Programme MSc in Management
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Programme I.D.E.A. CONCOURS D'ENTRÉE 2016 – Session 2 _____ DISSERTATION _____ 23 juin 2016 ___________________________________________________________________ Sujet : Quelle place pour l’ « entreprise libérée » ? Recommandations : Comme point de départ, vous disposez des textes ci-joints pour élaborer votre dissertation. Les différentes étapes sont demandées : 1. L’épreuve consiste à faire la synthèse des documents fournis. 2. Elle demande en outre une réelle confrontation entre les différentes opinions et analyses proposées par les articles. 3. Elle demande l’expression indispensable de votre point de vue personnel. 4. Il est conseillé de soigner le plan et l’articulation des différentes parties afin de mettre en évidence le cheminement de votre raisonnement. N.B. : - La dissertation devra être précise et concise. Elle ne devrait pas excéder 4 pages, les dépassements ne pouvant se justifier que par une qualité exceptionnelle. - La note tiendra compte de la présentation, du style, de la correction de la langue et de l'orthographe. - Il n'est fait usage d'aucun document autre que ceux distribués ni de matériel électronique. L'entreprise libérée, révolution ou imposture ? JDN, Le Journal du Net - Lucas Jakubowic, 11/01/16 Pour certains entrepreneurs et théoriciens du management, supprimer la hiérarchie augmente le bonheur et la productivité des salariés. Vraiment ? Imaginez des salariés autonomes, libres d'innover, organisant leurs horaires, fixant personnellement les objectifs à atteindre et désignant leurs responsables. Un rêve ? Non. Une réalité dans plusieurs entreprises qui ont renversé le management pyramidal pour devenir ce que l'on appelle une entreprise libérée. Mais le bonheur est-il toujours au rendez-vous ? Pas si sûr… Libérée délivrée « La notion d'entreprise libérée est en adéquation totale avec les attentes des salariés et les enjeux économiques de notre époque », assure Denis Bismuth, directeur de Métavision, spécialiste du conseil en ressources humaines et en management. « Par rapport à quelques décennies en arrière, les entreprises sont moins dans la standardisation et la production massive. Elles doivent innover plus que jamais pour rester compétitives. Dans le monde du travail, la main d'œuvre est de plus en plus qualifiée et de plus en plus jeune. L'entreprise libérée correspond aux attentes de la génération Y et de la génération Z qui recherchent du sens dans leur travail. Avec l'entreprise libérée, personne n'est dépossédé de son activité », complète le spécialiste. Selon lui, cette organisation managériale stimule l'innovation et fidélise les salariés. Un avis partagé par Christophe Baillon, président et fondateur de Sogilis, une entreprise spécialisée dans le high tech. Dès sa création en 2008, la société qui compte aujourd'hui 35 collaborateurs, a opté pour le modèle de l'entreprise libérée. « Nous avons créé une entreprise libérée sans le vouloir. C'est rigolo de voir qu'aujourd'hui le concept est à la mode », s'esclaffe le dirigeant. « Mon but était simplement de limiter le turn over, d'attirer les meilleurs et de garder une longueur d'avance sur la concurrence ». Mais comment ces déclarations d'intention fonctionnent-elles au quotidien? « Concrètement, je laisse à mes salariés une liberté totale pour atteindre leurs objectifs. Ce sont eux qui lisent les CV et les lettres de motivation lorsqu'ils décident d'embaucher. Je n'impose pas d'horaires. Les congés sabbatiques à l'étranger sont encouragés. C'est un levier de croissance qui nous a permis de nous implanter en Australie. Grâce à ce type de management nous avons développé des structures d'accompagnement de start-up et avons créé Hexo+, une filiale spécialisée dans les drones ». « Cela paraît simple à instaurer dans une start-up de taille moyenne, par nature innovante et employant une main d'œuvre jeune et très bien formée. Mais, il est intéressant de constater que l'entreprise libérée peut se mettre en place partout », expose Denis Bismuth. En 2012, Isaac Getz et Brian Carney ont théorisé la notion d'entreprise libérée dans l'ouvrage Liberté & Compagnie, quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises . Ils y montrent que cette organisation du travail fonctionne également dans des entreprises du secteur industriel comme Gore Tex, Harley Davidson ou encore Favi, un équipementier automobile français. « De toute manière, quel que soit le secteur d'activité, tout le monde s'y retrouve », affirme Denis Bismuth. « Les salariés sont épanouis et le