Un avenir pour l`Hôpital Militaire Reine Astrid (HMRA)

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Un avenir pour l`Hôpital Militaire Reine Astrid (HMRA)
Bruxelles, le 30 novembre 2014
Un avenir pour l’Hôpital Militaire Reine Astrid (HMRA)
Lorsque je parcours les articles de presse parus ces dernières semaines, cela me semble déjà un fait
accompli: l’HMRA va fermer ses portes. Il coûte trop cher au regard de ce qu’il apporte. La privatisation est
dès lors présentée comme la panacée.
Afin de recentrer le débat, j’estime qu’il est de mon devoir en tant que Commandant de la Composante
Médicale de clarifier certains points - ce qui est mal connu est mal aimé - et de les remettre dans leur
contexte.
Monsieur le ministre a déclaré que pour établir son plan stratégique, il partirait d’une page blanche. Je ne
peux que souscrire à cette initiative. Et s’il souhaite offrir à la Défense une nouvelle perspective, alors nous
œuvrons dans le même sens. Après des années de restrictions budgétaires, je veux également aider à
atteindre cet objectif pour notre Composante Médicale du futur.
Pour pouvoir débattre de ce sujet, il est important que chacun soit informé de manière correcte, que
chacun sache ce que le personnel de l’HMRA fait exactement, et ce que cela implique pour les ayants-droit
de la Défense ainsi que pour la société en général.
L’HMRA est l’hôpital qui entraîne et qui fournit le personnel médical nécessaire à l’appui médical des
troupes déployées en opération. Un quart des hommes-jours prestés par la Composante Médicale en
théâtre opérationnel, est presté par le personnel de l’HMRA et pas seulement dans des hôpitaux de
campagne. Du personnel médical spécialisé de l’HMRA a été déployé au sein des éléments d’appui
avancés de la Composante Terre en Afghanistan. Il est déployé à bord de navires de la Marine ainsi qu’au
profit des évacuations aéromédicales exécutées en étroite collaboration avec la Composante Air.
L’HMRA est l’hôpital où le personnel de la Défense peut bénéficier de soins spécialisés sur mesure. A titre
d’exemple, on recherchera en vain, en dehors de l’hôpital militaire, des experts spécialisés dans la
prévention et le traitement de douleurs à la nuque chez des pilotes militaires, douleurs provoquées par la
surcharge biomécanique liée à l’équipement monté sur leur casque («helmet mounted devices »). La
privatisation n’a de sens que si cette expertise est disponible en dehors de la Défense. Le secteur privé
pourrait bien évidemment intégrer l’expertise médico-militaire dans ses activités et ensuite la reproposer à
la Défense. De cette façon, la Défense ne perdrait pas l’accès à ces services spécialisés …mais à quel
prix ?
L’HMRA est l’hôpital qui abrite le Centre d’Expertise Médicale et le Centre de Médecine aéronautique. Ces
centres assurent l’évaluation médicale des candidats militaires ainsi que l’évaluation de l’aptitude médicale
des militaires actifs (aptitude des pilotes, plongeurs, para-commandos ainsi que l’aptitude pour la
participation aux opérations), et ce, en étroite collaboration avec le service de médecine du travail militaire.
Il s’agit de tâches spécifiques qui requièrent une expertise non disponible en dehors de la Défense.
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L’HMRA est l’hôpital qui emploie le personnel auquel la Défense fait appel pour des conseils en ergonomie.
Ces spécialistes, en collaboration avec le service de médecine du travail militaire, prodiguent des conseils
quant aux spécifications techniques de l’équipement individuel, par exemple concernant la production de
nouveaux « combat boots ». Pour ce faire, la connaissance du métier de militaire et de la charge physique
inhérente, ainsi que l’expertise dans les domaines de la biomécanique et de la prévention des lésions sont
indispensables. C’est de cette spécificité dont nous parlons, lorsque nous faisons référence à la médecine
militaire spécialisée.
L’HMRA ne fournit pas uniquement des soins et de l’appui au profit de la Défense mais il a également un
rôle plus large pour la société.
L’HMRA est l’hôpital qui abrite le centre des brûlés offrant des soins intensifs hautement spécialisés de la
façon la moins onéreuse à la société. L’assurance-maladie intervient par le biais d’un forfait pour les frais
de traitement, sans que d’autres frais supplémentaires ne soient facturés. Certes, la réduction partielle ou
totale de ces activités au sein de l’hôpital militaire, permettrait d’en réduire les frais de fonctionnement mais
entraînerait des coûts importants à charge de l’assurance-maladie. Selon moi, un transfert de coûts,
résultant in fine dans une augmentation de ceux-ci, vers un autre SPF (Service Public Fédéral), ne peut
être raisonnablement considéré comme une bonne mesure d’économie pour l’Etat.
L’HMRA est l’hôpital où l’on traite par l’oxygénothérapie hyperbare les patients intoxiqués par le monoxyde
de carbone, issus du « Grand Brabant » (et même au-delà). On pourrait envisager de fermer ce centre et
de limiter les activités hyperbares en milieu militaire au petit caisson hyperbare de Zeebrugge. Mais, dans
ce cas, l’expertise dans le domaine thérapeutique serait en partie perdue, puisque le caisson de Zeebrugge
est un instrument d’entraînement qui ne peut servir qu’en cas d’urgence comme outil thérapeutique.
