Jocuri intratextuale în construcţia personajului
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Jocuri intratextuale în construcţia personajului
Jeux intertextuels dans la construction du personnage de Virgil Gheorghiu Mirela DRĂGOI Université du Bas Danube, Galati, Roumanie On trouve à la base de La Vingt-cinquième heure de Virgil Gheorghiu la structure narrative très raffinée de la mise en abyme, consistant à mettre en œuvre un ensemble de stratégies grâce auxquelles la fiction narrative consigne l’histoire de son propre engendrement et qui font du texte romanesque une souche du « récit spéculaire », « un miroir interne qui reflète le récit tout entier » (Dallenbach, 1977 : 17) En choisissant d’écrire lui-même un roman, le personnage Traian Koruga perd sa place habituelle dans l’acte de la communication esthétique ; en outre, par cette métalepse narrative, l’écrivain devient auteur virtuel, auteur personnage, et tous les autres actants font partie du système lié au réel par l’autorité due à son existence et à certains noms non fictifs répandus dans cette œuvre dans le but de renforcer son illusion référentielle. Le romancier renferme donc l’action de ce roman publié en 1949 dans deux plans narratifs parallèles, dont le premier se trouve dans le texte et le deuxième dans le roman enclave portant le même titre. D’une part, il se reflète lui-même dans Traian Koruga, qui devient une voix, un « personnage – shifter »; d’autre part, il accorde une complexité toute particulière à Johann Moritz, au héros référentiel, au protagoniste classique, renvoyant à une réalité du monde extérieur, à un concept social. Le récit comprend les drames parallèles de Johann Moritz et de Traian Koruga et cette image en miroir des deux fils du destin humain transforme ces personnages en deux « frères » liés par la souffrance et le désespoir. Même si Traian Koruga est une sorte de Johann Moritz évolué, tous les deux ont la même lucidité enivrante devant le destin. Leurs trajets existentiels se superposent à la fin et le rôle de Traian Koruga est assumé, après son suicide, par Johann Moritz. Le vide s’empare de ces deux êtres humains, car le suicide proprement dit du premier équivaut au suicide symbolique de l’autre, au moment où Johann Moritz ne dispose plus des ressources lui permettant de dépasser les crises déclenchées à l’intérieur de son être par les horreurs de la guerre. A la fin, les larmes lui montent aux yeux lorsqu’il remémore tout ce qu’il a vécu pendant les treize dernières années: « Maintenant qu’on lui avait ordonné de rire il n’en pouvait plus. (…) C’était la fin. Il ne pouvait plus aller plus loin. Aucun homme n’aurait pu aller plus loin. » (Gheorghiu, 1949 : 502) Cette dernière phrase nous fait pourtant comprendre que Johann Moritz reste jusqu'à la fin le héros, projection d’un idéal humain et porteur des valeurs dominantes de la société ; la logique de la narration rend nécessaire sa survie. La fin du personnage narrateur Traian Koruga ne détermine pas l’interruption du récit ; on pourrait même observer que la solution de l’achèvement est inouïe : c’est Eléonore West, sa femme, qui achève l’intrigue du roman enclave La Vingt-cinquième heure, tandis que Johann Moritz rédige la dernière Pétition de la série adressée initialement par Traian Koruga aux autorités du camp. La séquence qui suit a le rôle d’anticiper le destin du héros principal, dont l’existence va réitérer le destin de l’autre personnage, imaginé par Traian Koruga. Au moment où Nora lui demande si tous les événements racontés dans le roman se sont vraiment passés, Traian répond : -Tout est vrai. Dans mon roman j’ai écrit le nom de la rue, de la ville et du pays où habitent mes personnages. J’ai divulgué jusqu'à leurs numéros de téléphone. D’ailleurs toi aussi, tu connais mon premier personnage. Tu peux vérifier l’authenticité des faits relatés. -Qui est ton premier personnage ? -Johann Moritz. Le front de Nora se rembrunit. Tout ce que Traian venait de raconter sur Johann Moritz était vrai. (Gheorghiu, 1949 : 152) Dans l’Epilogue, le statut des personnages devient plus clair, car le narrateur y énonce des considérations à caractère général et moralisateur et résume des événements successifs à la fin de l’action romanesque, mais étroitement liés à celle-ci ; c’est par le point de vue de Nora qu’on apprend ce qui arrive après la mort