manager, s'il est bien préparé, a enfin un vrai rôle d'accompagnement. Plus libre de ses mouvements, il est au service de tous, il valorise et se valorise. Il a du temps pour des tâches nobles. C'est une rupture importante. Mon expérience me montre qu'environ 40% du temps de travail d'un manager ou d'un cadre consiste à créer des normes et à contrôler », soutient le spécialiste. L'entreprise libérée semble donc posséder de nombreux atouts. Pourtant, rares sont les entreprises qui ont osé franchir le pas en chamboulant un management rôdé. « Si on prend le cas de la France, l'environnement est peu propice à cause de notre vision jacobine, pyramidale, ainsi qu'à cause du culte des grandes écoles dont les diplômés seraient omniscients », reconnaît Denis Bismuth. « Les entreprises libérées semblent donc vouées à rester minoritaires », se désole t-il. Pour certains, c'est tant mieux.« Bien sûr qu'elles sont minoritaires partout. D'ailleurs, en lisant les articles sur le sujet, ce sont toujours une dizaine d'exemples qui reviennent. Heureusement que c'est le cas. Si on dépasse l'effet waouh et que l'on analyse le modèle, on ne peut qu'être ravi de la situation », se félicite François Gueuze, auditeur social et maître de conférences en ressources humaines à l'université de Lille. Libérer pour mieux dominer ? François Geuze est le premier à reconnaître que le but de l'entreprise libérée est noble : « Rien à dire là-dessus. En théorie, l'objectif vise à libérer les énergies de tous, à favoriser le bien-être au travail, l'initiative individuelle et l'innovation ». Toutefois, d'après le spécialiste, la réalité est moins rose qu'elle ne le laisse paraître. Premier grief, ce système n'a pas que des gagnants. Contrairement à ce que déclare Denis Bismuth, les cadres intermédiaires seraient selon lui les principales victimes. « Pour les tenants de l'entreprise libérée, les cadres sont tenus coupables de tous les maux. Ils sont considérés comme de petits chefs dominateurs qui brident leurs équipes. Il faut donc leur enlever tout pouvoir effectif. Or, dans mes fonctions d'auditeur social, je constate au quotidien que l'immense majorité s'efforce de libérer les énergies sans abuser de leur autorité. Ce ne sont plus les contremaîtres des usines de jadis ». Autre défaut mis en avant par François Geuze, la dérive autocratique d'un système qui se veut démocratique et égalitaire : « En réalité le pouvoir appartient moins que jamais aux salariés. Il est plus que jamais entre les mains de la direction qui, en supprimant et en stigmatisant un échelon intermédiaire, installe une mainmise totale sur l'entreprise. D'une certaine manière, c'est le même procédé que le stalinisme qui sous couvert d'une égalité totale a supprimé tout ceux qu'il nommait les bourgeois déviants pour instaurer son pouvoir sur tous. En fait, l'entreprise libérée, c'est une dictature de la pire espèce ». « Les salariés sont censés être libres et responsables. Dans les faits, tout le monde contrôle tout le monde ». Si ce procédé permettait de favoriser le bien-être au travail, cela pourrait être accepté. Cependant, François Geuze est catégorique : bonheur au travail et entreprise libérée ne font pas forcément bon ménage. « Les salariés sont censés être libres et responsables. Dans les faits, tout le monde contrôle tout le monde. La pression sociale est très forte, que ce soit sur les congés, les horaires de travail… Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas supporter ça. Les entreprises libérées 1 sont touchées par les maladies professionnelles et le burn out. D'ailleurs, l'instauration de l'holacratie , étape ultime de l'entreprise libérée, chez Zappos, entreprise de vente en ligne, a eu l'effet suivant : 1 salarié sur 7 a préféré démissionner ». Toutefois, selon Denis Bismuth, les démissions liées à la mise en place d'une entreprise libérée sont dues à l'importance des changements quotidiens plus qu'au stress ou à la pression : « Les changements sont importants et il est concevable que certains salariés préfèrent travailler de manière traditionnelle ». « Avec l'entreprise libérée, nous sommes en pleine servitude volontaire » autre point soulevé par François Geuze, les dirigeants mettant en place l'entreprise libérée auraient bien souvent des motifs plus financiers qu'humanistes. « Au final, ce système s'inscrit dans une logique de cost killing. Les salariés, vont développer de nouvelles compétences, innover sans forcément gagner plus. Bien sûr il y a des primes, de l'intéressement. Mais cela existe également dans les entreprises traditionnelles. Les salariés travaillent