Façonner son personnage au Moyen Age
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Façonner son personnage au Moyen Age
Façonner son personnage au Moyen Age Colloque international du CUER MA (EA 2207) les 9, 10 et 11 mars 2006 Université de Provence Résumés des communications ABED Julien : « Le statut du personnage de la sibylle dans des œuvres théâtrales du Moyen Âge ». La sibylle est au Moyen Âge une figure héritée, homonyme de sa cousine la prophétesse antique. On s’intéressera ici à des œuvres théâtrales des XIVe et XVe siècles, où la sibylle surgit comme un personnage déjà façonné, figé dans un répertoire de paroles connues des publics (les Quinze Signes du Jugement, l’annonce de la venue du Christ, etc.). On s’interrogera dans un premier temps sur le statut ontologique particulier de la sibylle : issue non de la fiction littéraire ou de la réalité historique, mais de ce territoire étrange et flou que l’on appelle la légende, la sibylle a été maintes fois reconfigurée (païenne, puis chrétienne, ou confondue avec la reine de Saba, etc.). Son nom est très largement connu au Moyen Âge ; il possède un pouvoir d’espoir ou de contentement (à rebours du pouvoir déceptif dont a parlé Proust), tant il est étroitement programmatique. La sibylle est aussi victime au cœur du Moyen Âge, qui la connaît à travers une liste diffusée par Isidore et Raban Maur, d’une démultiplication (Tiburtine, Cuméenne, Erythréenne, etc.). La désignation et les attributs que l’on confère aux différentes prophétesses doit alors faire l’objet d’une enquête. Si la « fabrique » du personnage n’est pas propre à la période médiévale, c’est néanmoins le Moyen Âge, à travers la représentation théâtrale en particulier, qui lui assure une réelle survivance. On se penchera surtout sur les passions et les mystères, sans ignorer la sibylle des rituels musicaux (« Chant de la sibylle »). Le personnage se constitue, comme tout type théâtral, par une parole et une gestuelle spécifiques, notamment dans les processions de prophètes. On montrera que la sibylle n’est pas un « actant » au sens propre puisqu’elle n’a pas de sphère d’action, mais qu’elle se définit avant tout par sa parole. Elle n’est le support d’aucune action et ne constitue en rien un personnage au sens aristotélicien ; elle n’agit sur le spectateur que par la crainte ou l’espoir que sa parole engendre. Une réflexion sur le personnage de la sibylle, à condition qu’elle ne privilégie pas une approche textualiste mais aborde les problèmes de la représentation théâtrale, permet ainsi de rebondir vers une des spécificités du théâtre médiéval. ALBERT Sophie : « La construction du personnage de Galehout le Brun dans Guiron le Courtois ». L’objet de la communication sera de présenter les procédés par lesquels est construite la figure de Galehout le Brun dans le roman en prose de Guiron le Courtois. Cette vaste composition des années 1235-1240, dans la version qu’en donne le manuscrit de Paris, BNF f. fr. 350 – considéré comme la version de base du roman – comporte deux parties. La première est structurée par la rivalité entre Meliadus, père de Tristan, et le Chevalier sans Peur, père de Dinadan et du Valet à la Cotte mal taillée. Elle se présente comme une « suite rétrospective » du Tristan en prose. La seconde partie, moins clairement rattachée au Tristan, met en scène des personnages inventés par l’auteur : Guiron, son compagnon Danain et, aussi, des « ancêtres », morts au moment de la narration, que le lecteur découvre au gré des récits enchâssés qui émaillent le récit principal. Ainsi, six récits content les aventures de Galehout le Brun1, sans doute la création la plus complexe et la plus originale de Guiron le Courtois. Le problème que devait résoudre l’auteur du roman pourrait s’énoncer de cette façon : comment donner corps à un personnage mort, et par conséquent absent, et, qui plus est, lui conférer une stature héroïque ? Galehout le Brun, qui n’apparaît que dans des mentions et des récits enchâssés, n’a pas de destin achevé : on ne 1 Par pure convention, et dans un souci de clarté, j’écris Galehaut, avec un a, pour le personnage du Lancelot et du Tristan en prose, et Galehout, avec un o, pour le personnage de Guiron le Courtois. Le manuscrit de Paris, BNF f. fr. 350 présente indifféremment les deux graphies. 1 connaît ni ses enfances, ni les circonstances de sa mort ; le lecteur reçoit de lui une image fragmentaire, composée des informations disparates livrées par les différents récits qui le mettent en scène. Pour pallier ce morcellement, l’auteur a recours à plusieurs procédés. 1. Construction intertextuelle, d’abord, qui touche le nom et le rapport à l’altérité du personnage. L’auteur reprend le nom d’un Galehaut célèbre, l’ami de Lancelot dans le Lancelot et le Tristan en prose, seigneur des Lointaines Iles et fils de la Belle Géante. Il transpose l’altérité géographique de ce premier Galehaut sur l’axe temporel, rejetant Galehout le Brun non pas aux marges des terres arthuriennes, mais dans un temps révolu. De l’altérité biologique du premier Galehaut, le fils de la géante, Galehout le Brun ne garde qu’une taille remarquable, apanage des chevaliers d’antan. Enfin, comme son homonyme, il entretient des liens étroits avec une institution littéraire bien connue, la « male coutume ». Comme l’a remarqué la critique, Galehaut, dans le Lancelot, règne sur un territoire entouré de passages redoutables ; dans le Tristan, ses parents maintiennent la coutume du Chastel de Plor. De son côté, Galehout le Brun participe par trois fois à la création de mauvaises coutumes. L’auteur de Guiron le Courtois, en faisant de Galehout le Brun non plus un mainteneor, mais un fondateur de coutumes, décale, sur l’axe causal et temporel, la position du premier Galehaut. 