Les routes nationales : un bilan et quelques réflexions tournées vers
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Les routes nationales : un bilan et quelques réflexions tournées vers
Les routes nationales : un bilan et quelques réflexions tournées vers l’avenir La présente contribution tente d’évaluer l’état de notre réseau des routes nationales et de faire quelques réflexions tournées vers l’avenir, à la lumière notamment du projet FORTA, traité par les Chambres fédérales en ce moment-même. 26 Journée Infra 2016 Peter Goetschi Président central du Touring Club Suisse – TCS 1 Routes nationales : un bilan Sur le réseau des routes nationales, la situation ne cesse de se détériorer depuis une vingtaine d’années. Entre 1999 et 2014, le nombre d’heures d’embouteillages dues à une surcharge de trafic est passé de 3’000 à 18’000 par an. La hausse atteint même 100 % pour les années 2009 à 2011. Durant la dernière décennie, le volume de trafic sur les autoroutes a crû de près de 2 % par année. Et il y a fort à parier que cette augmentation se pour- suivra. En effet, la route en général et le réseau des routes nationales en particulier jouent un rôle clé dans notre mobilité – aussi bien pour le transport de personnes que pour le transport de marchandises – et il sera indispensable de pouvoir disposer d’infrastructures – routières et ferroviaires – performantes à l’avenir aussi. Le réseau des routes nationales est ainsi appelé à subir une pression considérable durant les prochaines années. Le nombre de kilomètres soumis à une surcharge de trafic pourrait se multiplier par six d’ici 2020. L’A1 serait touchée sur l’ensemble des tronçons Genève – Yverdon et Berne – Winterthur. La situation se détériorerait en outre à Bâle, à Saint-Gall et au Sud du Tessin. Dans la région de Lausanne, la surcharge s’étendrait nouvellement jusqu’à Vevey ; dans la région de Berne sur l’A6 jusqu’à Thoune et à Zurich sur l’A3 jusqu’à Wollerau. Un nouveau tronçon serait également concerné au Nord de Lucerne, en direction de Zoug. Même en se limitant à un taux de croissance du trafic de 1.2 % par an, l’avenir s’annonce très sombre sur notre réseau autoroutier. Avec un tel taux, nous serions confrontés à une situation comparable à celle décrite ci-dessus cinq ans plus tard. Entre aujourd’hui et 2025, nous assisterions à un doublement des tronçons affichant un niveau de service Journée Infra 2016 27 2 Projet de Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA) Pour faire face à ces défis, après l’acceptation par le peuple d’un Fonds pour le financement et le développement du rail (FAIF), le Conseil fédéral a ficelé un projet semblable pour la route : le projet de Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA), avec son programme de développement stratégique (PRODES). un programme global de près de 42.5 milliards de francs pour le rail, dont une première étape de 6.4 milliards à l’horizon 2025 (qui vient d’ailleurs s’ajouter aux programmes déjà décidés antérieurement), le bilan côté route s’avère beaucoup plus modeste. Ampleur des embouteillages sur le réseau des routes nationales 22 20 En milliers d’heures mauvais à très mauvais (rouge et orange sur la carte). Alors que nous amorçons péniblement la réalisation des projets du module 1 (2.3 milliards de francs), difficile de dire aujourd’hui quand seront traités le module 2 (3.2 milliards, horizon 2030) ou pire le module 3 (plus de 7 milliards, horizon 2040). Quoi qu’il en soit, si l’on compare l’état du réseau en 2020 – 2025 avec l’avancement probable des programmes d’élimination des goulets, les retards s’annoncent considérables. 18 16 14 12 10 8 6 4 2 0 1995 2000 2005 Autres Accidents Chantiers Surcharge Source: OFROU – Trafic et disponibilité des routes nationales Niveau de service des routes nationales Il convient dès lors d’examiner si ce projet, actuellement en délibération dans les Chambres fédérales, constitue le moyen adéquat pour assurer le développement du réseau des routes nationales. 