Le e-RH : rempart ou accélérateur du développement - gregor-iae

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Le e-RH : rempart ou accélérateur du développement - gregor-iae
AGRH AIM GROUPE THEMATIQUE GRH ET TIC
Journée du 5 avril 2005 à Dauphine
DU E-RH AU E-MANAGEMENT
Chapitre
11
E-RH et performance dans le cadre d’opérations de fusion
Laëtitia LETHIELLEUX, Amale LUCAS
Introduction :
La généralisation progressive des TIC (technologies d’information et communication) contribue aux
changements stratégiques et accélère aussi la reconfiguration des organisations. Lors de ces
changements, aucune fonction de l’organisation n’est épargnée.
Ainsi la GRH est touchée à tous les niveaux. Les TIC sont devenus des outils à part entière utilisés par
la fonction ressources humaines. Ce phénomène n’est pas nouveau car la fonction RH est depuis très
longtemps consommatrice d’informatique. Aujourd’hui, la fonction ressource humaine s’est
transformée avec l’Intranet et l’Internet en une e-RH.
Le développement de l’e-RH dans le monde de l’entreprise, et plus spécialement les technologies
mobiles, ont eu comme influence la déspécialisation des lieux de travail et l’explosion de l’échange de
l’information en dehors des structures formelles. Ce nouveau mode de travail introduit une distance
« géographique » entre les salariés et l’entreprise. Parallèlement, on assiste à un effacement des
relations en face à face entre les salariés.
Cette multiplication des changements de toutes sortes renforcent la complexité des stratégies
d’adaptation des organisations et des salariés notamment lors de fusions. Les opérations de croissance
externe sont soumises à une exigence de rentabilité économique et financière.
Lors de fusions, de nombreux chantiers sont alors à gérer simultanément : conduire de véritables
transformations, préserver l’activité courante surtout des sanctions des marchés boursiers et gérer le
choc culturel entre salariés issus d’univers différents. En effet, lors d’opérations de croissance externe,
les salariés restant peuvent développer des symptômes dits du syndrome du survivant (BROCKNER,
1988) produisant des effets négatifs en terme d’implication organisationnelle et de productivité. La
problématique de la performance de l’organisation peut se trouver mise en cause. La question de la
performance peut être envisagée sous deux angles principaux : au niveau individuel et au niveau
organisationnel. Dans le cadre de notre étude, nous retiendrons les deux perspectives.
Le e-RH conduit à l’utilisation entre autre de technologies nomades. Ce phénomène participe à la
création de réseaux. Lors d’opérations de croissance externe, les salariés restants après une fusion
connaissent un changement organisationnel susceptible de les déstabiliser. BROCKNER (1988) a
étudié ces comportements. L’implication et la motivation de certains salariés peuvent diminuer. Dès
lors, le e-RH permet-il de réduire les effets contre-performance du syndrome du survivant lors
d’opérations de croissance externe ?
Après avoir précisé quelles sont les caractéristiques du syndrome du survivant dans les organisations,
nous nous intéresserons aux conséquences du e-RH, comme par exemple l’absence d’interlocuteur
humain direct, sur le comportement des salariés survivants à une fusion.
1. L’émergence du syndrome du survivant : un risque pour la performance
des organisations
1.1. Les caractéristiques du syndrome du survivant
Un syndrome est un ensemble de signes et de symptômes qui caractérisent une maladie, une infection.
Ainsi, BOURQUE (1995), psychiatre et président fondateur de la firme HUMGAEST inc., tente de
décrire le syndrome du survivant dans les organisations. Il reprend les travaux de NOER (1987 et
1992). NOER a étudié une grande firme multinationale qui, à la suite de difficultés financières, a
procédé à une réduction massive de son personnel. Cet auteur a trouvé chez les survivants de cette
organisation des symptômes semblables :
- la difficulté de parler de ses émotions dans l’organisation,
- la colère, l’hostilité et la déloyauté envers l’organisation et ses dirigeants,
- la culpabilité d’avoir conservé son emploi,
- la démotivation et insatisfaction au travail,
- des sentiments d’insécurité vis-à-vis de leur poste,
- de l’angoisse, déprime, fatigue
Les symptômes relevés ici sont ceux dits « récurrents ». En effet, BRIDGES (1988, 1994) a détecté
une soixantaine de symptômes. BEAUDOIN , lors du congrès Acfas, précise que le syndrome du
survivant ne se vivrait pas comme un ensemble de symptômes simultanés, mais plutôt en trois phases
distinctes contenant chacune des symptômes spécifiques. Ces conclusions sont le résultat d’une étude
sur le syndrome du survivant menée auprès d’infirmières d’unités de médecine et de chirurgie.
