cadavres dans le placard de Charly

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cadavres dans le placard de Charly
Les cadavres dans le placard de Charly
(2) : l’affaire Saint-Aubin
Oh, dans cette histoire, rien n'est sûr en ce qui concerne le
rôle ou non de Charly. Mais il n'empêche ; la disparition d'un
jeune couple assassiné à la place d'un des leaders de l'OAS
montre surtout le climat politique d'une violence extrême en
France en 1964. L'OAS y est toujours pourchassée, et des
officines douteuses se retrouvent derrière des assassinats,
dont bien entendu le SAC de Charles Pasqua.
Les exactions du SAC ont été nombreuses : le 10 Mars 1962, Une
camionnette piégée explose à Issy-les-Moulinaux, il y a trois morts, et
de nombreux blessés. Bien entendu, c'est l'OAS, selon le gouvernement.
Or le 31 on arrête bien trois individus... qui sont vite relâchés et qui
disparaissent aussi des registres du commissariat : des barbouzes en
fait. Une auto piégée explose dans la cour du ministère des affaires
étrangères, faisant un mort et 33 blessés. Or on sait aujourd'hui que ce
n'est pas non plus l’O.A.S, car le responsable Melnik raconte en détail
l'attentat dans son livre "1000 jours à Matignon" : pour beaucoup les
deux camionnettes ont suivi la même mise en scène. Outre les
explosions, il y a les meurtres, ou les tortures. "Coups, étranglements,
électricité, ongles arrachés, yeux crevés, brûlures, sont le lot d’horreurs
quotidien qu’ont eu à subir les malheureux prisonniers" peut-on lire ici.
"Les tortionnaires utilisèrent la "chaise électrique". Il s’agit d’un fauteuil
où le dossier et le siège sont remplacés par deux ressors à boudin et un
treillis métallique. On déshabille le patient et on l’attache, bien calé sur le
dossier. On branche ensuite le courant entre le siège et le dossier et à
régler la tension : 110 volts, puis 220, si le sujet résiste, 500. Les
ressorts du siège et du dossier rougissent et le malheureux rôtit
lentement. Des fouilles entreprises dans les jardins des villas en 1968 ont
permis de mettre à jour une trentaine de squelettes dont certains avaient
le crâne percé".
Debizet (ici à gauche) après 1968 va devoir un peu nettoyer ses écuries
d'Augias, en allant même jusqu'au meurtre de ses membres les plus
gênants : "Il va pourtant se trouver confronté à une mission délicate :
celle d'assainir le Sac de ses éléments douteux, de tous ceux qui ont
gonflé les rangs de l'association au moment de l'Algérie ou de Mai 68.
Pour cela, il remplace la fameuse carte tricolore par une simple carte de
plastique, style carte de crédit, et réclame aux nouveaux adhérents un
extrait de casier judiciaire. Précautions sans doute insuffisantes puisque,
au cours des dix dernières années, on recensera plus de 200 membres du
Sac cités dans des rapports de police concernant des trafics d'armes, de
drogue, d'alcool, de faux papiers. Dans plus d'un grand scandale, du
meurtre d'un caïd lyonnais à celui d'un gréviste à Rennes, d'une officine
de trafic d'influence aux raids anti-autonomistes en Corse, on retrouve de
nouveau la marque du Sac. A chaque fois que son organisation se trouve
ainsi impliquée, Debizet proteste et réclame une mise au point."
Les éliminations physiques font donc partie du programme du SAC, qui
évolue entre le SDECE, la police, la gendarmerie et l'armée. "Selon
Constantin Melnik, qui on le rappelle fut le conseiller spécial de Michel
Debré sur ces polices parallèles et autres barbouzes, il y aurait eu
environ 500 assassinats politiques entre 1958 et 1962 à mettre à l’actif
du SDECE, sous la responsabilité du général Paul Grossin (fondateur de la
« main rouge ») : 135 en 1960 et 103 en 1961, dont une douzaine
d’hommes politiques. L’Ecole de formation des cadres du SAC se situait à
Saint-Germain en Laye, elle était dirigée dans un premier temps par le
colonel de Rancourt puis, ensuite, par le Colonel Rémy et l’instructeur
chef était le capitaine Sambo. Les finances de l’organisation sont
contrôlées par André Rives, futur député UDR et Jacques Baumel,
secrétaire général de l’UNR. Le commissaire Jean Dides est chargé de
noyauter la police nationale et Roger Wybot, directeur de la DST, les
services spéciaux". 500 morts à l'actif de l'Etat, via les services secrets et
ses "men in black" de l''époque : les gens du SAC de Pasqua, avec en
priorité les assassinats de membres de l'OAS.
Le SAC et le SDECE ne tuent pas qu'en France, mais aussi parfois en...