donc plus pour gagner autant en pensant être libre. Pour paraphraser La Boétie, avec l'entreprise libérée, nous sommes en pleine servitude volontaire ». Christophe Baillon estime également que tous les dirigeants optant pour cette organisation du travail ne sont pas dénués d'arrières pensées : « Dans ce cas-là, ça ne peut pas marcher. Nul ne peut penser instaurer une entreprise libérée uniquement pour réduire des charges fixes. L'entreprise libérée n'est pas une théorie, c'est un état d'esprit ». __________________________________________________________________ 1 L'holacratie (holacracy en anglais) est un système d'organisation de la gouvernance, basé sur la mise en œuvre formalisée de l’intelligence collective L'entreprise libérée, réalité ou imposture ? Mensuel N° 279, Sciences Humaines - Jean-François Dortier, Sociologue, mars 2016 Une entreprise libérée de la hiérarchie et qui laisserait les salariés décider eux-mêmes de leurs conditions et méthodes de travail : cette utopie managériale a été mise en œuvre et racontée par Isaac Getz et Brian Carney. Qu’en est-il vraiment ? Qu’est-ce que « l’entreprise libérée » ? D’abord un slogan, une formule choc lancée par Isaac Getz et Brian Carney dans un livre manifeste : Liberté & Cie. Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises. Paru en 2009, ce livre est devenu un best-seller du management en quelques mois. Dans le sillage de ce succès, le concept d’entreprise libérée a fait l’objet de dizaines d’articles de presse, de reportages TV et a suscité un réel engouement sur les réseaux sociaux. L’entreprise libérée repose sur une idée simple. Il faut en finir avec l’entreprise taylorienne, pyramidale et bureaucratique, et apprendre à faire confiance aux salariés : ce sont les mieux à même de savoir comment bien faire leur travail, résoudre les problèmes et innover. Dès lors qu’on les libère des consignes tatillonnes, contrôles, règles et directives de toutes sortes, ils s’en sortent très bien. Tout le monde y gagne ; les salariés sont plus heureux, les clients satisfaits et les dirigeants comblés… car les bénéfices sont au rendez-vous. « La liberté, ça marche », affirment sans ambages I. Getz et B. Carney. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ! Libérer l’entreprise des hiérarchies inutiles, l’idée devrait plaire à tous, notamment aux salariés qui sont les premiers concernés. Ce qui est un peu gênant, c’est que les salariés sont les grands absents de Liberté & Cie. Les seuls à avoir la parole et à vanter les mérites de la formule sont une poignée de leaders libérateurs et de consultants qui promeuvent la formule. Et si l’on donnait la parole aux salariés ? Liberté & Cie est composé comme un bon storytelling. Une intrigue : l’entreprise étouffe sous la hiérarchie ; une solution : libérer les salariés ; et quelques exemples de réussites exemplaires. Entrons dans le détail. La formule de l’entreprise libérée repose sur quatre étapes : 1) Cesser de parler et écouter les salariés. Pour cela, il faut commencer par supprimer les symboles du pouvoir (c’est-à-dire renoncer aux symboles qui marquent les différences entre direction et salariés). 2) Partager ouvertement et activement sa vision de l’entreprise pour permettre aux salariés de se l’approprier. 3) Arrêter d’essayer de motiver les salariés. Dès lors qu’ils sont libres d’agir, la motivation des salariés est au rendez-vous 4) Rester vigilant . Le dirigeant libérateur doit veiller à ce qu’il n’y ait pas de dérive. Voilà pour les grands principes. Concrètement, comment ça marche ? En fait, il n’y a pas de modèle, ni d’organisation unique. Chacun doit se débrouiller en fonction du contexte. À défaut de recette, I. Getz et B. Carney nous présentent des cas emblématiques d’entreprises libérées : Harley-Davidson, Gore. GSI, Sun Hydraulics, Sea Smoke Cellar, FAVI. Gore, par exemple, est une entreprise de textile américaine qui a mis au point Gore-Tex (tissu révolutionnaire dont sont faits les vêtements sportifs). L’entreprise compte 10 000 salariés dans 45 pays. L’unité de base de la firme est formée d’unités de production de 250 personnes maximum, qui sont relativement autonomes et dirigées par un leader naturel désigné au sein de l’équipe. L’évaluation des salariés est collégiale (chacun note les autres). Harley Davidson a fait sa révolution interne à partir de 1987… La célèbre fabrique des motos mythiques fait partie des entreprises libérées. La firme a connu une crise profonde dans les années 1980. Après une restructuration et une forte réduction des effectifs, le dirigeant Richard Tirekink a impulsé une