LA POUPÉE Sybille contemplait sa propre image dans le grand

Transcription

LA POUPÉE Sybille contemplait sa propre image dans le grand
LA POUPÉE
Sybille contemplait sa propre image dans le grand miroir qui occupait un mur entier de la chambre. Des
yeux verts (peut être trop grands) lui regardaient, pleins de larmes.
« C’est incroyable que tonton Émile est mort. On tend à penser que nos familiers seront toujours ici. Une
crise cardiaque… cela peut arriver à n’importe qui. Vic, est-ce que tu te souviens quand nous passions
les vacances ici ? Je ne sais pourquoi on a arrêté de venir. Nos vacances auraient été parfaites sauf par
Pénélope.
— Billie, sois gentille avec elle, ordonna son frère. Je sais que vous ne vous entendez pas très bien, mais
elle vient de perdre son père. »
Il était assis sur le lit, en regardant sa sœur. Il sortit un paquet de tabac et éteignit une cigarrette.
« Tu ne fais que remplir tes poumons de fumée. Depuis quand tu fumes ? »
Victor haussa les épaules.
« Depuis que les filles de ce village l’aiment. Tu ne trouves pas que ça donne du prestige ? D’accord,
peut-être qu’elle n’a pas été très sympa avec toi quand vous étiez petites, mais elle aura sûrement
changé. »
La voix de sa mère sonna du rez-de-chaussée.
« Les enfants ! Descendez tout de suite ! »
Les jumeaux descendirent les délabrés escaliers en bois de la maison de leur oncle. Leurs parents étaient
dans la salle de séjour, une pièce spacieuse et sombre pleine de miroirs. Un petit groupe de personnes
était réuni autour du cercueil, tous inconnus. Sybille, incommode, s’assit dans une chaise au fond.
Victor, par contre, examina la glace située plus à droite, qui avait une énorme fêlure qui le parcourait du
début à la fin.
« Ils sont très précieux », sonna une voix très douce.
Celle qui avait parlé était une fille que Victor n’avait pas remarquée pendant son inspection de la salle.
C’était Pénélope, la fille adoptive de tonton Émile et donc la cousine de Victor et Sybille. Elle ressortait
entre les présents, vu qu’elle était la plus jeune et, surtout, très, très belle (mais ce n’est pas bien de
penser á ta cousine comme ça, même si elle n’est pas ta cousine biologique et cette robe noire lui va
vraiment très bien). Elle avait la peau blanche comme la neige et le visage d’une poupée ancienne,
encadré par des boucles noirs comme le charbon.
« Les miroirs, éclaircit-elle à cause du regard confus de Victor. Il les a fait tous lui-même, papa. C’était
comme une espèce de superstition à lui. Il croyait que les miroirs reflétaient l’âme et qu’ils pouvaient
garder les mauvais esprits et même la pire partie de nous-mêmes. » Elle ébaucha un timide sourire
forcée ; ses yeux, d’un bleu cristallin, ne montrait pas de joie.
« Mon dieu, Pénélope ! Comment tu as changé ! Je ne te reconnaissais pas ! Il fait trois ans depuis la
dernière fois que je t’avais vue… C’est vraiment triste qu’on se voit dans une occasion come celle-ci. Je
suis très, très navré, Pénélope.
— Oui. Il… il a toujours m’a traité comme sa vraie fille. Maintenant, tout me rappelle à lui. Quand
j’étais petite, il m’apprenait à faire des jolies poupées comme lui. Il mettait autant de tendresse en
chacune d’elles, prenant des mois et même des années pour qu’elles étaient parfaites… Il avait même un
journal de toutes elles. Un homme excentrique, sans doute, et très intéressant, bien sûr. » Pénélope
caressa le bras de Victor ; il a été surpris par le froideur de ses doigts. « Donne-moi un instant, s’il te
plait. »
Pendant ce temps-là, Sybille avait supposé que personne ne ferait attention à elle et décidé d’explorer la
maison parcourue autant de fois pendant son enfance. Son lieu préféré était la bibliothèque, dans laquelle
on pouvait trouver une vaste collection de n’importe quelle sorte de livres. Lorsqu’elle était petite, elle
ne faisait attention qu’aux livres pour enfants, mais ses gouts avaient muri. Elle consacra son temps à
feuilleter un d’ici et un de plus loin, en admirant les couvertures, prenant plus du temps avec ceux qui
l’intéressaient.
