textes du programme La Fontaine
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textes du programme La Fontaine
VOUS AVEZ DIT LA FONTAINE? Textes des chansons 1. LE VILLAGEOIS Un villageois ayant perdu son veau, L’alla chercher dans la forêt prochaine. Il se plaça sur l’arbre le plus beau, Pour mieux entendre, et pour voir dans la plaine. Ouh ouh ouh ouh dans la plaine Vient une dame avec un jouvenceau. Le lieu leur plaît, l’eau leur vient à la bouche : Et le galant, qui sur l’herbe la couche, Crie en voyant je ne sais quels appas : O dieux, que vois-je, et que ne vois-je pas ! Sans dire quoi ; car c’étaient lettres closes. Lors le manant les arrêtant tout coi : Homme de bien qui voyez tant de choses, Voyez-vous point mon veau ? dites-le moi. 2. COMMENT L'ESPRIT VIENT AUX FILLES Lise n’était qu’un misérable oison Coudre et filer c’était son horizon... Cent fois le jour sa mère lui disait : Va-t-en chercher de l’esprit malheureuse La pauvre fille aussitôt s’en allait Chez les voisins, affligée et honteuse, Leur demandant où se vendait l’esprit. On en riait ; à la fin l’on lui dit : Allez trouver père Bonaventure, Car il en a bonne provision. Incontinent la jeune créature S’en va le voir, non sans confusion : Me voudrait-il faire de tels présents A moi qui n’ai que quatorze ou quinze ans ? Vaux-je cela ? disait en soi l’enfant. Mon Révérend, des personnes m’ont dit Qu’en ce couvent on vendait de l’esprit ? Entrez ici ; suivez moi hardiment ; Nul ne vous voit, aucun ne nous entend, Tous sont au choeur ; le portier est personne Entièrement à ma dévotion Et ces murs ont de la discrétion. Elle le suit ; ils vont à sa cellule. Mon Révérend la jette sur un lit, Veut la baiser ; la pauvrette recule Un peu la tête ; et l’innocente dit : Quoi c’est ainsi qu’on donne de l’esprit ? Et vraiment oui, repart sa Révérence ; Puis il lui met la main sur le téton : Encore ainsi ? Vraiment oui ; comment donc ? La belle prend le tout en patience : Il suit sa pointe ; et d’encor en encor Toujours l’esprit s’insinue et s’avance, Tant et si bien qu’il arrive à bon port. Lise riait du succès de la chose. Bonaventure à six moments de là Donne d’esprit une seconde dose. Ce ne fut tout, une autre succéda ; La charité du bonhomme était grande... Et bien, dit-il, que vous semble du jeu ? A nous venir l’esprit tarde bien peu Jésus Marie j’ai aimé cette danse Puis elle lui fait une humble révérence ; Et s’en retourne en songeant à cela Lise songer ! quoi déjà Lise songe !... Lise songe... Ah ! Mon Père ! Répondez moi ! Et si demain l’Esprit s’en va ? Si fait, dit il, nous recommencerons Oh oui, mon Père, nous recommencerons ! 3. HANS CARVEL Hans Carvel prit sur ses vieux ans Femme jeune en toute manière; Il prit aussi soucis cuisants; Car l'un sans l'autre ne va guère. Babeau (c'est la jeune femelle) Fut du bon poil, ardente, et belle Et propre à l'amoureux combat. Carvel craignant de sa nature Le cocuage et ses tortures, Blâmait les visites secrètes; Frondait l'attirail des coquettes. Cela faisait que le bon sire Eut voulu souvent être mort. Il eut pourtant dans son martyre Quelques moments de réconfort: L'histoire en est très véritable. Une nuit, qu'ayant tenu table, Et bu force bon vin nouveau, Carvel ronflait près de Babeau, Il lui fut avis que le diable Lui mettait au doigt un anneau, Qu'il lui disait..: Je sais la peine Qui te tourmente, et qui te gène ; Carvel, j'ai pitié de ton cas, Tiens cette bague, et ne la lâches. Car tandis qu'au doigt tu l'auras, Ce que tu crains point ne seras, Point ne seras sans que le saches. Trop ne puis vous remercier, Dit Carvel, la faveur est grande. Monsieur Satan, Dieu vous le rende, Trop ne puis vous remercier ! Là-dessus achevant son somme, Et les yeux encore aggravés, Il se trouva que le bon homme Avait le doigt où vous savez. 4. DU TEMPS DES GRECS Du temps des Grecs, deux soeurs disaient avoir Aussi beau cul que fille de leur sorte; La question ne fut que de savoir Quelle des deux dessus l’autre l'emporte Ah, la Grèce… oui, la Grèce Par les deux soeurs un temple fut fondé, Dessous le nom de Vénus belle-fesse, Je ne sais pas à quelle intention; Mais c'eût été le temple de la Grèce Pour qui j'eusse eu plus de dévotion. Dévotion ! 