F Du proto-soi social au sujet moral: rupture ou continuité?

Transcription

F Du proto-soi social au sujet moral: rupture ou continuité?
LH LANGA(;E tlf LA MC
F
Du proto-soi socialau sujetmoral:
rupture ou continuité?
Itobrice Ot.Étvrr,N.r
La posture naturaliste
Les sciences
hunririnesollt po'r habituc* <ieconsidérer
que l,apport
dessciences
naturellesn,estpaspertine't à l,avancement
de l"ï., prop.",
recherches.
cet a priori.disciplinaire
reposesur une croyancerarement
ex_
plicitée:au coursde |histoirenaturelre,
l'émergence
de capacités
tout à fait
extraordinaires
aurait pour.ainsi clirepousséles sujetshumains
hors de
I'ordrede la nature.cette idée,qui faitie
l'espèce
hurnaineun. .rp".. nà
part>' a.l'avantagede flatter favorablement
l'ego.1", hu-ui,r, l.l, .o-,,'.
on le sait'ont beaucoupde peineà admettre
leur naturea.ri-ur'" (DEcoNcHv 1993)'Par contre,en
à ce penchant,les sciences
humaineset
-cédant
socialesse condamnentà fonctionna,
"n vaseclos,sanspoint de contact
avecla science<engénéral>.
ce chapitreviseà défendreune autremanière
de concevoirra pratique
dessciences
socialesen revendiquantune continuité,
aussibien ontorogique qu'épistémologique,
entreressciences
clera natureet les sciences
de
la culture.Cettetentatives'ancredans
un constat<métaphysiquer:
de
nos
jours, la naturedescomposants
élémentaires
de notre irniver, ,r,ertplus
définiepar la philosophieou la religion
maispar lessciences
naturelles,
en
particulierla physique,lachimieeila
biologier.Dansce contexte,il paraît
pour le moins érrangede s'obstinerà
adoiter d""; p;,d.;;;;'_"rrr..,
en accordantun traitementdifférent,uo.uusulr,
à la ùalité humainetout
en admettantque les humainsne sont pas,
en fin de compte,constitués
d'autrechoseque de matière.
Dltr lespagesqui suivent,nous allonsproposer
un point de vue sur le
.
sujethumain et la moralitéqui peutct.e
q.,ahfiede <naturaliste>.
ce terme
désig.etoute <démarche
philosophiqueànrirtu,rt à harmoniserl,exnlica' uNous
vivonsdansun nrondeentièremcntcompose
c1cpa11içurg5
physiques
semouvant
dansdeschanrpsdc f'orces.certaines
sont organi.sies
en systèmes.
certains de cessystèmes
sont des systèmesvivants ct certirins
de ce-ssystèmesvivarts ont acquis Ia conscrence
au coursde l'évolution'AvecIa conscicnce
vienti'intentionalité,
la capacitécl,un,rganrsme
à sereprésenter
dcsobjetset desétatsclefaitsdu rnondelui même.,
isuo*.., 1996,p.7,na
traduction)
irvecles lois, les théories et les méthodes clessciencestle
tion philclsophique
( P n o u s ' r 2 0 0 5 ) .I ) a n s u n p r e r n i e rt e m p s ,n o u s a l l o n s p r é s e n t e r
la naturen
qui tencl t\ expuiser le sujet humain cle la
<trarditionr-rellen
iu .on."ptinn
de
souligner la résistanceà toute forrne de
permettra
n.rur.. Ceci nous
<point de vue du sujetr. Nous exposerons
naturalisme qdentraîne le
d'une démarche qui met le langageau coeLlr
ensuitebrièvement I'atvantage
fois mis en évidence les problèmes posés
Une
humaine.
de la spécificité
montrerons qu'il est possibled'enracinous
par le paradigme linguistique,
ner le sujet moral dans la nature, en insistant sur trois caractéristiquesessentiellesde la morale: l'aspect normatif des préceptesmoraux, I'exigence
de réflexivité de la part du sujet moral et la prise en compte des intérêts
d'autrui dans les actes(moraux).
La posture que nous allons adopter, pour peu que I'on s'attacheà la
socialesr,semble en un sens
première partie du mot composé <sciences
fait
à inscrire notre compréhenrevient
de
Elle
soi.
de
aller
complètement
et à tenter de faire
disciplines
autres
le
giron
des
sion de l'être humain dans
avancerl'une des plus spectaculairesentrepriseshumaines: la science.
Le sujet humain en apesanteur causale
La question morale n'est pas le domaine oùrla perspectivenaturaliste
est la plus simple à adopter. D'un point de vue grammatical, l'action morale semble être indissociable cl'une vision du sujet humain autonome,
responsablede ses choix et de leurs conséquences.Cette conception est
particulièrement bien illustrée chez un penseur qui a remarquablement
bien étudié les ressorts de l'identité personnelle et de l'éthique: Paul
RrccEun.Pour lui, le sujet a un caractèrepremier qui s'impose ou préexiste
à toute analyseet qui ne peut être <réduit> à une quelconque dimension
matérielle2.Le sujet (l'Homme) ne peut pas, par conséquent,être <expliquér.
uExpliquer,c'est toujours rarlener le complexeau simple. Applicluée
cette règle qui fait la noce des sciencesc1ela nature,
à la psychologie,
aboutit à construireI'homme comme une maison,c'est-i\-direà poser
de I'involontirireet à couronnerccs
cl'unepsychologie
d'abordlesassises
irppelle
c1u'or.r
premiersétagesde fonctionspar un étagesupplémentaire
r On reconnaît ici unc tenclance très profonde c1ui, cn un sens, appartient à I'arrie:re
p l a n i n c o n s c i e n t d e l a p l u p a r t d e s p h i l o s o p h e s . S u r l a t c n d a n c e à l ' a n t i t r r s y c h o l o g i s t ncet r
philosophie, on peut se référer à Cr-ÉruENr 1997.
\'lOlrA t.E E'l EV()LtJTI()N UIOLOG rQUE
v o l o n t é . ( . . . ) l a c o r n p r é h e n s i o np r o c è d ed e h a u t e n b a s e t n o n c l eb i r s e n
l.raut. Loin qu'on puisse dériver le volontaire de I'involontaire, c'est au
contraire la compréhension du vcllontairequi est première dans I'homme.
Je me comprenclsd'abord comme celui qui dit uje veuxu. (Rlc*un 19g3,
pp.B-e).
La prise de position sansambagesde RrccuR est symptomatiquede
toute une tradition pour laquellele soi (le selflsesituebel et bien en-deçà
- ou au-delà- de toute causalitématérielle:le sujets'autodétermine
dans
un gestequi serait<horsnature>.Ainsi,pour RrccuR, klaconscience
n'est
pasun phénomène
naturel>(Rrccun 1983,p.67).
cette perspective,
qui susciteI'accordtacitedu senscommun,estmoins
évidentequ'il n'y paraîtde prime abord.Tout d'abord,elleseheurteà une
difficultéphilosophiquede taille,appeléele uproblèmede I'homonculeo.
La personnesemblemue par une instanceinternequi dirigele comportement de I'organismequ'ellehabite:un homoncule.Mais qu'est-cequi, au
seinde cet homoncule,estresponsable
desdécisions?
On ne peut qu,imaginerun autrehomoncule,et ainside suiteà I'infini! Brel le recoursà une
instanceinterne susceptible
d'être à I'origine des décisionsindividuelles
n'estpastrèssatisfaisant
d'un point de vue ontologique(DENNETT
1991).
Par ailleurs,d'un point de vue épistémologique,
elle sembleruiner tout
espoirde recherchescientifrque
<objective>.
