre et de l’améliorer. Et il est
nécessaire de s’associer avec des
personnes complémentaires. Dans
ce sens, les accélérateurs permettent
de confronter son idée avec différentes personnes et de rencontrer
de potentiels futurs associés.
UN MOUVEMENT DE FOND DANS TOUS LES SECTEURS
Pour Guy Mamou-Mani, président du Syntec Numérique,
« c’est une erreur de croire qu’il s’agit d’un secteur
économique à côté de l’économie classique. Toutes les
entreprises, tous les modes de fonctionnement vont être
bouleversés. Nous entrons dans un nouveau modèle,
avec de nouveaux codes. Qui aujourd’hui achète une
voiture ou une résidence secondaire ? C’est dépassé.
La transformation est inéluctable. » Ainsi, l’économie
collaborative pénètre déjà de nombreux secteurs : logement, vente directe de producteurs, création musicale,
voiture (VTC, covoiturage, location de voiture, partage
de voiture à l’aéroport…), restauration, financement,…
13
LE DOSSIER
… habillement, services (garde d’enfants, d’animaux…).
Elle pénètre dans le B2B, qui émerge rapidement grâce
aux objets connectés, mais aussi dans le B2C, jusqu’au
sociétal (éducation…). Les distributeurs commencent
à se convertir en marketplace ; les usagers de demain
perdent la valeur de possession et partagent dans
tous les secteurs. Partout, les pratiques de réemploi
se développent.
QUEL POSITIONNEMENT POUR LA FRANCE ?
« Cela correspond à une transformation nécessaire
de notre société, estime Guy Mamou-Mani. Il y a deux
manières de réagir : soit résister, rejeter cette transformation, mais nous serons alors balayés par ce tsunami
et nous subirons cette transformation, soit accompagner
ce mouvement. Soit la France s’y met, soit elle sera
marginalisée. Notre pays a des atouts considérables :
notre système scolaire, nos créateurs de start-up, nos
entreprises numériques… Il ne s’agit pas seulement
d’un enjeu technologique, qui est désormais acquis : il
s’agit surtout d’accompagner le changement. »
TOUS MINI-ENTREPRENEURS ?
Un nouveau monde qui apparaît, où le salariat n’est
plus la norme. Comme l’explique Marion Carrette, de
Ouicar : « Ces modèles permettent à des particuliers de
devenir de “mini-entrepreneurs” et de compléter leurs
revenus de manière plus ou moins régulière. L’économie
collaborative contribue ainsi à réinventer la notion de
travail et de salariat, avec des enjeux forts autour de
ces thèmes compte tenu du modèle social de la France
qui repose essentiellement sur la notion de salariat. »
À l’évidence, une mutation est en marche : il existe quatre
millions de free-lances potentiels aux États-Unis, donc
une réserve de croissance impressionnante.
Pour Nicolas d’Hueppe : « Poser la question de la fin
du salariat interroge sur la fin de la sécurité, mais le
salariat ne signifie pas la sécurité. C’est un retour à la
performance, aux augmentations de salaire… Ce n’est
pas la fin de la sécurité, nous aurons d’autres métiers,
on travaillera différemment. Pour tous ceux qui ne sont
pas intégrés à ce jour dans le monde du travail, c’est
une formidable nouvelle. »
les propositions de CroissancePlus
« Il faut adapter les règles du jeu entre les acteurs économiques actuels et ces nouvelles entreprises
sans avoir peur de la concurrence, ni du progrès » Stanislas de Bentzmann, président de CroissancePlus
1
Adapter le droit du travail à l’évolution du salariat
Ces nouveaux modèles de travail doivent être
réglementés sans être bridés, en assurant une sécurité pour
toutes les parties prenantes. Les outsiders peuvent trouver
l’occasion de dénicher une place sur le marché du travail.
Soutenons les personnes qui se lancent dans l’aventure
entrepreneuriale et créent leur propre emploi.
2
Définir un cadre juridique adapté
Les cadres juridiques doivent être adaptés
pour que la concurrence, qui est évidemment plus forte,
soit équitable. Ce cadre est également indispensable
pour sécuriser les utilisateurs et assurer une protection
sociale aux entrepreneurs.