L’étude de NOER (1987 et 1992) permet de dégager les deux grandes caractéristiques du
comportements des survivants : un conservatisme et une rigidité accrus. Cette rigidité se traduit par
une moindre productivité. Leur motivation est freinée.
Cette remarque de NOER met en évidence la difficulté de la mise en place du mécanisme d’adaptation
et justifie une étude sur les mécanismes d’appropriation d’une nouvelle entité par les individus. NOER
(1987 et 1992) a réalisé une étude longitudinale. En effet, 5 ans après, il retourne au sein de la même
firme et reprend ses observations. Il constate que les mêmes symptômes sont toujours présents. Il
remarque que ces travailleurs sont fatigués et déprimés. Ayant survécu à plusieurs réductions de
personnel, ils avaient perdu leur éclat et leur intérêt pour la production. Une forme de résignation et de
perte de contrôle de leur environnement les gagnait. Au lieu de se prendre en main, ils laissaient les
évènements décider pour eux.
Le syndrome du survivant n’est pas une maladie mentale répertoriée dans le manuel diagnostique des
troubles mentaux. Cependant, certains auteurs affirment que ce syndrome affecte la santé mentale des
employés et peut mener à des problèmes tels que la dépression et l’épuisement professionnel.
Le syndrome du survivant peut facilement déboucher sur le burn-out (BOURQUE, 1995) à cause de la
multiplication des tâches à accomplir et du traumatisme causé par le départ brutal des collègues.
L’American Psychiatric Association (1994 ; 424-428) classe d’ailleurs sous le terme Posttraumatic
Stress Disorder dans la classification des maladies mentales (DSM IV). Pour BOURQUE (1995), on
ne peut pas associer le syndrome du survivant dans les organisations au choc post-traumatique, la
différence d’intensité entre les deux troubles étant trop grande. Dans le cadre des organisations, les
individus n’ont pas à affronter l’atrocité de la mort ni la disparition physique d’un être cher. Toutefois,
même, si répétons-le, l’intensité est moindre, les personnes, restant à la suite de réductions massives
de personnel ressentent des émotions semblables. Elles assistent à des événements qui brisent des vies
et qui entraînent, pour tous ceux qui considèrent le travail comme une forme d’identification sociale,
une mort de son milieu naturel de vie.
Le répertoire psychiatrique américain DMS IV (1994 : 623-627) définit le trouble de l’adaptation
comme une altération du fonctionnement occupationnel, ou des activités interpersonnelles, suite à un
stress. Cette altération, accompagnée d’un sentiment de détresse, excède la réaction qui serait attendue
normalement après une épreuve de ce type. Ce trouble de l’adaptation ne dure généralement pas plus
de 6 mois et ne doit pas être le produit d’une maladie mentale préexistante.
L’étude de NOER (1987 et 1992) montre qu’à la réduction d’effectifs répétitive, plusieurs survivants
présentent, cinq plus tard, des signes de résignation, de désillusion et de désintéressement face à leur
travail. Il peut s’agir d’une adaptation « saine » et « normale ». La situation est différente pour les
personnes qui sont sujettes à des troubles anxieux ou phobiques. En effet, ils auront tendance à réagir
en fonction des symptômes propres à leur état de santé mentale de base.
Par conséquent, un biais est possible dès lors que l’on ne connaît pas l’état de santé initial du salarié
avant qu’il ne subisse le stress du départ de ses collègues.
1.2. Le syndrome du survivant et la performance de l’organisation fusionnante
Plusieurs recherches menées par BROCKNER tentent d’établir un lien entre le syndrome du survivant
et la performance, au sens large, des survivants dans le cadre de restructuration comprenant des plans
sociaux. Leur objectif est de rechercher quels sont les effets du syndrome du survivant sur
l’implication et la motivation des salariés restants. BROCKNER (1993)1 montre par expérimentation
que l’iniquité positive provoque un accroissement de l’effort fourni et de la performance. Il note un
lien négatif entre l’aide financière accordée par l’employeur et la performance des rescapés.
