Risâlat at-Tayîr - Tabernacle des Lumieres
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Risâlat at-Tayîr - Tabernacle des Lumieres
Risâlat at-Tayîr L’épître de l’Oiseau DE Sheikh Muhammad Abû Hâmid al-Ghazâlî Introduction & traduction par SLIMANE REZKI Risâlat at-Tayîr L’épître de l’Oiseau DE Sheikh Muhammad Abû Hâmid al-Ghazâlî Introduction & traduction par SLIMANE REZKI © Janvier 2012, Tabernacle des Lumières 1 L’épître de l’Oiseau Risâlat at-Tayîr Sheikh Muhammad Abû Hâmid al-Ghazâlî Introduction Ce petit traité symbolique est à l’origine l’œuvre du frère cadet d’Abû Hâmid, Muhammad al-Ghazâlî, qui le composa en persan et que son ainé (Abû Hâmid) traduisit plus tard en arabe. Cette épître s’inscrit dans le sillage de nombreux écrits de la même veine1. Le Phénix, symbolisant clairement la Réalité prophétique intemporelle, est le but des aspirations des principaux protagonistes de ce conte. Il est la finalité de toute quête initiatique. C’est de celle-ci que sidi Abû Hâmid prend conscience lorsqu’un jour, de retour de voyage, la caravane où il se trouve est attaquée par des bandits de grands chemins. Tentant de cacher quelques livres rares, son agresseur les lui enlève et les jette à terre. Abû Hâmid effrayé de pouvoir les perdre, l’implore de les lui laisser. L’un des voleurs lui rétorque alors : « Est-ce là toute ta science ? Si je te prenais tes livres, tu ne serais donc plus rien ? » A cet instant, notre saint personnage comprend que la connaissance véritable est intérieure et non couchée sur les pages d’un livre2. Les conseils de son frère, déjà rattaché au soufisme, finiront le processus de conversion et Abû Hâmid abandonnera ses prestigieuses fonctions pour se retirer pendant de longues années dans l’intimité de son Seigneur3 à la recherche du Phénix. Très directe et précise malgré sa concision, cette petite épître dévoile certains aspects de la voie ou du moins de l’approche spécifiquement soufie de la quête divine. Comme l’enseignait un maître contemporain, notre voie n’est pas celle du mérite, de l’ancienneté ou de la promotion, ce qu’on y trouve ne pouvant se vendre ni s’acheter4. La grâce divine est le seul élément opératif du processus de réalisation spirituelle. On pourrait, ceci dit, penser à tort que l’être n’a aucune prérogative concernant son propre devenir spirituel, mais ce serait oublier qu’en réalité, les deux 1 Le langage des oiseaux de ‘Attâr, l’Archange empourpré de Sohrawardî, Le Mathnawî de Jalâl al-Dîn Rûmî regorge de poèmes reposant sur cette symbolique. 2 C’est un processus bien connu du cheminement initiatique. A une certaine étape de la voie, le maître demande au disciple de laisser les livres et les supports extérieurs de côté pour se consacrer à une voie plus rude et plus sèche, celle de l’invocation. De plus, il est demandé lors de cette étape de favoriser la solitude, la faim, la veille et l’isolement. Bien entendu, cette discipline n’est à pratiquer que sous la guidance d’un être de réalisation. Elle est trop dangereuse pour s’y aventurer seul. Nombreux sont les maîtres qui décrivent leur passage part cette étape, Jalâl din Rumî, Shar’rânî, Ibn ‘Ajibah, ou plus proche de nous, le cheikh al-Buzidî ou le cheikh Mohammed Belqayd dont l’héritier et successeur Mohammed ‘Abd el Latîf, jusqu’aujourd’hui, ne permet l’accès à certaines œuvres qu’après une autorisation spécifique. 3 Abandonnant ses fonctions d’enseignement et de conseiller du grand vizir Seljukide Nidham al-Mulk, il se retire et demeure neuf ans en retraite à Damas pour se consacrer au dhikr et à la contemplation. 4 Il s’agit d’un enseignement donné par le Cheikh Mohammed al-Hibry au début du vingtième siècle à son disciple Mohammed Belqayd. 