En effet,le sujet,par essence
'subjectifl
n'estaccessible
qu'àla premièrepersonnedu singulieret ne peut
donc êtreappréhendé
du point de vue de la troisièmepersonne,extérieure
et impersonnel,
de I'observateur
(McGrNNr 99l ). or, si l'on acceptaitcette
perspectivesubjectiviste,les sciencesde I'Homme seraientcondamnéesà
une forme de <mystérianisme>,
la compréhension
desressorts
psychologiquesdesindividuséchappantà l'emprisede touteétudescientiliqueobiective (CrÉr,aeNr
& MlrEnsrarN 2003).
Le langagecomme <objet>desscienceshumaines
Afin d'échapperaux affresdu subjectivisme,
lessciences
humainesont
vu émergerun modèlesusceptible
de leur assurerun sorontologiqueplus
solide:le langage.celui-ci présenteà premièrevue plusieursavantages.
D'une part, il possèdeun ensemblede propriétésqui permettentde sortir
de I'impasse<subjectiviste>.
En un sens,il préexisteen effet aux individus qui le parlent et peut donc être étudié de l'<extérieur>,
de manière
objective.on peut ainsi prendrepour objet la sémantiqued'une langue
(lesdictionnaires)ou sa syntaxe(lesgrammaires).Dans le même temps,
T,ELANGA(;E
I - ] ' TL A M O R A I , E
le langageassllreà I'humanité une unicité à laquelle nous semblons tenir
plus que tout. Car le langarge,en tant que systèmede signes muni d'une
attribue aux mots un sensfixé par la commupart d'une sémantique c1r-ri
nauté linguistique et d'autre part cl'une syntaxe qui permet cle combiner
((tuvre d'rrrt, (Roussg.tu
ces signes en ensemble signi{rcatifs,est une
1990) clont la maîtrise est réservéeaux humains (TlnnacE 1979).Le langage semble ainsi apporter aux scienceshumaines cet <observable,dont
ellesont tant besoin tout en préservantl'unicité du sujet humain.
A ce stacle,il convient d'apporter une précision conceptuelle:le langage peut être envisagéde deux manières différentes.Tout d'aborcl, pour
reprendre une délinitign du Grand Ro|tert,on peut le considérer comme
uune fonction d'expressionverbale de la pensée'soit intérieure, stlit extérieure>.Cette conception, que l'on pourrait qr,ralifierd'instrunrcntale,a
des ambitions théoriques relativementmodesteset il ne vaut guèrela peine
de s'y arrêter car elle ne résout en rien la prroblématicluedu sujet (celui
qui s'exprime, justement, au moyen du langage).Par contre, il existc'une
conception beaucoup plus ambitieuse,que I'on pourrait qualifier de struct u r c l l e .S c l o n c e t t e c o n c e p t i o n ,l a l a n g a g ec o n s t i t u et t n s y s t è m ed e r c n v o i
qui, pour nous autreshun-rains,médiatisenotre rapport au monde: <Le fait
que dans mes explicationsconcernant le langage,je suis bien obligé d'user
J., lurrgag" entier (non pas d'un préparatoire, provisoire) indique à lui
seul que je ne puis produire quelque chose d'extérieur quant au langage,
(WrrrcsNsrsrN 1990,S 120). Cette conception <totalisante>dtl langagea
connu un succèsconsidérabledans les scienceshumaines, et elle a connu
son acmé avec les ethnolinguistesEdward Saptn et Benjamin LEr Wuonp
qui, fascinéspar les langues amérindiennes, furent convarincusque I'esprit humain se confond en fait avecla langue nqui le parleu.Pour Wuonp,
nous clisséquonsla nature en suivant les contours dessinéspar les langages
de nos cornmunautés.Lesprit, grâce auquel nous organisonsle flux kaléisensorielles,est ainsi ramené aux systèrnes
doscopiquede nos impressior-rs
(WuonE
19,56).Cette perspective,qui fait c1ela
linguistiquesqui I'habitent
langue un medium, un filtre qui non seulementnous l-netcn contact arvec
l e m o n d e m a i sc o n s t i t u en o t r e t r n i v c r sa. c o n n u d a n sl e ss c i e n c ehst r n t a i r r e s
et socialesun succèsconsidérable.Les travaux de Foucaulr en histoire
(<episterne>),
de GeEr.r'zen anthropc'rlogie(envisagerles "cultures coml11e
oublier le
des textes>),de Dennroe en philosophie (<intertextualité>),sitl-ts
fameux ul'inconsciemtest structllré comme ut-rlangageude l,ecaN, montrent bien cornbien le langageest devenu pour beaucoup l'étalon épisténlique des sciencesde I'Hornme.
v
IC)RALE ET EVOLUTIoN
LE LANGAGT.] I]T LA MORAI,I-]
BIOI-OGIQUE
Contment, darnscette conception,aborde-t-onle problème du sujet? Essentiellement
en montrant qu'il correspondà une uplace)au sein
d'un systène.Le sujet,c'esten fait I'occupantde la placeclu nje, dans
un systèmelinguistique.Lesindividussont <appelés>
par la languedans
laquelleils grandissent
à occupercettepremièrepersonnedu sujetet à se
produire,dans un nouvement dialogique,comme le complémentd'un
<tu>à la deuxièmepersonnedu singulier.Lessujets,dansla mesureoù ils
seconstruisentdefactoen interaction,sont en quelquesorteinscritsdans
la grammaired'une languer.C'est en apprenantune langueque I'on se
trouve<invité,(<contraint>'?)
à prendrelesplacesqui noussont assignées,
notammentpar lespronomspersonnels.
pasde sujet.Et sans
Sanslangage,
sujet,pasde morale.
Le défi naturaliste
Si le paradigmelinguistique
comportepour le spécialiste
dessciences
socialesI'avantagede pouvoir adopter une démarchede type objective,il
présenteune grossedifficultépour la perspective
naturaliste.En misant
sur le langage,on réintroduit en effet un fosséentre I'Homme et le reste
de I'universpuisquecettecapacitésymboliqueest réservéeà l'espècehumaine.Si l'on tient à poserIa questionmorale en termesnaturalistes,
il
convientpar conséquentde relativiserquelquepeu I'importancedu langagedansla constitutiondu sujet.Autrementdit, si noussommeslesseuls
êtresvivants(à notreconnaissance)
à êtredouésd'une capacitélangagière,
le défi naturalisteconsistealors à montrer qu'un certain nombre de caractéristiques
présentées
comme consubstantielles
au langagesont - au
moins partiellement présentesauprèsd'êtresdénuésde langage,qu'il
s'agisse
de nos prochescousinslesprimates,ou de ceuxqui ne maîtrisent
pasencorele systèmelinguistique,lesenfants.
Quellessontdonclespropriétésdont nousavonsbesoinpour écrireune
préhistoirea-langagière
du sujetmoral?Afin de lesdéterminer,on peut se
tourner versI'indispensable
vade-mecum
proposépar ChristineClavreN
(introductionà ce volume).Tout en nous précisantcombienil est difficile de déhnir la morale,celle-ciénumèreun certainnombre de ct_rmposantspermettantde circonscrire
cettenotion complexe.
Schématiquement,
cettecomplexitépeut être réduite en ramenantces composantsà trois
grandesclasses.
D'une part, la morale renvoieà desnorme.s
de conduite.
t uQuelle
est donc la réalité à laquelle se réfère ie ou Irri Uniquement une <réalité de
d i s c o u r s , , q u i e s t u n e c h o s e t r è s s i n g u l i è r e .( B e N v c r r s r t 1 9 6 6 , p . 2 5 2 ) .
par un grancl nombre de personnesclmnsun
Ces dernièressont accepltées
groupe donné, qui s'attendentà ce qu'ellessoient suiviespar chircun.Leur
non-respect est ressenti- émotionnellement - comme une violation des
droits d'autrui. D'arutrepart, la moralité est associéeà un acte réflexif,à
une délibération sur le cours d'action a\suivre.Les comportements ne sont
pas donc conçus comme étant mécaniquement déterminés:ç's5f çs ,'jqu"
délibératif - au sens oùr I'on dit que deux piècescl'une machine <ont dtt
jeu, - qui permet de considérer que les agentsmoraux sont responsables
de leurs actions. Une fois un cours d'action accompli, il est donc présupposé que les agentsmoraux auraient eu la possibilité d'agir différemment:
leur comportement n'était pas soumis à une causalitéexternedéterminlnte,
o u c a r $ ep a r d e s m é c a n i s m e sq u i r e s t e r a i e nitm p e n e t r a b l e sà l a c o n s c i e n e e .