Il est d’autant plus difficile de prévoir les incidences des restructurations sur le comportement des
salariés restants du fait que beaucoup s’identifient à ceux qui sont partis. Ils ressentent en général un
sentiment de culpabilité qui les conduit à justifier davantage leur maintien dans l’organisation en
multipliant leur efforts. Ce phénomène fut également constaté par LINHART (2003) lors de son étude
de l’usine Chausson.
En définitif, la mise en œuvre d’une stratégie de restructuration exerce une influence sur le
comportement des salariés concernés. Leur implication peut s’en trouver amoindrie ou renforcée selon
la perception qu’ils auront du déroulement et de l’avenir de cette stratégie.
1
Brockner, J. et al. (1993). Threat of future layoffs, self-esteem, and survivor’s reactions: evidence from the laboratory and
the field, Strategic Management Journal, vol.14, p. 153-166.
L’apparition du syndrome du survivant peut alors être envisagé comme un instrument de mesure de la
performance ou de la réussite d’une fusion2.
Les difficultés de prévision du comportement des salariés restants à la suite d’une restructuration ne
permettent pas d’anticiper les effets sur la performance des entreprises fusionnantes sur le court terme.
2
Lethielleux, L (2004), La mesure de la réussite d’une fusion par le syndrome du survivant, AGRH Montréal,
septembre 2004.
1.3. TIC, stress et le syndrome du survivant
Les pratiques e-RH impliquent l’utilisation massive des TIC comme par exemple l’Intranet, les
systèmes d’information ressources humaines.... Cette utilisation massive peut être source de stress.
D’une manière plus générale, le stress lié à l’activité professionnelle ou à la souffrance au travail serait
légitimé par la mythologie « néo-technico-libérale » telle que définie par GADREY (2000). En effet,
les TIC sont susceptibles de créer des externalités négatives comme le stress. Aujourd’hui, la
diffusion, le partage et l’échange d’informations reposent sur les réseaux Internet, Intranet et Extranet
en réponse à la complexité croissante des systèmes d’information des entreprises qui grossissent au
rythme de leurs fusions et de leurs rachats.
Ce stress est présent auprès des salariés restants en raison du processus de fusion trop souvent
synonyme d’opacité informationnelle. Ceci s’explique par les changements organisationnels
consécutifs à l’opération et restructuration. Avec les TIC, l’information circule beaucoup plus
rapidement. En raison de cette rapidité, la nature et l’interprétation des informations diffusées
échappent aux managers. Cependant, la maîtrise du flux informationnel peut s’intégrer dans une
stratégie de gestion de la motivation des salariés. Tout est question de dosage homéopathique. Prenons
le cas d’une opération de fusion. A un moment ou à un autre la question « faut-il tout dire ? » se pose.
Faut-il opter pour la transparence ou le culte du secret ? Deux facteurs anxiogènes apparaissent alors
pour les salariés : leur devenir professionnel et la recherche d’informations. Le culte du secret est
d’autant plus mal vécu qu’aujourd’hui avec les réseaux d’informations et de communication, les
salariés sont amenés à réagir vite et quasi dans l’instantané. Selon BAUDOIN (2003), les
modifications de la gestion du travail induites par les TIC peuvent être abordées suivant le triptyque :
disponibilité, réactivité et autonomie. Par disponibilité, il est entendu le fait d’être disponible en tout
lieu et à tout moment. La réactivité implique de répondre aux messages toujours mieux et toujours
plus vite. Enfin, l’autonomie est caractérisée par l’affranchissement des nœuds de rétention de
l’information. Un cadre a accès de plus en plus à l’information sans avoir à passer par une secrétaire
ou par sa hiérarchie.