2 modalités majeures de la voie sont celles que symbolisent les branches de la croix, c'est-à-dire, les deux dimensions horizontale et verticale de la quête5. La voie horizontale représente ici la demande exprimée par l’homme en quête de Dieu et la voie verticale la réponse d’Allah. Et comme Allah n’impose rien, la réponse ne peut intervenir que lorsque la demande est formulée du fond du cœur, ce que symbolisent à nouveau les efforts pour parvenir au terme de la voie horizontale. Selon une approche similaire, la voie horizontale est l’étape où la personne fournit des efforts pour parvenir jusqu’au point de rencontre qu’incarne le point intermédiaire situé à la jonction de la verticale et de l’horizontale. Parvenir à ce point de jonction, auquel aboutie la voie horizontale, implique que la personne en quête aille jusqu’aux limites de ses possibilités. Cette limite représente la sincérité totale de sa demande et de son espoir d’accéder à Dieu. Ce n’est qu’au prix de cette sincérité totale, que prouvent des actes menant à l’épuisement voire au désespoir, que l’« ouverture » à la voie verticale se produit. En d’autres termes, la voie horizontale ne commence qu’au moment où la personne comprend que nul autre qu’elle ne peut accomplir cette quête à sa place 6. Cette même voie horizontale ne trouve son terme que quand cette même personne comprend que par elle-même elle ne pourra aller au-delà de ce point de jonction7. La voie verticale (al-çirat al-mustaqim) étant de nature divine, elle ne peut être parcourue que par un élément de nature divine et non plus humaine. Sous un autre angle, la voie horizontale est celle des actes et la voie verticale celle du renoncement à tout acte individuel. C’est encore le recours à des substituts extérieurs pour la première étape (horizontale) et à un recours exclusivement intérieur et propre à soi-même8 pour la seconde étape (verticale). Ce qui signifie que dans un premier temps on doit dépendre d’un autre qu’Allah et dans un second temps ne dépendre que de Lui directement. Cela dit, les différents plans de perception de la réalité totalisatrice imposent de toujours savoir situer une expression au sein des diverses possibilités conceptuelles. Autrement dit, à un certain niveau, celui où la manifestation et donc ce qui est autre que Dieu, est envisagée, le jeu de question-réponse entre le serviteur et le Seigneur prend toute sa validité. Mais à un autre niveau, plus métaphysique, ce rapport perd toute réalité car au final il n’y a que Dieu. Par conséquent c’est Lui qui 5 Cf. Le symbolisme de la Croix de René Guénon ou encore le récit du voyage nocturne du Prophète selon ‘Abd Allah Ibnu ‘Abbâs. 6 Comme le rappellent les maîtres de la voie, un maître peut aider, guider, conseiller, faciliter… mais il ne peut accomplir la voie à la place de son disciple. Cette remarque est valable dans tous les modes d’apprentissage quelconque, des plus simples aux plus compliqués. 7 La difficulté ici réside dans le fait que la personne jusqu’alors était habituée à fournir des efforts et n’envisage plus que quoi que ce soit se produise indépendamment de ses efforts. Le changement de comportement est souvent le plus difficile à accepter et en fait, et n’est, d’ailleurs, généralement pas accepté. Ce n’est que quand la personne comprend son impuissance que le leurre cesse. Mais avant l’ouverture ou le passage à la voie verticale, un moment de vide demeure quelques temps et alors deux possibilités se présentent : soit la personne renonce et le risque de chute est grand ou alors sa foi la sauve car elle est convaincue qu’Allah n’est pas injuste ou tyrannique. Cette période, le Prophète la connut au début de sa fonction comme l’exprime le verset 3 de la sourate 93 du Coran : « Ton Seigneur ne t’a ni abandonné ni pris en aversion ». 