FICHE SPECTACLE v2

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FICHE SPECTACLE v2
FICHE SPECTACLE - COUAC
Théâtre d’ombres, Danse - Dès 2 ans - Durée 30 min
Texte et Mise en scène
Angélique Friant
Production
Cie Succursale 101
Scénographie
David Girondin Moab
Coproduction
Le Salmanazar – Scène de Création et de Diffusion
d’Epernay, La Comédie de Caen – CDN de
Normandie, Espace Jéliote – SC “Arts de la
Marionnette” de la Communauté de Communes
du Piémont Oloronais.
Création graphique
Emilie Vast
Création Musicale
Uriel Barthélémi
AVEC
Chiara Collet, Paolo Locci en alternance avec Jade
Collet
Création LUMIÈRES et vidéo
Stéphane Bordonaro
Regards chorégraphiques
Marinette Dozeville
Avec le soutien du
Festival les Boréales à Caen, de La Comédie de
Reims – CDN, du Théâtre Nouvelle Génération –
CDN à Lyon, du Safran – SC Pluridisciplinaire et
d’Expérimentation à Amiens, du Jardin Parallèle à
Reims, du Conseil Régional de ChampagneArdenne / Orcca, du Ministère de la Culture et de
la Communication / DRAC Champagne-Ardenne,
du Conseil Général de la Marne, de la Ville de
Reims et de la Spedidam
Grand Bleu, spectacle vivant pour les nouvelles générations
36 avenue Marx Dormoy – 59000 LILLE / 03.20.09.88.44 / www.legrandbleu.com / [email protected]
Le Spectacle
Un conte initiatique universel d’une poésie visuelle et sonore délicate.
Une coquille d’œuf qui se brise, un corps qui s’éveille, la maladresse des premiers gestes…
De sa naissance à la prise de son envol, Couac, le petit canard se demande qui il est. Au travers d’un voyage
parsemé d’embûches, il découvre le monde qui l’entoure et le regard des autres. La compagnie plonge le spectateur
dans l’univers du merveilleux grâce à une toile animée où se mêlent danse, objets et théâtre d’ombres.
Adaptation libre du Vilain petit canard d’Andersen, Couac explore les différentes thématiques que le conte recèle.
La quête de l’identité, la découverte de la différence, la recherche de soi, de son cocon… bien des épreuves pour
accéder à son épanouissement.
La Compagnie
La Compagnie Succursale 101 est fondée à Reims en 2006 par Angélique Friant, comédienne- marionnettiste.
La dramaturgie, élément vertébral du spectacle vivant, s’impose immédiatement comme vecteur du travail de
recherche de la compagnie.
Autour de cet axe, tout matériau nécessaire à la représentation peut être engagé dans la création sans souci de code
théâtral, sinon celui que suscite le propos initial.
C’est dans cet esprit que la compagnie Succursale 101 explore les disciplines qui composent actuellement la scène
contemporaine et mêle, avec le souci aigu de créer une dramaturgie forte, des domaines artistiques tels que le
théâtre, la marionnette, le masque, la danse, la musique, la vidéo, le cirque, la magie nouvelle…
La Compagnie Succursale 101 a créé Colette Michard et De la porte d’Orléans en 2008, Petit-Bleu et Petit-Jaune en
2009 et Le Laboratorium en 2010, Couac en 2013 et Gretel en 2014.
En 2010, David Girondin Moab et Angélique Friant mettent en place Le Jardin Parallèle, lieu de fabrication, de
recherches et d’expérimentations marionnettiques. Ils créent et co-dirigent, depuis 2010, le Festival Orbis Pictus au
Palais du Tau à Reims, festival de formes brèves marionnettiques.
En 2011, la compagnie travaille sur deux formes légères et expérimentales, De Paille, de bois ou de brique… d’après
l’histoire des Trois petits cochons, et Erotic’Michard, striptease pour marionnette à taille humaine. En 2012, la
compagnie a créé les spectacles Gerda et les Spécimens.