Une étagère en particulier attira son attention. Elle était étiquetée avec le mot « experiments ». Sybille
prit le livre qui se trouvait le plus à gauche. Il contenait des longs paragraphes dans une écriture presque
illisible et des magnifiques dessins réalisés à portée de la main. Sybille distingua entre eux plusieurs
paysages, des miroirs avec des reliefs ornementés très similaires à ceux qui se trouvaient dispersés dans
la maison et détaillés schémas de l’anatomie humaine, et une série de symboles qu’elle ne reconnaissait
pas. Tous incluaient des notes au pied.
Sybille examina tous les livres dans l’étagère : plus d’annotations et plus de symboles. Ses yeux
s’arrêtèrent dans un page dont le titre était souligné :
Pour donner de la vie à un objet inanimé,
Il suffit de choisir une victime appropriée. Celle-ci doit être jeune – pas plus de vingt ans. Dans un
chaudron plein de sang de chèvre, on versera cinq millilitres de sang de la victime – pas un de plus, pas
un de moins. On lui arrachera le cœur et il sera transplanté dans l’objet qu’on veut doter de vie. On
introduira cet objet dans le chaudron. Ensuite…
Bille ne put lire plus. Qui pourrait être si malade ? Elle avait besoin de s’asseoir quelques secondes pour
que tout laissait de tourner dans sa tête ; elle choisit un confortable fauteuil rouge et soupira. Cependant,
il y avait quelque chose qui la poussait à continuer. Elle ouvra le livre à nouveau et lit le chapitre entier,
ignorant les parties les plus sanguinaires. Il y avait aussi des instructions pour transférer l’âme d’un être
humain dans un objet, qu’elle lit en diagonale.
Elle ferma le livre et le retourna à la librairie, exaspérée. Bon, d’accord, son oncle était un peu bizarre,
mais pourquoi il avait cette sorte de livres dans sa bibliothèque personnelle ? Elle se regarda dans la
glace qui pendait du mur (Pourquoi cette obsession avec les miroirs) pour s’assurer de qu’elle était bien
coiffée.
« Salut, Sybille. Tu ne dis pas bonjour à ta cousine ?
— Tu n’es pas ma cousine, Pénélope. Et arrête de m’appeler Sybille. Tu sais que je le désteste. »
Pénélope cligna les yeux, surprise.
« Ah bon ? Sybille, je suis réellement étonnée. Tu sais que je te considère ma famille.
—Peut être que papa et mama et mon frère se laissent tromper par ton apparence adorable, mais je sais
comment tu es : une louve en peau de mouton.
— Tu es si rancunière? S’il te plait, Sybille, c’étaient des jeux des enfants. Est-ce qu’on peut oublier tout
ça ? Tu es très belle aujourd’hui. Tu as des cheveux ravissantes ; tu devrais peut-être le laisser un peu
plus long, comme ça tu ressembles à un garçon… Regarde-toi bien dans la glace. »
Tout à coup, Sybille se vit poussée vers le miroir. Elle ferma les yeux, s' attendant à sentir le coup, mais
au lieu du cristal c’était le sol qu’elle sentit.
Elle ouvra les yeux. Elle se trouvait dans ce qui semblait un parfait reflet de la bibliothèque. Derrière elle
il y avait du verre, derrière lequel sa cousine se trouvait.
« Je parie que tu ne savais pas que les miroirs avaient cet usage, susurra Pénélope en souriant au même
temps. Je ne doute que tu ailles sortir d’ici, au moins que tu sais comment défaire le sortilège.
— Quoi… ? Mais comment… ?
— C’est drôle, n’est-ce pas, Sybille ? Tu crois connaître quelqu’un et au fond tu ne le connaissais par du
tout. En passant ici toutes les vacances, tu n’avais même pas aucune idée de que ton oncle était un
magicien et j’étais son apprentie. Comment tu es là-dedans ? Je sais, c’est horrible. Cet idiot d’Émile a
essayé de m’enfermer dans le miroir du séjour quand il a vu ce que je tramais. Enfermer sa propre fille ?
Sa petite poupée ? Mais avec mes connaissances de magie il n’était pas difficile de le casser.
— Tu ne peux pas… ! Quelqu’un verra que je ne suis pas là !
— T’inquiètes pas, chérie. Tous les adultes ont bu mon punch, elle répliqua avec un rire aiguë. Ils
s’endormiront et ne se réveilleront pas jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Quand à ton frère, même s’il savait
que tu es dans le miroir, et je le doute, je ne crois pas qu’il se préoccupera de toi. Il aura d' autres choses
à la tête. Et maintenant, je dois m’en aller. »
Pénélope sortit de la bibliothèque. En allant au séjour elle trouva Victor.
« Ça va ? demanda-t-il. Tu as mis longtemps.