Enfin, la morale est intrinsèquement liée aux intérêtsd'autrui, ou du moins
de ceux qui sont considéréscomme nos semblables(SlennEn 1993).C'est
sous cet angle que l'on peut qualilier les actions de moralement <justes>
(respectde l'équité) ou nbonnes" (prise en compte du bien-être d'autrui).
Afin d'illustrer la manière cl'aborder la question du sujet moral dans
une perspectivenaturaliste,nous nous proposons de tenter de débusquer,
sansprétendre à I'exhaustivité,quelques-unsdes composantsélémentaires
ces composants essentielsde la morale. Tout
susceptiblesde sous-ter-rdre
d'abord, pour ce qui est de la dimension réflexive,nécessaireà la constitution du sujet moral, nous allons proposer une conception de la conscience
de soi dont les basesne sont pas essentiellementlinguistiques.La dimension normative des actions morales seraensuite abordée en montrant que
la détection et la prise en compte de la normalité existent aussi bien chez
les très jeunes enfants que chez les primates. Enfin, nous rattacheronsla
prise en compte des intérêts d'autrui aux travaux menés sr,rrI'empathie et
Ies neurones miroirs.
La conscience de soi
Au sein de la perspectivenaturaliste,la notion cle <sujet>n'a pas vraiment bonne presse.Lorsqu'on y regarde de plus près, on s'etperçoiten
effet que ce concept est assez mystérieux. Son étyrnologie elle-rnême
(lat. subjectutn,parl. pas. de subjicere,jeter dessous)suggèrela presence
d'une entité persistantequi serait à la source des actions d'un orgirnisme
capable de s'exprimer et d'irgir à la première personne clu singulier. De
qr"rel<bois, cette instance soLrveririnepeu11ni1-ellebien être fàite irlors
que le corps (et donc le cerveau) est, i\ Ia manière du bateau de Thésée,
continuellement modifié? De quelle natllre pourrait Lrienêtre cet étrange
Y
ORALE ET EVOI,UTION I]IOIOGIQUE
<fantôme dans la machine, accompagnantI'individu tout au long de son
existence?
Ces dernièresannées,I'explosion des recherchessur la conscience,thème longtemps tabou en raison de sa dimension subjective,laissetoutefois
espérerque I'on y verra bientôt un peu plus clair. La conscience,comme en
témoignent I'intérêt accru desneuroscienceset la naissancede revuesscientifiques teffes que The Journal of ConsciousnessStudies ou Consciousness
and Cognitior?,est aujourd'hui admise dans le champ du <scientifiquement correct>a.C'est donc plutôt par I'intermédiaire du phénomène de la
conscienceque l'on peut tenter d'éclaircir quelque peu f interrogation qui
sous-tend ce chapitre: peut-il y avoir un soi sanslangage?
Commençons par une importante distinction d'ordre philosophique
proposéepar Ned Brocx (1995). La notion de conscienceest en effet quelque peu polymorphe. Illocx propose de distinguer ((conscience
phénoménaleu,uconscienceaccès>et <consciencede soiu.
La consciencephénoménaledésigne <l'effet que cela fait> d'éprouver
tel ou tel état de conscience(par exemple,lorsque vous percevezquelque
chosede rouge, ou mangez un éclair au chocolat). Les philosophes analytiques de langue anglaiseutilisent le terme nqualiaupour désignercesétats
conscientsqualitatifs. Il est communément admis qu'une grande part du
monde animal possèdece type de conscience;pensonsà un chat qui se fait
marcher sur Ia patte, ou à un chien qui, dégoûté, s'éloigne de son écuelle
remplie de nourriture périmée. La consciencephénoménale n'implique
donc pas le langage.
La conscienceaccèsdésigne non pas I'aspectqualitatif d'une représentation, mais son contenu informationnel. Comme I'avaient déjà bien mis
e n é v i d e n c el e s p h é n o m é n o l o g u e sl,a c o n s c i e n c ee s t t o u j o u r s , , c o n s c i e n c e
de> et les états mentaux conscients "portent suru quelque chose d'autre
qu'eux-mêmes:ils sont dits intentionnels.Dans ce contexte,lesobjetsmentaux sont qualifiés de conscientslorsqu'ils peuvent être recrutéspar I'organisme dans une sorte d'<espacede travail> interne où ils vont influencer
aussi bien les types d'inférence effectuésque l'élaboration des décisions
d'action. Là encore,il fait assezpeu de doute que de telles représentations,
bien que souvent <envahies>par le langagechez les humains adultes,exis-
{ Parmi ccux tlui ont cléfinitivernerrt
fait aclmettre la problématique de la conscience
d a n s l c c h a r n p s c i e n t i f i q u c ,o n p e u t c i t e r A n t o n i o l ) e r , r e s r o , F r a n c i s C l n r c x c t C h r i s t o p h
K o c u , F r a n c i s c o V , r n e r - e .M
, ichacl (}zzlNrc;e, (lerald Eour-uAN, ou cncore Jearn-Pierre
CnaNc;Eux.
LE LANGAGII hl
l.A MORALE
tent au sein d'autres espècesanimales.Imaginez un chat qui, par exemple,
ronronne et tente d'amener son maître vers I'armoire où est renfermée
sa nourriture. fexplication la plus économique de ce phénornène est de
dire qu'il a accèsà une représentation de ce qu'il désire (qui n'est donc
pas un simple objet de sa perception) et que c'est celle-ci- avecd'autres qui organiseson comportement. Encore une fois, le langagene semble pas
indispensableau fait de pouvoir convoqller mentalement certainesrepresentations afin d'être en mesure de planifier - sommairement - une action. Et même si I'on met en doute la possessionpar les animaux de telles
représentations,celles-ci semblent rendre compte du comportement de
très jeunes enfants qui sont bien loin encore de maîtriser le langage(Cr-ÉM s N r 2 0 0 7 ; C r É u s N r & M e r E n s r s r N 2 0 0 3 ) . C e d e r n i e r n e s e m b l ed o n c
pas requis pour attribuer à un organisme une conscienceaccès.