Sachez que le centre hyperbare de l’HMRA est l’unique endroit en Belgique où l’on combine
l’oxygénothérapie hyperbare avec l’emploi de kératinocytes afin de traiter des plaies qui guérissent
difficilement, tout en utilisant la grande expertise du centre des brûlés dans le domaine du traitement de
plaies. Une seule certitude: la cessation de ces activités à l’HMRA nécessiterait de sérieux investissements
dans un autre hôpital. Est-ce vraiment ce que veulent les hôpitaux, le SPF Santé Publique et l’assurancemaladie?
L’HMRA est l’hôpital où l’on produit, dans le cadre de soins spécialisés, à petite échelle et en fonction du
besoin du patient, de la peau cryopréservée et des cellules de peau et où l’on développe de nouveaux
instruments thérapeutiques contre les bactéries multirésistantes (p.ex. thérapie par les bactériophages),
une problématique très pertinente en médecine militaire. Des tentatives antérieures de privatisation de nos
activités dans le domaine des banques de tissus sont restées sans succès, car les processus de
production à petite échelle et adaptatifs ne répondent pas aux impératifs économiques d’une
commercialisation réussie. L’histoire nous apprend que la production commerciale de thérapeutiques en
quantité réduite, très utile mais devant évoluer rapidement, n’est pas suffisamment avantageuse et est
vouée à disparaître du marché. Est-ce cela que nous souhaitons ?
L’HMRA est l’hôpital qui fournit la capacité pré-hospitalière jouant un rôle de premier plan en cas de
situation de crise à l’aéroport national et qui, lors de catastrophes dans la Région de Bruxelles-Capitale et
en Brabant Flamand, participe au rôle de la fonction « Directeur Médical (DirMed) »,
L’HMRA est l’hôpital auquel il est fait appel en cas de catastrophe en tant qu’hôpital de crise ou de
calamités. Il est en mesure d’accueillir un grand nombre de patients brûlés (Switel, Cockerill, Ghislenghien,
Pampa Range) ; mais il est également capable d’accomplir d’autres tâches comme l’accueil de crise et
l’appui au Disaster Victim Identification (DVI) Team dans leur rôle d’identification des victimes (par
exemple, l’utilisation de la capacité de mortuaire d’urgence lors de l’accident ferroviaire à Buizingen).
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L’HMRA est l’hôpital qui est prêt à engager aujourd’hui une équipe SMUR pour le transport de patients
contaminés par le virus Ebola et qui, en collaboration étroite avec d’autres unités de la Composante
Médicale, a déjà transporté ces dernières semaines des patients suspectés d’être atteints par le virus. Ceci
n’a été possible que grâce à l’expertise médico-militaire acquise dans le domaine CBRN. Une fois de plus
un aspect spécifique du service médical militaire, nécessaire pour la Défense et utile pour la société.
L’HMRA est l’hôpital qui dispose d’un centre de psychologie de crise spécialisé dans les soins de santé
mentale au profit de militaires exposés à des événements traumatisants en opération. En cas d’incident de
grande ampleur en Belgique, ce centre met son expertise à disposition de la population civile (explosion de
gaz à Ghislenghien, catastrophe ferroviaire de Buizingen, accident de bus à Sierre, fusillade à Liège…).
L’HMRA est l’hôpital qui fournit lors des réunions internationales (sommets OTAN, EU) l’aide médicale
urgente au profit des chefs d’Etat étrangers et des chefs de gouvernement, en mettant à disposition une
équipe SMUR composée de spécialistes qui, du fait de leur position de militaire, peuvent intervenir
rapidement dans un environnement hautement sécurisé.
L’HMRA est l’hôpital auquel d’autres institutions hospitalières ou centres de soins peuvent faire appel en
cas de fermeture temporaire d’un de leurs services. Ce fut le cas en 2012, lorsqu’une maison de repos
d’une commune Bruxelloise a dû évacuer ses résidents. Ils ont temporairement trouvé refuge à l’HMRA.
Une capacité de réserve est donc nécessaire mais pas dans chaque hôpital.
Je peux vous assurer que cette liste n’est pas exhaustive.
L’HMRA doit-il prendre ces tâches à son compte ? Jusqu’à présent, c’est le cas parce qu’il n’y a souvent
pas d’alternatives. Cela signifie-t-il que cela doit rester ainsi ? Selon moi, avant de supprimer ce qui existe,
il y a lieu de se concerter et d’évaluer si d’éventuels transferts et redistributions des tâches mèneront à de
réelles économies. En son temps, le centre Ebola de l’HMRA a été démantelé et aujourd’hui, on le regrette.
Quiconque dispose de ces informations et peut les apprécier à leur juste valeur réfléchira certainement à
deux fois avant de déclarer que l’HMRA est l’exemple-type d’une institution susceptible d’être privatisée.
Certaines économies sont de véritables économies, d’autres sont simplement des transferts de coûts qui
vont de pair avec une réduction de la qualité et du service offert.
Le temps est venu d’engager des dialogues interdépartementaux et de revoir le modèle de financement de
l’HMRA ! Si l’on veut faire des économies au niveau national, il me semble préférable de rentabiliser le
fonctionnement de l’HMRA plutôt que d’en privatiser les activités.
Médecin Général-Major Geert Laire
Commandant de la Composante Médicale et Autorité Médicale.
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