En 2013, Angélique Friant conçoit avec David Girondin Moab l’installation plastique immersive Les esprits de la
forêt, labyrinthe marionnettique à la Condition Publique de Roubaix.
Les pistes et prolongements évoqués dans cette fiche sont loin d’être exhaustifs. Ces pistes peuvent vous aider à
avoir une meilleure appréhension du spectacle en amont de votre venue et vous donner des idées pour préparer au
mieux votre groupe à la réception du spectacle. Certaines d’entre elles peuvent aussi être travaillées comme un
prolongement.
Cette fiche spectacle a été réalisée à l’aide du dossier pédagogique de la compagnie.
« Je ne suis pas un canard, je suis une cigogne
je ne suis pas une cigogne, je suis un flamant rose
je ne suis pas un flamant rose, je suis un martin-pêcheur
je ne suis pas un martin-pêcheur, je suis un rossignol
je ne suis pas un rossignol, je suis un pélican.
Je ne suis pas un pélican, je suis une mouette
je ne suis pas une mouette, je suis un albatros
je ne suis pas un albatros, je suis juste un piaf…
un vilain petit piaf… »
L’adaptation du conte
Le Vilain petit canard - en danois Den grimme ælling – est écrit par Hans Christian Andersen en juillet 1842.
Une traduction du texte intégral est proposée en annexe de cette fiche spectacle.
Quand le vilain petit canard est né, il ne ressemblait pas à ses frères et sœurs de couvée. Rejeté de tous, à cause de
ce physique différent, il est contraint de quitter sa « famille» et de partir, loin, pour ne plus subir leurs moqueries et
leurs coups. Sur son chemin, ceux qu’il rencontre ne l’acceptent pas vraiment non plus.
Un jour, cependant, ébloui par la beauté des cygnes, le vilain petit canard décide d’aller vers eux et se transforme lui
même en un magnifique cygne. De fait, il se fait aimer plus que tous et devient plus beau que jamais.
Cette histoire a été reprise dans des dessins animés, films et de nombreux livres pour enfants et adultes.
Image n°1
Image n°2
Image n°3
Image n°1 : Image extraite du dessin animé Le vilain petit canard, Walt Disney, Etats Unis (1939)
Image n°2: Affiche du film Le vilain petit canard et moi, France (2005)
Image n°3 : Couverture du livre Drôle d’œuf, d’Emily Gravett, édition Kaléidoscope (2008)
Proposition :
- A partir d’un travail sur le conte d’Andersen, interroger les enfants sur les éléments qui leur paraissent essentiels à
reprendre dans le spectacle. Comment imaginent-ils le décor ? Combien de danseurs vont être présents sur scène ?
Comment vont-ils travailler avec l’espace ?
Les thématiques
La compagnie a travaillé à partir des différentes thématiques du conte sur une dramaturgie non-linéaire construite
d’images et de son.
La naissance
La naissance du personnage a lieu dans un univers blanc et épuré. Il est entouré de douceur, plongé dans un monde
de plumes.
Lentement, son corps s’étire et se tend. Il cherche les points d’appui qui lui permettront de se redresser. Il développe
son corps pour composer ses premiers mouvements. Cette étape est la révélation des maladresses inhérentes aux
débuts, aux premiers pas. Une étape qui dure jusqu’à l’émerveillement de la conscience d’être beau, véritable oubli
de soi. La danse s’impose ici naturellement pour dire ce corps qui naît, évolue, se transforme, s’épanouit.
Proposition :
- Mimer dans un premier temps les premiers mouvements d’une naissance, être accroupi puis petit à petit s’étirer.
- Interroger les enfants sur les émotions que peut ressentir le petit canard lors de sa naissance : peur, angoisse ou au
contraire l’impatience, la joie de découvrir le monde
- Puis dans un deuxième temps, les théâtraliser.
Le rapport aux autres : la différence
Très tôt, le petit canard reçoit les regards des « autres », d’abord ceux de ses parents, puis ceux de ses frères, puis
ceux du monde qui l’entoure. Les regards sont traités du point de vue du petit canard. En imaginant comment il les
reçoit, comment il les perçoit, comment il les fantasme, comment il les transforme.