2. Procédés internes au roman de Guiron le Courtois. L’auteur inscrit Galehout le Brun dans un réseau de relations qui, à plus d’un titre, le rapprochent de Guiron le Courtois. Sans être apparenté au héros éponyme, Galehout a été son compagnon. Son père, Hector le Brun, a légué son épée à Guiron ; son fils, Febus, est ainsi nommé en l’honneur du bisaïeul du même Guiron. D’autre part, Galehout le Brun a laissé des traces de son passage : une épée, des coutumes, le nom d’une tour par lui baptisée. Ces éléments confèrent à l’ancêtre absent une présence concrète ; ils constituent les supports matériels qui éveillent la curiosité des chevaliers errants et engendrent les récits enchâssés contant l’histoire de Galehout et de ses reliques. ANDRIEU Eléonore : « Le roi dans l’historiographie de Saint-Denis : d’un héroïsme sublime à un héroïsme médiocre ». Le corpus historiographique réuni par les moines de l’abbaye de Saint-Denis à partir du XIIème siècle, puis traduit en français à la fin du XIIIème siècle, permettait de disposer d’une histoire des rois des Francs depuis les origines : ce « canon » des historiens et sa traduction-translation présentent un ensemble d’énoncés issus de discours composés à des périodes très diverses, appartenant à diverses formes d’historiographie, et pourtant mis au contact les uns des autres et finalement réécrits et unifiés dans l’opération finale de traduction. Ce corpus mouvant permet de déceler, par les contacts et les contrastes qu’il crée entre les textes, divers types d’héroïcité du personnage royal, et une évolution qui conduit les historiographes de Saint-Denis à défiger le personnage royal prédestiné de leurs sources en créant peu à peu un héros moyen, faillible, tel le Louis VI de Suger, que viennent rejoindre ensuite les rois mérovingiens réinterprétés par Primat dans les Grandes Chroniques de France. Pour autant, cette médiocrité du roi versatile, qui met à mal et dramatise la « constance » programmatique que décrivaient la plupart des sources anciennes des moines, n’implique pas que l’illustration du roi soit moins grande : Suger en latin au XIIème siècle, puis Primat en français au XIIIème siècle font de cette faillibilité, de ce caractère problématique du héros royal un signe de puissance, mais d’une autre puissance que celle que déployaient les histoires précédentes, toutes consacrées au repérage des actes de Dieu dans l’histoire et à la démonstration de la conformité/ non-conformité toujours inaltérables des actes du roi à son programme. A partir du XIIème siècle, dans l’historiographie dionysienne, Dieu s’absente et à la place, s’enflamment les « valeurs terriennes » : le personnage de roi s’en trouve complètement modifié, et son exemplarité change de nature. Devenu le « meilleur des chevaliers », il s’écarte du carcan hagiographique et entre en aventure comme un personnage romanesque, pris entre épreuves, victoires et surtout, erreurs et fautes, qui sont de fait devenues les signes de sa puissance nouvelle dans l’histoire et la preuve que l’histoire se passe presque de Dieu : elle est désormais ce que le personnage royal en fait et le drame qu’il met en scène. Le reste du texte n’a pas changé, et c’est de ce contraste que naît la démonstration de la puissance du roi et la construction spécifique, non plus typologique et pas tout à fait romanesque, de son héroïcité : aux fautes et aux erreurs, aux hésitations et aux doutes du roi, se lient quand même, sans faillir, le retour de l’ordre, la paix de l’église, l’humiliation des superbes… BABBI Anna Maria : « Bele Lïenors ou la vertu du nom ». Lienors, l’héroïne du Guillaume de Dole de Jean Renart est connue par l’empereur Corras grâce à la narration que Jouglet en fait. Ce qui frappe le plus l’imaginaire de l’empereur est le nom de la jeune fille. Son amour pour elle naît en effet quand il entend « cel biau nom » (v. 794). Je chercherai à envisager le rôle que le nom joue dans ce roman. 2 BERTHELOT Anne : « Merlin Samildanach : “homme sans qualités” et “hero with a thousand faces” ». Le personnage de Merlin a, dit-on, de nombreux modèles, du barde-prophète des textes gallois au fou irlandais (Myrddin) qui choisit de vivre dans les airs comme un oiseau (Suibhne). Mais la critique, si friande soit-elle d’analogies, ne peut pourtant dissimuler le fait que les prototypes, ancrés dans la pensée mythique, demeurent de pâles précurseurs de la persona complexe du prophète-mage-enchanteur qu’élaborent - et j’insiste sur la qualité laborieuse de cette création - les textes français de la première moitié du XIIIe siècle. Façonner la figure de Merlin est en soi une gageure : en effet, alors que les autres personnages de la vulgate arthurienne (et la majorité écrasante des personnages romanesques en général) sont déterminés par un certain nombre d’attributs invariants qui leur confère une continuité reconnaissable d’un épisode à l’autre, voire, essentiellement, d’un texte à l’autre, le concept même du « fils du diable » éternellement décepteur est qu’il ne se ressemble jamais, qu’il est toujours un autre. De l’enfant sans père qui confond les clercs de Vertigier au vieillard qui révèle son péché à Arthur, du gardien de bêtes au page élégant qui porte des messages courtois, du « sage » au ménestrel gracieux qui séduit les demoiselles, la seule caractéristique stable de Merlin est de n’en avoir pas. Qui peut dire quelle est la semblance véritable de Merlin, alors que sa fonction est de brouiller les frontières de toute semblance et de jeter le discrédit sur le témoignage visuel ? Cette communication étudiera la construction d’un personnage en creux, en quelque sorte a contrario par rapport à tous les principes de la poétique. BOUCHET Florence : « La fabrique de l’anti-héros : Camel de Camois dans le Meliador de Froissart ». On a souvent reproché à Froissart la platitude des personnages et de l’intrigue de son roman Meliador. Jugement certainement hâtif, si l’on s’intéresse à Camel de Camois, prétendant malheureux à la main de la princesse Hermondine, éliminé par le héros éponyme dès le premier tiers du roman. Or c’est un bien curieux opposant dans la quête qui structure le roman : il a toutes les qualités sauf qu’il