8 Ce recours à soi-même n’implique aucunement que l’être laisse libre cours à ses pulsions ou désirs passionnels. Au contraire, désormais conscient que l’esprit divin est sa propre essence et donc « en lui », ce recours à Soimême n’est pas différent de la soumission volontaire et consciente à la volonté divine identique à l’esprit universel. 3 désire se manifester à Lui-même et qui donc génère la question en l’homme afin d’y répondre. Ce qui revient à dire que Dieu répond à sa propre question ou se manifeste à Lui-même. A ce niveau, il ne peut finalement n’y avoir que miséricorde car Dieu ne se désobéit pas à Lui-même et que toute transgression apparente n’est, à ce stade, qu’illusion et n’a de réalité qu’au regard de l’homme voilé à l’égard de la dimension métaphysique de la tradition. Toutes les notions de jugements, d’initiation, de quête, de voyage, de bien ou de mal… impliquent nécessairement une dualité qui, au regard de la métaphysique9, n’est que pure impossibilité, un non sens, nous obligeant à descendre à un niveau de moindre réalité et à envisager la manifestation comme différente de son principe. Cette conception limitée, le soufisme l’accepte, mais il la dépasse avec la doctrine de la Wahdat al-Wujûd ou Unicité de l’être. Comme le rappelle R. Guénon, tout effet est nécessairement de la nature de sa cause, autrement dit, la goutte se pensant autonome et différente de l’océan n’est au fond pas autre chose que l’océan lui-même. De même, l’étincelle possède la nature tout entière du feu et ne peut être différenciée de celui-ci qu’illusoirement. C’est ainsi qu’à l’article de la mort, Abû Hâmid dira à ses proches « Ne vous inquiétez pas, je serai toujours près de vous ». Si l’homme disparaît10, comme la goutte se résorbe dans l’océan, l’esprit, qui est son essence profonde et de nature divine, lui, est immuable et ne disparaît jamais11. Cette vision d’ordre métaphysique s’identifie plus au but qu’au moyen de la voie spirituelle. Le traité en question est avant tout d’ordre initiatique et se situe à un niveau ou la dualité serviteur-Seigneur a encore toute sa réalité. Le sujet de cette étude est donc plus assimilable à des écrits du genre de ceux d’Ibn ‘Ata Allah ou d’Ibn ‘Ajibah. Nous sommes dans le domaine de la méthode et des étapes du voyage initiatique. Bien que symboliques, les éléments constitutifs de ce traité sont suffisamment éloquents pour quiconque maîtrise un tant soit peu la faculté de lire les symboles fondamentaux de la Tradition12. La notion de voyage est en rapport direct avec les ascensions des prophètes, les oiseaux symbolisent les anges ou les états intermédiaires entre la terre (l’homme) et le Ciel (Dieu). La faculté de voler que possède l’oiseau s’assimile à celle que l’homme a de se dépasser donc de s’élever audessus de son domaine naturel que symbolise la terre. Les difficultés du voyage comme les déserts, les montagnes, les températures extrêmes… symbolisent les multiples difficultés que rencontre l’être pour se débarrasser de ses mauvaises habitudes13. Quand le cheikh Darqawî dit que le seul obstacle à notre réalisation est notre âme, cela signifie que ce qui nous empêche d’accomplir notre raison d’être et de réaliser la noble cause pour laquelle nous sommes existants, se trouve en nous et n’est pas autre que l’illusion de notre existence individuelle conçue comme différente 9 Nous entendons ce terme dans l’esprit où R. Guénon l’entendait c'est-à-dire comme une traduction exacte du terme islamique al-Tawhîd. 10 En tant qu’individu ou corps. 11 C’est en ce sens que sidi Muhy dîn Ibn ‘Arabî commente le hadîth disant que si l’œil du Prophète dort, son cœur ne dort jamais, le maître commente cette sentence en disant que si son œil meurt, son cœur ne meurt jamais. 