Des développements racinaires : l`expérience de la Bibliothèque

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Des développements racinaires : l`expérience de la Bibliothèque
Des développements racinaires : l’expérience
de la Bibliothèque François Mitterand
Bernard Blaise, Arbres Techniques et Paysages
En 1991, responsable de production de végétaux cultivés en pleine terre dans une grande pépinière française
de renom, j’ai eu le plaisir d’étudier puis de mettre
en place des techniques de transplantation d’arbres
adultes prélevés en forêt, pour la création d’un jardin
peu ordinaire.
L’architecte de la Bibliothèque nationale François
Mitterand, Dominique Perrault, eut l’idée de recréer
un morceau de forêt claire ressemblant à celle de
Fontainebleau au cœur de l’édifice.
L’agence Sauveterre, partenaire technique de l’agence
Perrault, se mit en quête d’ingénieurs et de techniciens
pour étudier la faisabilité d’un prélèvement en milieu
forestier. C’est assez naturellement que cette équipe
se tourna vers des pépiniéristes spécialisés dans la
culture de grands végétaux.
Cette expérience de transplantation de pins à destination de la BNF est à l’origine de mes premières
recherches sur les développements racinaires des
arbres après leur transplantation.
Si la conduite de culture de grands arbres en pépinière,
et donc leur transplantation, est une activité mécanisée aujourd’hui, dans les années 1980 une bonne part
du travail est encore manuelle, entre autres la réalisation de grosses mottes grillagées ou de bacs en bois.
Dans le cadre du projet, un matériel allemand permettant de prélever des arbres avec une motte de trois
mètres de diamètre fut sélectionné.
Vue du jardin
de la BNF,
Bernard Blaise
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Un peuplement unique de pins sylvestres, correspondant au projet de Dominique Perrault, fut découvert en
Normandie sur la forêt domaniale de Bords-Louviers,
en bordure de Seine, sur des terrains voués à l’extension d’une exploitation de granulats. Après accord de
l’ONF, en charge de la gestion du site, nous avons commencé les premiers sondages et essais en avril 1991.
Disposant d’un an avant la première mise en culture,
nous avons fait le choix de cerner in situ une dizaine
d’arbres de différentes tailles.
Nous avons ouvert une tranchée à la périphérie des
arbres avec les proportions habituelles aux transplantations, le diamètre minimal de la motte étant trois
fois supérieur à celui du tronc, mesuré à 1 mètre du sol.
La motte est cependant limitée à trois mètres, capacité
de la plus grande transplanteuse disponible en Europe.
Ce volume est sensé contenir suffisamment de racines
pour que l’arbre ne meure pas ! En outre, les tranchées
ont été comblées avec un substrat fertilisé, léger et
fibreux, proche par sa consistance de la litière végétale
existant en sous-bois.
Un amendement minéral et des arrosages réguliers ont
été apportés pendant la saison de végétation, d’avril à
septembre 1991.
Les tranchées de cernage ont mis à jour l’architecture du système racinaire :
− en superficie, un réseau de racines de deux natures,
à savoir de grandes et longues racines de fort diamètre
mesurant parfois 5 à 7 mètres de long avec des diamètres pouvant dépasser 10 cm, et des racines beaucoup
plus fines organisées en un réseau très dense, colonisant
toute la litière végétale entre 12 et 18 cm d’épaisseur ;
− l’étage inférieur est beaucoup moins colonisé, l’aspect et la forme des racines diffèrent totalement : les
racines de surface sont plutôt rectilignes, portant des
écorces lisses et épaisses ; en sous-étage, elles sont
beaucoup moins grosses, très contorsionnées, avec
une écorce épaisse, mais beaucoup plus dures à sectionner, avec peu ou pas de radicelles.
La nature de sol, alluvions de rivière et litière végétale
proche de la terre de bruyère, influençait certainement
ce dimorphisme.
Réalisé en avril, le cernage est ré-ouvert en septembre et nous observons les points suivants :
− le substrat est colonisé à 60 %, y compris dans la zone
située bien en dessous du plateau racinaire d’origine,
par deux types de racines : des capillaires extrêmement fines et ramifiées, et des racines plus grosses d’un
diamètre dépassant 2 mm, peu ramifiées mais extrêmement longues, dépassant le mètre et portant des
coiffes bien visibles à l’œil nu. En dégageant le substrat, nous observons que ces racines ne prennent pas
naissance sur un bourrelet cicatriciel en périphérie de
la motte, mais beaucoup plus près du collet, dans une
zone comprise entre 10 et 50 cm, au-delà de laquelle
nous n’observons pas de réitérations ;
− les racines coupées sont à peine cicatrisées, la
résine ayant quand même fait une sorte de bouchon.
Au-dessus de 3 cm de diamètre, elles n’ont pas réitéré,
mais sont toujours vivantes.
Il est à noter que quelques arbres ne survécurent
pas à l’essai :
− les végétaux trop importants par la taille qui ne respectent pas le ratio circonférence – taille de motte ;
tion de ses réserves en énergie : bois sain et vigoureux,
écorce épaisse, taille importante des feuilles en comparaison de ses congénères, car celle-ci donne une
bonne appréciation de son âge physiologique.
En septembre 1991, les arbres ont été choisis et marqués par le maître d’œuvre selon les principes définis
précédemment, et ont été transplantés l’hiver suivant,
avec une certaine incertitude quant à la période favorable de prélèvement. Afin de répartir les risques, nous
avons décidé de ne transplanter qu’une moitié des
végétaux à l’automne à des fins d’observation, et l’autre
moitié au début de la saison de végétation, soit avril
de l’année suivante. Pendant l’hiver, nous avons surveillé les premiers sujets transplantés sans observer de
changement notable à leur aspect : même coloration,
même tonicité des feuillages et rameaux. Un sondage,
fait début mars, montre même une certaine activité
racinaire pendant le supposé repos végétatif. Un bourrelet de cicatrisation apparait sur les petites racines
des réitérations racinaires de 10 cm environ. La sève
circule en abondance, en témoignent les gouttes de
sève qui ornent les petites blessures reçues pendant
l’extraction !