Dès lors, l’une des conséquences directes de ces changements est l’intensification du stress auquel
sont confrontés les cadres au quotidien. Les TIC introduisent une forme d’individualisation qui peut
générer angoisse et stress (peur d’être oublié). Cette angoisse est d’autant plus forte au sein des
équipes virtuelles et auprès des cadres nomades. L’appartenance à un collectif est mise à mal par les
nouvelles contraintes de travail et l’individualisation (CRESSENT, 2003). Dans le cadre de la fusion
de la société HP et Compaq en France, des services ont été organisés sous forme « bureaux de
passages ». Les salariés sont donc fortement poussés à travailler à domicile ou chez le client. Les
relations sociales sont alors distendues et générent un terrain propice au développement des
symptômes du syndrome du survivant (stress, angoisse, démotivation…). L’individu est face à ses
responsabilités professionnelles et face à ses propres interrogations. Seul, il doit reconstruire ses
repères.
2. Le e-RH : rempart ou accélérateur du développement du syndrome du
survivant ?
2.1. Les pratiques e-RH et performances
La fonction RH est depuis très longtemps consommatrice d’informatique pour compter les effectifs et
faire la paie. C’est même une des fonctions dont l’informatisation a été la plus ancienne.
Trois grandes périodes ont marqué l’évolution du marché de l’informatisation de la fonction RH.
• dans les années 70, les premiers logiciels de paie apparaissent sur le marché. Ils ne
fonctionnent pas en temps réel.
• le développement de l’informatique, dans les années 80, a permis de décentraliser la saisie de
la paie dans les différentes entités, et de se diriger vers des progiciels.
• Depuis les années 90 on a vu ainsi se développer les Système d’Informaion en Ressources
Humaines (SIRH), et l’apparition de e-RH.
Par e-RH, on désigne les extensions intranet/extranet des différents champs d’application d’un SIRH.
Ces technologies de réseau permettent à des acteurs (utilisateurs ou clients) la diffusion, la saisie de
données et l’accès à des informations à distance. Les applications de e-RH couvrent une grande variété
de thèmes: la formation, le management des ressources humaines mais auusi le comité d’entreprise, les
conventions collectives…
On trouve généralement trois classes d’applications :
• des application statiques : on diffuse des informations générales via une messagerie
(organigramme, note d’information interne, annuaire, livre d’accueil…) ;
• applications dynamiques : elles sont utilisées pour traiter des saisies à distance ou diffuser de
l’information ciblée (formulaires de saisie, procédure en ligne, diffusion ciblée des postes à
pourvoir, candidatures à une bourse d’emploi, saisie de congés ou de temps, formation à
distance…) ;
• des applications interactives : elles comportent des échanges transactionnels, des informations
personnalisées, utilisant un travail en workflow (auto-évaluation, autoformation, suivi de
procédures administratives de GRH avec validation hiérarchique…).
Les applications e-RH offrent à la fonction des ressources humaines divers avantages liés à la facilité
de diffuser et structurer l’information aux acteurs concernés en donnant à chacun les moyens
d’informations nécessaires. Ainsi, on assiste à un partage de la fonction RH entre des spécialistes RH
et le management. A titre d’exemple, les managers sont impliqués dans l’appréciation, la définition
d’objectifs professionnels, l’attribution de primes de résultat, la formation. Avec les e-RH, les
managers disposent des informations nécessaires pour leur permettre de jouer plus complètement leur
rôle.
Avec le e-RH les attentes essentielles des DRH commencent à trouver des réponses. Ils peuvent aller
plus loin dans le partage de la fonction en impliquant les managers et en diffusant l’information. La
gestion des emplois et des compétences se fait de manière concrète tout en réalisant des gains de
productivité et de fiabilité dans l’information disponible.
En ce sens, une étude du cabinet Watson Wyatt en 2001 démontre que l’utilisation des Technologies
d’information et de communication (TIC) dans la fonction RH crée une valeur actionnariale. Le e-rh
contribue à hauteur de 6.5% à la création de la valeur boursière. Néanmoins, de nombreux auteurs ont
constaté « un paradoxe de la productivité » des TIC (ORLIKOWSKI, 2003). Il n’y a pas de corrélation
entre investissements dans le domaine des TIC et performance.
Les nouvelles pratiques RH ne sont donc pas sources de valeur ajoutée puisqu’elles sont connues et
imitables (ARCIMOLES, 2001. BESSEYRES, 2002), c’est le capital humain qui créent un avantage
concurrentiel.