5. J'ETAIS COUCHE MOLLEMENT J’étais couché mollement, Et contre mon ordinaire Je dormais tranquillement ; Quand un enfant s’en vint faire A ma porte quelque bruit. Il pleuvait fort cette nuit : Le vent, le froid, et l’orage Contre l’enfant faisaient rage. Ouvrez ; dit-il, je suis nu. Et moi j’ouvre au pauvre morfondu. J’allume aussitôt du feu Il regarde si la pluie N’a point gâté quelque peu Un arc dont je me méfie. Je m’approche toutefois ; Et de l’enfant prend les doigts ; Les réchauffe et dans moi-même Je dis : Pourquoi craindre tant ? Que peut-il ? c’est un enfant. L’enfant d’un air enjoué Ayant un peu secoué Sa blonde chevelure Prend un flèche, qu’il me lance au fond du coeur. Voilà, dit-il, pour ta peine Souviens toi de l’Amour ; c’est mon nom. Et le petit scélérat Me dit : Pauvre camarade Mon arc est en bon état Mais ton coeur est bien malade. 6. SOEUR JEANNE Soeur Jeanne ayant fait un poupon! Soeur Jeanne ayant fait un poupon, Jeûnait, vivait en sainte fille. Toujours était en oraison. Et toujours ses soeurs à la grille. Tralalala… Un jour donc l'abbesse leur dit; Vivez comme soeur Jeanne vit; Fuyez le monde et sa séquelle Toutes reprirent à l'instant: Nous serons aussi sages qu'elle Quand nous en aurons fait autant. Tralalala… 7. L'ABBESSE Certaine abbesse un certain mal avait Au fil des jours elle dépérissait Notre malade avait la face blême Tout justement comme un saint de carême. La Faculté sur ce point consultée Après avoir la chose examinée, Dit que bientôt Madame tomberait En fièvre lente, et puis qu’elle mourrait. A moins, à moins... à moins qu’elle n’ait compagnie d’homme. Jésus ! reprit toute scandalisée Madame abbesse : qu’osez vous affirmer? Oui dit la Faculté, le point est évident Vous mourrez, à moins d’un bon amant. Les jours se passent. Enfin l’impression Qu’avait l’abbesse encontre ce remède, Sage rendue à tant d’exemples cède. Un jouvenceau fait l’opération Sur la malade. Elle redevient rose OEillet, aurore, et puis mille autre choses ! O doux remède, o remède à donner Remède ami de mainte créature Ami des gens, ami de la nature De plus riant se peut imaginer ! O doux remède…. 8. LES LUNETTES Jadis s’était introduit un blondin Dans un couvent à titre de fillette Il n’avait pas quinze ans mais le coquin Habile, se fit passer pour soeur Colette A Soeur Agnès qui s’y frotta Un grand malheur lui arriva Il lui fallut élargir sa ceinture Puis mettre au jour petite créature Qui ressemblait comme deux gouttes d’eau A Colette la soeur jouvenceau Scandale et bruit dans l’abbaye D’où cet enfant est-il plu ? comment a-t-on, Trouvé céans ce petit champignon ? Si ne s’est-il après tout fait lui même. La prieure est en un courroux extrême. Avoir ainsi souillé cette maison ! Bientôt on mit l’accouchée en prison. Puis il fallut faire enquête du père. Comment est-il entré ? comment sorti ? Les murs sont hauts, antique la tourière, Double la grille, et le tour très petit. Serait-ce point quelque garçon en fille ? Dit la prieure, et parmi no brebis N’aurions nous point sous de trompeurs habits Un jeune loup ? sus qu’on se déshabille ! Ou prendre un mot qui dise honnêtement Ce que lia le père de l’enfant ? Il est facile n’est-ce pas qu’on devine Ce que lia notre jeune imprudent ; C’est ce surplus, ce reste de machine, Bout de lacet aux hommes excédant. D’un brin de fil il l’attacha de sorte Que tout semblait aussi plat qu’aux soeurettes Mais fil ou soie, il n’est bride assez forte Pour contenir qui veut dresser sa tête. La prieure a sur son nez des lunettes Pour ne juger du cas légèrement Tout à l’entour sont debout vingt nonnettes En un habit que vraisemblablement N’avaient pas fait les tailleurs du couvent. Touffes de lis, proportions du corps, Secret appas, embonpoint et peau fine, Fermes tétons, et semblables ressorts Eurent bientôt fait jouer la machine. Elle échappa, rompit le fil d’un coup Comme un coursier qui romprait son licou, Et sauta droit au nez de la prieure Faisant voler les lunettes de tout à l’heure. 