La question du langagese pose de manière beaucoup plus aiguë dans
le cas de la consciencede soi. Cette dernière renvoie à la possibilité qu'a
I'individu de porter son attention sur sa propre personne, de se prendre
lui-même comme objet de pensée.Pour les partisans d'une conception
langagièredu soi, on a typiquement affaire ici à des objets mentaux qui se
mettent en place au sein d'échangesdialogiques oùr I'usagedes pronoms
personnels (njer, utur, etc.) engagerait les individus sur les voies de la
subjectivité. Une fois encore, on peut se demander s'il n'est pas possible
d'emprunter une partie de ce chernin en I'absencedu langage.Plusieurs
élémentsexpérimentaux vont en tout cas dans ce sens.Tbut d'abord, il est
en un sens évident qu'un certain (sens du soiu existe chez le nourrisson
dès sa naissance(si ce n'est plus tôt). Une expériencede Hespos et Rocs,q.r
(1997) a par exemplemontré que les nouveau-nésréagissentdifféremment
lorsqu'une stimulation de la zone qui entoure leur bouche est effectuéepar
e u x - m e m e so u , a u c o n t r a i r c ,p a r u n e i l u t r e p e r s o n n e( a l l o - s t i m u l r r t i oyns
autostimulation). Ce type d'expériencesmontre que le nouveau-né n'est
pas, comme on I'a longtenps cru> dans un état originel d'indifférenciation: les informations qui proviennent de son corps, lieu physique de la
sensutrlité,sont discriminées par rapport à celles qui lui proviennent de
l'environnenent (RocHer 2002). Par ailleurs,il est ph-rsque probable que
ces expériencesinitiirles soient connotées émotionnellement. Létat d'incornplétude des nouvearu-néshumains donne en effet a\ I'apprentissage
une impclrtance crlrciale. Or, pour apprenclre,il far-rtêtre en rnesure de
retenir les bonnes et mauvaisescclnséquences
clesesactespassés.Schématiquement, les comportements clui ont des conséqr.rences
positivespour la
survie de I'individu sont associésà des sensatior-rs
agréables,alors que ceux
Y
ORALE ET EVOI,U'I'ION I]IOI,O(;IQUE
au contraire des
qui tenclent à mettre l'orgar-rismeen danger décler-rchent
é n - r o t i o n sn é g a t i v e s( F n r ) n e 1 9 8 9 ) .L a s p e c t é m o t i o n n e l e s t d o n c i n d i s s o ciable de la vie des humains en général,et des bébés en particulier. Ceci
conduit Dauasro (1999) à penser que le soi primordial émergedu <dialogue) entre I'organisme et son milieu - dialogue qui n'est donc pas de nature linguistique. Certcs,il ne s'agit là que clel'ébauched'un soi, er.rcorebien
peu réflexif. Pour parler véritablement de.<soi>,il faudrait au moins que
I'enfànt soit en mesure de se constituer une représentationde sescaractéristiques plus ou moins permanentes.Ce moment clé où le soi est identifié
et reconnu a été mis en évidence par une série d'expériencesclassiques
q u i f o n t u s a g ed ' u n m i r o i r ( L e w r s & B n o o r s - G u N N 1 9 8 1 ) .L e x p é r i e n c el a
plus fameuseconsistaità appliquer,complètement à leur insu, une marque
rouge sur le front de jeunes enfants, qui étaient ensuite placés face à un
miroir. En général,lorsque cesenfants ont moins de 18 mois, ils effectuent
une simple exploration de ce qu'ils voient, comme si I'image qui est en face
d'eux renvoyait à une autre personne. Quelques semainesplus tard, par
contre, I'enfant confronté à son image spéculaireporte rapidement la main
à son front. Cette réaction montre bien que les petits sujetsconstatentà ce
moment un <écart>entre I'image qu'ils avaient d'eux-mêmes et leur reflet
renvoyépar le miroir. Les enfants semblent donc bien posséderdès ce moment une représentationpermanente d'eux-mêmes - une représentation
indépendantede I'occurrenced'un stimulus donné. Autrement dit, un enfant de 18 mois disposeraitdéjà d'un concept de lui-même.
On pourrait certesnous rétorquer qu'un enfant de cet âge est plongé
depuis un an et demi dans un univers de langage.Certes,mais c'estoublier
I'origine de cette expérience,qui a tout d'abord été effectuéepar Gellue
sur des chimpanzésadultes (1980). Ces derniers,eue I'on avait anesthésiés
avant de les affubler d'une tache rouge entre leurs sourcils,touchaient immédiatement, une fois réveilléset placésen face d'un miroir, cette étrange
modi{ication de leur apparence.Ils semblaient donc également capablesde
se reconnaître dans le miroir et posséderl'équivalent d'un concept du soi.
Or on sait, au moins depuis les travaux de Herbert TeRnRcnet son équipe
sur le singe Nim Chimsky, que les primates non humains ne posséderont
jamais un langagecomparable au nôtre (TEnnecE 1979).Par conséquent,
il ne semble pas exagéréde dire que, décidément,le langagen'estpas requis
pour acquérir cette forme de consciencede soi.
Toutefois,bien que ces recherchessemblent suggérerI'existenced'une
forme de consciencede soi qui n'est pas reliée de rnanière nécessaircau
langage, il convient de relever que ce <soi> est encore assezsomrlaire.
I-I] I,ANGAGI-] F]'I'LA MORALE
Peut-on véritablen-rentparler, pour un enfant de 2 ans ou un chimpanzé,
propriété qui constitue, on I'a vu, I'r-rnedes dimensions
de nréf-lexivité>,
essentiellede la morale? Afin de faire preuve d'un jugerr-rentmoral, il ne
suffit - malheureusement- pas d'être surpris lorsque, au réveil, une tache
rouge est apparue sur son front. En fait, il faut que le sujet rnoral puisse
comparer des comportements (passésou présents) à des valeurs ou des
principes considéréscomme nbons, ou <justes>.Schématiquement,il faut
donc, d'une part, être en mesure de se représentersoi-même comme étant
un même individu à travers le temps et, d'autre part, de comparer sesactes à des standards normatifs. De telles activités impliquent la possibilité
cle recruter et d'activer des méta-représentations,c'est-à-cliredes reprequi portent sur d'autres représentations(SlEnnEn 2000). Or de
sentatior-rs
nombreusesrecherchestendent à montrer que cette capacitén'émergeque
vers l'âge de 4 ans,en même temps que la mérnoire dite autobiographique
( B e n r H ; P o v r N n r - r r& C a N r 2 0 0 4 ) .
Quel rôle joue Ie langagedans l'émergencede cette capacitéqui semble
propre à l'homme? C'est une question qui est en cours de discussion,en
particr,rlierpar les recherchesqui interrogent les origines de la <Théorie de
I ' e s p r i t "( v o i r B n u v n R D ,c e v o l u m e ) .C e s i t r t e r r o g a t i o ncso n t e m p o r a i n e s
- qui mettent notamment en avant l'avantageévolutionniste lié au fait de
pouvoir se représenterles représentationsd'autrui, en particulier dans les
c a sd e t r o m p e r i e ( B v n N r & W s r r E N 1 9 8 8 )- s o n t f a s c i n a n t e sm a i s c e c h a pitre est trop court pour leur renclrejustice.
Langage et comportements pro-sociaux
La secondeméta-catégorieque nous avons dérivéede l'analyseconceptuelle de Christine CravrEN renvoieà I'aspectnormatif de la morale. Les défenseursdu paradigme langagier,on s'en doute, jugent le langageindispensable à l'établissementdes régulations qui définissentles comportements
jugés appropriés par le groupe (PoursHor 2004). Certes,il faut bien qu'il
y ait des actesinstituant certainesrègles,délinissantpar là même les presc r i p t i t l n sq u i v o n t , , c o m p t e cr o m m e ' ,d e s n o r m c sc o m p o r t e m e n t a l epso u r
l e sm e m b r e sd u g r o u p e ( C r É u E N r & K e u E n a N N 2 0 0 5 ) .D e p l u s , l e l a n g a g e
va jouer un rôle essentieldans la transmissionde cesrègles(voir Eneno, ce
volume). Enfin, c'est égalementle langagequi va permettre, grâce à I'imposition de nouvellescatégoriessur clesgroupes originellement fondés sur
une parenté génétique,la constitr-rtionde <nousr,élargis reposant sur des
r e l a t i o n sd e < p a r e n t év i r t u e l l e >( P o u r - s H o x2 0 0 4 ,p . 1 2 1 ) .I l r e f , c e s e r a i tl e
langagequi permettrait de sortir d'une forme de coopération fondée uni-
Y
o R A L EE r ' É v o l u r r o N r l r o t - o c r e u E
quement sur la sélectionde parentèle (kin selection),c'est-à-dired'un système fondé sur des collaborationsoir les sacrificesdes individus n'ont lieu
qu'en faveur de ceux qui partagent un pourcentageélevéde gènes.En élargissantmétaphoriquementlesrelationsde parenté,le langageentraîneraitla
constitution de communautés plus vastesdépassantles seulsliens de sang.
Afin de lutter contre cettenouvelle rupture ontologique entre le moncle
naturel et le monde des hommes, plusieurs pùrcours sont envisageables.