12 Ce qui, malheureusement, est rarement le cas aujourd’hui. A cet effet, nous conseillons la lecture de l’ouvrage posthume de René Guénon Les symboles de la science sacrée. 13 C’est une fois conscient des impératifs de la voie que l’homme identifie les obstacles obstruant son cheminement. Ceux-ci peuvent être multiples, alcool, drogue ou toute autre substance source d’addiction, mais cela peut aussi être les nombreuses certitudes sans fondement qui forment la psyché de l’homme. 4 de celle du principe. La quête initiatique conduit à notre libération et les divers combats menés pour atteindre cette indépendance à l’égard de tout ce qui est autre que le Principe, sont à l’encontre de toutes les attaches que nous avons en dehors de Dieu. Les étapes peuvent se résumer à quelques-unes ou être détaillées comme le font certains auteurs comme Ibn ‘Arabî et se compter par milliers. Indépendamment de cela, la première est toujours d’ordre théorique ou conceptuel et consiste à prendre conscience de la nature du but, du besoin que nous en avons et des moyens nécessaires pour l’atteindre. La seconde est le parcours effectif des étapes pouvant se résumer à surmonter les sept obstacles majeurs de l’âme 14. C’est sous la guidance d’un maître que s’effectue ce parcours vertical jonché de pièges et d’obstacles. Cette seconde étape est un passage à l’acte et un vécu personnel de la tradition. Enfin la station ultime consiste à assumer notre nature califale tant sur terre qu’au ciel. Pour terminer, comme l’explique le cheikh al-Ghazâlî à la fin du traité, celui qui a déjà parcouru le chemin, a bien plus de facilité à le parcourir d’autres fois que celui qui le parcourt pour la première fois. Ceci induit plusieurs constats, tout d’abord que le symbole de celui a parcouru la voie se rapporte aux conditions de la maîtrise spirituelle. Il faut, en effet, posséder ou connaître une chose pour pouvoir la transmettre. Mais le plus important dans cette indication réside dans la cause nécessitant que la voie soit parcourue plusieurs fois. On pourrait en toute logique se dire qu’une fois parvenu au but, l’être désire y demeurer et ne plus quitter ce lieu15 sublime qu’il vient d’atteindre. Pourtant, il doit retourner à son point d’origine et parcourir de nouveau la voie. Les deux fonctions majeures de l’homme comme d’un centre initiatique consistent à « recevoir » et « transmettre ». Lors du premier voyage, l’être reçoit, mais l’accomplissement de sa raison d’être nécessite qu’il mène quelqu’un d’autre jusqu’au parvis du royaume divin. Cette nécessité est miséricordieuse et consiste à transmettre ce qu’il a lui-même reçu. Toute réception dépourvue de transmission est synonyme d’échec car c’est dans cette seconde dimension que se trouve notre raison d’être sur terre. La transmission est en quelque sorte un enfantement, c’est l’accomplissement de la volonté d’Allah qui désire se manifester. Y renoncer, c’est ne pas accomplir la volonté divine qui est inscrite au plus profond de nous-mêmes. Notre bonheur est inscrit dans la réalisation de la volonté divine d’où le besoin de nous reproduire tant corporellement que spirituellement. 14 Ces sept étapes sont symbolisées de diverses façons comme par exemple les sept cieux planétaires, les sept jours de la semaine, les sept circumambulations lors du pèlerinage, les sept péchés capitaux, les sept attributs de l’âme (ordonnant le mal, celle qui réprimande, innocente, inspirée, pacifiée, satisfaite et agrée), les sept versets de la sourate al-Fâtiha… 15 Il s’agit bien sûr d’une imperfection du langage car le but ne peut réellement se situer dans le temps ou l’espace qu’il transcende comme il transcende tout. La nature inexprimable du principe suprême est indicible par définition, par conséquent toute tentative de l’exprimer ne peut qu’être qu’imparfaite. 