Le e-RH permet de développer ce capital humain selon l’étude de WATSON et WYATT en 2002 qui
s’est intéressée au lien entre le e-RH et la performance RH. Ce n’est pas l’outil en lui-même qui est à
l’origine d’un accroissement de la performance de l’organisation. L’avantage concurrentiel trouve ses
racines dans le mécanisme d’appropriation par les individus de la technologie. Ce mécanisme
d’appropriation se base sur trois éléments en soi : l’individu en soi (caractéristiques personnelles
comme l’âge, la formation…) ; sur l’organisation en elle-même (la communication sur les
technologies en place, la formation professionnelle) et à la technologie elle-même3.
Cependant l’impact organisationnel est réel et s’observe à tous les niveaux y compris dans la fonction
Ressources Humaines. Ses structures et ses processus ont été indéniablement et profondément
bouleversés.
2.2. Les pratiques e-RH et le processus de fusion : vers la mise en oeuvre d’organisation
virtuelle ?
Ce nouveau mode de travail introduit une distance « géographique » entre les salariés et la fontion
Ressource humaine. L’utilisation des technologies nomades contribuent aussi à l’effacement des
relations en face à face entre les salariés. De nombreuses recherches se sont intéressées à ces nouveaux
phénomènes, comme celles portant sur le télétravail à distance (BEREZIAT, 2000) mais aussi sur les
conséquences du management à distance au niveau de la prise de décision (JESSUP, 1991), relation
entre les individus (HUANG, 2002), confiance au sein de l’équipe (HOLTON, 2001), communication
(JARVENPAA et LEIDNER, 1999).
Cette multiplication des changements de toutes sortes renforcent la complexité des stratégies
d’adaptation des organisations et des salariés. Tel est notamment le cas lors des fusions. Ces
opérations sont soumises à une forte exigence de rentabilité économique et financière.
La réalisation d’une fusion vise à la création de synergies. Il s’agit d’une notion très en vogue depuis
la vague des fusions- acquisitions commencée à la fin des années 1990. Tous les secteurs sont
aujourd’hui concernés. Cette stratégie organisationnelle est concomitante avec l’entrée en piste des
« cost-killers », les chasseurs de coûts. Après une période d’observation et d’audit au sein des deux
sociétés fusionnantes, la deuxième année est principalement consacrée à la mise en œuvre du plan
stratégique de réduction des coûts. Par conséquent, les services en doublons sont « fusionnés » au sein
d’un même et seul service, les équipes sont réduites pour être plus fonctionnelles et productives. Cette
chasse aux coûts, au superflu a également eu pour effet une recherche d’externalisation. Elle réduit
considérablement les niveaux hiérarchiques et allège son siège social. Les collaborateurs se peuvent se
retrouver dotés lors de fusions de « bureaux mobiles ». C’est l’occasion pour eux de travailler au
bureau comme à leur domicile ou chez le client.
L’organisation fonctionne alors en unités décentralisées et autonomes, proches des marchés locaux.
Sont alors favorisées les structures transversales, type « groupe de projet ». Enfin, elle travaille en
réseau avec ses fournisseurs comme avec ses clients et échange en permanence avec eux des
informations via les réseaux numériques. Nous sommes face à une entreprise dite virtuelle qui repose,
en grande partie, sur les TIC. Ceci lui permet d’être perméable aux évolutions des marchés et de
disposer d’un avantage concurrentiel. Cet avantage concurrentiel se définit selon trois critères (D.
ETTIGHOFFER, 1992)4 : l’ubiquité (le collaborateur, tout en étant chez son client, reste en contact
permanent avec son entreprise) ; l’omniprésence (fonctionnement sur tous ces sites 24h/24h) ;
l’omniscience (elle réunit toutes les compétences dont elle a besoin).
3
Ouni, F (2004), L’impact d’Intranet sur la performance RH : l’influence perçue par les salariés, Journées
doctoriales du GDR, TIC et Société du 28 et 29 janvier 2004.
4
Ettighoffer, D (1992), L’entreprise virtuelle ou les nouveaux modes d’organisation, O. Jacob.