Toutesles tentativesnaturalistesreposentsur une stratégiesimilaire: montrer qu'il peut y avoir quelque chosequi ressembleà des normes, ainsi que
les sentiments associésà leur violation, mais qui ne serait pas médiatisé
par le langage.Le déIi naturaliste consisteainsi à mettre en évidence des
casdans lesquelsune forme de normativité est présentemême en I'absence
du langage.Revenonsbrièvement sur l'expériencedu miroir. Philippe RocHAr a, de manière tout à fait ingénieuse,introduit une (petite), modihcation aux conditions expérimentalesclassiques.Il convient au préalable
de mentionner un fait crucial: lorsque les enfants sont en possessiondu
(concept de soi, (soit vers 18 mois), ils paraissentêtre extrêmement gênés
lorsqu'ils se voient dans le miroir affublés d'une tache de couleur sur le
front; leurs yeux se baissentet ils rougissenten vérifiant que cette bizarrerie passeinaperçue aux yeux des autres.Lidée de Rocs,q.ra été d'installer
subrepticement un autocollant sur le front d'un enfant hors de la salleoù
jouaient ses camarades.Pendant son absence,des autocollants similaires
furent ouvertement collés sur chacun des enfants. Lorsque le sujet rentra
dans la pièce,il setrouva avant même d'apercevoirsescamaradesdevant un
miroir. En se voyant, gêné,il scruta rapidement l'environnement et s'aperçut que tout le monde partageait sa pilrticularité. Son sentiment de gêne
s'effaçaimmédiatement et il reprit son activité habituelle, son autocollant
sur le front (RocHer et s\.2002). Ce petit exemple,oùrle langagene joue
aucun rôle causal,montre bien I'extrême sensibilitédes petits d'homme i\
la normativité: personne n'a dit à cesenfànts qr-rela norme était, ou n'était
pas, d'arborer un autocollant de couleur sur le front. Et pourtant, la détection de l'état de chosesunormal> entraîne des réactions émotionnelles
bien différentessuivirnt le degré de conformité ressentipar les sujets'.
Les très jeunes enfants semblent donc disposer d'une capacité à détecter, en (scannant> le comportement de leurs semblables,ce qr-rirelève
d'une normalité que l'on pourrait cluirli{ierde ufréquentialiste>.La réac-
: ( l c t t e s e n s i t r i l i t r i-rl l l x n o n n c s p r é s c n t c s
a u s e i n c l ' u n g r o u p c c s t t i g a l c n r e n ts o t r l i g n é ep a r
B o Y t rc l R t ( . 1 iR
l \ ( ) N( l ( ) ( ) l { ) .
I , I - ]L A N ( ; A G E
I]T' I,A MOI{AI,F]
tion émotionnelle qui résulte de Ia prise de conscienced'une forme d'<anornalitéo montre combien les enfànts sont sensiblesaux manières de
faire et d'être de ceux qui les entourent. Cette sensibilitépeut être conçue
comme une forme de compétence sociale élémentaire puisque, en identifiant un trait majoritairen-rentpartagé,elle pourrait servir à détecter ce
qu'il <convient de faire> dans un contextesocial donné. Quant aux normes
ntorales,il n'est pas impossible qu'ellesfàssentellesaussi I'objet d'une détection précoce et universelle- et dor.tcnon dépendantedu langage.C'est
d u m o i n s l a t h è s ed ' E l l i o t T u n r E r -( 1 9 8 3 ) q u i , p r o l o n g e a n tl e s t r a v a u x d e
L a w r e n c eK o H l n E R c ( 1 9 8 1 ) , d i f l é r e n c i ec e r t e sl e s n o r m e s m o r a l e s d e s
normes conventionnellesmais en insistant justement sur le caractèreuniverseldes premières,qu'il juge fondéesen nature (TunrEr 1983).
Toutefois,ceux qui pensent que le langageest nécessaireà l'émergence
de la morale pourraient accepterlesarguments qui précèdentet avancerun
autre pion argumentatif. Ce qui précèdemontrerait certesqu'il existedes
mécanismespermettant de détecter la normativité mais ceux-ci n'impliqueraient en rien que le langagene soit pas nécessaireàl'établissementdes
règles,des prescriptions et des obligations socialesqui s'imposent ensuite
aux membres d'un groupe. Pour contrecarrer cet argument, il convient
donc de donner quelques exemplesde comportements qui, bien qu'ayant
lieu au sein de sociétésdépourvues de langage,semblent bel et bien relever
d'une forme deprcscription.
C'est bien entendu auprès des sociétés de primates supérieurs que
nous avons le plus de chance de détecter de tels comportements <nornatits>. Les observationset les expérimentations menéespar Frans os Waer
(1989) et son équipe avaient notamment pour objectif de détecterde telles
régularitéscomportementales.Ainsi, une des expériencesmenéesau centre d'étude de Yerkesconsistaà proposer,alternativement,aux chimpanzes
composant ce groupe, des paquets constitués de branchageset de feuilles
solidement reliés; les primates avaient donc la possibilité, lorsque c'était
eux qui recevaientcette nourriture, de la garder pour eux. En fait, I'observation de 7000 interactions impliquant 9 individus a montré que les
échangesentre les dyadesqui s'étaientformées étaient égalitaires.De plus,
ces <trocs>ne portaient pas uniquement sur de la nourriture. En effet, les
chimpanzés qui n'avaient pas reçu beaucoup de nourriture clela part des
gardiensarrivaient cependantà en obtenir de la part de leurs congénèresà
condition qu'ils aient auparavantpirssédu temps à les épouiller.Lépouillage servirait dans ce cas de <rnonnaie d'échanger. Ceux qui n'avaient pas
sacrifié à ce rituel étaient par contre rudement mis à l'écart lorsqu'ils
-v
Ot-o(iIQUE
IlosNaNet
quémanclaient
de la nourriture. l)ans une autre expérience,
(2003)
que
les
réagissent
négativement
ont clémontré
chimparnzés
rE WaRrAinsi, lorsqu'ils
lorsqu'uneclistributionse fait de manièrenor-réqr"ritable.
voient un expérimentateur
distribuerde la nourriture plus appétissante
(du raisin)à un congénère
en échanged'un objet alorsqu'ilsviennentde
(une tranchede concombre),
moinssatisfaisante
recevoirune récompense
Il existe
ils diminuentleursinteractior-rs
d'échange
avecI'expérimentateur.
mêmedessituaticlns
où une attentedéçue(refusde coopérerou de partaTntvEns(1971)parger)débouche
sur descomportements
de vengeance.
(moralistic
pour désigner
lait d'ailleursd'nagression
morale,
aggression)
d'actesde réconce type d'actionpunitive.Enfin,il faut noter I'existence
et de rendreplus fragile
ciliation,qui empêchentla situationde dégénérer
I'ensembledu groupe.Il arrive même que desactesde médiationsoient
par un individu (pasforcémentun mâledominant,d'ailleurs,en
effectués
suscepfait c'estgénéralement
une femelle)afin de diminuer I'agressivité
tible d'envenimerles rapportsentre certainsindividus du groupe.Dans
ce genrede situations,il estimportant de soulignerque le médiateurpeut
réagirde manièreimpartiale:il intervientsansprendreparti, ni pour des
membresde safamille,ni pour desalliés(nEW,ter 1996).
Tout sepasseainsicommesi une forme rudimentairede justiceétaità
l'æuvredanslessociétés
de prir-nates.
Ce type de résultatstend par conséquentà corroborerI'idéeselonlaquellele sentimentd'injusticeseraitproOr qui dit justice
fondémentenracinédansnotrehéritagephylogénétique.
dit normescomportementales:
certainstypesde comportementssont atdesémotions
tendusdesmembresde la sociétéet, en casde transgression,
voiredevengeance
et deremiseà I'ordreémergent
négatives
de réprobation,
au seinc1ugroupe.Il paraîtpar conséquentassezraisonnabled'admettre
qu'il existedansla naturedesproto-normesen I'absence
du langage.
