Il fut un temps, pas si lointain, où parler en Occident du « Tao

Transcription

Il fut un temps, pas si lointain, où parler en Occident du « Tao
UNIVERSITÉ DE PROVENCE
Centre d’Aix -
Page 1 sur 3
Première Session Janvier 2005
Durée 4 heures
IAA Q2 Master — Traduction et Traductologie
Sans dictionnaire
I — Thème
Tao pour tous
Pensée du « non-vouloir », le taoïsme prône un retour à cette
« inconscience » avec laquelle nous avons appris le vélo ou la
natation... Bilan des dernières parutions.
5
10
15
20
25
Il fut un temps, pas si lointain, où parler en Occident du « Tao » (« Dao » en
translittération pinyin) consistait à entrouvrir furtivement devant quelques
interlocuteurs interloqués la porte d’une « voie » mystérieuse. « Celui qui parle ne sait
pas, dit Lao tseu, celui qui sait ne parle pas. » Drapés dans cet adage commode, on
n’avait plus qu’à laisser aux autres le soin de percer les demi-mots et les silences. S’y
laissait entrevoir, nous assurait-on, la radicale altérité de la pensée chinoise. A une
pensée amoureuse des formes et des mots, elle opposait le sans-forme et l’indicible. A
la primauté de la conscience et du libre arbitre, elle rétorquait « non-vouloir » et
« oubli ». Pourtant, cette mystique de l’Autre n’était pas pour plaire à tout le monde et
il se trouva heureusement quelque iconoclaste pour rappeler qu’il existe en Occident
au moins un authentique sage taoïste, qui parle, lui, sans retenue : Winnie l’Ourson !
Telle était l’idée du merveilleux petit livre de Benjamin Hoff, malicieusement intitulé
The Tao of Pooh (Pooh signifiant « ourson » en anglais et « bloc de bois brut », c’est-àdire simplicité naturelle, en chinois), enfin traduit en français aux éditions Philippe
Picquier : Le Tao de Pooh.
L’entreprise peut prêter à sourire et Hoff s’est d’ailleurs plaint, malgré son succès, de
n’avoir pas été toujours bien compris. Voilà pourtant que d’éminents spécialistes de la
pensée chinoise lui emboîtent aujourd’hui le pas et nous expliquent à leur tour que les
comptines de notre enfance sont bien plus proches de l’esprit du Tao que les
interprétations ésotériques qu’on en a voulu donner parfois. Pour preuve, les premiers
mots du dernier ouvrage de Jean Levi (Propos intempestifs sur le Tclwuang-tseu, éd. Allia),
qui ne laissent aucun doute sur cette nouvelle orientation : « Pince-mi et Pince-moi
sont sur un bateau » !
David Rabouin, Magazine littéraire, mars 2004
UNIVERSITÉ DE PROVENCE
Centre d’Aix -
Page 2 sur 3
Première Session Janvier 2005
Durée 4 heures
IAA Q2 Master — Traduction et Traductologie
Sans dictionnaire
II – Commentaire de traduction
Comparez ces trois traductions des deux premières strophes du célèbre Ode on a Grecian Urn de
John Keats (1819), en tentant de dégager les stratégies qui ont pu présider à leur élaboration.
Note: la linéation des différents textes a été reproduite aussi fidèlement que possible. Lorsqu’il y a des rejets par manque
de place, il faut considérer qu’il s’agit d’un seul vers.
Ode on a Grecian Urn
1.
THOU still unravish’d bride of quietness,
Thou foster-child of silence and slow time,
Sylvan historian, who canst thus express
A flowery tale more sweetly than our rhyme:
What leaf-fring’d legend haunts about thy shape
Of deities or mortals, or of both,
In Tempe or the dales of Arcady?
What men or gods are these? What maidens loth?
What mad pursuit? What struggle to escape?
What pipes and timbrels? What wild ecstasy?
2
Heard melodies are sweet, but those unheard
Are sweeter; therefore, ye soft pipes, play on;
Not to the sensual ear, but, more endear’d,
Pipe to the spirit ditties of no tone:
Fair youth, beneath the trees, thou canst not leave
Thy song, nor ever can those trees be bare;
Bold Lover, never, never canst thou kiss,