de Traian Koruga: Nora West sourit. Elle pensait aux milliers de citoyens étrangers qui se trouvaient en Occident. Tous avaient fui la terreur russe. Tous avaient trouvé refuge auprès des Américains, auprès des Anglais ou des Français. Ils n’avaient même pas réfléchi vers quel endroit ils allaient se diriger. Ils fuyaient simplement les Russes. Ils fuyaient la barbarie. La terreur. La mort. La torture. (Gheorghiu, 1949 : 489) Johann Moritz, sa femme Suzanne et leurs enfants font partie des antibolcheviques qui veulent s’engager comme volontaires dans les brigades occidentales. La présence de Johann Moritz dans le bureau de Nora lui fait remémorer les treize années de souffrance : « En 1938 j’étais dans un camp de juifs en Roumanie. En 1940 dans un camp de Roumains en Hongrie. En 1941 en Allemagne dans un camp de Hongrois. En 1945 de Dachau. Treize ans de camps. J’ai été libre pendant dix-huit heures. Puis ils m’ont emmené ici... ». (Gheorghiu, 1949 : 501) Par le biais de la mise en abyme, le roman La vingt-cinquième heure privilégie un corpus thématique qui comprend des composantes génériques (le titre de roman) et poïétiques (la façon dont on « construit » un roman) et qui aspire au besoin d’authenticité, de « document » dans la projection d’un monde vraisemblable. La construction du personnage Traian Korugă ne respecte pas les canons traditionnels du genre romanesque, car il ne forme pas un caractère ou une personnalité stable; par contre, c’est un actant dépourvu de contours fermes, qui manque d’unité, de biographie minutieuse, donc ambigu. On apprend seulement qu’il s’agit d’un jeune homme doué d’excellentes qualités intellectuelles, fils d’un prêtre, mais on ne sait rien sur son aspect physique. Ce personnage est conçu de façon artificielle, en tant que messager du narrateur auctorial, pour reprendre les pensées de celui-ci. Virgil Gheorghiu se cache derrière un « personnage ficelle »1, qui devient le principe structurel essentiel de La vingt-cinquième heure. La réalité socio-économique est ainsi reconstituée par « le regard intérieur » de ce personnage devenu « centre » capable à qualifier une situation. C’est par le biais des commentaires « privés » insérés dans les Mémoires qu’on obtient une information intéressante concernant la genèse et la thématique littéraire qui forment la 1 formule utilisée par Henry James, conformément au Dicţionar de terminologie poetică şi retorică, p. 136 structure de La vingt-cinquième heure. L’auteur mentionne un référent exact dans le but exprès de contribuer à l’instauration de l’ « illusion référentielle » par rapport au monde propre au lecteur : Près de chez nous habite un jeune homme roumain âgé de vingt ans. Je n’ai jamais su par quel hasard il s’est réfugié en Allemagne. Il ressemble à Johann Moritz, le personnage de mon livre La vingt-cinquième heure. Il fait la vaisselle pour les Américains. Quand il a une minute de libre, il vient me rejoindre. Ce Lazăr, ce jeune homme roumain, ressent de la pitié envers moi et il m’apporte quelques morceaux de viande bouillie. (…) Il me supplie de ne pas interrompre mon travail et, tout comme Johann Moritz, reste assis sur une chaise dans ma chambre et regarde la façon dont j’écris. Il ne m’a jamais demandé ce que j’écris. Il croit assister à l’accomplissement d’un mystère, d’un acte religieux. Il me contemple pieusement, de la même façon dont on regarde le service d’un prêtre. (Gheorghiu, 2002 : 99) Dans ce cas, la passivité de Lazăr a le rôle d’une redondance thématique par rapport à la structure du roman La vingt-cinquième heure, où on identifie l’emploi de la même image : Traian Koruga écrivait. Johann Moritz demeurait auprès de lui et regardait comme il tenait son crayon, les doigts serrés, et comme il traçait les lettres minutieusement, tout comme s’il enfilait des perles. Johann Moritz n’avait pas la patience d’écrire. Et il n’aimait pas écrire. Mais il eut été capable de regarder des heures durant, sans s’ennuyer, Traian Koruga écrire. (Gheorghiu, 1949 : 333) De même, pour stimuler le sens de l’observation chez son lecteur, le romancier fait appel à des personnes réelles, connues à l’époque. Il obtient l’effet de réel en introduisant ce référent lié à l’histoire connue et accessible au lecteur; en outre, le roman amplifie l’emploi de cette image, et cette référence explicite à des personnes qui ont