I,I] I,ANGAGE E1' I,A MORALE
Le souci desautres
Pour s'imposer comme un préceptemoral, cetteformule implique deux
types de capacitésde la part des êtres moraux. D'une part, il faut que les
indiviclLrssoient en mesure de déterminer, dans une certaine mesure,si ce
qui est subi par autrui est accompagnéde plaisir ou de déplaisir.l)'autre
part, on peut se demander si la Règled'Or n'est pas urelayée,par des mécanismes psychologiquesqui tendraient à diminuer les comportements
entraînant une souffrance auprès d'autrui, voire même favoriseraientles
actes altruistes.Cette dimension de la morale semble ainsi liée à une dimension empathique. Une question se pose alors, de manière analogue
aux cas envisagésprécédemment: cette capacité<à se mettre à la place de
l'autre>,à ressentirpar procuration sesémotions et à agir en conséqr.rence,
est-elleréservéeau seul Sujet humain qui, grâceà un univers intérieur enrichi par le langageet à une longue expériencedialogique,serait en mesure
d'adopter le point de vue de I'autre?
La stratégie naturaliste, une fois encore, consiste à se demander si les
processusqui sor.rs-tendent
les phénomènes d'empathie ne sont pas présents, du moins sous une forme simplifiée, auprès d'organismes moins
complexes et dépourvus de langage. Dans ce contexte, d'intéressantes
recherchessur les pleurs des bébés ont été effectuées.Sacr et HorpuaN
(1976) ont ainsi montré que les enfants <âgés>de 34 heures crient significativement plus en réponse aux cris d'un autre enfant qu'au silence ou à
des cris synthétiques.Grace MaRrrN et RussellCrenx ( I 982) ont répliqué
puis prolongé ces résultats;ils ont pu mettre en évidence que les enfants
calmes se mettent à pleurer lorsqu'ils entendent un enregistrementsonore
d'un autre enfant en pleurs. Ils ont égalementpu mettre en évidencedes
résultatscomplémentairesintéressants:(a) les enfants en train de pleurer
qui entendent un enregistrementde leurs propres pleurs cessentpresque
complètement de pleurer,et (b) les enfantscalmesignorent les pleurs d'un
chimpanzé, et même ceux d'un enfant plus âgé! Ces éléments tendent à
prouver qu'une forme d'empathie peut être considérée comtlre un uré-
Le troisièmecritèreque nousavonsretenupour circonscrirela difficile
notion de umorale,'est lié à une forme de prise en compte de I'intérêt
d'autrui.Un comportementest typiquementqualifiéd'immoral lorsqu'il
apporteun bénéficeau détrimentd'autrui,qui est atteint dansson inté(<norarle>).
grité physiqueou psychologique
Réécritsousia forme d'une
maximedéontique,cettepriseen comptede bien-êtrede I'autreest bien
résuméepar la Règlecl'Or:<Nefaispast\ autrui ce quc tu ne vouclraispas
qu'il te soit fait, (Rrcouun1990).Cettefbrmuleclassique
met cloncau
centrede Ia moralela cuestionclusoucide I'autre.
flexe>émotionnel largement inné qui se déclenchede manière spécifique
en présencede pairs confrontés à une situation potentiellement douloureuse.D'ailleurs>au cours de la secondeannée,l'empathie se mue en (sympirthie> et des comportements de réconfort émergent lorsque les enfants
sont confiontés au spectaclede la douleur d'autrui. Cette aide devient de
m o i n s e n m o i n s é g o c e n t r i q u ee t s em u e e n c e q u i p e u t ê t r ed é n o m m é l ' e m pathie cognitive (HoEru,tN 2002).Il est égalementintéressantde noter, à
I'adressecleceux qui pensent que Ia possessiondu langageest inclispensable à la création d'un <nous,' de solidarité, que cette force ernpathique ne
IOITALEET EVOLUTION I}IOLOGIQLIE
s'exercepas de manière indiscriminée; elle porte, cortme on I'a vu dans
Et une fois encore,cette caractéle cas des enfànts,sur des nsemblables>.
(proto-morale,
ne se limite pas aux êtres humains. En 1964 déjà,
ristique
MessrRueN et sescollèguesont ainsi montré que des singesrhésus arrêtaient de se nourrir si l'opération requisepour obtenir de la nourriture entraînait une douleur pour I'un de leurs congénères.Dans cescirconstances,
un des singescessamême de se nourrir pendant douze jours (MnssERMAN
et al. 1964).Il semble donc bien existerdes moyens très primitifs - et donc
non linguistiques- permettant de former des communautés empathiques
entre des individus reliéspar certainesrésonancesaffectives.
Comment rendre compte de cetteforme d'empathie première?Les mécanismesphysiologiquesqui la sous-tendentpourraient être éclaircispar
une découvertequi a récemment marqué I'ensembledes sciencescognitives. Léquipe italienne de Vittorio GaLLess et Giacomo Rtzzolert ont en
effet mis en évidence I'existencede uneurones miroirs>. Leur expérience
fondatrice (dans laquelle le hasard joua un rôle important) consistait à
enregistrer,chez des singesmacaques,I'activité électrique des zonesimpliquéesdans le contrôle des mouvements de la main et de la bouche (GnrLESEet al.1996). Ils ont découvert que certainsneurones devenaientactifs
aussi bien lorsque les singes effectuaient eux-mêmes une action donnée
que lorsqu'ils observaient I'expérimentateur accomplir une action similaire. Cette découverte,qui a été reproduite auprès de sujets humains, est
fondamentale car elle a mis le doigt sur un mécanismeconcret de ,,miseen
phase, entre individus. Pour GaLLasE,I'imitation, I'empathie (voire méme
le mind reading) reposeraient ainsi sur un trait commun: ils dépendent
de la constitution d'un espacesignificatif intersubjectif partagé (GeuEsr
2004). Et les neurones miroirs auraient été sélectionnésprécisémentparce
qu'ils remplissentcettefonction. Pour Dr,cr,rv (2001; JecxsoN et a\.2005),
l'émergencede cette résonanceneurale serait due à des pressionssélectives
favorisant la capacitéà ressentir et à partager les états subjectifsd'autrui.
Notre système nerveux, par I'intermédiaire de ses propriétés physiologiques, permet ainsi d'entrer en résonanceaffectiveet motrice avec autrui,
et ce dès la naissance6.
'
l l c o n v i e n t i c i d c r e m a r q u e r q u e l ' h y p o l h è s ed e s n c u r u n c \ r t t i r o i r s ,r ' n i t t s i s t l t t r sl u r
I a r é s o n a n c eà l a 1 ' " p e r s o n n c d e l a p c r c c p t i o n d e s é n - r o t i o n sd ' a u t r u i , p e u t i n s u f f l c r u n e
m o t i v a t i o r r < é g o ï s t c >a u x c o m p o r t e m c n t s a l t r u i s t e s . . . I ) a n s l e f o n c l ,l c r e s s o r tc l eI ' a l t r u i s m e
r é s i d e r a i t d a n s l a t e n t a t i v c d c r é c l u i r e u n i n c o n f o r t p e r s o n n e l é v e i l l é p a r l a ç r e r c e p t i o nd e
l ' é t a t d e d é t r e s s cc l ' a u t r u i . P o u r c o n t r e c a r r c r c c t t c c o n c c p t i o n ' é g o ï s t e 'o, n p e u t s c r é f é r e r a u x
travaux clu psychologue Daniel l3ersox ( I 99 I ).
ORALE
L hypothèse des neurones miroirs, dont la portée est encore à discuter
(facon & JeaNNEnon2005), constitue une avancéenaturalisteimportante.