5 L’épître de l’Oiseau Risâlat at-Tayîr Sheikh Muhammad Abû Hâmid al-Ghazâlî Au nom d’Allah le Miséricordieux, le Clément. Se sont réunis plusieurs espèces d’oiseaux de couleurs et genres différents et dont la nature était évidente. Tous pensaient qu’ils avaient besoin d’un roi et que seul le Phénix pouvait assumer cette fonction. Ils trouvèrent l’information au sein de leur patrie dans les contrées occidentales et sa confirmation dans certaines îles. L’appel de la passion et le besoin de quête les réunirent. Ils prirent alors la ferme décision de se mettre en marche pour le trouver afin de se réfugier sous sa protection, de s’assimiler à lui en s’éteignant à eux-mêmes dans l’espoir de trouver le bonheur en se plaçant à son service ; Ils chantèrent un hymne et dirent : Dressez-vous vers la demeure de Leila la vivificatrice Très bien, nous les questionnerons au sujet de certains d’entre eux Alors que les passions secrètes surgissent des complots des cœurs et s’expriment par la langue du besoin Par quelle direction de la terre pourrais-je vous joindre Vous êtes des rois, le but n’est pas dans le nombre de directions Ils aspirent au non-manifesté qui les convie de derrière le voile : « ne vous précipitez pas vers votre propre destruction ». Restez à votre place et ne quittez pas vos demeures. Si vous quittez vos patries, vous accentuerez votre affliction et vous vous exposerez à l’épreuve en vous dissolvant dans l’extinction. Poème : La paix se trouve chez Sa’adî et sa voisine N’accédez à sa vallée en aucun cas Lorsqu’ils entendirent l’énonciation des difficultés concernant le monde de la contrainte, leur passion et leur inquiétude s’amplifièrent Ainsi que leur trouble et leur perplexité, ils tombèrent sous le charme, incapable de s’endormir. Jusqu’au dernier d’entre eux, ils dirent : Si le meilleur des médecins te traitait sans les paroles de Leila tu ne pourrais guérir. Ils pensèrent que rien ne peut satisfaire l’amoureux, si ce n’est lorsqu’il s’installe dans la demeure de son bien-aimé. 6 Ils furent pris de nostalgie et de folie et sans hésitation se ils mirent en mouvement pour atteindre leur but. Il leur fut dit : de grandes zones désertiques, des montagnes gigantesques et des mers déchainées, des régions glaciales et d’autres arides se dresseront devant vous. Il est fort possible que vous soyez stoppés et que vos vœux ne se réalisent pas. Le mieux est de vous poser dans les refuges qui vous aideront à atteindre votre but et ce avant que la convoitise et l’avidité ne vous subjuguent. Ils n’écoutèrent pas ce conseil, ils n’y prêtèrent même pas attention et partirent en disant : Rares sont ceux qui recherchent l’intimité, quelle que soit leur terre d’origine Plus le but est noble et plus il est difficile de trouver de l’assistance Chacun d’entre eux monta sur la monture de l’aspiration intérieure (himmah). Ils saisirent les rênes du désir intense (chawq) en le stabilisant par la force de la passion amoureuse (al-‘ichq) et dirent : Regardez ma chamelle au milieu de la vallée, progressant avec vigueur en balançant les hanches. Si elle se plaint de la grande distance, je lui promets que le but est proche afin de l’encourager. Ainsi, elle voit sur ton visage une lumière qui l’incite à avancer encore. Si tu fais ainsi preuve de maîtrise, elle te considère comme un bon chamelier (guide). Ils partirent selon leur libre arbitre et commencèrent à éprouver la rigueur des conditions. Celui qui vivait en terre aride périt dans les régions glaciales et