Est-ce que je suis comme mes parents m’ont rêvé ? Est-ce que je réponds à leurs attentes ?
Puis il passe sous les regards de ses semblables.
Est-ce que je leur ressemble ?
En quoi suis-je différent ? Vont-ils m’accepter parmi eux ?
Comment m’accepter tel que je suis ?
Le spectacle questionne l’identité d’un être, le rapport aux autres : comment se perçoit-on ? Comment nous
perçoivent les autres ? Qui est-on vraiment ? Dans le spectacle, Couac cherche qui il est en se comparant à d’autres.
Proposition :
Le jeu des ressemblances et des différences, par le biais :
1/ D’une photo du spectacle (par exemple celle en première page de cette fiche), en faisant une comparaison entre
le vilain petit canard et le hibou
2/ Sous la forme d’un dessin ou d’un collage, les enfants peuvent se différencier d’un des personnages animaliers de
l’histoire (cygne, cigogne, biche etc)
3/ Proposer un parallèle avec leurs parents ou un membre de leur famille.
L’univers visuel et sonore
L’univers graphique
L’illustratrice Emilie Vast aime l’esthétique enfantine, la nature et la simplicité des formes qu’elle combine dans des
illustrations douces, nostalgiques, parfois mélancoliques et poétiques. C’est à partir de l’animation vidéo de ses
dessins qu’Angélique Friant crée l’univers visuel du spectacle. Le travail de lumière et de vidéo construit autour du
personnage un univers totalement onirique. Un espace hors du temps, magique, où les couleurs vont apparaître au
fur et à mesure, comme un monde à découvrir qui se déroule sous les yeux de notre petit personnage. Le cocon
familial, les paysages, les rêves et les cauchemars.
La vidéo l’entraine dans les airs au milieu des nuages, à travers les champs de roseaux, au milieu des pissenlits ou
dans un univers aquatique à la découverte des poissons... Le castelet traditionnel est revisité devant un espace de
manipulation d’ombre et de vidéo.
Le livre Couac, illustré par l’artiste Emilie Vast, a été adapté à partir du spectacle. On y retrouve l’univers du
spectacle à l’aide de l’animation des illustrations d’Emilie Vast.
Image n°1
Image n°2
Image n°1 : couverture du livre Couac
Image n°2 : illustration tirée du livre Couac
Propositions :
- A partir de la première de couverture de l’album d’Emilie Vast, travailler sur les attentes des enfants. Que peut-on
imaginer à partir de cette image ?
- Donnez un titre de tableau à l’illustration (image n°2), en fonction du moment du récit qu’elle représente.
Inspirée par les arts graphiques du passé, amoureuse de la nature, Emilie Vast met en scène dans son travail plantes
et animaux, comme autant de personnages venant raconter leurs histoires dans des illustrations stylisées, douces et
poétiques. Elle joue avec les lignes pures, la couleur en aplat et le contraste.
Image n°1
Image n°2
Image n°3
Image n°1 : Illustration tirée du livre Il était un arbre, d’Emilie Vast (2012)
Image n°2 : Illustration tirée du livre En t’attendant, d’Emilie Vast (2014)
Image n°3 : Illustration tirée du livre Korokoro, d’Emilie Vast (2011)
Propositions :
- Repérer tous les composants présents dans les illustrations (feuilles, silhouettes d’animaux, effet d’un voile
surplombant l’image,…).
- À la manière d’Emilie Vast, imaginez vos propres illustrations : Ramassez quelques feuilles mortes mais encore
bien colorées. Découpez des silhouettes animales de tailles différentes dans du papier. Prenez des feuilles de
couleurs différentes dans lesquelles vous découpez des formes : un sol, une montagne, un soleil, une lune, etc. Collez
ensuite tous ces éléments (feuilles, silhouettes, formes) sur une feuille de couleur ou du papier de soie. Disposez
tous les collages contre une fenêtre (ou sur une table lumineuse) pour en apercevoir les effets d’ombre.