réorganisation. L’entreprise est désormais divisée en trois grands cercles fonctionnels : le cercle « Produire » (qui regroupe les fonctions de conception, production et gestion), le cercle « Créer la demande » (qui regroupe les fonctions marketing et commerciales, et le cercle « Support » (qui regroupe les fonctions administratives, la gestion, les RH). Les cercles ne sont pas structurés en une unité hiérarchique précise ; les leaders sont multiples (en fonction de leurs compétences) et tournent. Le comité de direction (leadership and strategy conseil) est formé des leaders issus de chaque cercle. Il conseille le dirigeant (CEO) qui bien sûr, en tant que leader suprême, reste maître de ses décisions (il ne faut pas exagérer quand même !). Interrogations et critiques La révolution de l’entreprise libérée serait donc en marche. Elle serait en train de « renverser la pyramide », de « faire passer les salariés d’abord » selon Vineet Nayar, autre gourou de l’entreprise libérée. Voire tout simplement de mettre « fin au management », comme le proclamait Gary Hamel. Devant tant d’enthousiasme, il n’apparaît pas inutile d’écouter quelques voix discordantes. Dans Fautil libérer l’entreprise ? (2016), Gilles Verrier et Nicolas Bourgeois, tout en partageant les buts et méthodes (on n’interroge que les dirigeants !), prennent un peu de distance et tentent une approche un peu plus mesurée de l’entreprise libérée. D’autres sont franchement plus critiques. On peut résumer les critiques à trois grandes catégories. Première critique : l’entreprise libérée propose d’abattre un système qui n’existe presque plus ! Frederick Taylor est mort il y a un siècle (en 1915). Son modèle d’organisation scientifique du travail, fondé sur la division à l’extrême des tâches, le chronométrage, le salaire à la pièce, a fait l’objet de fortes critiques (dont par exemple, Le Travail en miettes de Georges Friedman, 1956). Dans le même temps, les relations humaines, les motivations et l’autonomie des employés commençaient à être prises en compte tant dans la théorie, comme le modèle Y de Douglas McGregor que dans la pratique. En Europe, dès les années 1970 l’industrie automobile expérimentait les équipes semiautonomes. Les méthodes japonaises d’entreprise non hiérarchique (firme J contre firme H) allaient commencer à se diffuser dans l’industriel. Dans les années 1980, les principes du management participatif, fondés sur la logique des projets et l’élargissement des compétences des salariés, faisaient leur chemin. L’entreprise libérée enfonce donc à grands coups de boutoir des portes déjà largement ouvertes. Cela ne veut pas dire que la hiérarchie et les prescriptions ont disparu, mais elles ont pris un nouveau visage. Une nouvelle bureaucratie est apparue au cours des deux dernières décennies, liée à l’essor des modes de contrôle de gestion, des normes de qualité, des outils informatiques, mais ces nouvelles normes et directives sont imposées en large partie par des contraintes institutionnelles, comme les normes de qualité et les normes comptables. Leur suppression ne dépend pas de la seule bonne volonté de leaders libérateurs. Tout le pouvoir au… leader libérateur L’autre critique vient de François Geuze, directeur du master management des RH de Lille. Pour lui, l’entreprise libérée se situe à mi-chemin entre la stratégie de communication et l’imposture. Il récuse l’idée que l’on puisse se débarrasser aussi aisément des fonctions supports comme les RH, envisagées par les hérauts de l’entreprise libérée comme de purs parasites. « Les RH sont des parasites à l’état pur (…) ils font partie de ces sorciers devins qui sont autogénérés », affirme JeanFrançois Zobrist, ex-dirigeant de FAVI. Mais si on supprime les DRH, jugés inutiles, qui va s’occuper de la gestion des carrières, de la formation, des conditions de travail ? Les chefs d’équipe sont-ils à même de traiter eux-mêmes les questions de formation ou d’évolution de carrière ? Pour F. Geuze, la vision caricaturale d’un encadrement qui ne sert qu’à la prescription et au contrôle est une façon de renforcer le pouvoir du leader « petit père des peuples ». Car la suppression du contrôleur ne veut pas dire suppression du contrôle. « La logique pernicieuse de l’entreprise libérée est qu’elle prône l’autocontrôle (…) Mais celle-ci peut bien vite glisser vers le contrôle de tout le monde par tout le monde, chacun des membres d’une équipe étant en permanence sous le contrôle de l’ensemble de ses membres. » Une entreprise où chacun doit partager et endosser les objectifs du leader répond à une logique de secte, celle