Lors de fusions, de nombreux chantiers sont donc à gérer simultanément : conduire de véritable
transformations, préserver l’activité courante surtout des sanctions des marchés boursiers et gérer le
choc culturel entre salariés issus d’univers différents. Pour les directeurs des ressources humaines la
mise à disposition des informations auprès des collaborateurs, devient une de leurs préoccupations les
plus importantes.
L’information, surtout en période de changement, devient pour le salarié vitale pour maintenir sa
motivation et son effort de productivité. Mais comment le faire dans le cadre d’un e-RH ? Avec
l’utilisation massive des TIC, la fonction ressource humaine se décharge progressivement de ses
missions au profit du manager intermédiaire et du salarié dans le cadre de la mise en place du « libre
service » ressources humaines.
De plus, la situation psychologique et professionnelle des salariés restants après une fusion est trop
souvent négligée. Cette négligence favorise l’émergence du syndrome du survivant (cf. 1.2).
L’émergence de ce syndrome constitue une menace pour les synergies futures de la fusion.
Par conséquent,, la structure offerte par l’entreprise virtuelle offre la possibilité, dans le cadre d’une
fusion, de réaliser des synergies en terme de coûts financiers (la sous-traitance minimise les coûts par
rapport à un salarié à temps plein), de lieux géographiques (en raison des bureaux mobiles), de
personnels (restructuration sociale pour éviter les services en doublons). Cependant, un élément est
souvent négligé : le facteur humain. Nous devrions même dire « doublement négligé ». D’une part,
l’apparition des symptômes du syndrome du survivant démontre que les dirigeants n’ont pas assez
accompagné les salariés restants. Trop souvent, ils sont considérés comme chanceux d’avoir conservé
leur emploi5. Dans un tel contexte de déni de la phase de « deuil » nécessaire aux salariés restants pour
se reconstruire une image de leur organisation, trouver de nouveaux repères et tout simplement
accepter le changement, il semble difficile de créer une confiance entre les nouvelles équipes,
indispensables à la réussite de la fusion. « Pour fusionner les structures, il faut fusionner les esprits »6.
Plusieurs auteurs se sont interrogés sur les implications de la mise en œuvre d’une organisation
virtuelle. Soit, elles permettent de réaliser des synergies lors d’opérations de fusions mais elles posent
également une question fondamentale : « comment diriger et motiver des personnes que l’on ne voit
pas ? »7. Tout repose alors sur la confiance. Or, la plupart des organisations ont tendance à fonctionner
selon l’hypothèse que l’on ne peut pas faire confiance aux individus. Comme le souligne plusieurs
chercheurs, ce type d’attitude génère un système de contrôleurs et de contrôleurs contrôlant les
contrôleurs, mettant le climat sous tension8. Selon lui, la confiance nécessite un apprentissage et des
contacts. A travers ces recherches, il a constaté que plus l’organisation est virtuelle et plus le personnel
a besoin de se rencontrer personnellement. L’idée selon laquelle une équipe dispersée fonctionne
mieux si elle a été réunie physiquement dès sa création et a travaillé la question du « comment
travailler ensemble » est retenue par d’autres chercheurs9. Il propose de remplacer le sentiment
d’appartenance à un endroit par le sentiment d’appartenance à une communauté. La solution passeraitelle alors par la constitution de réseau formel ou informel pour faire face à la « virtualité » des
rapports?
2.3 L’organisation en réseau : une solution ?
L’usage des technologies est tout d’abord (DOCQ et DAEL 2001) un ensemble de pratiques et de
règles partagées socialement par un groupe de référence. Ces pratiques se mettent en place et se
5
Lind et Tyler. (1988). The social psychology of procedural justice, NY: Plenum; Cianco, J. (2000). Survivor’s
syndrome, Nursing management, Chicago, vol. 31, n°5, p. 43-45.
6
Bartha, p & Breuer, j-p. (2001), Fusionner les esprits pour fusionner les structures, Fusions& Acquisitions,
février.
7
Handy, C (1996), Pas d’organisation virtuelle sans confiance, Expansion Management Review, mars.
8
Handy, C (1996), op.cit ; Chesbrough. H et Teece. D (1996), Une organisation virtuelle n’est pas toujours
vertueuse, Expansion Management Review, juin.