Suisse. Le 3 novembre 1960 à Genève, un leader camerounais de de
l'UPC (Union des populations du Cameroun) Félix-Roland Moumié, qui
déplaît fort à Paris (et à Foccart surtout) est invité à déjeuner dans la
vieille ville par William Bechtel, dit le « Grand Bill », un baroudeur au CV
bien chargé. Un Franco-Suisse qui a servi en Indochine au sein du
commando « Conus », de la DGER (l'ancêtre du Sdece). Devenu
membre de la sécurité chez Simca, il a l'habitude de s'opposer à la CGT,
tout en servant le SDECE. Un faux coup de fil fait quitter la table à FélixRoland Moumié. Aussitôt, Bechtel verse dans son... pastis (Ricard) une
dose de thalium, un des composants de la mort aux rats, censé le rendre
malade. Moumié, qui parle beaucoup, passe tout de suite au repas, où
Bechtel arrive à glisser un peu de thalium dans son vin. Mais il finit le
repas... avec le pastis, prenant double dose de thalllium. Il devait
simplement tomber malade, le voici qui va mourir dans d'atroces
souffrances. Bechtel est déjà en fuite : il ne sera retrouvé qu'en 1974...
extradé en Suisse en 1976 pour y être jugé et... obtenir un non lieu !!!
Revenons pour cela en 1964, donc. Début juillet, un homme, Jean
Méningaud, un avocat et membre fort actif de l’Organisation Armée
Secrète (OAS) (il en est le trésorier !) parti se refugié à Genève, avait
semble-t-il prévu de descendre à Fréjus, pour une réunion importante
avec ses contacts français. L'homme, sûr de lui, n'est pas
particulièrement discret dans ses déplacements : il traverse alors la
France à bord d'une Volvo sport 122S… noire et blanche, reconnaissable
de fort loin avec son toit blanc, et immatriculée bien entendu en Suisse
(ici à droite un modèle de rallye). Son arrivée est prévue à Fréjus au petit
matin, la voiture roulant de nuit. Cela, les services secrets français le
savent. Et une équipe de "nettoyeurs" est donc appelée, pour se
débarrasser le plus discrétement possible de celui qui manigance tant
contre De Gaulle. Les "nettoyeurs" du SAC, bien entendu, qui ont
échafaudé un scénario impararable. C'est un camion tous terrains de
l'armée (un Unimog, acheté à la Suisse) qui se chargera de l'opération
(au Liban il servira de plateforme au mitrailleuses ZPU-4) : l'Unimog est
un 4x4 court doté d'une forte accélération, pour grimper plus vite : c'est
l'outil idéal pour renverser une voiture, ou l'expédier dans le décor. Une
203 servant de "pointeur" pour indiquer l'arrivée de la fameuse voiture.
Une 203 de la police, ou des gendarmes : sur sa plaque d'immatriculation
figure un petit drapeau tricolore. Une vieille Traction sera là pour ralentir
la Volvo et la faire accélérer au bon moment pour doubler... et tomber
pile sur le camion qui débouche de la voie...
Tout va se passer comme prévu à 7 heures du matin sur la route de
Puget à Fréjus ; au lieu-dit "les Esclapes", à Puget-sur-Argens. Une Volvo
se présente à un léger virage sur la droite, avant le pont enjambant le
Beal. La 203 donne le signal, une fois la Traction dépassée : l'Unimog
dissimulé dans un chemin creux accélère soudain devant la Volvo,
la heurte (très certainement, mais on n'a pas su si c'était le cas ou
non) et l'expédie violemment contre un arbre, où elle s'enroule
littéralement. Un choc d'une incroyable violence.
L'assassinat parfait, sans témoins.... ou presque : tout aurait pu rester
dans l'ombre, mais il y en a un, de témoin : un harki, Mohammed
Moualkia, roulant en vélo, s'apprêtant à ce rendre à son travail à la
cimenterie voisine et qui déclare l'année suivante, en 1965
seulement, que le camion l'a fait selon lui exprès : or les gendarmes n'ont
même pas retenu son témoignage. En fait, il y a un gros hic à l'opération
réussie d'élimination dans le plus pur style du SAC : ce n'est pas le
responsable de l'OAS qui a été tué... mais deux jeunes personnes : JeanClaude Saint-Aubin, 22 ans, et sa passagère, Dominique Kaydasch, 18
ans !!! Ils roulaient depuis toute la nuit, descendus de Suisse dans leur
voiture, une Volvo noire à toit blanc portant des plaques
d'immatriculations.... suisses. Ils cherchaient à rejoindre la propriété
du Pin de la Lègue, où les attendaient les parents du jeune homme, Jean
et Andrée, et les deux autres fils Saint-Aubin, François et Philippe.
L'opération barbouzarde s'est tout simplement trompée de cible !