2.1 PRODES (Programme de développement stratégique) Au cœur du projet FORTA proposé par le Gouvernement, il y a évidemment l’infrastructure et la planification de son développement. Alors que le peuple suisse a approuvé le FAIF avec 28 Journée Infra 2016 2010 En 2020 avec une hausse de trafic annuelle de 2% Très mauvais Suffisant Mauvais Bon Insuffisant Très bon 2014 Le Conseil fédéral ne propose au fond rien de nouveau à l’horizon 2030, soit les modules 1 et 2 du programme d’élimination des goulets d’étranglement, un programme approuvé par le Parlement en 2006 déjà et entré en vigueur en 2008 avec le Fonds d’infrastructure. Seul le montant du crédit augmente de près d’un milliard de francs de 5.5 à 6.6 milliards, notamment pour tenir compte du renchérissement par rapport aux coûts des projets évalués au début des années 2000. Quoi qu’il en soit, il convient de saluer l’intégration dans le PRODES (horizon 2040) d’un module 3 des goulets d’étranglement d’une valeur de près de 7 milliards de francs. Il en va de même pour la reprise des deux compléments de Morges et de Zurich (Glatttalautobahn) dans le programme de développement stratégique, deux tronçons indispensables pour garantir à terme la fonctionnalité du réseau. Programmes d’agglomération 2ème génération (A2) 1ère génération (A1) Projets urgents Gestion du trafic TIM 0 Tram 500 Espace routier 1000 Mobilité douce 1500 Bus 2000 Plateformes multimodales 2500 Rail En millions de francs 3000 Finalement, la reprise de l’arrêté sur le réseau des routes nationales dans le projet FORTA est actuellement en discussion dans les Chambres fédérales. Elle mérite d’être saluée. Il est cependant indispensable de l’intégrer dans le programme de développement stratégique (PRODES). Par ailleurs, il convient de relever que nombre de projets contenus dans cet arrêté tiennent davantage du trafic d’agglomération que de la redéfinition du réseau de nos routes nationales. En effet, sur de nombreux tronçons de routes cantonales reprises dans l’arrêté, il s’agit, notamment en localité, de réaliser du giratoire, des entrées de localité, des voies de bus, des pistes cyclables et autres îlots. Quant aux nombreux contournements d’agglomération contenus dans l’arrêté, il convient également de rappeler que certains d’entre eux avaient été proposés à la réalisation dans le cadre des tout premiers programmes d’agglomération présentés à la demande de la Confédération. Une démarche d’ailleurs totalement conforme à l’esprit du message relatif aux programmes d’agglomération (FF, 2006, p. 785). Parallèlement à ce glissement de projets vers l’arrêté, on a assisté à une priorisation des projets strictement ferroviaires dans le cadre des programmes d’agglomération, au détriment des projets routiers. En effet, sur un total de 5’751 millions engagés à ce jour dans le cadre des étapes 1 et 2 des programmes d’agglomération, 687 millions seulement ont été alloués au trafic individuel et à l’amélioration des capacités routières (12 %). Les projets de l’arrêté doivent donc être intégrés dans le programme de développement stratégique, priorisés Journée Infra 2016 29 au sein de ce dernier, et pour certains être repris dans le cadre des programmes d’agglomération (critères de sélection, sélection des types d’aménagements admis). 2.2 Problème de réalisation Si le nouveau fonds présente l’avantage de regrouper l’ensemble des tâches liées aux routes nationales (construction, entretien et exploitation), il ne dit rien des problèmes actuels de réalisation, notamment au niveau de l’achèvement du réseau et de l’élimination des goulets d’étranglement. Alors que l’Office fédéral des routes (OFROU) insiste sur l’explosion des coûts d’entretien, que constate-t-on au niveau des dépenses globales en faveur de notre réseau autoroutier? Depuis plus de dix ans, ces dépenses stagnent en chiffres absolus mais chutent sensiblement si l’on tient compte du renchérissement (chiffres réels, voir ci-après courbe du bas). Entre 2002 et 2012, les dépenses totales réelles en faveur des routes nationales ont chuté de près d’un Dépenses de la Confédération et des cantons pour les routes nationales En millions de francs 3000 demi-milliard de francs par année, de 2.3 mia. à 1.7 mia. environ. Une évolution préoccupante, alors que le vieillissement et l’allongement du réseau impliqueraient plutôt une nette augmentation des engagements. Cette tendance au recul du côté des routes nationales se manifeste très clairement lorsque l’on compare les montants budgétés et les comptes finaux de la Confédération pour certaines tâches. Les retards sont notamment importants du côté de l’achèvement du réseau et de l’élimination des goulets. Les investissements annuels en faveur de cette dernière tâche sont très limités depuis 2008, et se sont élevés en 2014 à 67 millions de francs au total. Or, selon le message de la Confédération sur le Fonds d’infrastructure, les engagements annuels en faveur des goulets devraient atteindre près de 250 millions en 2014 et pas loin de 400 millions en 2015. Une différence qui s’explique notamment par des retards de planification et de nombreuses oppositions. Le Conseil fédéral est appelé à proposer de nouvelles solutions politiques pour désamorcer le blocage permanent de projets pourtant adoptés par les autorités compétentes. 