est somnambule ! J’interrogerai l’ambiguïté axiologique de Camel en examinant, notamment, comment Froissart combine dans ce personnage des traits empruntés à des individus réels (Pierre de Béarn, comme l’a remarqué Michel Zink) et des caractéristiques délibérément estampées d’un type littéraire, celui du chevalier faé. BOUGET Hélène : « Le Chevalier as deus espees : la « fabrique » ratée d’un personnage ? ». Le héros de ce roman arthurien tardif (2nde moitié du XIIIe siècle) hérite de certains traits de Perceval et du Bel Inconnu, personnages célèbres des romans médiévaux, et inspire à l’auteur de la Suite romanesque du Merlin le beau personnage tragique de Balaain. Pourtant, le Chevalier aux deus épées fait pâle figure en comparaison de ces motifs bien connus de la littérature romanesque, comme la quête de l’identité et la découverte du nom liée à l’épreuve, ce chevalier ne semble qu’un fantoche sans réelle consistance littéraire. Je m’interrogerai donc sur les modalités d’une fabrication a priori ratée du personnage. En effet, le processus de récriture ne permet apparemment pas de façonner un personnage individualisé qui produise un effet suffisant sur le lecteur pour l’entraîner dans l’univers de la fiction romanesque. CARNÉ (de) Damien : « Construction concurrentielle du personnage romanesque : quelques exemples tirés du roman médiéval ». Certaines théories du roman, classiques du siècle précédent, attribuent à la position problématique du héros dans le monde qui l’entoure la spécificité du genre romanesque. Ce qui caractérise le roman, par rapport en particulier à l’épopée, est que son héros apparaît dans un monde dans lequel il n’est pas nécessaire, dans lequel il n’a pas d’emblée sa place. Cette idée a été appliquée avec bonheur au roman médiéval, depuis déjà longtemps. L’objet de cette communication est de réfléchir au moyen de décrire le rôle que joue, dans la construction de son destin par le héros de roman, cette dissension fondamentale entre le héros et son monde, environnement par défaut hostile. Un héros romanesque conquiert ou reconquiert la légitimité de son appartenance à ce monde. Des traces de cette lutte doivent se trouver dans les textes, ainsi que des manifestations de la résistance d’un monde qui refuse de se laisser conquérir. Certes, les géants, monstres, mauvaises coutumes que le chevalier rencontre, sont des obstacles évidents à son avancée et à l’accomplissement de sa renommée et de son identité. Mais il est d’autres obstacles moins visibles. Parfois, c’est dans son propre camp que le chevalier se heurte à la mise en 3 question ou au déni pur et simple de sa propre identité. Le héros intervient dans un monde qui lui préexiste : tout élément qui appartient à ce monde est susceptible d’opposer une résistance à l’affirmation du nouveau venu. Ainsi des autres chevaliers, ses semblables — fussent-ils ses amis. Le personnage, qui voit son individualité essentielle mise en cause par le spectacle, en dehors de lui, de qualités analogues aux siennes et qui dès lors ne lui sont plus propres, tente, dans la confrontation avec cet autre lui-même, de fonder ou de rétablir son identité personnelle, d’arriver à une connaissance éprouvée de soi. Cette concurrence est souvent fondamentale dans la construction et la progression de l’individualité romanesque. CARRETO Carlos F. Clamote : « Rainouart au pays des fées : interchangeabilité des personnages et dialogisme dans La Bataille Loquifer ». Lorsqu'il cherchait à circonscrire - dans un article justement fameux publié en 1970 dans la revue Poétique ("Littérature médiévale et théorie des genres") - les contours spécifiques de l'écriture épique par rapport à l'écriture romanesque, Jans Robert Jauss parvint à la formulation d'une règle à la fois simple et surprenante, celle de la "non-interchangeabilité des personnages de la chanson de geste et du roman courtois", ceux-ci demeurant séparés dans deux sphères étanches malgré "l'assimilation progressive de l'épopée au roman chevaleresque". Selon cette perspective, il semblerait donc exister une impossibilité logique (et sans doute idéologique aussi) empêchant la communication ou le transfert d'un genre à l'autre de personnages appartenant à des registres poétiques différents, comme si chaque diction façonnait son personnage en puisant sa matière dans une tradition elle-même non-interchangeable, ce personnage devenant, à son tour, un type qui donne corps à un mode de représentation fictionnelle spécifique dont l'efficacité repose justement sur une identification et une reconnaissance immédiates. Certes, depuis Jauss, le regard porté sur les genres s'est énormément élargi et nuancé, et l'approche dialogique et intertextuelle appliquée au rapport entre les genres ouvre aujourd'hui de nouvelles voies face à l'analyse structurale. La bataille Loquifer - poème épique souvent paradoxal (pour ne pas dire hétérodoxe) et déconcertant – témoigne justement de la perméabilité entre les genres dès la fin du XIIème siècle, représentant, de façon emblématique, la rencontre (im)possible entre deux univers textuels grâce à l'action d'un personnage lui-même déroutant, Rainouart. Diverses questions se posent alors au-delà du phénomène – bien connu, mais toujours actuel et pertinent - du mélange ou de la confluence des genres. Comment, en effet, ce personnage dont les traits mythiques et les contours idéologiques ont déjà fait l’objet de nombreuses études opère-t-il cette singulière translation poétique d'un genre à l'autre? Quelles en sont, à divers niveaux, les implications ? Comment la geste omnivore qui, au fil de son évolution, tend à assimiler tous registres narratifs, se rêve-t-elle lorsqu'elle se voit dévorée (ou être dévorée) par l'univers romanesque (et vice-versa) ? Quelles complicités ou rivalités secrètes semblent alors se dessiner entre les deux genres ? Pourquoi surtout incombe-il ici à une figure de l'altérité par excellence – une figure sans cesse refaçonnée par le Cycle de Guillaume