Though winning near the goal—yet, do not grieve;
She cannot fade, though thou hast not thy bliss,
For ever wilt thou love, and she be fair!
Traduction N° 1. Armand Robin 1937
Ode sur une urne grecque
I
Epouse du repos, que nul encore n’a ravie,
Sœur de lait du silence et du Temps qui traîne,
Historienne sylvestre, qui plus douce que notre rime
Peux avec ce relief créer un conte mêlé de fleurs,
Quelle légende à franges de feuilles hante tes formes
De dieux ou de mortels ou de tous deux ensemble,
A Tempé ou dans les vallées d’Arcadie?
Que sont ces hommes ou ces dieux? Ces reculs de jeunes
filles?
Cette poursuite démente? Cette lutte pour s’enfuir?
Ces flûtes? Ces tambourins? Cette extase sauvage?
II
Les mélodies que l’on entend sont douces, plus douces
Celles que nul n’entend; c’est pourquoi, tendres flûtes,
jouez encore
Non pour l’oreille des sens, mais, plus aimées,
Murmures pour l’esprit des refrains du silence:
Beau jeune homme, sous les arbres, tu ne peux délaisser
Ta chanson, ni jamais ces arbres se dénuder;
Amant hardi, jamais, jamais tu n’auras ton baiser,
Bien que tu triomphes près du but, -mais ne t’afflige pas;
Elle ne peut te fuir, bien que tu restes sans ta joie,
Pour toujours tu l’aimeras, pour toujours elle sera belle.
UNIVERSITÉ DE PROVENCE
Centre d’Aix -
Page 3 sur 3
Première Session Janvier 2005
Durée 4 heures
IAA Q2 Master — Traduction et Traductologie
Sans dictionnaire
Traduction N° 2. Albert Laffay, 1960
ODE SUR UNE URNE GRECQUE
O toi, vierge encore, épouse du repos,
Enfant nourrie par le silence et les lentes années,
Sylvestre conteuse qui sais en ta langue exprimer
Un récit tout fleuri plus suavement que nos poèmes
Quelle légende frangée de feuilles s’évoque à l’entour de
tes flancs,
Légende de dieux ou de mortels, ou des deux peut-être,
A Tempé ou dans les vallons d’Arcadie?
Quels sont ces hommes ou bien ces dieux? Et ces vierges
rebelles?
Et cette folle poursuite? Qui se débat pour s’échapper?
Quels sont ces pipeaux et ces tambourins? Quelle est cette
frénésie?
Les mélodies qu’on entend sont douces, mais celles
qu’on n’entend pas
Sont plus douces encore; aussi, tendres pipeaux,
continuez de jouer;
Non pour l’oreille charnelle, mais, plus séduisants,
Jouez à l’âme des airs privés de voix
Bel adolescent, à l’ombre de ces arbres, tu ne saurais
Quitter ta chanson, ni ces arbres se dénuder jamais;
Amant hardi, jamais, jamais tu n’auras son baiser,
Si près du but pourtant; mais ne t’afflige pas;
Elle ne pourra se flétrir, encore-que tu ne goûtes pas ton
bonheur,
A jamais tu l’aimeras et toujours elle sera belle!
Traduction N° 3. Yves Bonnefoy, 1994
ODE À UNE URNE GRECQUE
I
Toi, de l’instant de paix
La fiancée, vierge encore; toi qu’ont nourrie
Le silence, l’heure sans hâte; toi, la conteuse
Dryade, qui a donc plus de musique
Que notre poésie en ta voix florale,
Quelle légende qu’ourlent les feuillages
De Tempé ou des combes de l’Arcadie
Hante, de déités, de mortels (non; plutôt
Des uns parmi les autres) ta forme pure ?
Et qui sont-ils, ces jeunes gens, ces dieux,
Qui, ces filles qui les refusent ? Poursuites folles,
Luttes pour échapper à l’étreinte, et toujours
Ces flûtes, ces tambourins, cette joie sauvage.…
.
II
Douce la mélodie qu’on entend mais plus douce encore
L’autre, linentendue. Jouez donc, chantez donc, pipeaux,
Non pour l’oreille de chair mais pour l’esprit
Ces airs, les mieux aimés, qui n’ont pas de notes.
Beau jeune homme de sous les arbres, tune peux
Interrompre le tien, et ces arbres rie peuvent
Jamais perdre leurs feuilles ettoi, fougueux amant,
Tu ne pourras jamais atteindre ces lèvres
Bien que si proche d’elles. Pourtant, ne souffre pas,
Tu n’as pas le plaisir mais l’objet demeure,
Toujours tu aimeras, toujours celle que tu veux sera belle.

Documents pareils