Le mouvement
Le spectacle utilise plusieurs disciplines artistiques liées au mouvement du corps, notamment le théâtre et la danse
contemporaine.
La danse est, selon le Larousse, « l’Art de s'exprimer en interprétant des compositions chorégraphiques ». La danse
et ses représentations ont beaucoup évolué ces dernières années et sont toujours en perpétuel changement mais ce
que l’on peut retenir d’essentiel dans l’action de «danser », c’est le mouvement, le fait de raconter une histoire avec
son corps.
Proposition :
- Proposer aux enfants de raconter par le corps les premières tentatives de Couac pour voler. On peut travailler sur
le mimétisme, la maladresse, la perte d’équilibre, la chute, le fait de se remettre debout et d’aplomb.
L’univers sonore
L’écriture musicale d’Uriel Bathélemi participe aussi totalement à l’univers du spectacle. Elle y dessine les voix, les
espaces, les atmosphères.
Pour découvrir les ambiances musicales
https://www.youtube.com/watch?v=L01g5fVhYOc
du
spectacle,
découvrez
des
extraits
vidéos
sur :
Pour aller plus loin
- Des idées de jeux, d’exercices, de déclencheurs… pour solliciter l’imagination des enfants/adolescents avant ou
après le spectacle. A découvrir dans le dossier « De l’art d’accompagner un enfant ou un adolescent au spectacle »,
réalisé par l’équipe du Grand Bleu.
Téléchargeable sur : http://legrandbleu.com/wpcontent/uploads/2015/07/DOSSIER_De_lart_daccompagner_un_enfant_ou_adolescent_au_spectacle.pdf
- Site de la compagnie Succursale 101 : http://www.s101.fr/
- Extraits vidéo du spectacle Couac : https://www.youtube.com/watch?v=L01g5fVhYOc
- Version imagée du conte Le Vilain Petit canard de Hans Christian Andersen, traduction David Soldi, illustrations
Theo Van Hoytema.
Disponible sur : http://romainelubrique.org/IMG/pdf/le-vilain-petit-canard.pdf
Annexe - Intégralité du conte Le vilain petit canard
Comme il faisait bon dans la campagne ! C'était l'été. Les blés étaient dorés, l'avoine verte, les foins coupés embaumaient,
ramassés en tas dans les prairies, et une cigogne marchait sur ses jambes rouges, si fines et si longues et claquait du bec en
égyptien (sa mère lui avait appris cette langue-là).
Au-delà, des champs et des prairies s'étendaient, puis la forêt aux grands arbres, aux lacs profonds.
En plein soleil, un vieux château s'élevait entouré de fossés, et au pied des murs poussaient des bardanes aux larges feuilles, si
hautes que les petits enfants pouvaient se tenir tout debout sous elles. L'endroit était aussi sauvage qu'une épaisse forêt, et c'est
là qu'une cane s'était installée pour couver. Elle commençait à s'ennuyer beaucoup. C'était bien long et les visites étaient rares
les autres canards préféraient nager dans les fossés plutôt que de s'installer sous les feuilles pour caqueter avec elle.
Enfin, un œuf après l'autre craqua. “Pip, pip”, tous les jaunes d'œufs étaient vivants et sortaient la tête.
— Coin, coin, dit la cane, et les petits se dégageaient de la coquille et regardaient de tous côtés sous les feuilles vertes. La mère
les laissait ouvrir leurs yeux très grands, car le vert est bon pour les yeux.
— Comme le monde est grand, disaient les petits.
Ils avaient bien sûr beaucoup plus de place que dans l'œuf.
— Croyez-vous que c'est là tout le grand monde ? dit leur mère, il s'étend bien loin, de l'autre côté du jardin, jusqu'au champ du
pasteur — mais je n'y suis jamais allée.
« Êtes-vous bien là, tous ? » Elle se dressa. « Non, le plus grand œuf est encore tout entier. Combien de temps va-t-il encore
falloir couver ? J'en ai par-dessus la tête. » Et elle se recoucha dessus.