réellement existé à l’époque de l’auteur devient une sorte de matrice. Virgil Gheorghiu propose ainsi un « dossier d’existences » qu’on ne doit pas lire comme une somme de composantes fictives d’un roman en cours d’élaboration, mais comme un ensemble de « documents » tout à fait « réels », dont l’authenticité est garantie en même temps par l’auteur et par ses personnages. On observe ainsi que, par ces moments du récit qui construisent l’image extérieure des « êtres de papier », Virgil Gheorghiu exploite le code réaliste du roman et met en valeur une longue tradition littéraire mimétique. Il serait intéressant d’analyser les stratégies textuelles grâces auxquelles l’auteur transforme son œuvre en monde vraisemblable. Traian Koruga incarne dans La vingt-cinquième heure un écrivain professionnel dans le véritable sens du mot; son œuvre renvoie explicitement aux séquences de l’oeuvre, même si les titres de ses romans antérieurs ne sont pas mentionnés : Quand sa mère fut là, Traian déboucha une bouteille de vin, remplit les verres et sortit d’un couvre-livre doré deux bouquins reliés en pleine peau. -C’est mon dernier roman. Le huitième. Ces deux exemplaires sont les premiers titres et comme d’habitude ils vous appartiennent. Et nous allons l’arroser de ce vin, de chez « Capsa », le même que nous avons bu lors de la sortie des sept romans antérieurs. Vous rappelez-vous encore ma joie quand le premier a paru ? (Gheorghiu, 1949 : 47) En transférant la fonction narrative dans ce personnage, l’auteur choisit et manie de façon discrète les actants du récit ; en outre, tous les autres « êtres de papier » ont la présomption ou l’ « effet » de réel : Les personnages de mon roman seront choisis purement au hasard. Point n’est besoin d’employer des critères scientifiques. Ce qui leur arrivera peut arriver à n’importe qui, à une nuance près. Ce sont des événements auxquels aucun être humain ne saurait échapper. Je n’ai pas besoin de personnages héroïques. Je les prendrai au hasard. Je choisirai donc parmi les deux milliards d’êtres, ceux que je connais le mieux. Toute une famille : ma propre famille. Mon père, ma mère, moi-même, toi, les serviteurs de mon père, quelques amis et des voisins. (Gheorghiu, 1949 : 49) Une autre stratégie qui prouverait la présence de la narration à la première personne et l’éclaircissement des traits qui composent un personnage évoluant sur la voie de la « lisibilité »2 réaliste, c’est l’insertion des Pétitions de Traian Koruga dans la deuxième partie du roman. Pour Traian Koruga, l’écriture devient une thérapie qui l’aide à « voir » à l’intérieur de lui-même et dans les autres et à chercher une solution pour oublier les horreurs qu’il doit vivre dans le camp concentrationnaire. On peut identifier cette valeur thaumaturgique de l’écriture dans le commentaire de Johann Moritz, grâce auquel l’auteur signale le changement bénéfique, inattendu, dans la psychologie du personnage : 2 La formule appartient à Philippe Hamon, Du descriptif, Hachette Superieur, Paris, 1993, passim Lorsque M. Koruga écrit, c’est comme s’il priait devant les icônes, pensa Iohann Moritz. En regardant M. Koruga, on oublie qu’il est prisonnier. On ne voit plus qu’il est nu-pieds, qu’il n’est pas rasé et qu’il a des trous à son pantalon. Lorsqu’il écrit, Traian Koruga est un monsieur. On a envie d’enlever son chapeau et de parler à mi-voix. (Gheorghiu, 1949 : 333) Mais chez Virgil Gheorghiu, l’écriture a un rôle euphorique, qui « anesthésie » la souffrance présente ; c’est seulement par l’écriture que Traian Koruga dépasse son drame et assume son vide existentiel : Je suis écrivain, dit Traian. D’après moi, un écrivain est un dompteur. En montrant aux êtres humains le Beau, c’est-à-dire la Vérité, ils s’adoucissent. Quant à moi, je veux dompter les Citoyens. J’avais commence à écrire un livre. J’en étais arrivé au cinquième chapitre. Puis les Citoyens m’ont emmené en captivité et je n’ai plus pu écrire. Le cinquième chapitre n’a pas été commencé. Maintenant, il n’y a plus raison pour que je l’écrive. Je ne publierai jamais plus de livres. A la place du cinquième chapitre, je veux écrire quelque chose pour dompter les Citoyens. (Gheorghiu, 1949 : 334) Dans le cas de Traian Koruga, les sources de l’écriture sont les frustrations, jamais les réussites, les accomplissements d’ordre intérieur. En tant que narrateur