Elle pourrait permettre d'éclaircir un des plus vieux problèmes philosophiqr-res,I'existencedes autres esprits, en montrant comment I'autre est
<compriso dans I'architecture même de notre esprit. Si les recherchesen
cours confirment I'existencede résonancesaffectives,et non seulement
motrices, la prise en compte de I'intérêt d'autrui ferait alors bel et bien
partie de notre <héritagebiologiquer.
Conclusion
Cet article avait pour objectif de montrer qu'il n'est pas absurde de
penser qu'il existe, au sein d'univers dépourvus de langage,certains des
composants élémentairesdu sujet moral. Afin de défendre une perspective naturaliste,nous avons montré dans un premier temps que lesjeunes
enfants,et peut-être les primates supérieurs,possèdentune certaine image
d'eux-mêmes, une consciencede soi,image qui peut entraîner de la gêne
lorsqu'elle se trouve en <décalage)par rapport à ce qui est considérécomme unormal> par le groupe de référence.Ce proto-concept du soi corporel,
bien qu'élémentairedans un premier temps (kinesthésique),sert très probablement de fondement au concept de soi des humains. Nous avons toutefois admis que le concept de sujet moral nécessitaitdes capacitéscomplémentaires.Il faut notamment avoir la possibilitéde se concevoir en tant
qr"i<instanciationsrépétéesà traversle temps> (Benru & PovrNsrrr 2005),
c'est-à-dire comme étant le umême> à travers le ternps et les situations.
Pour ce faire, la maîtrise d'un soi autobiographique est indispensable,et
cette maîtrise repose notamment sur la capacitéà rnéta-représenter.
A ce
niveau, la question du rôle du langagese pose de manière tout à fait pertinente; rnais elle s'inscrit dans une continuité ontologique, et non plus en
i r r s t i t u a nut n e r u r p t u r et p r i o r i .
Dans un second temps, nous avons indiqué un ensemble d'éléments
qui laissepenser qr.rela dimension normative, qui est impliquée dans ltr
définition de la morale, ne dépend pas non plus essentiellerrrent
du langage.Cette normativité renvoie,notamment chez des primates supérieurs,
i\ des attentescie comportements <irttendus>dans certainessituirtions sociales,i\ ce qu'il convient cle faire pour agir cle manière <juste>.Darnsce
contexte,certainesémotions sont cléclenchées
lorscluequ'un autre membre clu (nous) constituant la communauté est atteint clans son intégrité, ou qu'une action injuste est perpétrée envers l'un des siens (qui n'est
pas forcément un proche parent biologique). Nous avons vu que la base
OI-OGIQUE
rnotivationnelle qui sous-tenclcet <altruisme psychologique> (Sonnn &
WrlsoN 1998) por-rrrait reposer sur I'existencede neurones miroirs par
lesquelsce qui arrive i\ autrui est <réverbéré>dans le cerveaude l'individu;.
Notons toutefois que, une fois encore,nous nous trouvons à des lieuesdes
situations humaines tragiques où le sujet moral oscille entre le bien et le
rnal, ayant à I'esprit les avantageset les inconvénientsqu'une transgression
comporterait. De tellesdélibérationsintérieuresmettent sansaucun doute
en (æuvrele langage,rnais la mesure dans laquelle il <fbrmate>ces délibérations est encore à mettre en évidence.
À I'issuede ce parcours,il resteà évoquer un trait moral qui ne manque
pas de souleverdes difficultés dans une perspectivenaturaliste:Ia responsabilité. Pour dire que quelqu'un est responsable,il faut pouvoir Iui attribuer
la possibilité d'avoir pu agir différemment. Comment rendre compte du
choix personnel, qui semble impliquer une suspension momentanée de
toutes les déterminations causales,au sein d'une perspectivescientifique?
Comme le dit Daniel Dr,NNErr, ule libre-arbitre est réel, mais il n'est pas
un trait préexistantà notre existence,telle la loi de la gravité. Il ne correspond pas non plus à ce que la tradition a longtemps déclaré:un pouvoir de
type divin de s'exemptersoi-même des lois du monde physique.C'est une
création qui a émergédes activitéset des croyanceshumaines, création qui
est aussi réelle en tant que telle que les autres créations humaines comme
la musique ou l'argent> (DENNETT2003, p. 13, ma traduction). Le langage
est sansaucun doute essentielà cette création collectivequ'est la personne
morale; mais il reste encore beaucoup à faire pour articuler son rôle avec
celui des autres déterminants de notre formidable aventurehumaine.
Bibliographie
BnNvENrsrr,Emile 1966,Problèrne
de linguistiEtegénérale
1,Paris,Gallimard.
BaRru,Jochen,
PovrNnLLr,
DanielJ.,CaNr,JohnG.H.,2004,<BodilyOrigins of SELI;>,ln D. Berrr et al (éd.),The Selfond Memory,New York:
Psychology
Press,pp. I I -43.
BansoN,DanielC., 1991,TheAhruisrnQuestion,
Hillsdale(Nf ): Lawrence
ErlbaumAssociates.
Btocr, Ned, 1995,<On a Confïsion abouta Functionof Consciousness>,
Behavioraland BrainSciences,
l 8, pp. 227-287.
Boyo, Robert,RrcuERsoN,
Peter,1998,<TheEvolutionof Human Ultrasociabilitp, lfl I. Erer-ETBESFELD!
F.K. Sar-rnn(éd.),Indoctrinability,
Ideology,and Warfare:Eyolutionaryperspectives,
New York: Berghahn
Books.
BRosNAN,
SarahF.,oE WeRr,Frans,2003,<MonkeysRejectUnequalPayu,
Nature,425,pp. 297-299.
ByRNE,Richard W., WHrreN, Andrew, 1988,MachiavellianIntelligence:
SocialExpertiseand theEvolutionof Intellectin Monkeys,Apes,and Humans,Oxford: Oxford UniversityPress.
(Léthiqueévolutionniste>,
CLevreN,Christine,2006,
Revuede Théologie
et
-244.
dePhilosophie,
136,pp.227
CrÉrvrEN1
Fabrice,1997,<<Du
bon usagede la psychologie
en philosophie>,
Critique,599,
pp. 227-246.
CrÉuENr,Fabrice,2007,
<Laconscience
plurielle.Lesformesdela conscience au coursdu développement),
ln F. PoNset al. (éd.),Ls consciencc:
Perspectives
pédagogiques
et psychologirJrles,
Québec:Pressede 1'Universitédu Québec.
CrÉnaENr,
Fabrice,KAUTvRNN,
Laurence,
2005,Le mondeselonJohnSesrle,
Paris:Cerf.
; Notons que nolls utilisons ici la notion d'ualtruisne psychologique>cn étant moins
exigeants que Sonrn et WrlsoN. (,es denriers fbnt en effet appel ti des capacités complexes
c o m m e l a p r o s s e s s i odne l a t h é o r i e d e I ' e s p r i t e t l a c a p a c i t éà f o r m e r d c s d é s i r sc l i r i g é sv e r s d e s
fins (le bien être d'autrui). Merci à Christine ClevrnN de rn'avoir soufflécetteremarque.
Cr-Érr,rEN1
Fabrice,M.rlr,nsrErN,Abraham1.,2003,<Whatis it Like to be
Conscious?
The Ontogenesis
of Consciousness>,
P/rllosop
hicalPsychology,t6ll, pp. ô7-85.
Daraesro,Antonio, 1999,TheFeelingof What Happens.Rodyand Emotion
in theMaking of Consciousness,
New York: HarvestBook.
:ORALE E'T EVOI,U'I'ION BIOLOGIQUE
uLesensdesautres>,
Le Monde,2novembre.
DpcEry,Jean,2001,
et logique de la nécessitér,
DEcoNcu! Iean-Pierre,1993, <Croyances
Connexion,
61,p.27-42.
Explained,
Boston:Little,Brown
l)rNNElr, DanielC., 199l, Corrsciousness
& Company.