— Eh bien ! Comment ça va ? demanda une vieille cane qui venait enfin rendre visite.
— Ça dure et ça dure, avec ce dernier œuf qui ne veut pas se briser. Mais regardez les autres, je n'ai jamais vu des canetons plus
ravissants. Ils ressemblent tous à leur père, ce coquin, qui ne vient même pas me voir.
— Montre-moi cet œuf qui ne veut pas craquer, dit la vieille. C'est, sans doute, un œuf de dinde, j'y ai été prise moi aussi une fois,
et j'ai eu bien du mal avec celui-là. Il avait peur de l'eau et je ne pouvais pas obtenir qu'il y aille. J'avais beau courir et crier. Faismoi voir. Oui, c'est un œuf de dinde, sûrement. Laisse-le et apprends aux autres enfants à nager.
— Je veux tout de même le couver encore un peu, dit la mère. Maintenant que j'y suis depuis longtemps.
— Fais comme tu veux, dit la vieille, et elle s'en alla.
Enfin, l'œuf se brisa.
— Pip, pip, dit le petit en roulant dehors.
Il était si grand et si laid que la cane étonnée, le regarda.
— En voilà un énorme caneton, dit-elle, aucun des autres ne lui ressemble. Et si c'était un dindonneau, eh bien, nous allons
savoir ça au plus vite.
Le lendemain, il faisait un temps splendide. La cane avec toute la famille S'approcha du fossé. Plouf ! Elle sauta dans l'eau. Coin !
Coin ! commanda-t-elle, et les canetons plongèrent l'un après l'autre, même l'affreux gros gris.
— Non, ce n'est pas un dindonneau, s'exclama la mère. Voyez comme il sait se servir de ses pattes et comme il se tient droit.
C'est mon petit à moi. Il est même beau quand on le regarde bien. Coin ! coin : venez avec moi, je vous conduirai dans le monde
et vous présenterai à la cour des canards. Mais tenez-vous toujours près de moi pour qu'on ne vous marche pas dessus, et
méfiez-vous du chat.
Ils arrivèrent à l'étang des canards où régnait un effroyable vacarme. Deux familles se disputaient une tête d'anguille. Ce fut le
chat qui l'attrapa.
— Ainsi va le monde ! dit la cane en se pourléchant le bec.
Elle aussi aurait volontiers mangé la tête d'anguille.
— Jouez des pattes et tâchez de vous dépêcher et courbez le cou devant la vieille cane, là-bas, elle est la plus importante de nous
tous. Elle est de sang espagnol, c'est pourquoi elle est si grosse. Vous voyez qu'elle a un chiffon rouge à la patte, c'est la plus
haute distinction pour un canard. Cela signifie qu'on ne veut pas la manger et que chacun doit y prendre garde. Ne mettez pas
les pattes en dedans, un caneton bien élevé nage les pattes en dehors comme père et mère. Maintenant, courbez le cou et faites
coin !
Les petits obéissaient, mais les canards autour d'eux les regardaient et s'exclamaient à haute voix :
— Encore une famille de plus, comme si nous n'étions pas déjà assez. Et il y en a un vraiment affreux, celui-là nous n'en voulons
pas.
Une cane se précipita sur lui et le mordit au cou.
— Laissez le tranquille, dit la mère. Il ne fait de mal à personne.
— Non, mais il est trop grand et mal venu. Il a besoin d'être rossé.
— Elle a de beaux enfants, cette mère ! dit la vieille cane au chiffon rouge, tous beaux, à part celui-là : il n'est guère réussi. Si on
pouvait seulement recommencer les enfants ratés !
— Ce n'est pas possible, Votre Grâce, dit la mère des canetons; il n'est pas beau mais il est très intelligent et il nage bien, aussi
bien que les autres, mieux même. J'espère qu'en grandissant il embellira et qu'avec le temps il sera très présentable.
Elle lui arracha quelques plumes du cou, puis le lissa :
— Du reste, c'est un mâle, alors la beauté n'a pas tant d'importance.
— Les autres sont adorables, dit la vieille. Vous êtes chez vous, et si vous trouvez une tête d'anguille, vous pourrez me l'apporter.