9
Perlo, A et Hills. C (1998), Réunir et souder une équipe virtuelle, Expansion Management Review, mars.
construisent avec le temps. L’usage est donc un construit social, c’est ce que les utilisateurs font
effectivement avec les technologies. (BRETON et PROULX, 2002, CHAMBAT, 1994).
De CERTEAU (1990) va plus loin en parlant de l’usage des technologies puisqu’il le considère
comme une opportunité de créativité culturelle. En effet, les usagers ont recours à des ruses et des
tactiques. Ainsi « (…) chacun s’invente une manière propre de cheminer à travers la forêt des
produits imposés ».
Ces différentes approches correspondent à notre cheminement et nous invite comme le souligne
BACHELET (2004) à faire évoluer notre représentation de la « non-conformité » des usages.
L’introduction massive des TIC au sein de la fonction RH et sa mutation vers un e-RH provoquent,
certes, des transformations radicales au sein des organisations mais des dysfonctionnements sont
possibles et peuvent contribuer à l’émergence d’une nouvelle forme de travail. Cette nouvelle forme
de travail passe par une réappropriation de l’usage de ces technologies par le salarié. Cette
réappropriation peut dans certains cas engendrer la création de réseaux informels en adéquation avec
les stratégies individuelles des survivants.
SLOWINSKI, RAFII, TAO et GOLLOB (2002)10 décrivent la stratégie individuelle mise en place par
les salariés restants. Ils appliquent la logique suivante : pour rester au sein de l’organisation, il faut
savoir devenir un élément indispensable pour assurer sa survie. La stratégie individuelle peut prendre
plusieurs formes : menacer de partir à la concurrence, faire de la rétention d’information. Or l’objectif
premier de l’organisation est de favoriser une combinaison des savoirs des entités fusionnantes afin de
créer de nouveaux savoirs. On peut en déduire qu’il existe des dissonances cognitives entre les salariés
et l’organisation. Il y a une remise en cause du contrat psychologique. Pour CIANCO (2000), le
syndrome du survivant commence par la destruction du contrat psychologique. Il met en avant un
sentiment d’injustice et d’abandon. Son étude se déroule dans le cadre hospitalier. Selon lui, le
syndrome du survivant se manifeste par une forme de désengagement du salarié qui en vient à faire le
strict minimum voire à « saboter » l’organisation en partant chez un concurrent.
Pour BOROSON et BURGESS (1992)11, les survivants veulent être rassurés par les tops managers. En
effet, ils cherchent à savoir si le pire est passé et que leurs emplois seront sauvegardés. Eux aussi ont
observé le besoin des survivants d’être rassurés sur le maintien de leur emploi. Dans le cadre du e-RH,
les structures se dématérialisent. Pour recueillir les informations nécessaires à l’apaisement de leurs
angoisses, les salariés font appel à leur réseau (ou communauté) informel pour pallier à ce
dysfonctionnement.
Des chercheurs comme SNYDER et WENGER (2000)12 soutiennent la thèse selon laquelle les
communautés informelles créent de la valeur. Selon eux, une nouvelle forme organisationnelle
émerge. Cette forme vient compléter les structures existantes. Elles ont un fort pouvoir de stimulation
sur le partage des connaissances, de l’apprentissage et le changement. Ils parlent de « la communauté
pratique ». Ils définissent cette communauté pratique comme des groupes de personnes liées entre elles
de manière informelle et qui ont en commun l’expertise et la passion d’un même travail. Le contact au
sein de la communauté peut se faire de visu ou via Internet. Quelle que soit la manière retenue, les
personnes impliquées dans ces groupes partagent expérience et connaissance, librement et avec
créativité. Cette communauté offre l’avantage de développer, en groupe, de nouvelles approches des
problèmes. SNYDER et WENGER (2000) ont observé pendant cinq ans les effets de ces groupes sur
les performances des firmes (une banque internationale, un grand constructeur automobile et une
agence gouvernementale américaine). D’après les résultats, l’effet de cette communauté serait positif.
Les communautés peuvent piloter une stratégie, donner naissance à une nouvelle activité, résoudre un
problème, promouvoir la diffusion de bonnes pratiques, développer les compétences professionnelles
des individus et aider les entreprises à embaucher et retenir les meilleurs talents. Toutefois, ces
communautés sont très peu répandues et ce pour trois raisons : le concept est encore récent dans les
10
Slowinski, G. et al. (2002). After the acquisition: managing paranoid people in schizophrenic organizations; Research
technology management, Washington, vol. 45, n°3, p. 21-32.