d'Orange pour racheter une écriture épique au seuil de la décomposition et de l'impasse – le rôle ambigu de mettre en contact la chanson de geste et l'Autre-Monde du récit arthurien ? Quelles répercussions cette destinée a-t-elle sur la conception médiévale du personnage littéraire ? Héros sacrificiel, Rainouart serait-il une espèce de Prométhée épique qui transgresse soudain la Loi du genre pour régénérer la forme et la signification de l'écriture épique ou appartient-il à un fond culturel commun dont la chanson de geste décide, elle aussi, de s'emparer afin de se réinventer ? La plasticité dont témoigne Rainouart annoncerait-elle enfin la lente agonie du (stéréo)type poétique - astreint aux conventions rhétoriques d'un genre – marquant ainsi l'émergence du personnage au sens narratif fort, c'est-à-dire, une figure dont la fonction dynamique et transformationnelle remodèle sans cesse les contours du texte, et qui, au seuil de la modernité, songe, par conséquent, à produire une fracture au sein de l'écriture topique ? Voilà autant de questions qui resteront peut-être sans réponse mais auxquelles nous aimerions réfléchir pour formuler quelques hypothèses de travail. CERRITO Stefania : « Les personnages hérités de l’Antiquité : Achille et Hector de Benoît de Sainte-Maure à Jacques Milet ». L’histoire des personnages protagonistes de la guerre de Troie commence avec Homère. Ils traversent toute l’Antiquité gréco-romaine et parviennent au Moyen Âge à travers les épitomés latins de Darès et de Dictys de Crète, dont Benoît de Sainte-Maure s’inspire. Darès avait introduit dans son récit une riche galerie de portraits de ses personnages – étudiés par L. de Biase en relation avec les traités de physiognomonie - que Benoît reprend entièrement dans son roman, en l’adaptant à son univers romanesque médiéval. Les actions et les comportements des héros enrichissent et complètent leurs portraits au fur et à mesure que la narration avance. La fortune du roman de Benoît de Sainte-Maure, qui inspire au Moyen Âge de nombreuses versions ultérieures - en France comme en Italie et en Espagne - permettra à ses personnages de connaître différentes formes, en passant d’un genre à l’autre : des mises en prose aux nouveaux poèmes en vers, jusqu’à l’adaptation théâtrale de Jacques 4 Milet. Je me propose donc de parcourir la transformation de ces personnages de l’Antiquité tout au long du Moyen Âge, de Benoît à Jacques Milet, surtout à travers l’analyse des figures d’Achille et d’Hector. J’essayerai de mettre en évidence comment les différents auteurs façonnent leurs personnages, leur fidélité ou leur infidélité à la tradition de l’Antiquité, les traits qui caractérisent ces nouveaux héros médiévaux, leurs adaptations aux différents genres littéraires... Sera traité aussi le rapport avec l’image, à travers l’analyse des représentations des deux héros dans les miniatures. COMBES Annie : « Comme un rêve de pierre : l'imaginaire de la sculpture dans le portrait médiéval ». La représentation des personnages, dans les romans médiévaux, passe par l'exercice du portrait, un exercice particulièrement codifié lorsqu'il s'agit d'évoquer la beauté. L'acte descriptif, profondément marqué par le mythe de Pygmalion, tente alors de suggérer par divers artifices rhétoriques des perfections presque indicibles, et Nature est souvent nommée pour attester le caractère exceptionnel de la créature. Mais, dans certains récits, Nature permet une véritable mise en scène de l'acte descriptif par le recours à un autre art, la sculpture. Le personnage apparaît alors comme le produit d'une fabrique et, selon un processus paradoxal, semble se pétrifier : tel est notamment le cas de Narcisse dans le lai homonyme. On étudiera la mise en place de tels effets et leurs répercussions sur l'image obtenue, puis on s'interrogera sur la logique à laquelle peut renvoyer une telle approche ainsi que sur la «poétique du récit» dont elle témoigne. GALLY Michèle : « Entre vidas et romans. De la personna lyrique au personnage de fiction ». Comment le « je » lyrique, singularisé et objectivé en « personne réelle », s’offre à devenir « personnage » romanesque. On suivra cette évolution/métamorphose à travers deux grandes « signatures » lyriques : Guillaume IV et le Châtelain de Coucy. JAMES-RAOUL Danièle : « L’anonymat définitif des personnages et l’avènement du roman : le leçon de Chrétien de Troyes ». Face au personnel roulant arthurien, légué par la tradition, qui se caractérise par son nom, éventuellement par ses origines, son inscription dans la société ou une généalogie, les personnages définitivement anonymes s’imposent comme des figurants essentiels qui aident à conforter, dans ses grandes lignes, la hiérarchie actantielle autant qu’à restituer l’effet de réel. Intuitivement, on associe immédiatement ces personnages, qui demeurent en retrait de l’action, à l’univers romanesque. En reconsidérant cette idée au plan diachronique, on s’aperçoit que le procédé s’avère être une nouveauté narrative dans la seconde moitié du XIIe siècle, qui se développe sous la plume de Chrétien de Troyes et qui est, assurément, constitutive du nouveau genre romanesque. KELLY Douglas : « Analogie et anomalie dans la description de chevaliers : le cas de Camel de Camois ». On sait que les descriptions de l’idéal chevaleresque varient peu dans les romans du Moyen Âge : le chevalier est beau, preux, courtois, amoureux… Ses exploits « activent » si on peut dire leurs attributs idéaux, tout en permettant des distinctions qui finissent par identifier certains types comme un Lancelot, un Gauvain, un Galaad. Pourtant on rencontre dans nos récits des personnages troublants. On pense à Marc aux oreilles de cheval chez Béroul, au Bisclavret dont les singulières métamorphoses inspirent un dégoût profond chez sa femme. Mais l’exemple le plus troublant pour la mentalité noble n’est-il pas celui de Camel de Camois dans le Méliador de Jean Froissart ? Comment Froissart façonne-t-il cet homme, excellent chevalier et sincèrement amoureux, mais qui comporte les « vices » et « défauts » de l’orgueil et du somnambulisme ? Comment évalue-t-il ses « contraires choses » dans son caractère ? Quels effets ce personnage peut-il produire sur un public médiéval ? Dans ma communication je me propose d’examiner le problème de la description pour l’écrivain médiéval à l’aide de ce chevalier mi-idéal mi-défectueux. 