Cependant, le pauvre caneton, trop grand, trop laid, était la risée de tous. Les canards et même les poules le bousculaient. Le
dindon — né avec des éperons — et qui se croyait un empereur, gonflait ses plumes comme des voiles. Il se précipitait sur lui en
poussant des glouglous de colère. Le pauvre caneton ne savait où se fourrer. La fille de basse-cour lui donnait des coups de
pied. Ses frères et sœurs, eux-mêmes, lui criaient :
— Si seulement le chat pouvait te prendre, phénomène !
Et sa mère :
— Si seulement tu étais bien loin d'ici !
C'en était trop ! Le malheureux, d'un grand effort s'envola par-dessus la haie, les petits oiseaux dans les buissons se sauvaient à
tire d'aile.
« Je suis si laid que je leur fais peur », pensa-t-il en fermant les yeux.
Il courut tout de même jusqu'au grand marais où vivaient les canards sauvages. Il tombait de fatigue et de chagrin et resta là
toute la nuit.
Au matin, les canards en voyant ce nouveau camarade s'écrièrent :
— Qu'est-ce que c'est que celui-là ?
Notre ami se tournait de droite et de gauche, et saluait tant qu'il pouvait.
— Tu es affreux, lui dirent les canards sauvages, mais cela nous est bien égal pourvu que tu n'épouses personne de notre famille.
Il ne songeait guère à se marier, le pauvre ! Si seulement on lui permettait de coucher dans les roseaux et de boire l'eau du
marais.
Il resta là deux jours. Vinrent deux oies sauvages, deux jars plutôt, car c'étaient des mâles, il n'y avait pas longtemps qu'ils
étaient sortis de l'œuf et ils étaient très désinvoltes.
— Écoute, camarade, dirent-ils, tu es laid, mais tu nous plais. Veux-tu venir avec nous et devenir oiseau migrateur ? Dans un
marais à côté il y a quelques charmantes oiselles sauvages, toutes demoiselles bien capables de dire coin, coin (oui, oui), et laid
comme tu es, je parie que tu leur plairas.
Au même instant, il entendit “Pif ! Paf !”, les deux jars tombèrent raides morts dans les roseaux, l'eau devint rouge de leur sang.
Toute la troupe s'égailla et les fusils claquèrent de nouveau.
Des chasseurs passaient, ils cernèrent le marais, il y en avait même grimpés dans les arbres. Les chiens de chasse couraient
dans la vase. Platch ! Platch ! Les roseaux volaient de tous côtés; le pauvre caneton, épouvanté, essayait de cacher sa tête sous
son aile quand il vit un immense chien terrifiant, la langue pendante, les yeux étincelants. Son museau, ses dents pointues
étaient déjà prêts à le saisir quand — Klap ! il partit sans le toucher.
— Oh ! Dieu merci ! je suis si laid que même le chien ne veut pas me mordre.
Il se tint tout tranquille pendant que les plombs sifflaient et que les coups de fusils claquaient. Le calme ne revint qu'au milieu
du jour, mais le pauvre n'osait pas se lever, il attendit encore de longues heures, puis quittant le marais il courut à travers les
champs et les prés, malgré le vent qui l'empêchait presque d'avancer.
Vers le soir, il atteignit une pauvre masure paysanne, si misérable qu'elle ne savait pas elle-même de quel côté elle avait envie
de tomber, alors elle restait debout provisoirement. Le vent sifflait si fort qu'il fallait au caneton s'asseoir sur sa queue pour lui
résister. Il s'aperçut tout à coup que l'un des gonds de la porte était arraché, ce qui laissait un petit espace au travers duquel il
était possible de se glisser dans la cabane. C'est ce qu'il fit.
Une vieille paysanne habitait là, avec son chat et sa poule. Le chat pouvait faire le gros dos et ronronner. Il jetait même des
étincelles si on le caressait à rebrousse-poil. La poule avait les pattes toutes courtes, elle pondait bien et la femme les aimait tous
les deux comme ses enfants.