de La vingtcinquième heure, il ne fait aucune « confession » heureuse : Je continuerai. Je ne m’arrêterai que lorsque je serai mort. Les hommes sont arrivés à dompter toutes les bêtes sauvages. […] Si nous n’arrivons pas à les dompter, ils nous mettront en morceaux, tous tant que nous sommes. Nous devons leur apprendre à ne plus mettre l’homme en pièces dès qu’ils le rencontrent. […] Ce sera plus dur que de charmer des serpents ou dompter des tigres. (Gheorghiu, 1949 : 334) Ce personnage scripteur fait donc un dernier effort pour re-écrire, de façon douloureuse, les souffrances vécues dans le camp : « Le spasme de mon agonie c’est le chapitre des Pétitions de la vingt-cinquième heure. Mais je l’écrirai ! » (Gheorghiu, 1949 : 448) Ensuite il se laisse accabler par la souffrance qui a totalement marqué sa vie. Avant de se suicider, il renonce à ses lunettes, le seul de ses objets personnels qui lui reste encore : « Sa blague à tabac, son alliance, son porte-monnaie, son stylo et son crayon avaient été confisqués tour à tour. » Il ne pouvait rien voir sans ses lunettes, mais il ne les portera jamais : « A partir d’aujourd’hui, je ne veux plus voir. Je suis fatigué. Le spectacle a trop duré. » (Gheorghiu, 1949 : 450) Cette extrême souffrance qu’il s’impose avant de mourir est une conséquence de son refus de consentir à un compromis : Si je les gardais encore, je ne pourrais voir que des ruines, des villes en ruine, des hommes en ruine, des pays en ruine, des églises en ruine et des espérances en ruine. C’est avec elles que je vois ma propre ruine. Les ruines des ruines. Je ne suis pas un sadique. Je ne peux pas les regarder. Je ne peux plus supporter de ne voir que des ruines partout. (…) Je n’ai pas la permission de regarder autre chose que des camps, des maisons de fous, des prisons, des soldats, des kilomètres de barbelés. Et c’est pourquoi je renonce aux lunettes. (Gheorghiu, 1949 : 450-451) Ses témoignages, expressions de son vide existentiel, ont comme unique impulsion son bouleversement intérieur et sont justifiées par l’attente obsédante de la mort: Je renonce à la seule chose qui m’était encore permise ici-bas. Les lunettes, tout comme les yeux, sont une des choses les plus merveilleuses, les plus inégalables de la terre. Mais à condition d’être en vie. Lorsqu’on n’a plus de vie, ou lorsqu’il ne nous reste plus que quelques gouttes de vie, ou un accès temporaire et limité à la vie, les lunettes deviennent une sinistre plaisanterie. As-tu jamais vu un mort porter des lunettes ? (Gheorghiu, 1949 : 451) L’auteur consent donc à déléguer l’instance narrative par la stratégie sophistiquée de la mise en abyme, dont le premier effet est de briser le texte. Le narrateur « crédible »3 est, pour Virgil Gheorghiu, non seulement un témoin à l’histoire ainsi vérifiable, mais aussi un important vecteur dans le processus de sélection des « événements » existentiels. L’autoréférentialité générique se manifeste par le fait que le texte se reconnaît soimême, dans le processus de son propre engendrement. Il devient une forme littéraire – roman -, qui décrit les principes de sa composition (en tant qu’histoire vraie, authentifiée): Mon prochain roman sera un livre vrai. Seule la technique en sera littéraire. Mes personnages existeront dans la vie réelle. Ils pourront être vus et salués dans la rue par ceux qui liront le livre. Je pense même quelquefois à donner leurs adresses et leurs numéros de téléphone. (…) Mes personnages sont des hommes qui existent sur toute la surface du globe ! Mais comme Homère lui-même n’aurait pu écrire une histoire avec deux milliards de personnages, je n’en prendrai qu’un petit nombre, probablement dix. Je n’en ai pas besoin de plus. Cependant ils vivront les mêmes événements que tous les autres. (Gheorghiu, 1949 : 49) 3 cf Booth, Wayne, Retorica romanului, Editura Univers, Bucureşti, 1976, p. 313 Pour refléter le processus de création dans son œuvre, Virgil Gheorghiu construit son personnage par un discours poïétique. La vingt-cinquième heure se définit ainsi du point de vue générique en tant que démonstration vivante de la « naissance » de l’oeuvre. Le roman conçu par Traian Koruga résume et synthétise ensuite, d’une façon prémonitoire, l’évolution ultérieure du roman - cadre: Les événements dramatiques se passeront d’abord dans la vie et ensuite dans mon roman. Je vais