11
Boroson, W. et L. Burgess. (1992). Survivor’s syndrome; Across the board, New York, nov, vol. 29, n°11 p. 41.
12
Snyder, W. M et Wenger. E. C (2000), Cultivez vos réseaux invisibles, Expansion Management Review,
mars ; Communities of Practice : The Organizational Frontier, Harvard Business Review, janvier-février 2000.
entreprises ; peu d’entreprises ont commencé à entretenir ce système ; enfin, ils sont difficiles à créer
et à intégrer au reste de l’organisation. Leur caractère informel et spontané n’accepte ni contrôle, ni
interférence.
Dans le cadre des fusions, la communauté de pratiques, réseau informel, peut constituer un moyen
pour résoudre les problèmatiques liées aux contre-performances, favoriser l’accompagnement des
salariés restants en renforçant les échanges et la connaissance. HP, avant la fusion, avait déjà des
communautés de pratiques. Par exemple, le développement du logiciel HP, baptisé High Availability,
destiné à la minimisation des temps morts chez le client, fut l’occasion pour les spécialistes du logiciel
de se regrouper. Chaque participant a alors découvert qu’il partageait beaucoup de problèmes
communs et qu’ils avaient beaucoup à apprendre les uns des autres. Cette communauté est parvenue à
définir des standards de vente et d’installation du logiciel et à établir une grille de prix cohérent à
l’usage des commerciaux. Une difficulté ternit un peu le bilan positif de ce dispositif : leur absence de
légitimité et de budget. Or, les organisations en proie à un changement organisationnel ont tout à y
gagner.
Dès lors, la création de réseaux informels peut être considérée comme des facteurs de performance en
ce sens que ces réseaux sont susceptibles de réduire les effets négatifs issus du syndrome du survivant,
apparaissant lors de restructuration. Ceci n’est rendu possible que par une intégration optimale des
technologies auprès de ses utilisateurs, à savoir les salariés.
Par intégration, nous entendons une utilisation des TIC en vue du développement de réseaux
nécessaires à l’appropriation de la fusion. Finalement, l’appropriation des TIC peut conduire à
l’acceptation de l’opération de croissance externe.
Bibliographie
Arcimoles, D (2001), « Développement durable et création de valeur : des relations à découvrir » in G
Ferone et Coll : le développement durable, des enjeux startégiques pour l’entreprise. Edition
d’Organisation, Paris.
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Ce qu’il faut retenir…
La création de réseaux permet de pallier à l’altération des liens sociaux consécutive à la mise
en de l’e-RH (démotivation, contre-performance productive) et aux symptômes du syndrome
du survivant apparaîssant dans le cadre d’une fusion.
Mots clés :
E-RH, TIC, performance,syndrome du survivant, stress, réseau, fusion.
Les auteurs
•
Laëtitia LETHIELLEUX est PRAG à l’IAE de Paris. Membre du GREGOR, elle prépare une
thèse sur « les fondements organisationnels et juridiques du comportement des salariés lors
des opérations de croissance externe », sous la direction des Professeurs José ALLOUCHE et
Paul LE FLOCH.
[email protected] 21, rue BROCA 75240 Paris cedex 05.
Communications :
¾ L’influence des facteurs juridiques et organisationnels sur la réussite des opérations de
fusions en Europe (Journées des IAE Lyon, septembre 2004) ;
¾ La mesure de la réussite d’une fusion par le syndrome du survivant à l’AGRH
(Montréal- septembre 2004) ;
¾ Profil et facteurs explicatifs du choix des individus privilégiant leur vie privée à leur
carrière, CNAM- mars 2004.
•
Amale LUCAS est chargée d’enseignement à l’IAE de Paris et à l’Université René Descartes
(Paris V). Membre du GREGOR, elle prépare une thèse sur « Les TIC : composantes de la
performance des organisations publiques? Applications aux SIRH » sous la direction du
Professeur José ALLOUCHE.
[email protected] 21, rue BROCA 75240 Paris cedex 05.

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