15
LE DOSSIER
PAROLE D’ENTREPRENEUR
GREGORY SALINGER, PRÉSIDENT DE VIDEDRESSING
● Quels sont, pour vous, les grands enjeux
de l’économie collaborative ?
Le consommateur est au centre de l’écosystème :
il veut se faire plaisir, avec le meilleur rapport qualité/
prix. Les revendeurs y trouvent un revenu supplémentaire grâce aux ressources inexploitées. La question
de la sécurité et de la confiance des plates-formes
est également majeure : le rôle de tiers de confiance
de Videdressing est important pour garantir le paie-
ment des vendeurs, la satisfaction des acheteurs et
l’authenticité des articles. Enfin, il faut proposer une
expérience différente, sociale, qui va favoriser les
échanges entre utilisateurs.
● Quels sont les freins rencontrés ?
Le marché n’est pas encore mature : nous avons besoin
d’éduquer les consommateurs et de les rassurer, de
faire connaître davantage les pratiques collaboratives.
4
14 000
1 MILLION
Créée en 2009, c’est la
première marketplace d’achat
et revente d’articles de mode
et de luxe en France, et elle
fait désormais partie de cette
génération d’entreprises qui
apportent à l’écosystème
French Tech une dynamique
créative nouvelle.
de membres
millions
de visites
par mois
+ DE 900 000
marques représentées
Des acheteurs
et vendeurs présents
dans plus de
produits : de Zara
à Prada
100 PAYS
« LE FINANCEMENT PARTICIPATIF
APPORTE DES SOLUTIONS CONCRÈTES »
Nicolas Lesur
FONDATEUR D’UNILEND, PRÉSIDENT DE
FINANCEMENT PARTICIPATIF FRANCE
● Décrivez-nous le marché
du financement participatif.
Le marché français se développe à
grande vitesse et est devenu le premier marché européen. Avec une
16
croissance de 100 % par an en 2014
et 2015, le marché double tous les
ans. Il est beaucoup plus développé
aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Nous sommes au tout début d’une
transformation de fond qui rapproche
ceux qui ont besoin d’argent et ceux
qui en ont à prêter.
● Quelles sont les raisons
de l’engouement ?
D’abord un mouvement de défiance générale vis-à-vis du système bancaire et
des formes d’intermédiation. Surtout,
Internet a accru la vitesse d’accès à
l’information et fait chuter les coûts
de transaction. Les gens peuvent reprendre le pouvoir sur leur épargne.
● Quelles sont vos attentes
vis-à-vis du gouvernement ?
J’en attends une agilité à comprendre
l’évolution du secteur et à adapter le
cadre réglementaire au fil des ans.
Le financement participatif apporte
des solutions concrètes aux besoins
des entreprises, et un cadre nouveau :
on est en train de construire un système qui ne présente pas les risques
systémiques du système bancaire,
qui est plus protecteur et qui n’est pas
concurrentiel, mais complémentaire.
LE DOSSIER
ADAPTER
L’OFFRE À LA DEMANDE
La France compte près de trois cents initiatives numériques, bien positionnées
au niveau mondial. De multiples facteurs entrent en jeu : réglementation, évolutions
technologiques, habitudes de consommation… Quelle est la viabilité de cette nouvelle
économie ? Bruno Despujol, consultant spécialiste au cabinet de conseil Oliver Wyman,
nous livre son point de vue.
● Pouvez-vous retracer les étapes de l’émergence
de l’économie collaborative ?
L’évolution a eu lieu en trois temps. Après le search
(moteurs de recherche Google, Yahoo !) et le transactionnel (Amazon, eBay, Booking. com), la troisième
révolution digitale est l’économie collaborative. Elle
a débuté avec l’émergence des réseaux sociaux, puis
connu une inflexion très forte en 2010 grâce à l’accélération de l’utilisation des smartphones, permettant l’émergence de plates-formes collaboratives de
services. Celles-ci représentent aujourd’hui 31 % de
la valorisation du top 30 des entreprises digitales.
● Quel est le poids de ce nouveau marché ?