inversement. Ils furent saisis par le tonnerre et les tempêtes, très peu d’entre eux parvinrent sur l’île où se trouvait le Roi. Ils descendirent sur le parvis et se placèrent sous l’ombre de sa proximité. Ils demandèrent à être annoncés au Roi qui se trouvait dans la citadelle la plus fortifiée et où nul ne peut pénétrer. On l’informa de leur présence, il en fit avancer quelques-uns et leur demanda le motif de leur présence. Nous sommes ici afin de te reconnaître comme Roi dirent-ils. On leur répondit : vous vous êtes bien fatigués ! Nous sommes le Roi indépendamment de votre approbation ou de votre refus. Que vous veniez le reconnaître ne change rien, nous n’avons nul besoin de vous. Lorsqu’ils sentirent l’inaccessibilité et l’impossibilité d’atteindre le Roi, ils désespérèrent. Ils eurent honte et leurs espoirs s’évanouirent. Ils se trouvèrent dépourvus, perplexes et jaloux. Ils dirent : impossible de retourner d’où nous venons, ils n’avaient plus de force et étaient affaiblis par les affres du voyage. Dieu, pourquoi avoir atteint cette île pour mourir ? Puis ils prononcèrent ces vers : Ô habitants de Râmah y a-t-il un lieu d’hébergement La nuit vous envoie un visiteur peu exigeant Lui suffit le moindre regard ou la moindre parole Ils tombèrent tous malade et frôlèrent la mort, mais au son de l’appel, ils accoururent. Ils s’enivrèrent de la boisson de la coupe de l’amour et chacun d’eux redevint enfant. 7 Lorsque le désespoir les toucha tous et qu’ils ne parvinrent plus à respirer, ils reçurent le souffle de l’espoir, leur fut alors dit : « Détrompez-vous, il n’y a pas d’accès au désespoir, ne désespère de l’aide d’Allah que le peuple des mécréants ». La réalisation de l’autonomie consiste à répondre que nous n’avons pas besoin de l’offrande. En revanche, la beauté de la générosité consiste à comprendre et accepter l’offrande. Comme vous avez pris conscience de la mesure de votre faiblesse et de notre grandeur, nous devons vous héberger car notre demeure est celle de la générosité et de la profusion. Notre demeure est destinée aux voyageurs qui ont quitté les jardins paradisiaques. Sans cela, le maître de toute chose qui précède tout n’aurait pas dit : « Accorde-moi de vivre et de mourir pauvre »16. Celui qui réalise qu’il n’a aucun mérite personnel comprend que seul le Roi, le Phénix, peut se charger de lui. Plein d’espoir après avoir désespéré, plein de bonheur après avoir gouté au malheur, ils furent certain de l’abondance et de la générosité. Ils furent assurés d’atteindre le sommet de la profusion bienfaisante. Ils s’enquirent du devenir de leurs compagnons : quelles nouvelles de ceux qui périrent dans les déserts et les vallées, demande-t-on leur sang ou doivent-ils payer une rançon ? On leur répondit, loin de là : « Celui qui quitte sa demeure afin d’émigrer vers Allah et Son Envoyé et est atteint par la mort, trouve quand même sa récompense auprès d’Allah ». La main de l’élection les a rassemblés après que la rigueur des épreuves les détruisit : « Ne dites pas de ceux qui meurent sur la Voie d’Allah qu’ils sont morts car ils sont vivants ». Est-ce que ceux qui se sont noyés dans la mer déchainée et ne purent atteindre la demeure, avalés par les courants marins, on leur dit : pas d’inquiétude : « Ne dites pas de ceux qui meurent sur la Voie d’Allah qu’ils sont morts car ils sont vivants ». Ce qui vous a menés jusqu’ici est ce qui leur rend la vie. Ce qui a fait naître en vous la nostalgie au point que certains périrent en recherchant la réalisation de leur espoir, est celui qui les a mandés et guidés, ce sont les voiles de la Toute puissance et de la détermination « En une station stable auprès du Roi Tout puissant ». Ils demandèrent s’il y