Au matin, ils remarquèrent l'inconnu. Le chat fit chum et la poule fit cotcotcot.
— Qu'est-ce que c'est que ça ! dit la femme.
Elle n'y voyait pas très clair et crut que c'était une grosse cane égarée.
« Bonne affaire, pensa-t-elle, je vais avoir des œufs de cane. Pourvu que ce ne soit pas un mâle. Nous verrons bien. »
Le caneton resta à l'essai, mais on s'aperçut très vite qu'il ne pondait aucun œuf. Le chat était le maître de la maison et la poule
la maîtresse. Ils disaient : « Nous et le monde », ils pensaient bien en être la moitié, du monde, et la meilleure. Le caneton était
d'un autre avis, mais la poule ne supportait pas la contradiction.
— Sais-tu pondre ? demandait-elle.
— Non.
— Alors, tais-toi.
Et le chat disait :
— Sais-tu faire le gros dos, ronronner ?
— Non.
— Alors, n'émets pas des opinions absurdes quand les gens raisonnables parlent. Le caneton, dans son coin, était de mauvaise
humeur; il avait une telle nostalgie d'air frais, de soleil, une telle envie de glisser sur l'eau. Il ne put s'empêcher d'en parler à la
poule.
— Qu'est-ce qui te prend, répondit-elle. Tu n'as rien à faire, alors tu te montes la tête. Tu n'as qu'à pondre ou bien ronronner, et
cela te passera.
— C'est si délicieux de glisser sur l'eau, dit le caneton, si exquis quand elle vous passe par-dessus la tête, et de plonger jusqu'au
fond !
— En voilà un plaisir, dit la poule. Tu es complètement fou. Demande au chat, qui est l'être le plus intelligent que je connaisse,
s'il aime glisser sur l'eau ou plonger la tête dedans. Je ne parle même pas de moi. Demande à notre hôtesse, la vieille paysanne.
Il n'y a pas plus intelligent. Crois-tu qu'elle a envie de nager et d'avoir de l'eau par-dessus la tête ?
— Vous ne me comprenez pas, soupira le caneton.
— Alors, si nous ne te comprenons pas, qui te comprendra ? Tu ne vas tout de même pas croire que tu es plus malin que le chat
ou la femme… ou moi-même ! Remercie plutôt le ciel de ce qu'on a fait pour toi ! N'es-tu pas là, dans une chambre bien chaude,
avec des gens capables de t'apprendre quelque chose ? Mais tu n'es qu'un vaurien, et il n'y a aucun plaisir à te fréquenter.
Remarque que je te veux du bien, et si je te dis des choses désagréables c'est que je suis ton amie… Essaie un peu de pondre ou
de ronronner !
— Je crois que je vais me sauver dans le vaste monde, avoua le caneton.
— Eh bien ! vas-y donc !
Il s'en alla.
L'automne vint, les feuilles dans la forêt passèrent du jaune au brun, le vent les faisait voler de tous côtés. L'air était froid, les
nuages lourds de grêle et de neige, dans les haies nues les corbeaux croassaient “kré ! kru ! krà !” oui, il y avait de quoi grelotter.
Le pauvre caneton n'était guère heureux.
Un soir, au soleil couchant, un grand vol d'oiseaux sortit des buissons. Jamais le caneton n'en avait vu de si beaux, d'une
blancheur si immaculée, avec de longs cous ondulants. Ils ouvraient leurs larges ailes et s'envolaient loin des contrées glacées
vers le midi, vers les pays plus chauds, vers la mer ouverte. Ils volaient si haut, si haut, que le caneton en fut impressionné; il
tournait sur l'eau comme une roue, tendait le cou vers le ciel… il poussa un cri si étrange et si puissant que lui-même en fut
effrayé.