L'ambulance arrivée très sur place (il semble qu'elle soit militaire, voir ici
à droite) emmène en effet deux corps et non pas un seul. En haut lieu, on
s'affole, tant le ratage est de taille. La décision d''éliminer toutes les
traces touche autant l'armée que la police et la gendarmerie à qui on
demande une omerta totale. Les parents, aussitôt alertés, vont alors faire
connaissance progressivement avec d'évidentes tentatives de maquillage
des faits, et au fil des années de leur long calvaire pour tenter de
connaître la vérité sur l'accident. L'année suivante, par exemple, les
gendarmes ont surchargé le registre où le harki Moualkia à indiqué 7
heures, transformé en un maladroit "5" heures surchargé au stylo. Au
camp militaire d'où provient le camion
(ici à gauche une reconstitution), le registre des sorties du jour, déclaré
un temps disparu a finalement bien été retrouvé par un militaire, mais la
page a été arrachée. Dans le compte-rendu des gendarmes, c'est la
présence d'un dos d'âne "près de l'arbre" qui aurait provoqué l'envol de la
Volvo : en fait il est situé à 80 mètres de l'arbre (certains diront 200 m),
ce qui aurait permis largement de freiner. Ils demeurent dubitatifs
pendant des années. L'épave de la voiture, retirée promptement par les
gendarmes, leur est déclarée avoir été "détruite" en 1965. Or, en 1971, 6
ans plus tard, ils reçoivent la facture d'un garagiste qui leur réclame son
gardiennage. Elle stipule 4 500 francs suisses ; car l'envoyeur est
un garagiste genevois : comment donc ce bout de ferraille est-il arrivé làbas, et qui a bien pu l'y amener ?
Les deux parents Saint-Aubin (à droite leur fils) ne croiront jamais à la
thèse de l'accident, tant on leur a menti : de 1964 à 1990 on leur
rendra 26 décisions de jugement infirmant leur thèse de l'attentat raté
qu'ils ont fini par attribuer au SAC, vu que les militaires ont œuvré pour
un objectif qui ne l'était pas. Au comble de leur douleur, en 1981, ils
apprennent qu'en 1981, au moment où la gauche prend le pouvoir, que
l'intégralité du dossier judiciaire de la mort de leur fils a disparu en 1978
des archives du Tribunal. La gauche voyait semble-t-il d'un bon œil
l'ouverture d'une enquête (Mitterrand avait écrit une petite phrase dans
"La Paille et le Grain", sur la douleur des deux parents) : en détruisant les
documents, on lui rendait la tâche impossible. Il ne reste plus aucune
pièce de l'enquête !!! Et ce n'est pas fini : en 1984, comme dans un
véritable scénario de film, le témoin clé, Mohammed Moualkia, meurt
dans d'étranges circonstances : il est en effet retrouvé asphyxié dans sa
chambre, la police évoquant une cigarette qui aurait mis le feu à son lit.
Le hic, c'est que Moualkia, n'avait jamais fumé de sa vie. Etrange
coïncidence, il s'apprêtait à donner une interview à des journalistes de
TF1 à propos de l’affaire... !!! En 1990, l'Etat octroie royalement aux
époux Saint-Aubin la somme de 500 000 francs (76 200 euros) en
dédommagement du préjudice de la disparition du dossier. Mais Robert
Badinter n'ira pas plus loin : son enquête interne à à peine reconnu qu'un
camion militaire "aurait pu" jouer un rôle. Mais de1986 à 1988 puis
de 1993 à 1995, "Charly" est devenu ministre de l'intérieur, et ce n'est
plus la peine d'espérer savoir un jour la vérité, puisque ce serait son
groupe de sbires du SAC qui aurait fait le coup. Un Pasqua devenu
omniprésent. En 1969, il avait été écarté du SAC, certains ayant trouvé
qu'il désirait en administrer de trop près tous les rouages. En 1964, cinq
ans avant, il était déjà un des plus haut placés de l'organisation : celui qui
décidait des basses œuvres anti-OAS. Et de la vie et de la mort des
opposants à DeGaulle. Selon Patrick Pesnot en effet, les services secrets
du SDECE n'y sont pour rien, et le premier organisme auquel on doit
songer comme responsable est la Sécurité Militaire, qui se faisait aider
régulièrement par des gens du SAC. "Le SDECE n’a donc rien à voir dans
l’affaire Saint-Aubin ! Toutefois, d’autres services de renseignement, tels
la DST ou les Renseignements généraux, ont combattu l’organisation
terroriste. Mais lorsqu’il s’agissait de représailles et d’actions violentes,
c’était la SM, la Sécurité militaire, qui agissait. Avec l’aide d’auxiliaires
plus ou moins recommandables, gangsters ou militants du SAC." La
méthode utilisée faisant surtout penser à celles du SAC...
Fréjus, il faut le noter, est à moins de 150 km de Marseille. A ceux qui
avaient été tentés de signaler à Charly qu'un bon nombre de ses actions
étaient anti-démocratiques, il avait répondu sobrement : "la démocratie
s’arrête là où commence l’intérêt de l’Etat". Deux jeunes gens n'avaient
pas eu le temps de goûter l'aphorisme, en 1964...
sources :
Le mystère Saint-Aubin Denis Langlois (épuisé)
http://destins.notrejournal.info/L-HISTOIRE-des-BARBOUZES
http://denis-langlois.fr/Le-mystere-Saint-Aubin-L-affaire
http://www.lemonde.fr/ete-2007/article/2006/07/11/l-affaire-saintaubin-le-mystere-du-camion-fantome_794328_781732.html
http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2007-01-25/les-langues-sedelient/920/0/85587

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