DENNETT,
DanielC., 2003,FreedomEt,olves,
New York:Viking.
lE Weer, Frans,1989,<Foodsharngand ReciprocalObligationsamong
Chimpanzeesr,lournal
of Human Evolution,18,pp. 433-459.
re WaRr,Frans,1996,GoodNatured,Cambride(Mass.):HarvardUniversity Press.
FRrloe,Nico H., 1989,<Lesthéoriesdesémotions:un bilanr,in B. RtvÉ,
Neuchâtel-Paris:
Delachauxet NiestK. R. ScnEnEn(éd.),Lesémotions,
l e ,p p . 2 l - 7 2 .
Relations:
Gellnsn, Vittorio,2004,<TheManifoldNatureof Interpersonal
the Questfor a Common Mechanism>,
in C. D. FnrrH, D. M. Worpsnr (éd.), The Neuroscience
of SocialInteraction.Decoding,Imitating,
and InfluencingtheActionsof Others,Oxford: Oxford UniversityPress,
pp.159-182.
GerrESe, Vittorio, Fenrca Luciano, Focessr Leonardo, Rrzzorantr
Giacomo,1996,<ActionRecognitionin the PremotorCortex>,Brain,
I 19,pp. 593-609.
Lewrs,Michael,Bnoors-GuNN,leanne,1981,<Ledéveloppement
de la
reconnaissance
de soi)),in P.MouNoun, A. VrNrEn(éd.),Ls reconnaissancede son imagechezl'enfantet l'ctnimal,Neuchâtel:Delachauxet
Niestlé.
McGrNN,Colin, 1991,TheProblemOf Consciousness:
Essays
towarda Resolution,Oxford:Blackwell.
MesssnlreN,JulesH., WECHxTN,
Stanley,
TERnrs,
William,1964,<Altruistic> Behaviorin RhesusMonkeys>,AmericanJournalof Psychiatry,l2l,
pp.584-585.
PoursHocr, loseph,2004,<The Leverageof Languageon Altruism and
Morality>>,ln CreyroN, P., Scuross, ]. (éd.), Evolutionand Ethics:
Humon Morality in Biologicaland ReligiousPerspective,
Grand Rapids
(Mich.):W.B.Eerdmans
Pub,pp. 114-131.
Pnousr,Joëlle,2005,La naturede la volonté,Paris:Gallimard.
Rrcc,un,Paul,1983(1950),Philosophie
de la volonté,
Vol. 1,Paris:Aubier.
RrccuR, Paul,1990,Soi-même
commeun autre,Paris:Seuil.
Rocnar, Philippe,2001,TheInfant'sWorld,Cambridge(Mass.):Harvard
UniversityPress.
Rocuel Philippe, Gounal Nathalie, MarnE-LnsroNo, Céline, 2002,
<Attentionto SocialPartnersin 9-18 Month-Old Infants>,posterpresentedat the InternationalConference
on Infant Studies,Toronto.
in P.
commestimulation>r,
Garrup , GordonG., 1980,<Limagespéculaire
MouNouo, A. VrNrEn (éd.),La reconnaissance
de son imagechezI'enfant et l'animal,Neuchâtel:Delachauxet Niestlé.
RoussEeu,Jean-Jacques,
1990 ( I 78I ), Essai
sur l'originesdeslangues,paris:
Gallimard.
in
Heseos,SusanJ., Rocu,tr, Philippe,1997,<DynamicRepresentation
Infancy>,Cognition,64,pp.I 53-189.
Secr, Abraham,HorrueN, Martin L., 1976,<EmpathicDistressin the
Newborn>,Developmental
Psychology,
l2l 2, pp. 175-176.
HorrnreN,Martin L., 2000,Empathyand Moral Development:
Irnplications
New
Press.
Caring
and
York:
Cambridge
University
Iustice,
for
SonER,
Elliott,WrrsoN,David Sloan,1998,LlntoOthers.TheEvolutionand
Psychology
of UnselJish
Behavior,Cambridge(Mass.):Harvard University Press.
Jecon,Pierre,JreNNnRol,Marc,2005,nTheMotor Theoryof SocialCognition:a Critique>,Trends
in Cogrtitive
Sciences,9lI,pp.2l-25.
SeERnrR,
Dan, 1993,<Remarques
anthropologiques
sur le relativismemoral>,in CueNcEux,].-P.(éd.),Fondements
naturelsde I'éthique,paris:
Odile Jacob,pp. 319-334.
JecrsoN,Philip L., MErrzorn,Andy N., DEcEry,Jean,2005,<How do
we Perceivethe Pain of Others:A Window into the Neural Processes
lnvolvedin Empathy>,Neurolmage,
24, pp.77| -779.
TERRIcE,HerbertS.,1979,Nlm, New York:Knopf.
KoHLnEnc,Lawrence,1981,TheMeaningand Measurement
of Moral Developntent,Massachusetts:
Clark University.
TRtvens,Robert L., 1971,<The Evolutionof l{eciprocalAltruismr, Tàe
QuarterlyReviewof Biology,461l, pp. 35-57.
ORAT,EET EVOLIJTION BIoLOGIQUE
Morality and
Of SocialKnowledge:
TuRrer,Elliot, 1983,TheDevelopruent
Conventiott,Cambridge:CambridgeUniversityPress.
Thoughtand Reality,Cambridge
WHoRE,Benjamin,1956,Langurtge,
(Mass.):
MIT Press.
philosophiques, Trad.
Ludwig,I 990 ( I 953), Investigations
Wrrrc ENsrErN,
de I'all.par P.Klossowrt, Paris:Gallimard.
Apprendre une règle:
feux d'alternanceet constitution du suiet moral
YvesEnano
Qu'est-ceque peut dire un linguistede la morale?De la moraleellemême,à mon avis,pasgrand-chose.
En cedomaine,il ne peut que reprendre ce que disentles spécialistes
en la matière(qu'ilssoientphilosophes
ou autres).Par contre,il ne pourra pas se défilerquand on aborderaIe
langage.
Et c'estsur ceterrainqu'on attendralégitimementde sapart une
contributionau débat.Mais il convientde bien tracerles limitesde cette
contribution.
Dansle chapitrequi suit,il seraévidemmentquestiondesrapportsentre
le langageet la morale,maisil ne seraaucunementquestionde démontrer,
d'une manièrequelconque,que le langagefonde la morale.On pourrait
dire,à la rigueur,queje m'intéresserai
à sesfondementsdansla strictemesureoù j'aborderaila moraledu point de vue de I'acquisitiondu langage.
Mais,ma perspective,
parcequ'elles'inspirede WrrrcENSTErN,
n'a aucune
affinité avecla recherchede fondementsphilosophiques,lui préférantles
j'aimeraistenter
tentativesd'éclaircissement
conceptuels.
En I'occurrence,
de mettreun peu d'ordredanslesrapportsentrelesconceptsde langage,
de sujetet de morale.
Autant dire que le point de vue linguistiqueque j'adopteraidans ce
chapitren'aurarien de la conception<totalisante>
du langageque Fabrice
CrÉusNr (cevolume)prêteà WrrrcENSrErN.
Pourêtrebref,le philosophe
viennoisne cherchepas à tout expliquerpar les mots, mais à s'intéresserde prèsaux mots de nos explications.
Et peut-ontotalementsepasser
desmots dansnos explications?
Toutethéoriea recours,à plus ou moins
grandeéchelle,au langagenaturel.Il nous faut donc parler de mots. En
I'occurrence
du mot nmoraler.
Une définition de la morale
ChristineCrevrpN(cevolume,introduction)donneune définitionde
la morale en dégageant
un certainnombre de traits sémantiques
qui en
c o m p o s e nl al s i g n i f i c a l i odna n su n ea n a l y sqeu en e r e n i e r a i e p
na
t sc e r t a i n s
iinguistes.
D'un point de vue formel,la moraleestliée,selonelle(l ) à desnormes
de conduites,donc à des prescriptions,(2) à un acte réflexif,les agents