d’un groupe soudé autour de valeurs communes ou toute déviance ou avis divergent n’ont guère pas de place. Pour Hubert Landier, spécialiste des relations sociales, « le succès de l’entreprise libérée est de reposer sur une critique générale et abstraite du taylorisme », qui récupère à peu près tous les leitmotivs actuels du management sur le bonheur au travail, la reconnaissance des salariés, la critique de la bureaucratie. En réalité, cette notion dissimule habilement « un concept mou, ou un mot-valise, qui évoque plus qu’il n’explicite ». L’entreprise libérée doit son succès au fait qu’elle surfe sur des aspirations profondes des salariés. Mais ce n’est pas le moindre des paradoxes que les livres et documentaires qui lui sont consacrés ne leur laissent pas la parole. Comment mesurer les forces et limites d’une formule qui prétend libérer les salariés, mais ne s’en tient pour cela qu’à une poignée de leaders libérateurs et des consultants qui en font la réclame ? Favi, un modèle autopromu... L’entreprise Favi, installée en Picardie, emploie près de 400 personnes qui fabriquent des pièces détachées pour l’industrie automobile. Au milieu des années 1970, un nouveau dirigeant, JeanFrançois Zobrist, en a pris les commandes. Quelques mois après son arrivée, il a réuni ses salariés et leur a tenu ce discours révolutionnaire : « Ça fait neuf mois que je suis parmi vous et que je vous regarde, et que je vois des gens courageux, de grands professionnels qui aiment leur métier, mais qu’on empêche de bien travailler. J’en suis arrivé à la conclusion que des gens comme vous, qui ont vos qualités, n’ont plus besoin de carotte, ni de bâton, d’ailleurs. » Puis il a énoncé les nouveaux principes qui allaient désormais gouverner l’entreprise. Fin du bâton : suppression des pointeuses, qui seront démontées, et des sonneries (si on arrive en retard, on prévient le chef et on rattrape). Fin des carottes : les primes sont supprimées et intégrées au salaire. La hiérarchie sera réduite à deux niveaux au lieu de cinq. Chaque équipe sera pilotée par un leader (issu du rang). Les opérateurs régleront eux-mêmes leur machine. Ils seront amenés à proposer des améliorations. La confiance sera donc le maître mot. « Avoir foi en l’homme », tel est le credo affiché de J.F. Zobrist. Et ça a marché ! L’entreprise Favi reste aujourd’hui l’un des leaders mondiaux dans son domaine. L’entreprise fait des profits. Les salariés reçoivent un intéressement (il est vrai modeste par rapport aux juteux bénéfices dégagés pour les actionnaires). Comment ne pas applaudir ? L’autre visage de FAVI Mais il existe aussi une autre version de l’histoire. Certes, les ouvriers ne pointent plus ; ils règlent eux-mêmes leur machine. Mais est-ce vraiment aussi révolutionnaire ? J.F. Zobrist n’a fait qu’introduire un type de management à la japonaise des années 1970, très largement importé dans de nombreux secteurs, avec les équipes semi-autonomes Mais la loyauté des salariés repose aussi sur l’existence d’une norme de groupe très forte, fondée sur l’autocontrôle des salariés entre eux. Tout dissident est mis au ban, et l’omniprésence du leader libérateur fait songer au gourou d’une secte… Dans un document interne chargé de décrire les règles de fonctionnement de l’entreprise, daté de 1996, on peut lire ceci : « Le but de la démarche est de faire de l’entreprise une niche (un lieu d’appartenance), de façon à ce que chacun s’y comporte avec autant de dévouement spontané et ludique que dans SA chorale ou SON équipe de foot. (…) Les grands maîtres de l’effet de niches sont les militaires et les sectes diverses, qui utilisent des ficelles énormes mais efficaces qui datent du système tribal. - Permanence du “chef”. Si le “chef” change tous les cinq ans, au nom du sacro-saint plan de carrière, ce n’est pas la peine d’aller plus loin (…). Valeurs communes édictées et connues de tous. (…) Elles doivent être connues et comprises de tous ; donc simples et reposant sur des valeurs judéo-chrétiennes de base (bonne foi, bon sens, bonne volonté, bonne humeur)… » Quand l’automobile a connu la crise de 2008, l’entreprise s’est réorganisée et est passée de 600 salariés à moins de 400 aujourd’hui. J.F. Zobrist a donc dû se séparer de 200 personnes. Dans le même temps, la productivité a progressé au rythme de 3 % l’an, ce qui impose un rythme de travail soutenu. Les ouvriers de chez Favi doivent façonner 1 800 pièces dans la journée, ce qui est un objectif très élevé dans le secteur. La peur du chômage aurait-elle remplacé la pointeuse ? Les récits stéréotypés du leader Favi ne le disent pas.