noter tout ce qui arrivera à ces personnages au cours des années à venir. Je crois qu’il se passera des choses extraordinaires. Le proche avenir réserve à chacun de nous des choses extraordinaires. Telles qu’on n’en a jamais vu dans l’histoire. (Gheorghiu, 1949 : 49) La mise en abyme fictionnelle implique généralement une rupture de l’ordre temporel (une anachronie – analepse ou prolepse). Dans La vingt-cinquième heure, la modalité d’autoréflexion du roman est prospective, car elle double un fragment de l’histoire qui est raconté ultérieurement. Voilà, en guise d’exemple, la fin du premier chapitre : Le front de Nora se rembrunit. Tout ce que Traian venait de raconter sur Iohann Moritz était vrai. -J’ai terriblement pitié de lui ! C’est donc lui le héros de ton premier chapitre. Et qui sera le héros du second ? -Je n’en sais rien encore. Peut-être mon père ou ma mère. Peut-être moi, ou peut-être toi. De toute façon ce sera l’un d’entre nous. -Et tous les chapitres ressembleront à celui de Iohann Moritz ? Il n’y a pas dans ton roman une seule belle destinée, une seule happy-end ? -Non, pas une seule. Après la mort des lapins blancs il n’y a plus de happy-end possible. Il y a seulement quelques heures avant que tout soit fini. (Gheorghiu, 1949 : 153) Ce dédoublement du texte romanesque a une fonction purement explicative et crée la polyphonie narrative. Au moment où son épouse lui demande ce qu’il a écrit jusqu'à ce moment-là, Traian répond: -Le premier chapitre. L’un des personnages a été arraché de parmi nous et… -Qu’est-ce qui lui arrive ? -Pour le moment on lui a pris sa liberté, sa femme, ses enfants, sa maison… Il a été affamé, frappé. On a déjà commencé à lui arracher les dents. Plus tard on lui arrachera les yeux et la chair qui colle encore à ses os. Et ses os seront brisés. Les derniers tourments lui seront probablement appliqués d’une manière automatique et électrique. (Gheorghiu, 1949 : 152) On observe que, par cette double construction du texte romanesque, le lecteur devient témoin de l’écriture ; le projet de l’œuvre est exposé au début, ou commenté simultanément. Nommé directeur de l’Institut roumain de Raguse, Dalmatie, Traian Koruga en est ravi : Si tu savais comme je suis enchanté. J’avais besoin de changer de climat pour pouvoir continuer ce roman. Je ne pouvais plus écrire le chapitre suivant. Je sentais qu’il devait être écrit autre part. Je le pressentais. Ce sera peut-être le chapitre le plus fort du livre… Eléonore West s’approcha de lui et l’embrassa sur la bouche pour qu’il ne puisse pas raconter le « chapitre suivant ». (Gheorghiu, 1949 : 195) Si l’on analyse la signification de la rencontre finale de Johann Moritz avec Eléonore West, on peut conclure que la clausule est expressément créée pour former une image métonymique du roman qui renvoie au lecteur et à l’acte grâce auquel celui-ci justifie l’existence du livre ; la rencontre des deux survivants, après la mort du narrateur intradiégétique Traian Koruga, montre que leur destin s’est fermé, d’une façon tragique, et que de leur histoire on a fait un livre. Bibliographie BOOTH, W., (1976) Retorica romanului, Editura Univers, Bucureşti DALLENBACH, L., (1977) Le Récit spéculaire. Essai de la mise en abyme, Seuil, Paris ***Dictionnaire des Littératures, (1992) Larousse, Paris ***Dictionnaire du littéraire, (coord. P. Aron, D. Saint-Jacques, A. Viala), (2002) PUF, Paris ***Dictionnaire des littératures françaises et étrangères, (coord. J. Demougin), (1985) Larousse, Paris GHEORGHIU, V., (1949) La vingt-cinquième heure, Librairie Plon, Paris GLAUDES, P., REUTER, Y., (1998) Le Personnage, coll. “Que sais-je ?”, PUF, Paris HAMON, P., (1993) Du descriptif, Hachette Supérieur, Paris JOUVE, V., (1992) L’effet-personnage dans le roman, PUF, Paris MIRAUX, J.-P., (1997) Le Personnage de roman, Nathan, Paris PEREZ, H., (1979) Ipostaze ale personajului în roman, Editura Junimea, Iaşi PETRESCU, L., (2000) Poetica personajului la Camil Petrescu, Editura Junimea, Iaşi ***Personnage et histoire littéraire, in Actes du Colloque de Toulouse, (1990), Presses Universitaires du Mirail TADIE, J-Y., (1990) Le roman au XXe siècle, Pierre Belfond, Paris ***Terminologie poetică şi retorică, (1994) Editura Universităţii „Al. I. Cuza”, Iaşi ZERAFFA, M., (1969) Personne et personnage, le romanesque des années 1920 aux années 1950, Klincksieck