avait une possibilité de les voir ? Non, leur fut-il répondu, car vous êtes encore au sein du voile de la Toute puissance dissimulée par le voile de votre forme humaine et par les limites de cette vie temporelle et ses contraintes limitatives. Si vous trouviez ce que vous recherchiez et quittiez vos refuges (nids - corps), là vous pourriez vous rendre mutuellement visite et vous rencontrer. Ils dirent alors : qu’advient-il de ceux qui n’entreprirent pas cette quête et demeurèrent incapable de s’engager sur cette voie ? On répondit : pas de souci ! « S’ils avaient vraiment voulu sortir, ils auraient été préparés, mais Allah n’a pas désiré qu’ils s’engagent et donc ils restèrent ». Si nous l’avions voulu, nous les aurions appelés, mais nous les avons détestés et donc chassés. Etes-vous venus par vous-mêmes, ou est-ce nous qui vous avons appelés ? Est-ce vous qui avez eu cette nostalgie ou nous qui l’avons suscitée en vous ? C’est nous qui vous avons rendus inquiets et guidés sur terre comme sur mer. Quand ils entendirent ces propos, ils furent rassurés de l’assistance totale et d’être sustentés. Ils eurent totalement confiance, s’apaisèrent et se calmèrent. Ils reçurent les dons de la certitude comme doux fruit de leur stabilité. Ils se séparèrent 16 Terme d’un hadîth prophétique. 8 en toute quiétude du lieu du changement 17. « Et certes, vous aurez de ces nouvelles dans quelque temps ». Chapitre Y a-t-il une différence entre celui qui retourne vers l’île après y être déjà allé et celui qui s’y rend pour la première fois ? Ce dernier dit : nous sommes venus pour notre Roi. Mais celui qui retourne vers sa vie d’origine entend : « Ô âme pacifiée, revient vers ton Seigneur », il y retourne alors suite à l’appel lui demandant de revenir. Comment peut-on lui demander ; pourquoi es-tu venu ? Si cette question lui est posée, il répond : pourquoi m’a-t-on appelé et plus encore, pourquoi suis-je transporté en ce pays ? C’est le pays de la proximité. La réponse est en rapport avec la question et celle-ci en rapport avec le degré d’intelligence. Les inquiétudes, elles, sont en rapport avec le degré des aspirations intérieures (al-himmam). Chapitre Que celui qui prend peur en entendant ce genre de récit renouvelle son pacte d’engagement à suivre leur voie horizontale ainsi que celle verticale et purement spirituelle. Le langage des oiseaux n’est compris que par les oiseaux. Le renouvellement du pacte d’engagement nécessite la purification, le respect des moments de prière et de se retirer pour des moments d’invocations (dhikr). Ceci est le renouvellement du bon pacte lors des moments d’égarements. Il faut pour cela s’engager sur l’une des deux voies : « Mentionnez-Moi, Je vous mentionnerais » ou « Ils ont oublié Allah, alors Il les a oubliés ». Celui qui suit la voie de l’invocation : « Je suis le compagnon de celui qui M’invoque »18, l’autre, passant par la voie de l’oubli : « Celui qui s’éloigne de l’invocation du Miséricordieux, Nous lui assignons un diable pour compagnon ». Chaque homme choisit l’une de ces deux possibilités et le Jour de la résurrection il doit suivre l’une de ces deux voies. Sachant que : « L’on reconnaît les criminels à leur face » ou « Les marques de la prosternation sont visibles sur leur face ». Qu’Allah te sauve par la grâce et qu’Il te guide vers la réalisation en et raccourcissant le chemin car seul Lui peut faire cela. Louange à Allah le Seigneur des mondes et que la prière unificatrice soit sur notre souverain Muhammad ainsi que sur toute sa sainte famille. Amîn 17 Ce lieu est celui de ce bas-monde, c’est celui de l’incertitude. Là où il n’y a plus de changement se trouve le royaume divin de l’immuable. 18 Termes d’un hadîth prophétique. 9