5 KHEMIR Nawar : « La notion de personnage à partir du texte lyrique troubadouresque (Bernard de Ventadour) ». D'emblée, cette tentative d'accrocher un certain niveau de lisibilité du corpus troubadouresque, en l'occurrence celui de Bernard de Ventadour, et ce à travers la convocation du concept de personnage peut apparaître à certains égards problématique et même inopérante. En effet, une telle connexion effectuée entre le discours lyrique et un élément constitutif et propre au mode narratif s'énonce en contrepoint à toute logique et à tout idéal d'homogénéité voire de pureté générique. Toutefois, le caractère improbable et peut-être déconcertant de cet exercice qui relève d'une sorte de déboîtement conceptuel, tend à s'estomper pour acquérir progressivement une réelle pertinence dans la mesure où l'exercice en question se structure à partir même de l'identité ambiguë du propos lyrique dont les contours catégoriels et les critères définitionnels demeurent flottants et soumis à de nombreuses variations. Il est significatif qu'une textualité aussi spécifique que celle de la lyrique médiévale fonde son propre paradigme quant au phénomène du personnage ou ce qu'il convient de désigner ainsi jusqu'à la création peut-être d'une terminologie moins approximative et qui coÏnciderait plus avec la réalité textuelle d'une figure-mosaïque . L'étude quasi-expérimentale à laquelle on se livrera gravitera autour de cette figure-mosaïque et plus précisément autour de ses différentes actualisations afin d'en apprécier les modalités d'inscription et d'en dégager dans la mesure du possible un comportement-type et ce suivant trois moments principaux: le polymorphisme générique, éléments d'une esthétique du poète-personnage et enfin le cycle de l'autre. KOBLE Nathalie : « L’indispensable personnage secondaire : Keu le discourtois ». Les cycles arthuriens se sont, on le sait, constitués par "plis", étoffés au gré des "saisons" qui comblent les lacunes spatio-temporelles laissées par les romanciers antérieurs. Cette construction, en grande partie régressive pour le cycle du Lancelot-Graal, s'efforce de motiver a posteriori les fragments narratifs ou les motifs clés des récits qu'ils vont précéder dans la diégèse. Cette dynamique inventive renouvelle aussi le personnel arthurien. Comme on le verra à partir du corpus homogène que représente le Livre d'Artus, les procédés d'amplification en oeuvre sur le plan narratif touchent aussi la construction du personnage, en particulier celle du personnage secondaire, et contredisent partiellement la conception du personnage typique, associé à des motifs stables d'un récit à l'autre. LACROIX Jean : « Le ‘petit théâtre’ du poète siennois Cecco Angiolieri (XIIIe siècle) : Moi et les autres ». Celui que l’on a pu comparer, sans doute un peu hâtivement, à François Villon, le poète siennois Cecco Angiolieri, mort en 1312, répond parfaitement à l’intitulé de ce colloque tant par la « fabrication » et la distribution de ses personnages (à commencer par son propre personnage) s’imposent chez lui au sein d’une œuvre qui - fait très rare dans la poésie médiévale italienne - est exclusivement composée de sonnets, au nombre de 112. Tout en effet chez Cecco Angiolieri (jusqu’au nom : l’ange qui fait la bête) contribue à mettre en œuvre un « petit théâtre » où s’entrecroisent, s’affrontent et se renvoient les uns les autres, plus d’un rôle sur le registre satirique , voire de franche polémique où la dérision le dispute à la mélancolie (note fréquente), la férocité à la compassion. « Moi » d’abord : ce moi envahissant est constamment au premier plan ; bien avant que Pétrarque ne l’élève au rang d’une véritable institution poétique, Cecco Angiolieri a compris tout le parti qu’il pouvait retirer d’un tel exhibitionnisme à multiples facettes, le poète (apostrophes au sonnet par ex. ou sous la forme récurrente d’un psychodrame) prenant le relais de l’homme, du « mauvais garçon », de l’amoureux trahi ou mal aimé, aigri, voire du paria désargenté. Les autres ensuite, protagonistes seconds mais bien présents d’une histoire mouvementée, sont tout d’abord ses proches (ses proches parents accusés d’avarice et d’égoïsme sordide), ses amis ou ennemis « intimes », des personnalités de rencontre, silhouettes identifiables ou demeurées dans l’ombre, anonymes. Jusques et y compris la Dame de ses pensées, hautaine, lointaine, indifférente ou agressive à l’occasion et si rarement à l’écoute de son amant. Tous ces personnages, ces masques, profitent bien évidemment de la structure bien codifiée, bipartite, du sonnet, plus de cent fois répétée, pour illustrer autant d’instantanés ou se nourrir d’images « en abyme ». Au total, Cecco Angiolieri déploie un art consommé de la mise en scène à répétition, qui sait « monter »…ou démonter plus d’un rôle, brosser plus d’un portrait chez ses contemporains et compatriotes où, à défaut d’une quelconque transcendance pratiquement absente des 112 sonnets, de ces âpres débats n’est point exclu le contexte politique agité qui dresse, contre sa petite patrie, Sienne la gibeline, sa voisine toscane et rivale, la guelfe Florence. 