Une rupture de l’offre se crée dans de nombreux
secteurs, ce qui force les acteurs à se repositionner :
le marché du taxi créé par Uber à San Francisco a
été multiplié par cinq ! Les capitalisations boursières
des leaders de l’économie collaborative sont
considérables : 20 milliards d’euros pour Airbnb,
6 milliards d’euros pour Lending Club, 3 milliards
d’euros pour HomeAway…
L’économie collaborative repose par ailleurs sur
une stratégie commerciale capable d’adapter l’offre
à la demande et cassant les modèles de profitabilité
classiques (Uber peut doubler son offre en période
contrainte). Cette stratégie est permise par des franchises ultra-lean et des modèles autoentrepreneurs
surfant sur des zones d’ombre.
Contact : [email protected]
● Quel impact sur le marché de l’emploi ?
Une transformation profonde ! On estime qu’environ
50 % des emplois disparaîtront ou seront transformés
aux États-Unis d’ici 2025. Par exemple, en 2015, à
valorisation égale, Airbnb emploie trois cents fois
moins de personnel que les principaux groupes
hôteliers. En France, entre 2006 et 2011, le nombre
de travailleurs non salariés a augmenté de 26 % (12 %
des actifs : 2,8 millions). L’économie collaborative va
donc changer structurellement la façon de travailler.
34 % 40 %
des actifs américains
travaillent en free-lance
en 2015 et 80 % se disent
prêts à travailler en
free-lance en plus de leur
travail à temps plein
300
MILLIARDS
de dollars : estimation du
marché en 2025 contre
26 milliards en 2015
34 %
de la valeur d’Amazon
est liée à la marketplace
Un appartement loué sur
Airbnb rapporte jusqu’à trois
fois plus qu’un bail classique,
avec un marché à Paris estimé
(en euros et par an) à
540
MILLIONS
des Américains utilisent l’économie
collaborative comme source
de revenu additionnel
17
LE DOSSIER
« IL FAUT TRANSFORMER
LA LÉGISLATION
POUR RETROUVER
UN ÉQUILIBRE »
Guy Mamou-Mani
PRÉSIDENT DU SYNTEC NUMÉRIQUE
« Uber ou Airbnb montrent la nécessité de transformer la législation sociale
et fiscale de manière à apporter un équilibre. Par exemple, Airbnb ne peut
pas continuer à s’affranchir de la taxe de séjour. En matière de droit du
travail, il est évident que le contrat actuel, CDD ou CDI, n’est pas adapté
à cette nouvelle économie. Les 35 heures ou les restrictions du travail le
dimanche n’ont aucun sens pour cette économie nouvelle dans laquelle les
gens travaillent où, quand et comme ils veulent. L’économie collaborative va
encourager l’évolution nécessaire du statut d’autoentrepreneur. L’adaptation
du droit du travail est nécessaire pour protéger le modèle social français,
sinon il sera contourné et débordé. »
PAROLE D’ENTREPRENEUR
FRANÇOIS DE LANDES DE SAINT-PALAIS,
COFONDATEUR DE MISTERBNB.COM
● Quels sont, pour vous, les grands enjeux
de l’économie collaborative ?
C’est dans la relation, l’expérience et la confiance
que nous investissons le plus. Nous donnons aux
utilisateurs les outils pour développer la transparence et une contribution équilibrée afin que tous
soient gagnants, les voyageurs comme les hôtes.
La régularisation est aussi nécessaire. Nous avons
beaucoup avancé dans une dizaine de grandes villes
dans le monde avec la collecte de la taxe de séjour.
● Dans ce marché de l’économie collaborative,
faut-il rester petit ou tendre à se développer ?
La course à la taille et à la rentabilité est très exigeante dans un contexte de concurrence internationale. On est dans une logique où the winner takes
all. Il faut viser l’Europe puis le monde. Mais des
initiatives ciblées, avec les collectivités locales,
pourraient faire émerger des structures collaboratives plus petites.
18
Misterbnb, site français de location
d’appartements courte durée dédié aux
voyageurs gay et gay-friendly, est né en 2013
de la rencontre de deux start-up :
mygaytrip.com, et sejourning.com.
20
salariés
200 000
membres
20%
de croissance
par mois
+ DE 30 000
logements de particuliers
dans 120 pays dans le monde