Jamais il ne pourrait oublier ces oiseaux merveilleux ! Lorsqu'ils furent hors de sa vue, il plongea jusqu'au fond de l'eau et quand
il remonta à la surface, il était comme hors de lui-même. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux ni où ils s'envolaient, mais il les
aimait comme il n'avait jamais aimé personne. Il ne les enviait pas, comment aurait-il rêvé de leur ressembler…
L'hiver fut froid, terriblement froid. Il lui fallait nager constamment pour empêcher l'eau de geler autour de lui. Mais, chaque
nuit, le trou où il nageait devenait de plus en plus petit. La glace craquait, il avait beau remuer ses pattes, à la fin, épuisé, il resta
pris dans la glace.
Au matin, un paysan qui passait le vit, il brisa la glace de son sabot et porta le caneton à la maison où sa femme le ranima.
Les enfants voulaient jouer avec lui, mais lui croyait qu'ils voulaient lui faire du mal, il s'élança droit dans la terrine de lait
éclaboussant toute la pièce; la femme criait et levait les bras au ciel. Alors, il vola dans la baratte où était le beurre et, de là, dans
le tonneau à farine. La paysanne le poursuivait avec des pincettes; les enfants se bousculaient pour l'attraper… et ils riaient… et
ils criaient. Heureusement, la porte était ouverte ! Il se précipita sous les buissons, dans la neige molle, et il y resta anéanti.
Il serait trop triste de raconter tous les malheurs et les peines qu'il dut endurer en ce long hiver.
Pourtant, un jour enfin, le soleil se leva, déjà chaud, et se mit à briller. C'était le printemps. Alors, soudain, il éleva ses ailes qui
bruirent et le soulevèrent, et avant qu'il pût s'en rendre compte, il se trouva dans un grand jardin plein de pommiers en fleurs.
Là, les lilas embaumaient et leurs longues branches vertes tombaient jusqu'aux fossés.
Comme il faisait bon et printanier ! Et voilà que, devant lui, sortant des fourrés trois superbes cygnes blancs s'avançaient. Il
ébouriffaient leurs plumes et nageaient si légèrement, et il reconnaissait les beaux oiseaux blancs. Une étrange mélancolie
s'empara de lui.
— Je vais voler jusqu'à eux et ils me battront à mort, moi si laid, d'avoir l'audace de les approcher ! Mais tant pis, plutôt mourir
par eux que pincé par les canards, piqué par les poules ou par les coups de pied des filles de basse-cour !
Il s'élança dans l'eau et nagea vers ces cygnes pleins de noblesse. À son étonnement, ceux-ci, en le voyant, se dirigèrent vers lui.
— Tuez-moi, dit le pauvre caneton en inclinant la tête vers la surface des eaux.
Et il attendit la mort.
Mais alors, qu'est-ce qu'il vit, se reflétant sous lui, dans l'eau claire ? C'était sa propre image, non plus comme un vilain gros
oiseau gris et lourdaud… il était devenu un cygne !!!
Car il n'y a aucune importance à être né parmi les canards si on a été couvé dans un œuf de cygne !
Il ne regrettait pas le temps des misères et des épreuves puisqu'elles devaient le conduire vers un tel bonheur ! Les grands
cygnes blancs nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec.
Quelques enfants approchaient, jetant du pain et des graines. Le plus petit s'écria : — Oh ! il y en a un nouveau.
Et tous les enfants de s'exclamer et de battre des mains et de danser en appelant père et mère.
On lança du pain et des gâteaux dans l'eau. Tous disaient : « Le nouveau est le plus beau, si jeune et si gracieux. » Les vieux
cygnes s'inclinaient devant lui.
Il était tout confus, notre petit canard, et cachait sa tête sous l'aile, il ne savait lui-même pourquoi. Il était trop heureux, pas du
tout orgueilleux pourtant, car un grand cœur ne connaît pas l'orgueil. Il pensait combien il avait été pourchassé et haï alors qu'il
était le même qu'aujourd'hui où on le déclarait le plus beau de tous ! Les lilas embaumaient dans la verdure, le chaud soleil
étincelait. Alors il gonfla ses plumes, leva vers le ciel son col flexible et de tout son cœur comblé il cria : « Aurais-je pu rêver
semblable félicité quand je n'étais que le vilain petit canard ! »

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