9. AXIOCHUS ET ALCIBIADES Axiochus avec Alcibiades Jeunes, bien faits, galants, et vigoureux, Par bon accord comme grands camarades, En même nid furent pondre tous deux. Qu'arrive-t-il ? L'un de ces amoureux Tant bien exploite autour de la donzelle, Qu'il en naquit une fille si belle, Qu'ils s'en vantaient tous deux également. Le temps venu que cet objet charmant Put pratiquer les leçons de sa mère; Chacun des deux en voulut être amant; Plus n'en voulut l'un ni l'autre être père. Frère, dit l'un, ah ! vous ne sauriez faire Que cet enfant ne soit vous tout craché. Parbleu, dit l'autre, il est à vous, compère; Je prends sur moi le hasard du pêché. 10. LE FAISEUR D'OREILLES Sire Guillaume allant en marchandise, Laissa sa femme enceinte de six mois; Simple, jeunette, et d'assez bonne guise, Nommée Alix, du pays champenois. Compère André l'allait voir quelquefois A quel dessein, besoin n'est de le dire, Et Dieu le sait: c'était un maître sire; Il ne tendait guère en vain ses filets; Alix était fort neuve sur ce point. Le trop d'esprit ne l'incommodait point: De ce défaut on n'accusait la belle. Elle ignorait les malices d'Amour. La pauvre dame allait tout devant elle, Et n'y savait ni finesse ni tour. Son mari donc se trouvant en emplette, Elle au logis, en sa chambre seulette, André survient, qui sans long compliment La considère; et lui dit froidement: Je m'ébahis comme au bout du royaume S'en est allé le compère Guillaume, Sans achever l'enfant que vous portez: Car je vois bien qu'il lui manque une oreille Bonté de Dieu ! reprit-elle aussitôt, Que dites-vous ? quoi d'un enfant monaut J'accoucherais ? n'y savez-vous remède ? Si da, fit-il, je vous puis donner aide Essayons là, sans plus en discourir, Si je suis maître à forger des oreilles. Souvenez-vous de les rendre pareilles, (Reprit la femme) Puis le galant montre ce qu'il sait faire. … André vaquait de grande affection A son travail; faisant là un tendon, Là un repli, puis quelque cartilage; Demain, dit-il, nous polirons l'ouvrage, Le lendemain, Compère André ne fut pas endormi Il s'en alla chez la pauvre innocente. Je viens, dit-il, toute affaire cessante, Pour achever l'oreille que savez. Et moi, dit-elle, allais par un message Vous avertir de hâter cet ouvrage: Montons en haut. Dès qu'ils furent montés, On poursuivit la chose encommencée. … Tant fut ouvré, qu'Alix dans la pensée Sur cette affaire un scrupule se mit; Et l'innocente au bon apôtre dit: Si cet enfant avait plusieurs oreilles ? 11. SONNET POUR MLLE DE POUSSAY J'avais brisé les fers d'Agnès et de Sylvie, J'étais libre, je vivais content et sans amour L'innocente beauté des jardins et du jour Allait faire à jamais le charme de ma vie, Quand du milieu d'un cloître soeur Colette est sortie; Que de grâces, mon Dieu, que de grâces infinies ! Sur ce nouvel objet chacun porte les yeux; Mais, en considérant cet ouvrage des Cieux, Je ne sais quelle crainte en mon coeur se réveille. Quoi qu'Amour toutefois veuille ordonner de moi, Il est beau de mourir des coups d'une merveille Dont un regard ferait la fortune d'un roi. 12. LE MAL D'AMOUR De tant de maux qui traversent la vie, Lequel de tous donne plus d'embarras? De grands malheurs la famine est suivie; La guerre aussi cause de grands fracas; La peste encore est un dangereux cas; Femme fâcheuse est un méchant partage Faute d'argent cause bien du ravage; Mais pas ne sont là les plus douloureux Si m'en croyez, aussi bien que le Sage. Le mal d'amour est le plus rigoureux De l'éprouver, un jour me prit envie; Mais aussitôt adieu jours sans tracas : Ennuis cuisants, noirs soupçons, jalousie, Cent autres maux je vis venir en tas. Soupirs déçus, ribambelle de dégâts Liberté fit place à honteux servage; Tu fus d'abord, pauvre coeur, mis en cage, D'où tu voudrais sortir, mais tu ne peux. Lors tu chantas sur un piteux ramage « Le mal d'amour est le plus rigoureux. » Quand la beauté que vous avez servie A vos désirs parfois ne répond pas, C'est bien alors que c'est la diablerie; Prendre on voudrait le parti de Judas On se pendrait pour moins de deux ducats. Sans cesse au coeur on a fureur et rage; Fer et poison, on met tout en usage Pour se tirer d'un pas si malheureux. Qui peut après douter de cet adage « Le mal d'amour est le plus rigoureux »? ENVOI Objet charmant, de qui la belle image Tient dès longtemps mon coeur en esclavage, Soulage un peu mon tourment amoureux Si tu me fais un tour si généreux Plus ne tiendrai ce déplaisant langage « Le mal d'amour est le plus rigoureux. »