6 LECLERCQ Armelle : « La destinée d'un émir turc, Corbaran personnage historique, personnage épique ». Les chroniques de la première croisade, rédigées au XIIe siècle, soulignent le rôle important de Kerbôqâ, un émir turc défait par les Croisés à Antioche en 1098. Appelé Curbaram en latin, cet adversaire des Francs forme une sorte de couple avec sa mère fictive, qui dans les chroniques lui conseille de ne pas attaquer les chrétiens. Dans le premier cycle de la croisade (XIIe-XIIIe siècles), le personnage réapparaît (sous le nom de Corbaran) en ennemi acharné des Francs. Mais, au fur et à mesure de son évolution dans le cycle, il se transforme et le couple qu'il forme avec sa mère s'inverse : sur elle se portent désormais les valeurs négatives, tandis que lui devient un véritable héros, mais aussi, et c'est l'essentiel, un émir converti. A partir d'un adversaire à qui l'Histoire ne prête aucune velléité de se rapprocher des Francs, les chansons de geste élaborent le modèle du converti, appelé à une belle longévité au Moyen Âge. On s'interrogera sur cette extraordinaire remodélisation d'un personnage emprunté à l'Histoire, à travers tout un cycle épique. LEGROS Huguette : « Le voyageur-narrateur, un personnage dans les récits de voyage ». Dans la lettre qu’il écrit à Louis IX pour raconter son voyage à la cour mongole, Guillaume de Rubrouck s’exprime à la première personne ; il se décrit, se met en scène, rapporte ses discours. Peut-on dès lors parler du voyageur comme d’un personnage ? MARTIN Jean-Pierre : « Les nouvelles aventures d’Ami et Amile au XVe siècle ». La version en alexandrins d’Ami et Amile développe considérablement l’histoire des deux vrais faux jumeaux, notamment en leur faisant vivre des aventures d’enfances échevelées. Leur personnalité sociale comme morale s’en trouve alors largement refondue, aussi bien dans un sens esthétique (contraste accru entre les deux héros, multiplication des épisodes romanesque et des rencontres extraordinaires) que proprement narratif : le récit d’enfances consistant nécessairement en épreuves préparatoires aux aventures reçues des versions plus anciennes de la légende, il doit donc accorder avec celles-ci les topoi hérités de la tradition des récits d’enfances. MENEGALDO Silvère : « Un avatar du jongleur : le personnage de gaite dans la littérature médiévale ». L’objet de cette communication serait de s’arrêter sur un type particulier de personnage, que l’on pourrait définir comme le personnage secondaire à caractérisation prioritairement socio-professionnelle, personnage intéressant à la fois sur le plan littéraire (lien entre caractérisation socio-professionnelle et genres, sensible notamment dans l’opposition personnage secondaire/principal dans récit bref/long) et sur le plan historique (que peut-on apprendre des petits métiers médiévaux dans la littérature ?). Ce type d’enquête est applicable à de nombreux personnages (le tavernier, le boucher, le berger etc.) et a déjà été mis en œuvre, notamment pour ce qui concerne la farce. Néanmoins le personnage de gaite m’a semblé digne d’attention, d’abord parce qu’il n’est pas si rare (il a même droit à un récit dont il est le héros, Gautier d’Aupais), ensuite par les liens qu’il entretient avec le personnage de jongleur. A partir de là j’envisage une étude en trois points : 1) qu’est qu’un guetteur et que fait-il, dans les châteaux ou dans les villes ? 2) parcours littéraire du personnage, toujours secondaire, de gaite, depuis les aubes de la poésie lyrique jusqu’à Esclarmonde en passant par Aucassin et Nicolette (en envisageant la question des liens entre lyrique et récit) ; 3) la promotion du personnage de gaite, avec Gautier d’Aupais. MILLAND-BOVE Bénédicte : « Figures bibliques et personnages romanesques dans quelques récits des XIIe et XIIIe siècles ». Adam et Eve, Salomon, la Vierge Marie et le Christ enfant ou crucifié.... sont souvent convoqués dans les récits de fiction des XIIe ou XIIIe siècles. Parfois simplement mentionnés dans des formules de serment, des exclamations ou des expressions proverbiales, ils peuvent aussi intervenir plus longuement dans la fiction, notamment dans les romans du Graal. Divers effets de décalage président souvent à leur introduction (vision, digression, jeu sur les points de vue et décrochements narratifs, citations...) On verra comment ces figures fonctionnent comme « personnages-références » (selon l’expression de P. Hamon), éléments d’un discours second qui vient, avec une grande économie de moyens, doubler le parcours des protagonistes ; comment elles 7 contribuent, par contraste ou par effet d’écho, à façonner les personnages romanesques jusqu'à parfois rejoindre leur statut. NICOLAS Catherine : « Fabrique du personnage et fabrique du roman : les interférences génériques dans les romans du graal du XIIIe siècle autour d’Hippocrate et de Josephès ». Dans la grande entreprise de récriture qui préside à la composition des romans du graal au XIIIe siècle, le genre romanesque se transforme. Certes, on reprend la matière du graal et les personnages arthuriens, mais, à côté d’eux, un certain nombre de personnages nouveaux se font jour. Parmi eux, Hippocrate et Josephès ne sont pas à proprement parler des inconnus pour le lecteur de l’époque mais leur présence dans les romans du graal – en particulier l’Estoire del Saint Graal –, incongrue au premier abord, ne va pas sans influencer l’écriture même de ces romans dont la poétique se démarque de plus en plus de celle des romans arthuriens du XIIe siècle. En effet, si, à travers Josephès, l’historien latin Flavius Josèphe - que le Moyen Âge a rêvé mire et mage – et le Joseph d’Arimathie des Evangiles apocryphes font retour sur les romans du graal, et si Hippocrate est le héros d’une aventure attribuée traditionnellement à Virgile, ce sont non seulement des personnages extérieurs à la tradition arthurienne qui font leur entrée dans la narration, mais surtout des personnages hétérogènes, issus d’autres genres, retravaillés par l’imaginaire de l’époque et chargés de nouvelles significations. En réalisant de tels amalgames, les écrivains médiévaux donnent lieu à des personnages signifiants à la fois au sein de la narration et par rapport à la nouvelle dimension qu’ils veulent donner au roman. Ainsi, conjuguant la vérité historique héritée de Flavius Josephe à l’aura mystique de Joseph d’Arimathie, Josephès dote les romans d’une autorité