• La trop belle perle — la trop belle gemme — le trop grand bonheur
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• La trop belle perle — la trop belle gemme — le trop grand bonheur
La trop belle perle — la trop belle gemme — le trop grand bonheur : Ils n’éveillent que méfiance et défiance. Toujours, il faut s’en garder. La trop belle perle — la trop belle gemme — le trop grand bonheur : Mieux vaut ne pas en approcher ; mieux vaut toujours les éviter. Car l’objet trop beau, l’objet trop brillant, tout comme la jouissance d’un trop grand bonheur sont funestes présages de destins tragiques. Ils annoncent et portent ruine. En effet, l’être qui jouit d’un bonheur trop grand est celui que les dieux ont favorisé. Peut être trop. De manière excessive : il côtoie de trop près les puissances magiques du sort et du destin pour être demeuré humain. Insolemment, il frôle l’hybris. Aussi son trop grand bonheur, venu à lui comme bénédiction des dieux, du sort et du destin, se renverse-t-il vite en un malheur immense, une détresse sans égale, signes de malédiction, de chute, de perte de la grâce. La roche tarpéienne est proche du capitole ; la roue du destin tourne sans discontinuer. Quant à la trop belle perle, la trop belle gemme, le trop bel objet : ils semblent contenir une puissance magique, une puissance secrète et terrible. Une puissance à l’entour de laquelle se crée un no man’s land : cercle de crainte et de respect. Cercle de mise en garde. Cercle de la circon-spection, cercle magique du sacré. La trop belle perle, la trop belle gemme, l’être que le destin a trop favorisé : il faut ainsi les tenir à bonne distance : ni trop loin (sans quoi, leur aura ne serait plus perceptible, et leur efficace ne servirait de rien à personne) ni trop près (car l’angoisse se ferait jour, à côtoyer par trop intimement ce qui fascine, et ce qui tue). Il y a donc besoin de rites : des rites de passage et de propitiation, des rites qui neutralisent le danger représenté par le ‘trop bel’ objet, par le ‘trop grand’ bonheur, et permettent cependant de toucher l’usufruit de leur efficace : il y a besoin de rites pour neutraliser la menace ( qu’elle soit menace de la ‘trop grande beauté’, promesse de mort ou du ‘trop grand bonheur’, promesse de déchéance) et pour pouvoir tirer profit de l’élément menaçant qui, une fois humanisé, se révèle bénéfique. De sorte que le rite effectue une partielle dé-monétisation. Il neutralise l’excès de divin en son double versant escessif (trop bénéfique, trop maléfique) pour rendre tolérable et littéralement exploitable la présence de ce qui excède le profane. Le rite a donc ici comme ailleurs pour fonction de permettre le franchissement d’un seuil dangereux, le passage d’un cap, d’une frontière, d’une porte menaçante. Il fait en sorte que l’élément in-solite, inquiétant, divin, sorte de son isolement sacré ; assure une voie d’accès vers lui, ouvre un chemin entre le divin et l’humain. Le rite ainsi crée des liens et des passes entre deux domaines séparés ; il re-médie. Le rite assure également le partage, la mise en commun, de ce qu’un homme à lui seul ne peut se permettre de posséder sans provoquer la haine de tous les autres hommes : le rite neutralise l’in-vidia (l’envie qui brille dans la prunelle du mauvais œil jaloux, l’envie jalouse qui pousse au meurtre). Il assure la redistribution des bénéfices de la puissance, permet à chacun de tirer profit de l’efficace du sacré. Le rite permet donc la participation de tous les humains au divin, et la participation du divin à l’humain. Il ouvre une porte entre le monde profane et le monde sacré, crée donc un lien entre ce qui excède la finitude, et ce qui abandonné à ses propres forces ne saurait subsister. [ Quelques exemples et illustrations : The Pearl (Steinbeck) ; L’anneau de Polycrate (Schiller) Afrique ambiguë (Balandier). ]