− les sujets n’ayant pas une masse foliaire suffisante ;
− les individus trop âgés d’un point de vue physiologique et ayant été « dominés » depuis trop longtemps.
Ces observations nous amenèrent à définir des critères de sélection et à éliminer les sujets n’ayant pas
de bonnes chances de survie, soit :
− les végétaux trop imposants par la taille ou la masse
foliaire du fait du nécessaire ratio taille - motte ;
− les végétaux dominants, car leur système racinaire
est trop étendu ;
− les végétaux dominés depuis longtemps, présentant
une sénescence avancée ;
− les arbres trop tordus ou réellement déséquilibrés,
dont le système racinaire est incomplet ou mal réparti
dans la motte, ce qui entraîne un manque de stabilité.
Nous nous rapprochions donc empiriquement des
observations et classifications établies par Pierre
Raimbault en 1991 dans «Développement des systèmes aériens et souterrains des arbres d’ornement»
(ENITHP Département Paysage).
Ces travaux ne donnent de réels espoirs de pérennité
qu’à des végétaux ayant encore une dominance apicale
ou des réitérations latérales portant des signes évidents de croissance. La capacité d’un arbre à s’adapter
à un nouvel environnement et à supporter un choc de
transplantation se mesure à sa vigueur et à l’estima-
Réaction des racines de pin Sylvestre après 8 mois
de culture dans le mélange, Bernard Blaise
À la transplantation, les arbres sont équipés d’un système de haubanage performant constitué de câbles en
polyuréthane qui ont la propriété de supporter 25 %
d’élongation avant rupture. Cet appareillage permet
de maintenir les arbres en place sans pour autant être
trop rigide, ce qui limite le risque de cassure au-dessus
du collier, et les effets du vent sont atténués, les câbles
absorbant une bonne partie de l’énergie éolienne.
Les arbres transplantés en avril 1992 se sont bien
comportés et ont repris une activité physiologique, en
retard de quelques jours sur leurs congénères déplacés
en septembre 1991.
Dès la transplantation, une reconstruction du système racinaire diffère selon le diamètre de la racine
sectionnée :
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− à moins d’un centimètre de diamètre, elle se reconstruit sur un axe principal ;
− entre un et deux centimètres de diamètre, elle se
reconstruit sur deux ou trois axes, avec toutefois une
racine plus puissante qui reconstitue l’axe ;
− au-delà de deux centimètres jusqu’à cinq centimètres, la racine se ramifie mais les réitérations se
développent peu, sans que l’une d’elles ne prenne
l’avantage sur les autres ;
− les plus grosses racines ne réagissent pas à la coupe,
c’est une racine plus petite située précédemment sur
l’axe qui prend le relais.
Le renouveau du système racinaire est constitué en
grande partie par un chevelu dense et très ramifié,
favorisé dans sa croissance par la grande richesse du
milieu de culture disponible en périphérie de la motte.
La première année, nous avons apporté des arrosages en goutte-à-goutte importants et réguliers, à
une cadence de 350 litres d’eau par semaine, chaque
séquence durant de 9 à 12 heures, de façon à limiter
le ruissellement et une percolation trop rapide. Les
doses d’eau ont été espacées progressivement au cours
des deux autres années de culture, de façon à limiter
la colonisation racinaire de surface et à favoriser un
enracinement plus profond.
Durant la période cruciale que représentent les premiers mois après transplantation, la surveillance
des haubanages, le contrôle des ravageurs tels que
l’hylésine du pin et les cryptogames, prennent une
importance majeure. Le désherbage des pieds d’arbres
supprime la concurrence en eau des plantes herbacées.
Trois mois après transplantation, sont repérés les pre-
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miers arbres montrant des signes de faiblesse : retard
au débourrement, coloration plus terne des feuillages,
activité racinaire faible ou nulle. La mort intervient
environ six mois après, plus particulièrement au
moment des grosses chaleurs de l’été.
Le feuillage des arbres ayant repris s’est bien développé : les feuilles sont plus grandes, d’un tiers à la moitié, que les feuilles de l’année précédente, les rameaux
sont aussi plus gros que les précédents. Les éléments
fertilisants ne sont pas les seuls responsables de ce
regain de vigueur ; il est très certainement favorisé
par une production massive d’hormones de croissance
issue d’un système racinaire ultra développé.
Trois années passent et les arbres sont préparés pour
leur expédition à Paris : le système racinaire de surface
s’est constitué en un feutrage dense, ayant exploré une
zone périphérique de près de deux mètres de largeur,
traversé par des racines semi-traçantes qui, pour certaines, atteignent des diamètres de plus de deux centimètres. Un réseau plus profond, mais moins dense,
s’est créé avec des racines plus rectilignes enfoncées
en oblique.
La reprise des arbres plantés en 1995 à la BNF s’avère
excellente. Aucune perte n’est à déplorer dans les premières années, les seuls arbres abattus le sont suite à
des défaillances du système de haubanage. La tempête
de 1999 fera de gros dégâts, 70 sur 123, mais les arbres
survivants se sont développés normalement, et les
sujets de sous-étage comme les bouleaux, prennent
peu à peu le relais.
Dix-huit ans après, cette extraordinaire forêt constitue l’endroit le plus sauvage de Paris et témoigne de
la capacité des grands végétaux à reconstituer un système racinaire performant.

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