incontestable et d’un apôtre apte à entreprendre la translatio du graal en Occident. Quant à Hippocrate, c’est en réunissant le médecin grec et le poète latin, qu’il devient un personnage exemplaire. Il reste que ces deux mires « fabriqués » de toutes pièces par l’imaginaire médiéval au prix d’un certain nombre de collusions donnent au roman deux couleurs bien différentes. Si le premier tisse un lien étroit entre le graal, l’hagiographie et la matière chrétienne, le second le fait encore rêver à des merveilles dignes de Chrétien de Troyes ou des romans de Merlin. L’importation de tels personnages dans le roman influence donc autant le contenu de la narration que sa forme qui se nourrit désormais de modèles nouveaux : chroniques, évangiles apocryphes, récits de voyage ou de mission apostolique, hagiographie, lais, etc…Finalement, Josephès et Hippocrate seront intéressants à étudier – en termes de « fabrication » – pour leurs qualités communes de personnages importés et de mire mais cela ne pourra se faire que sans jamais quitter des yeux les changements qu’ils apportent à l’écriture des romans du XIIIe siècle, entre chronique pseudo-historique, hagiographie du graal et merveilleux romanesque. NOACCO Cristina : « Dieu : un personnage en question(s). Le statut narratif de Dieu dans l’Estoire del Saint Graal ». Notre étude vise à aborder un problème à la fois théologique et littéraire : la définition du statut narratif de Dieu dans l’Estoire del Saint Graal. Est-il possible de faire entrer dans la catégorie littéraire du personnage, « ne pouvant à proprement parler pas préexister à son élaboration littéraire », les représentations romanesques de Dieu, renvoyant aux notions de semblance, personne, signe et transcendance ? Comment l’auteur de ce roman en prose parvient-il à « façonner » le « personnage » de Dieu, produisant une tension irréductible entre des aspects dogmatiques - préexistants à l’élaboration littéraire - et des éléments descriptifs, émanant de l’écriture romanesque ? Nous tenterons de répondre à ces questions à la lumière des études qui ont été consacrées aux notions de « personne », « personnage » et « transcendance » dans la littérature médiévale. Le statut narratif de Dieu découle des épiphanies auxquelles assistent des personnages privilégiés, permettant à l’auteur de mettre en scènes Dieu dans le récit (par ex., la Trinité, la voix de Dieu, « Tout en Tout », les anges, le cerf blanc…). Ces représentations littéraires seront mises en relation avec les symboles et les figures de Dieu qui apparaissent dans l’Ancien Testament, modèle d’écriture en prose de ce roman. PASTRÉ Jean-Marc : « Le personnage de Tristan : un archétype revisité ». La narration tristanienne reprend des structures archétypales redevables du mythe et du rite, héritées de la tradition indo-européenne. L’épisode du philtre infléchit cependant la carrière du héros, dont les amours relèguent au second plan les fonctions assurées jusque là, celles d’un roi, puis d’un champion du roi Marc. Parangon de vertus guerrières et intellectuelles, Tristan, dans le passage du mythe au roman, représente de manière paradoxale un idéal de perfection qui le distingue et des héros guerriers indo-européens et des héros arthuriens. 8 POURQUERY de BOISSERIN Juliette : « Meliadus et la couleur verte : désignation et identification du personnage à travers les miniatures du manuscrit BN fr. 350 de Guiron le Courtois ». Comment reconnaît-on un personnage dans une miniature ? comment l’image fabrique-t-elle un personnage ? Plus précisément, dans un roman de chevalerie comme Guiron le Courtois où les figures de chevaliers foisonnent, comment le lecteur peut-il identifier qui est qui, au sein des miniatures ? Je centrerai mon étude sur l’exemple de la représentation d’un personnage central de ce roman : Meliadus (chevalier errant, roi de Léonois et père de Tristan), à qui la tradition romanesque attribue un blason de sinople plain. Je m’attacherai à analyser comment le programme iconographique du manuscrit Bn fr. 350 façonne le personnage de Meliadus à travers la construction formelle de chaque miniature (cadre, architecture…), la présence de texte s’y rattachant (rubrique ou texte qui l’encadre), l’esthétique picturale développée par le peintre, notamment autour de la couleur verte. Cependant il apparaîtra rapidement que dans ce programme iconographique aucun code de représentation picturale n’est systématique ni systématisé et que Meliadus n’est pas toujours identifiable. Quelle dynamique de lecture en résulte alors ? En quoi ce style pictural, oscillant entre singularité et universalité des figures de chevaliers correspond à l’esthétique d’une époque et traduit aussi une certaine conception des images ? Dans quelle mesure cette mise en valeur en même temps que cette « indistinction » du personnage de Meliadus révèlent-elles une idéologie et traduisent-elles une tendance narrative caractéristique de ce roman ? SUÁREZ María-Pilar : « Le personnage du juif et l´énonciation du mal ». Le besoin de l’homme de mettre en pied ses propres maladies et d’accorder à ce qui fait peur et à ce qui est inconnu une image consistante se trouve à la base de certaines élaborations culturelles qui ont été récupérées par le discours littéraire. Le personnage du juif serait un cas de figure de ces constructions culturelles qui, au Moyen Âge, remplacent la réalité côtoyant très fréquemment le fantastique et le monstrueux : bon nombre de manifestations à l´époque se font écho de ce type, et le théâtre n’en est pas une exception. A cet égard, et à part tout ce qu´on pourrait dire à propos de sa présence et de sa fonction dans les grands Mystères des Passions, nous voudrions réfléchir sur la configuration et le développement dramatique de ce personnage à partir de deux exemples appartenant à deux époques différentes du drame religieux médiéval : le Salatin du Miracle de Théophile de Rutebeuf (XIIIe siècle) et Iacob, le juif profanateur du Mistere de la