2500 2000 1500 1000 500 0 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Construction/achèvement du réseau Elimination des goulets d’étranglement Aménagement (adaptations) Entretien Exploitation Dépenses totales des routes nationales (valeurs réelles, prix 1998) 2.3 Financement Au chapitre du financement, la mise en œuvre du Fonds peut en principe se faire sans hausse de taxe, moyennant un rééquilibrage des recettes perçues actuellement auprès des usagers de la route. Ceci pour les principaux motifs suivants : 1. Sur un total de 9.2 milliards de francs perçus par la Confédération auprès des usagers, seuls 2.5 milliards ont été réinvestis en 2014 au Journée Infra 2016 31 32 3. Au chapitre des ressources financières, il convient d’abord de relever que les réserves cumulées du Financement spécial et du Fonds d’infrastructure s’élevaient, à fin 2014, à 3.5 milliards de francs. Moyennant une part affectée d’au moins 60 % de la taxe de base (300 millions/an ; plus en cas de reprise de l’arrêté sur le réseau) et les recettes de l’impôt automobile (350 millions/an), qui s’ajouteraient aux recettes de la vignette (350 mio.) et de la surtaxe sur les carburants (1950 mio.), les recettes du FORTA devraient permettre de faire face aux dépenses, telles que prévues par les programmes de développement. Encore faut-il que la Confédération parvienne à réaliser les projets en 2. Depuis la fin des années 90, on assiste à une stagnation des engagements financiers globaux en faveur de l’achèvement, de l’élimination des goulets d’étranglement, des aménagements, de l’exploitation et de l’entretien des routes nationales. Perspective élimination des goulets Une situation qui s’explique notamment par des lacunes en matière de planification au cours de cette dernière décennie, une faible quantité de projets prêts à la réalisation, un manque de personnel pour la planification (OFROU), de nombreuses oppositions, ainsi que de longues procédures qui s’y rattachent. Pour illustrer ce problème de réalisation, il suffit d’observer l’évolution des engagements en faveur des goulets : 2.4 milliards votés par le Parlement à fin 2014 (messages goulets 1+2) pour 316 millions d’investissements réalisés. 2000 Journée Infra 2016 Dépenses cumulées en mio. 6000 5000 4000 3000 Prévision selon hausse 2009–2013 Dépense linéaire 2026 2024 2022 2020 2016 2014 2012 2010 0 2008 1000 2018 profit de la route au sens strict (exploitation et entretien des routes nationales, routes principales, projets routiers du Fonds d’infrastructure). Avant toute nouvelle hausse de taxe, il convient donc de relever à un minimum de 60 % la part affectée à la route de la taxe sur les huiles minérales. Dans le même ordre d’idée, il faut que le FORTA puisse bénéficier de 100 % des recettes de l’impôt automobile, sans exception. Ces affectations supplémentaires sont d’autant plus justifiées que le FORTA est destiné à assurer d’une part le cofinancement du trafic d’agglomération, sans plus aucune limite de temps, et à poursuivre d’autre part des financements transversaux en faveur du rail (« Quart NLFA »). question dans les délais. Compte tenu de cette situation, de la force du franc et de l’inversion du tourisme à la pompe, il faut éviter pour l’heure toute hausse de taxe. Une hausse modérée de la surtaxe sur les carburants ne pourrait être envisagée qu’en cas de lacune de financement effective, pour des projets prêts à la réalisation. 3 Conclusion Tout comme d’une infrastructure ferroviaire performante, la Suisse a besoin d’un réseau de routes nationales adapté aux besoins et per formant. Le projet de Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA), avec son programme de développement stratégique (PRODES), peut constituer une réponse adéquate et équitable à cette nécessité. Afin qu’il puisse remplir cette mission, il doit cependant être façonné de manière à pouvoir effectivement garantir le développement nécessaire du réseau de routes nationales, dans un délai convenable et moyennant un financement équitable. Au moment de la rédaction de la présente contribution, il y a encore du chemin à parcourir et des discussions à mener. Mais l’objectif est à portée de main. Journée Infra 2016 33