—J’étais… la bibliothèque me rappelle… » Elle laissa échapper une larme. « Tu veux monter à ma
chambre ? »
Victor se sentit comme s’il y avait une étrange force qui lui obligeait à suivre cette fille. Il la prit de la
main et monta les escaliers.
« Qu’est-ce que c’est, cette odeur ? » demanda Victor quand il entra dans la chambre.
« Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Ça sent l’oxyde.
—Ne dis pas de bêtises. Tu veux parler un peu ? »
Sybille était montée dans la chambre, supposant qu’ils seraient là, et les regardait à travers le miroir.
Qu’est-ce qu’elle avait lu sur les miroirs dans la bibliothèque ?
Pénélope regarda son montre.
« Il est presque l’heure. Viens, je veux te montrer quelque chose. »
Devant le stupéfait Victor, le miroir dans le mur se déplaça pour montrer une petite salle dans laquelle il
y avait un chaudron et des étagères bourrées de vieilleries.
« Comment tu as… ?
— Tu vois ça, Victor ? » C’était une poupée. Il ressemblait beaucoup à lui ; il avait les mêmes cheveux
blond et les mêmes yeux verts. « Je l’ai fait. Après que tu es parti. » Elle prit un couteau et un comptegouttes de l’étagère.
« Quoi ? » Victor essaya de bouger, mais quelque chose l’empêchait. Pénélope coupa sa main avec le
couteau. « Qu’est-ce que tu fais ? Lâche-moi ! »
« Cinq millilitres de sang, exactement. Maintenant je dois attendre que la lune et le soleil soient en
même temps dans le ciel et t’arracher le cœur. Ça ne fera pas trop mal, j’espère. Et, une fois que ton âme
est dans la poupée, tu ne m’abandonneras pas… Jamais...
« Tu es folle ! » cria Victor ; ses lèvres étaient la seul partie de son corps qu’il pouvait bouger.
« Je préfère le terme romantique. N’est-il pas l’amour un type différent de folie ? Depuis que nous étions
petits, je t’aimais, Victor, mais tu m’as abandonné. Tu as cessé de venir. Je dois donc m’assurer de que
tu restes ici… pour toujours. De la même façon qu’Émile a transformé sa poupée préférée en une fille
pour passer son héritage, je te transformerais en une poupée.
— Je rêve, n’est-ce pas ? Ce n’est qu’une horrible cauchemar.
— Oh, chéri. Émile n’avait pas de femme ni d' enfants. Tout son travail disparaitrait avec sa mort. Il a
recherchçe pendant des années pour créer la fille parfaite et il m’a donné de la vie à partir d’une poupée.
Il a fait un bon travail, tu ne crois pas ? demanda Pénélope en se regardant le corps. Personne ne l’aurait
pas dit. Il m’a appris son métier de magicien. Il ne supposa jamais que je tomberais amoureuse de mon
cousin adoptif. Bien sûr, il s’est rendu compte et m’a interdit de te revoir. À ce moment-là, j’ai pensé
que des funérailles seraient la manière parfaite de vous faire venir. » Elle rit. Victor n’avait jamais
entendu sortir d’elle un rire si désagréable. « Ça va ? Tu peux bouger ? » Elle rit à nouveau.
Je peux le faire, pensait Billie. Casse-toi. Casse-toi. Casse-toi. Rien. Elle essaya de visualiser une petite
fissure qui grandissait progressivement. Casse-toi, casse-toi. Une fissure minuscule est apparue.
Oui ! Casse-toi, casse-toi, casse-toi, casse toi. La fissure grandit suffisamment pour rompre la
concentration de Pénélope. Victor, libre de son influx, profitait un second de distraction pour se lancer
sur elle. Le miroir finit de se casser, laissant libre Sybille. Pénélope essaya de se libérer futilement ; le
couteau encore dans sa main s’enfonça. Le corps de Pénélope se réduit à la taille d’une poupée.
« Mon dieu, dit Victor en haletant. Mais que vient d’arriver ? Que faisais-tu là-dedans ? »
De nouveau dans sa ville natale, les choses étaient revenues à la normalité (dans la mesure où la vie de
quelqu’un peut être normale après découvrir que son oncle est un magicien et sa cousine est une poupée
assassine). Ses parents, par contre, n’avaient aucun souvenir de ce soir.
Victor se leva tard ce matin. Il y avait une boîte blanche dans la table de la cuisine.
« Elle vient d’arriver par courrier, expliqua sa mère. C’est l’héritage de ton oncle. C’est sa collection de
poupées. »

Documents pareils