Saincte Hostie, un mystère du XVe siècle. Dans notre projet nous tenons à considérer les stratégies discursives et dramatiques qui façonnent ces personnages, tenant compte de leur interaction avec un carrefour de voix et de discours nourris par un imaginaire collectif qui agit comme contexte de création et d´énonciation. TRACHSLER Richard : « Gautier Map, une vieille connaissance ». Gautier Map fait partie des rares auteurs médiévaux pour lesquels on dispose de renseignements historiques extérieurs à leur œuvre : en l’occurrence, on sait que Gautier était chancelier à Lincoln en 1186, puis archidiacre à Oxford en 1196/97. Assez certainement, le clerc est l’auteur des Nugae Curialium, œuvre latine aujourd’hui bien connue, mais conservée dans un seul manuscrit. On lui attribue également une nébuleuse de poésies latines satiriques et la dernière partie du cycle de la Vulgate français, à savoir le bloc qui va du Lancelot en prose à la Mort Artu, où son nom apparaît en toutes lettres à des endroits stratégiques. L’attribution de ces romans français est presque à coup sûr une forgerie médiévale, mais elle est intéressante parce qu’elle vise à doter le cycle d’une autorité qui, apparemment, lui manquait. Le Gautier Map historique devient de la sorte un prête-nom auquel les enlumineurs finissent par conférer même un visage et un corps. Se crée ainsi un personnage qui, sous cette forme, n’existait pas. La présente enquête vise, précisément, à étudier la fonction de ce nouveau Gautier Map dans le cycle du Lancelot-Graal et son devenir iconographique à travers les manuscrits. UELTSCHI Karin : « Hellequin bi-frons : à propos du sacré, du comique et du théâtral ». Hellequin n’est jamais le personnage principal d’une oeuvre. Il est fondamentalement ambivalent : tantôt, il semble personnifier le diable et la mort, tantôt c’est un personnage loufoque et comique. Mais notons que dans ses apparitions, il est l’un ou l’autre, jamais les deux à la fois. En effet, dans ses attestations les plus célèbres 9 (Jeu de la Feuillée, Fauvel), le géant aux attributs nocturnes, habituellement drapé dans sa cape et dissimulé sous sa coule, sa chevelure et sa barbe, semble subitement se métamorphoser en une créature burlesque et inoffensive liée non plus à la problématique de la mort, mais à celle de l’amour et des noces. La présente investigation voudrait examiner comment, à travers notamment la problématique de la mascarade, le personnage se constitue et se diversifie grâce à sa théâtralisation, donne naissance, à travers des fusions thématiques et mythiques, à de nouveaux types littéraires célèbres, le tout dans une articulation originale du sacré et du comique. VALETTE Jean-René : « Pour une poétique du personnage merveilleux : la fabrique des fées ». La notion de personnage ne va pas de soi. En tant qu’elle établit un écart — d’ordre « esthétique » — avec un être du monde ou avec une personne référentiellement désignée, elle mérite d’être minutieusement analysée. Dans le cas du merveilleux, ce premier écart est comme redoublé. S’il est permis de se demander ce qu’est un personnage — par exemple dans le roman médiéval ou bien dans le roman arthurien —, il est sans doute également légitime de s’interroger sur ce qui distingue les personnages merveilleux des autres personnages. Afin d’articuler ce rapport, nous ferons appel aux concepts, aux outils et aux catégories fournis par le Thesaurus des motifs merveilleux, projet lancé par Francis Dubost en 1994 et actuellement poursuivi par une équipe de chercheurs coordonnée par Francis Gingras et Jean-René Valette. Les procédés et les effets relevant de l’écriture de la merveille ne seront pas négligés non plus car c’est bien souvent dans le champ du regard d’étonnementadmiration émanant des êtres fictionnels que le personnage merveilleux se constitue. Ainsi les fées des lais et des romans sont rarement présentées comme telles. Elles ne se distinguent pas ontologiquement des autres personnages féminins mais psychologiquement, si l’on ose dire, en vertu de la qualité du regard porté sur elles. Au-delà de la modélisation et de la réflexion poéticienne, nous nous interrogerons sur ce que la fabrique du personnage romanesque révèle de la conception du merveilleux au XIIe et au XIIIe siècle. Nos exemples seront empruntés au corpus arthurien. WAHLEN Barbara : « Entre tradition et récriture : le bon Morholt d’Irlande, chevalier de la Table Ronde ». Comme l’a montré Philippe Hamon, le personnage est constitué de la somme des informations données sur ce qu’il est et sur ce qu’il fait. Il est construit progressivement par le texte à partir d’un certain nombre de propriétés décrites, mais aussi par le lecteur, qui active ces propriétés et les complète dans son imagination, palliant ainsi l’incomplétude du texte en construisant l’unité de chaque personnage2. Autrement dit, le personnage est autant une construction du texte qu’une reconstruction du lecteur. Dans le cas des personnages reparaissants, cette construction duelle se complexifie d’une dimension intertextuelle. Certains personnages se trouvent ainsi particulièrement surdéterminés d’un extratexte narratif prégnant qui les enserre d’un réseau allusif. C’est le cas du Morholt, adversaire mythique de Tristan dans les romans en vers, qui devient, à partir du Tristan en prose, le « boin Morhaut d’Yrlande », chevalier de la Table Ronde. Il s’agira dans cette étude de cas de dégager les opérations par lesquelles les romans en prose du XIIIe siècle (le Tristan en prose, la Suite du Roman de Merlin et Guiron le Courtois) réussissent à s’approprier des données diégétiques, les reprennent, les réécrivent, les prolongent et les transforment pour fabriquer un personnage, qui au fil des retours, s’éloignent de plus en plus du modèle mythique du géant monstrueux et dévastateur. 2 Cf. Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », Poétique du récit, éd. par G. Genette et T. Todorov, Paris, Seuil (« Essais Points »), 1977, p. 119ss. 10